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Édition Semaine n° 19 - mai 2012

 

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La librairie Gallimard
et les éditions François Bourin

vous invitent à venir rencontrer
Michael Lonsdale
à l’occasion de la parution de l’ouvrage
Michael Lonsdale
Entretiens avec Jean Cléder
Jeudi 3 mai à 19 heures


Librairie Gallimard, 15 bd Raspail, Paris 7ième

 

 

Colloque Pierre Bourdieu : l’insoumission en héritage
Vendredi 4 mai à partir de 10h


Colloque organisé avec Edouard Bellegueule.
Avec notamment Stéphane Beaud, Patrick Chamoiseau,Roger Chartier, Didier Eribon, Arlette Farge, Frédéric Lebaron, Frédéric Lordon, Achille Mbembe (distibution en cours).

Il y a dix ans, Pierre Bourdieu disparaissait. Aujourd’hui, son œuvre est plus que jamais d’actualité : ses analyses sur le système scolaire, la culture et le journalisme, le champ politique, la démarche critique, ou encore le néolibéralisme, fournissent des outils indispensables à toutes celles et tous ceux qui entendent lutter contre la logique de la reproduction sociale et de l’exclusion, et créer des espaces de liberté et de résistance. Cette journée de réflexion voudrait échapper au rituel de la célébration et du commentaire académique. Il s’agira de penser l’héritage vivant de Pierre Bourdieu, de montrer comment ses préoccupations continuent de hanter le débat théorique et politique et de nourrir le travail intellectuel, artistique et littéraire. Faire vivre Bourdieu, ce n’est pas seulement faire vivre une doctrine. C’est avant tout réactiver une attitude : celle de la lutte contre toutes les formes de domination.

> Théâtre de l’Odéon – Salon Roger Blin / Entrée libre sur réservation present.compose@theatre-odeon.fr

Littérature - Poésie

« Le Gouverneur D’Antipodia » de Jean-Luc Coatalem. Editions Le Dilettante, 2012.

 


Au début, il y a l’océan, immensité d’eau d’un bleu vert glacé et glaçant, puis une île australe complètement perdue où même un bagnard ne voudrait aller purger sa peine. Battue par les vents et loin de tout, Antipodia. A quoi sert-elle, cette île ou personne n’est obligé d’aller et où pourtant certains vont se perdre. « Cette île est un paradis. Cette île est un enfer. » Ainsi commence le récit de Jean-Luc Coatalem, dans lequel trois personnages complètement marginaux vont s’y côtoyer ou s’y croiser, pour le meilleur et pour le pire. Jodic et le « Gouverneur » qui tentent d’oublier leurs vies d’avant, mais sont hantés par leurs fantômes personnels et Moïse, naufragé, balancé d’un bateau de pêche au large.
Au fil des pages, au rythme des vagues qui se fracassent contre les falaises d’Antipodia, au changement des saisons, s’installe insidieusement une routine de pénitencier ponctuée de bonnes parties de scrabble ou de fléchettes, mais aussi de crises étranges et violentes entre Jodic et le Gouverneur, Robinson d’une époque contemporaine, lisant le soir des livres d’aventures ou de poésie. Hiérarchie, pouvoir et secrets se mêlent à la partie et établissent une distance élastique entre ces deux hommes perdus sur cette île, entre vents et tempêtes, à accomplir des missions qui nous paraissent inutiles, mais auxquelles ils s’obligent avec discipline pour ne pas perdre les pédales… Comme pour se persuader qu’ils sont encore du monde des terriens, des humains sous la bannière de la société qui les emploie, « La Glaciale ». Glissant doucement vers des rêves artificiels en buvant des breuvages de Réva Réva, Jodic joue avec sa propre folie, se métamorphosant en une espèce d’indien rare, un indien antipodien. L’observant du haut des quelques monts de l’île, le Gouverneur accidenté et malade ne maîtrise plus rien. Moïse, survivant ne devrait-il pas avoir trouvé sur les rivages d’Antipodia, le signe d’une nouvelle vie ?
Nous, lecteurs, sommes alors les témoins impuissants de cette longue chute collective, de cette bascule vers l’irréversible.
Pas de répit dans ce récit tendu où l’enfer n’est pas que les autres…


Eivlys Toneg

 

Goethe « Voyage en Italie » édition établie par Jean Lacoste, Bartillat, Omnia éditions, 2011.
 

 

Il peut paraître surprenant que ce Voyage en Italie, paru pour la première fois en 1816, ait été si longtemps indisponible en France. Cela est d’autant plus étrange que les conditions dans lesquelles Goethe a décidé ce voyage, et la façon dont il a caché son départ à ses proches, témoignent d’une volonté fondamentale de rupture dans sa vie : « Je me suis enfui de Carlsbad à trois heures du matin : autrement on ne m’aurait pas laissé partir. » Ce long voyage de 1786 à 1788 le mènera du nord au sud, jusqu’à Palerme en Sicile. Véritable initiation à l’art mais aussi aux peuples rencontrés, cette expérience incomparable va marquer de manière indélébile son inspiration et son écriture, même si l’art de la peinture qu’il chérissait tant souffrira définitivement de ce long séjour. C’est à Rome que Goethe prend conscience de ce qu'est un homme au sens vrai du terme, bien que l’auteur des Affinités électives notera de manière un peu amère qu’il n’a plus jamais connu une telle élévation des sentiments depuis lors. Il semble ainsi essentiel de suivre les pas de ce géant de la littérature dans cette marche vers le sud, en débutant par le très bel essai de Jean Lacoste qui a une connaissance presque intime de ce ressentir évoqué par Goethe. Nous irons ensuite de villes en villes, Vérone, Venise, Florence, Rome bien entendu avant Naples et Palerme. Les impressions laissées ne sont jamais anodines mais témoignent d’une pensée marquée par cette renaissance de soi révélée par le voyage. Au-delà de toutes les beautés, de toutes les découvertes, c’est bien en effet à la découverte de soi qu’invite cette pérégrination inspirée !

 

Pierre Lartigue « Plumes et rafales – La passion du XVI° siècle » coll. Les Billets de la Bibliothèque, éditions La Bibliothèque, 2012.

 

 

Rome, Athènes… les civilisations dites antiques, ces références illustres, ont tracé une voie royale à la Renaissance dans tous les domaines de l’art. Aujourd’hui, il faudrait peut-être, la comparaison est triviale, chercher outre-Atlantique pour trouver une telle influence dans notre quotidien. La mode était alors « à l’antique », dans la peinture, c’est une évidence, mais également dans la musique si l’on pense au travail accompli par Claude Le Jeune ou Eustache Du Caurroy sur les vers mesurés à l’antique de Jean-Antoine de Baïf. Comme le rappelle Pierre Lartigue, à cette époque « tout le monde bouge ! » et les arts tissent entre eux des liens comme ils ne l’avaient jamais fait jusqu’alors.
C’est à ces charmes qu’a succombé Pierre Lartigue, celui par exemple de la sextine à laquelle il a même consacré un livre entier, l’attrait de cette musique des vers, choisis avec cœur et raison, l’un n’allant pas sans l’autre à une époque où les mathématiques n’étaient pas étrangères aux amoureux de la poésie et de la musique. L’auteur de cette flânerie poétique s’interroge souvent, notamment lorsqu’il imagine Louise Labbé avec des yeux couleur noisette et les cheveux blonds et dont la poésie est imprégnée de désir… La poésie évoquée dans ce voyage est bien vivante et si elle sait emprunter ses formes à des figures savantes, elle est pétrie d’humanité et de vie même lorsqu’un poète comme Des Autels évoque une femme qui prendra sous sa plume le nom de Sainte et qui pourrait faire penser, par bien des aspects, à l’Extase de sainte Thérèse sculptée par Le Bernin dans l’église Santa Maria della Vittoria à Rome :

Lorsque ma Sainte au temple saint oroit
Entrant au ciel le cri de son silence
De majesté, reluysant sa présence
Et de ses pas la terre elle doroit !


Calliope se serait-elle penchée sur le berceau de Du Bellay ? Pierre Lartigue ne pose pas la question en ces termes, encore que… Le poète est porté vers l’envol, et l’élévation de la langue parvient à un point tel qu’elle pourrait peut-être conduire au silence, ce silence si plein de sens que l’on connaît tant en musique.

Et vous, mes vers, delivres et legers,
Pour mieux atteindre aux celestes beautez
Courez par l’air d’une aile inusitée.


Le voyage se poursuit, toujours à pas de danse, avec Pierre Lartigue c’est une heureuse habitude. Une volte, et c’est à Ronsard qu’il réserve de très belles images, celles qui associent ses vers à la vrille des vignes, à la boucle de la laine, voire la corne du bélier, tout est dit… Le français a gagné ses lettres de noblesse et Ronsard n’est pas le dernier à l’avoir porté aux nues. Les efforts de Jean Antoine de Baïf étonneront plus d’un, surtout les plus jeunes qui verront en lui un frère d’armes lorsqu’il élabore ses vers mesurés avec un alphabet de vingt-neuf signes. Les services de messages courts n’ont qu’à bien se tenir, ils n’ont rien inventé ! Et si l’on se moque de lui, il rétorquera : « Ri t’an, je m’an ri : mω ke t’an, tu es moké »…
Nous perdons le souffle tant les rafales de la poésie de ces années tourbillonnantes donnent le vertige. Quelques instants de prose d’un Charles Estienne viendront pause marquer. Ce seront alors ballades bucoliques et autres détails qui n’en sont pas pour son auteur, afin d’organiser un jardin. Mais les horizons ne sont pas si idylliques. La foi s’exacerbe en se divisant, et en amplifiant leurs différences les catholiques rivalisent de violence avec ceux qu’ils nomment avec mépris les huguenots. Dans ces périodes noires comme l’encre, des étoiles brillent pourtant, celles connues de La Boétie et de Montaigne, d’autres plus discrets de nos jours tels Claude Fauchet ou Etienne Pasquier. Il faudra d’ailleurs relire les longs passages consacrés, le mot est faible, à Montaigne ! Avec un peu d’imagination, le grand homme sortirait presque des pages de votre livre tant Pierre Lartigue s’y entend pour redonner vie à ce qui fut… n’est plus… mais peut de nouveau nous émouvoir grâce à sa plume et à ces rafales de poésie !

 

Philippe-Emmanuel Krautter

 

Fouad El-Etr « Irascible silence » Frontispice de Paolo Vallorz, La Délirante, 2011.

 

 

Pour Horace, ira furor brevis est, la colère est une courte folie. Le poète Fouad El-Etr serait-il prompt à l’emportement dans l’absolu silence de la poésie ? La faculté irascible ne s’entend chez lui que dans l’environnement des cyprès qu’il chérit tant. Le lecteur attentif percevra peut-être cette fureur silencieuse alors même que le silence est le carquois sans flèches du poète. Et si l’antique ira était plus proche de la fougue que de la colère dans la poésie de ce dernier recueil ? Cela expliquerait alors bien des choses… Et nous pourrions ainsi mieux comprendre ce vieux Neptune nourri par la vitalité des éléments, que cela soit le fait de l’ellipse dessinée par le mouvement d’un fouet ou de la chevelure blonde d’une femme mouillée par les flots. La verticalité du mouvement participe d’ailleurs de cette vitalité, l’eau quitte ainsi son horizontalité lorsqu’elle est de connivence avec les ailes de l’hirondelle. La poésie de Fouad El-Etr n’est pas élégiaque. Et même si, parfois, l’amour peut être sombre et que la mort rôde, la lune prend son élan et chaque nuit se renouvelle… Cette lune est d’ailleurs omniprésente, dans sa rondeur, elle réunit les êtres qui s’aiment, même à distance, à l’image de la poésie venue d’Orient. Les descriptions bucoliques sont parfois trompeuses chez cet amoureux de la nature, elles ne sont pas là pour un éloge plaisant, mais soulignent au contraire une certaine forme de tragique, telles nous apparaissent les ruines de la vaste nécropole de Tyr, l’antique ville phénicienne, dans lesquelles les amours doivent se dépêcher de vivre et de mourir au risque de ressembler à cette éternité des vies inachevées. C’est cet amour de la vie qui sourd à travers toutes les évanescences que ce recueil célèbre et le poète associe irrémédiablement amour et vie, cette colonne de vie s’élève dans un irascible silence dans l’étreinte où se boivent les âmes.
La colère est une courte folie avait souligné Horace, avec cette poésie nourrie aux sources du désir, la folie risque de durer un peu plus, avec l’éloquence de ces silences.

 

   Dans une allée de mon cerveau

   Comme d'un cloître se propage

   La fraîche voix de feuilles sèches

   Des torrents jeunes des montagnes

 

   De longs jets d'eau s'écroulent

   Montent remontent dans l'allée

   Une hirondelle boit l'air bleu

   D'un coup d'aile et mouillée

 

   L'ombre caresse le gravier

   Germe et bourgeonne dans l'écume

   Buvant de l'aube au crépuscule

   L'eau verticale et les cyprès.

 

                        (Eau verticale p. 11)

Irascible silence, illustré d’une eau-forte de Paolo Vallorz, placée au frontispice de l’ouvrage, comprend une quarantaine de poèmes ; c’est le septième recueil de Fouad El-Etr dont on retient, entre autres, les traductions de Yeats et de Shelley, et, plus récemment, des poèmes de John Keats, « Ode à un rossignol et autres poèmes » (6 500 exemplaires à ce jour), qui ont servi aux versions sous-titrée et française de « Bright Star ! », le film que Jane Campion a récemment consacré à ce poète.
Recueil composé au plomb en Baskerville corps douze sur Vergé d’Ingres tirage limité à trois mille deux cents exemplaires.

Philippe-Emmanuel Krautter

 

« Un été sans les hommes » de Sri Hustvedt, traduit de l'américain par Christine Le Boeuf, Editions Actes Sud, 2011.

 


« Un jour d'hiver, l'homme s'est levé et est parti, point. » Que savons-nous des gens, en réalité ? C'est une des questions que se pose Mia, femme de cinquante ans, poète, dotée d’un certain scepticisme. Boris, son mari lui impose une « pause » (délicate façon de nommer la maîtresse bien plus jeune) en la quittant après trente ans de mariage. Elle décide de faire une parenthèse, quittant sa ville, retrouvant sa mère et son groupe de « vieilles copines nonagénaires», s’occupe d’un groupe d’écriture auprès d’adolescentes, aide une jeune mère paumée qu’elle décide de consoler, fait la part belle à l’écriture se nourrissant de poésie et de philosophie, des réflexions de ces trois générations de femmes aux regards amusés, amères, révoltés, de doutes ou d’espoirs sur la vie. Mia, blessée montre sans fausse pudeur son psychisme éclaté où se mêlent ses souvenirs, ses lectures préférées et ses moments pudiques où ses blessures pourraient prendre le dessus sur ses pensées désabusées et la mener vers une douce folie dont elle pourrait ne pas revenir... Mais, non ! La délicatesse du verbe, des mots, des situations et du caractère des personnages qu’elle rencontre, font de ce thème déjà traité mille fois, un savoureux roman, parfois triste, délicat, drôle, et résolument du côté des femmes sans être d’un féminisme rabâcheur…
« Un été sans les hommes » est un roman à lire et à se passer entre femmes, entre mère et fille, entre fille et grand-mère, laissant ainsi ce conte initiatique nous interroger sur nos propres parcours de femmes.
 

Eivlys Toneg
 

Henri Cole « Terre médiane » édition bilingue, traduction et présentation par Claire Malroux, éditions Le Bruit du Temps, 2011.

 


C’est au Japon que le poète américain Henri Cole vit la lumière et emplit ses poumons des effluves de la terre nourricière pour la première fois en 1956. C’est ce même Japon qui sera omniprésent dans ce cinquième recueil Middle Earth après son premier retour au pays du soleil levant.
La terre du milieu, bien avant d’être reprise et développée avec le succès que l’on sait par Tolkien, faisait partie intégrante de la plus ancienne cosmogonie germanique. Terre entre le monde du ciel et des profondeurs, elle était le refuge des hommes et le début de leur civilisation. La terre médiane du poète Henri Cole est probablement l’îlot de refuge du poète entre l’Est et l’Ouest, le ciel et les gouffres de notre humanité. Cet espace bien particulier que l’homme met souvent toute une vie à découvrir et le poète est parfois un peu en avance lorsque sa muse l’inspire, telle qu’elle le fit pour Henri Cole…
Le poète est fragile, il suffit de l’entendre lire sa poésie pour savoir que le souffle qui part du "hara" vacille parfois lorsqu’il évoque à mi-mot ce père militaire de carrière et si dur avec lui et sa mère (lire son témoignage dans le très beau texte How I grew). Il se réfugie très tôt dans une cabane, là encore monde médian entre ciel et terre. Il entretient même un dialogue silencieux avec Dieu, seule entité à recueillir ses pensées dans la solitude. Henri Cole ne cherche pas à nous émouvoir facilement, la tâche est beaucoup plus délicate, car il peut nous suggérer subrepticement le chemin vers cette terre médiane. Henri Cole ne conçoit pas la poésie comme un seul exercice de forme ou d’émotions. C’est lorsque le rythme et la cadence des mots se fondent en une osmose parfaite avec le surgissement de nos sens que l’on peut alors évoquer la création poétique. « A man is nothing if he is not changing » dit Henri Cole dans Respiration d’Icare, un homme n’est rien s’il ne change, l’impermanence des choses et des êtres marque son écriture et son univers. Le Lis de Casablanca a l’odeur de la mère désirée et à laquelle le poète ne peut pas dire Reviens ! Reviens ! pour, finalement, se réfugier dans le silence. Mais c’est avec le poème Terre Médiane dont le recueil a pris son titre qu’une bouffée d’émotions nous prend à la gorge : le tourbillon de la vie fait marcher un train à l’envers, « Le passé s’obscurcit comme un grand lustre à étages » et le présent s’effrite…

 

Philippe-Emmanuel Krautter

 

Anna Akhmatova "L'églantier fleurit et autres poèmes", traduction de Marion Graf et José-Flore Tappy & texte russe en regard Préface de Pierre Oster 240 pages, La Dogana, 2010.
 

 

Quand l’églantier fleurit, le poète n’a pas d’illusions. L’hiver de la vie lui a réservé le froid, la séparation de l’être aimé, les affres causées par la douleur d’un fils envoyé au bagne par le régime. Mais Anna Akhmatova ne pleure pas, ne se plaint pas, « le bonheur ne sera pas pour moi » (Le soir p. 19). L’une des plus grandes figures de la littérature russe du début du XX° siècle était l’amie d’Ossip Mandelstam à qui elle dédia « Voronèje », un poème très fort où le cristal du froid côtoie un ciel empoussiéré de soleil, où les peupliers ne peuvent être que des coupes dressées dont le tintement parvient jusqu’à nos oreilles en ce vingt et unième siècle…
En contrepoint de cette évocation extraordinaire, le poème claque sur une note sombre, pour mieux en faire ressortir les contours :

   « Mais dans la chambre du poète proscrit
   Veillent la Muse et la peur tour à tour
   Et la nuit vient
   Qui n’aura pas d’aurore. »
   (Voronèje p. 119)


Le bonheur est-il à ce prix ? Devons-nous graver dans notre âme « que la gloire et le bonheur, sans remède, usent les cœurs. » ? (p. 45). Anna Akhmatova n’est pas pour autant un poète tragique, sa muse l’a dotée d’une force bien plus grande encore que celle du pessimisme sans espoir possible, force que l’on retrouve si souvent dans l’âme russe. Anna Akhmatova sait rendre à l’amour envolé sa liberté, elle n’est pas de celle qui garde les clés d’une cage dorée. Elle préfère au poison brûlant « régner sur un jardin de rêves, plein de rumeurs des herbes et des clameurs des muses » (p. 97).
La béatitude est d’ailleurs absente de la poésie de l’auteur de « L’églantier fleurit », et même lorsque les visions hédonistes laissent espérer une insouciance qui dépasse les sens, « quand bruissent les bardanes dans le creux du fossé… », nous apprenons au même instant que le poète marche « longuement avant la nuit pour fatiguer mon angoisse inutile » (p. 39).
Les serrures et les portes verrouillées ont beau être omniprésentes dans ces lignes écrites sous le silence pesant de l’oppression du régime, le poète porte un toast à tout ce qui est beau, même si cela n’est plus, les lèvres goûtent une boisson enivrante pour une impossible rencontre, pour ce qui sans bruit a fui, pour les rêves que l’on ne saurait réduire en poussières…
Un murmure, un écho des fastes d’antan semblent percer la pénombre, ces fastes de l’Histoire et ceux de chaque histoire. Et même si la chanson est terminée et que les salons sont déserts, l’ombre du poète est déformée par la peur, peur que le « lilas funèbre » lui renvoie (p.157). Nous découvrons alors que le néant serait une solution facile, nos héritages, même les plus sombres, se chargent d’en témoigner pour nous !

Philippe-Emmanuel Krautter

 

SUKKWAN ISLAND de David VANN collection Nature Writing,
Traduit de l’américain par Laura Derajinski Editions Gallmeister, 2010 192 pages.

 


David Vann, jeune auteur américain, inconnu jusqu’alors, vient d’être couronné du prix Médicis étranger pour son premier roman « Sukkwan Island », une distinction riche de promesses. « Sukkwan Island » fait partie d’un ensemble de nouvelles publiées sous le titre de « Legend of a suicide », mais ce texte déroutant, bouleversant est un roman complet qui sous des airs simples, traduit la complexité des relations ou leur impossibilité, entre un père et un fils. Sujet déjà traité mille fois ? Oubliez toutes vos autres lectures, « Sukkwan Island » vous emporte dans la plus dérangeante de celles-ci. Dès les premières pages, une sorte de malaise s’installe sans que vous vous en rendiez compte…Tout pourrait être, en effet, vraiment merveilleux entre ce père divorcé, qui propose à son fils, adolescent, une expérience en Alaska. Ils y vivraient quelques mois ensemble, une année peut-être, en pleine nature, apprenant à se connaître, allant à la chasse et à la pêche dans une nature bucolique ; et c’est pour çà, que Jim, le père, a acheté une cabane blottie au fond d’un fiord, sur l’île de Sukkwan Island, pour y être avec Roy, son fils, et y prendre un nouveau départ. Une sourde angoisse s’installe cependant page après page, on croit comprendre la maladresse du père et le mutisme du fils, mais on se trompe, on entre dans les méandres de l’âme humaine, noire et maléfique… Tout aurait dû se passer autrement. Jamais Roy, adolescent de treize ans n’aurait pu se séparer de sa mère, de sa sœur et de ses copains de lycée, et pourtant il l’a fait. Jamais il aurait dû entendre son père pleurer chaque nuit, et pourtant il l’entend, jamais…Et pourtant…Tous ces événements qui s’enclenchent de travers vont nous mener bien au-delà de ce que l’on aurait imaginé et supporté…Tous ces petits « ratages » du quotidien, parce que personne n’est parfait et que Jim est plutôt fragile, et Roy perméable à tout ce qui l’entoure, perdu dans son adolescence, ne nous préparent en rien à la fulgurante bascule du récit qui nous prend à la gorge, nous retient prisonniers de chaque page et nous défie de lire la suivante jusqu’à la page 113.
Là, le rythme cardiaque accéléré, le souffle coupé, on se tait et on va jusqu’au bout de cet inoubliable roman, en silence, sachant que l’on en sortira pas tout à fait indemne.
 


Evelys Toneg
 

Alexandre Duval-Stalla « Claude Monet – Georges Clemenceau : une histoire, deux caractères, biographie croisée.» L’Infini Nrf, Gallimard, 2010.

 


L’amitié qui unissait les deux hommes est bien connue. Ces deux géants de l’impressionnisme et de la République se rencontraient sur bien des points, même si les divergences et débats d’opinions n’étaient pas écartés. Amoureux tous deux d’une liberté, étendard contre le conformisme, Monet et Clemenceau se rejoignaient également sur l’amour d’un certain absolu, la dernière lettre de Clemenceau à son ami en témoigne : « Je suis aussi fou que vous, mais je n’ai pas la même folie. Voilà pourquoi nous nous entendrons jusqu’au bout. » La folie, où la raison s’éclipse pour ouvrir de nouveaux horizons, il en sera beaucoup question dans les entretiens entre les deux hommes, que ces échanges soient explicites à l’image de cette dernière lettre ou bien tacite dans l’estime réciproque qu’ils se portaient l’un à l’autre. Alexandre Duval-Stalla a eu cette riche idée de mettre en rapport ces deux destins dans une « biographie croisée » dont une photo des deux hommes prise en 1921 à Giverny résume bien la connivence. La première visite de Clemenceau, une fois l’armistice du 11 novembre signé, sera le lendemain pour son vieil ami qui lui demandera « C’est fini ? », et Clemenceau de répondre :« Oui », avant de s’embrasser dans le célèbre jardin. Cela fait près de 60 ans qu’ils se connaissent et le don que fera Monet à la France de ses 22 panneaux des Nymphéas dans le musée de l’Orangerie dépasse la conjoncture de cette grande victoire et réalise un trait d’union définitif entre ces deux vies pour l’Histoire. Alexandre Duval-Stalla retrace avec finesse ces grands tableaux d’amitiés où la palette des sentiments enrichie par la profondeur des échanges entre les deux hommes offre une belle source d’inspiration résumée par cette dernière colère de Clemenceau devant le cercueil de son ami recouvert d’un drap noir : « Non ! Pas de noir pour Monet », et le vieil homme d’arracher l’indigne linceul au profit d’un drap de fleurs voisin, « une cretonne ancienne aux couleurs des pervenches, des myosotis et des hortensias », un dernier éloge à la couleur…

 

Théophile Gautier Venise collection Sépia VIII, éditions de l’Amateur.

 


La collection Sépia dirigée par Sylviane de Decker Heftler aux éditions de l’Amateur a réservé une surprise aux amoureux de Venise et de Théophile Gautier en éditant un petit bijou en format 21 x 13, une présentation à l’italienne particulièrement adaptée au sujet…
C’est le mariage des plus belles pages de Théophile Gautier sur Venise et d’anciennes photographies anonymes pour la plupart. Faisant suite à un voyage en Italie en 1850, les pages rapportées seront publiées en 1852 avec également des variations sur le carnaval de Venise dans son livre majeur Emaux et Camées.
L’auteur a de la peine à reconnaître dès la première page qu’il est fâcheux d’aborder l’Italie dont les ciels radieux sont réputés par une journée maussade et des temps d’orage…
Ce sont les éclairs, la pluie et le déluge qui accueille le voyageur pourtant habitué aux intempéries : « Certes ce n’est pas ainsi que nous avions rêvé notre entrée à Venise ; mais celle-là dépassait en fantastique tout ce que l’imagination de Martin eut trouvé de mystérieux, de gigantesque et de formidable pour une avenue de Babylone ou de Ninive ».
Que l’on se rassure pour l’auteur, le déluge prendra rapidement fin et le soir, il pourra admirer sur l’éternelle lagune le ciel étoilé annonciateur des beautés de la ville qu’il visitera les jours suivants !
La plume trempée dans l’inspiration vénitienne, le poète peint des tableaux autant qu’il décrit les merveilles, mais également la misère qu’il peut constater lors de son voyage. Les témoins photographiques d’une époque proche de celle qu’a pu connaître Gautier achèvent de nous transporter dans un beau voyage qu’il nous appartient de faire avec cette très belle réalisation.
 

Jean Starobinski « La parole est moitié à celuy qui parle… » - Entretiens avec Gérard Macé, France Culture / Editions La Dogana, 2009.



A la question posée par Gérard Macé « Au fond, vous êtes un moraliste ? », Jean Starobinski répond par l’affirmative, estimant que l’homme ne naît ni bon, ni méchant, apte à la violence et devant recevoir une éducation pour l’en prévenir, et ce faisant il se distingue de celui à qui il a consacré tant d’études dans sa vie, Jean-Jacques Rousseau. La citation de Montaigne, « La parole est moitié à celuy qui parle, moitié à celuy qui l’escoute » qui a été retenue comme titre symbolisant ces entretiens entre Jean Starobinski et l’écrivain Gérard Macé est en effet une belle illustration du dialogue entre les deux hommes qui nourrissent des affinités électives manifestes. Cet enrichissement mutuel nourri par la parole et par l’écoute ne résulte pas d’un aimable bavardage, mais répond bien plus à des règles strictes du langage et de l’échange comme le rappelle Jean Starobinski. En les oubliant ou en les méconnaissant, la parole serait source de malentendus, de dispersion et de brouillage du message initial, un fait que tout à chacun peut de plus en plus constater dans nos sociétés de surinformation. C’est ainsi à l’art de la parole et des idées que nous invite cet entretien stimulant et en même temps exigeant. Comment pourrait-il en être autrement lorsque nous revisitons, avec Gérard Macé, le parcours d’un homme qui su réunir, sur fond d’une éducation classique, une formation à la fois philosophique et en même temps scientifique avec la médecine qui le conduira vers la psychiatrie ? Cette formation de l’esprit invite les arts (Goya, Velasquez, Greco…), mais également la musique (« Le dom Juan » de Mozart) sous l’influence de Pierre Jean Jouve qui comptera beaucoup à ses débuts. Starobinski revient sur cette idée fondamentale qu’il appartient à celui qui parle de savoir se faire entendre au risque de ne pouvoir être compris par celui qui doit la recevoir. Le « cercle vicieux du non-sens », comme le nomme Starobinski, vient ainsi en contre-exemple du cercle vertueux évoqué par Montaigne. Or, tout texte littéraire est un ensemble de signes, relève Jean Starobinski qui souligne la similitude avec l’état d’un organisme vivant. Ces textes suscitent diverses lectures selon leur nature. De ces lectures peuvent également naître de nouvelles écritures qui permettent «d’élaborer avec plus de netteté la réponse que l’on souhaite donner au texte qui nous a parlé », la réponse ouvrant également à de nouveaux horizons. L’écriture est ainsi une nouvelle écoute pour Jean Starobinski, une écoute qui ne saurait être solitaire, la « vraie recherche ne commence que lorsque l’on se sent en compagnie ». Cette recherche associe l’art de la citation rigoureuse souvent articulée autour de deux idées antagonistes, mais également l’heureux mariage entre la rationalité héritée des sciences physiques et la compréhension sensible des sciences humaines.
En conclusion de ce recueil d’entretiens, Stéphanie Cudré-Mauroux évoque cette « entente fondamentale » entre les deux écrivains qui se connaissaient déjà par l’échange de leurs écrits. Véritable démonstration de ce qui est évoqué dans ces entretiens, leur propre échange conduit à un éclairage nouveau sur leurs écrits et leurs idées donnant pleine vie à la citation de Montaigne qui orne la couverture de ce très beau livre !

 

Jacques Dupin « Ballast » Poésie/Gallimard n° 451, Gallimard, 2009.

 

Le ballast, dans la marine, leste ou déleste le navire et ses hommes embarqués vers l’inconnu. Le ballast, sur terre, comble les voies ferrées en recouvrant les traverses de bois. Quel usage Jacques Dupin a-t-il choisi pour ce mot dans son dernier recueil ? Quelle est la force de ce mot inattendu pour la plupart d’entre nous en poésie et pourtant si prégnant pour le poète dans ce recueil de poésies couvrant les vingt dernières années du XX° siècle ? Cette pierre sans intérêt intrinsèque qu’est le ballast est une pierre brisée, broyée, réduite dans sa plus simple expression, avant celle de la poudre, pour servir à nos transports. Cette force tellurique déchiquetée marque-t-elle l’omnipotence illusoire de l’homme sur la terre mère, celle à qui il doit tout et à l’égard de qui il oublie tout ? Il est peut-être plus intéressant de partir de cette pierre sombre, à laquelle on ne prête jamais attention, lest ou comblement de nos quotidiens, ces à-côtés qui ne ressemblent à rien. Quels sont ces morceaux brisés de nos vies ? Ceux de la pierre tombale dont le poète s’échappe à la faveur d’un levier ? Le cristal lui-même n’offre pas la face polie qu’on lui prête trop souvent, Dupin sait bien plus qu’un autre que le minéral le plus pur et le plus beau n’est que prélude aux antagonismes et aux divisions perpétuelles. Sommes-nous alors condamnés à courir et à fuir comme cette chienne (p. 28) dont la chaîne brisée pourrait cliqueter sur ces voies de ballast ? Nul ne le sait et le poète ne nous indique pas cet autre chemin qui nous permettrait d’échapper à cette réalité. L’homme qui écrit cette poésie n’est pas homme à être saisi aussi facilement, et c’est par contumace, titre des premiers poèmes de ce recueil, qu’il faudra le juger, et nous ne nous y essaierons certainement pas. Le lecteur ne cherchera pas à recoller ces pierres brisées à jamais, mais plutôt à percevoir :

la division qui nous porte, et nous dérègle,
nous approvisionne, à n’atteindre jamais le point



de rencontre avec qui l’absout,
et nous couvre de terre, de feuilles, de musique… (p. 30)


Dans ce poème, l’importance du blanc typographique, initié par Mallarmé dans « Un coup de dés…», souligne cette rupture et cette distance qui est caractéristique de la poésie de Dupin. Sa lecture n’est pas toujours facile, mais comme le relève lui-même Dupin, la poésie n’a jamais eu droit de cité et a toujours été dehors et dérangeante. Acceptons cette offre généreuse de liberté, au sens de la fameuse chaîne brisée, afin de parcourir nos espaces d’éternité grâce à cette écriture éloignée des facilités.
Tramontane, poème qui ouvre le recueil « Le grésil » est d’une force redoutable qui empoigne le lecteur à l’image de ce vent dont on dit qu’il rend fou,

    dans le miroir de l’écorce
    tu me regardes

    me haïr


C’est également la force de celui qui réalise « l’arasante vibration de l’air ». Le granit, le schiste sont les éléments minéraux qui opposent leur résistance à l’empreinte de nos vies ou bien s’en font l’écho. Parfois, chez Dupin, la pierre devenue aveugle parvient en effet à l’état de lumière errante et la lave s’écroule dans la ronce…
L’effondrement révèle ou au contraire enfoui. De ce naufrage minéral, il nous appartient d’entrevoir ce qui est au cœur de notre être, notre vie agrégée ou dispersée à l’image du ballast de Jacques Dupin…

 

Shoshana Rappaport : « Brefs impératifs », éditions L’Actmen, 2010.
 


« Brefs impératifs » est le deuxième livre de Shoshana Rappaport après « Léger mieux » consacré à trois destins de femme – Virginia Woolf, Sylvia Plath et Marina Tsvetaieva. Leur point de contact : L’écriture, l’écriture comme nécessité ou battements de vie. « Brefs impératifs », c’est cela, en effet, que cela et tout cela : Un acharnement vital à l’écriture, à tenter de trouver les mots justes, la phrase, le rythme ; un non renoncement à l’écriture, à soi-même pour tenter d’y puiser un léger souffle d’existence. Tenter sans jamais abandonner, avec une patience et une obstination désespérée, à coup de mots arrachés, d’arrêter ou au moins de troubler ce flottement, ce désarroi continu et lancinant ; C’est tenter la première phrase pour « se le tenir pour dit ». Il y a dans ce livre des notes de sincérité ou plutôt des exigences de refus de s’enfoncer dans le mensonge, et des cris lancés, des « parlez-moi franchement ». « Brefs impératifs », ce sont des phrases courtes, intranquilles pour reprendre les mots de l’auteur qui claquent contre les murs, un à vif qui côtoie le sensible. C’est un refus, un « je », un « il », un « elle » qui se bat, se risque à la chute, à écrire pour avancer, survivre un jour d’hiver, un matin de printemps ou un seul instant coûte que coûte. Un mot, une phrase comme un sursaut, un élan de désobéissance…pour où déjà ? Ici, pour ce deuxième livre vif et à vif.

L.B.K.
 

 

 

André Gide « Journal – une anthologie (1889-1949) » inédit, Folio anniversaire, Gallimard, 2012.

 


Le Journal rédigé par André Gide tout au long de sa vie a une valeur d’exemple et de témoignage quant à la maturation et à l’élaboration d’une pensée et d’une écriture. Véritable laboratoire, le journal est une œuvre en création dans laquelle son auteur souhaite le plus de sincérité possible ou, tout au moins, le moins de complaisance vis-à-vis de soi : « …malheur à qui songe à sa personnalité en écrivant ; elle apparaît toujours assez si elle est sincère… » (1894). Il semble d’ailleurs qu’à la lecture des premières années décidément très riches et lucides, Gide ait perçu nettement ce qui serait au cœur de son entreprise : « les choses les plus belles sont celles que souffle la folie et qu’écrit la raison. Il faut demeurer entre les deux, tout près de la folie quand on rêve, tout près de la raison quand on écrit » souligne-t-il lors de son séjour à Neufchâtel en septembre de cette même année 1894, opérant ainsi une heureuse alliance entre Descartes et Pascal…
Le jeune homme aura très tôt une soif de connaissance, il embrasse l’art au musée du Louvre où il se promet de travailler plus sérieusement ses connaissances et court presque littéralement dans les couloirs qui joignent les Offices au palais Pitti à Florence ! L’émotion est au comble et Gide s’offre la même jouissance dans la description des remous de l’Arno, qu’il décrit au même titre qu’une œuvre d’art dans des lignes inoubliables.
Les années passent, mais la passion de la vie est toujours aussi aigüe : Gide vient d’avoir quarante ans et il estime ne s’être jamais senti aussi jeune en 1910. Mais l’auteur de La Porte étroite est loin d’un optimisme béat et il réserve des jugements à son entourage, et à commencer par lui-même, sans concessions : « Comme nous sommes ridicules ! Déjà j’ai tant de mal à me prendre au sérieux, quand je suis seul… Chacun de nous m’apparaît ici comme dans la salle d’essayage d’un tailleur, entouré de glaces qui s’entre-reflètent, et quêtant dans l’esprit d’autrui son image multipliée. Malgré soi l’on prend posture ; l’on se cambre ; on voudrait tant pouvoir se voir de dos ! »
Cette lucidité le poussera à continuer ce travail de journal jusqu’à son dernier souffle avec bien entendu des instants de désespoir qui lui font dire « Plutôt se taire que se plaindre… », et relever que s’il n’avait rarement souhaité mourir (deux ou trois fois seulement), il aurait plutôt préféré être déjà mort, pour plus de simplicité!

Volume édité pour les 40 ans de la collection Folio

 

Léon Chestov « Athènes et Jérusalem » Traduction du russe par Boris de Schloezer , nouvelle édition présentée, corrigée et annotée par Ramona Fotiade, suivie de « L'obstination de Chestov » par Yves Bonnefoy, 568 pages, Le Bruit du Temps, 2011.

 

 

Léon Chestov évoque dans son dernier livre une interrogation lapidaire, mais lourde de conséquences, de l’auteur romain né à Carthage, Tertullien : « quid ergo Athenis et Hierosolymis ? » - qu’en est-il d’Athènes et de Jérusalem ? La conjonction « et » ne surprendra assurément pas le lecteur nourri des classiques qui nous ont habitués à cette association entre ces deux « capitales » de la pensée. Or, Léon Chestov ose poser dès le début de sa réflexion cette alternative sous forme d’opposition entre la raison et la foi. Deux autres citations antiques viennent étayer cette interrogation revisitée par Chestov, une de Platon dans l’Apologie de Socrate : « Le plus grand bien pour l’homme consiste à s’entretenir des journées entières de la vertu » et une de saint Paul dans son Epître aux Romains : « Tout ce qui ne vient pas de la foi est péché ». Foi et raison, révélation et sagesse, ces piliers de la pensée antique vont tisser des liens essentiels avec les siècles à venir jusqu’à l’époque la plus contemporaine si l’on pense aux récents développements de l’actuel pape théologien, associant étroitement foi et raison.
La première partie, « Parménide enchainé », interroge les rapports entre la connaissance et la perte de la liberté de l’homme. La science, écrit Chestov, a beau avoir gagné ses lettres de noblesse au XX siècle, il n’en demeure pas moins que les hommes demeurent « entourés d’une multitude infinie de mystères ». Cette incapacité à saisir le sens du commencement de la vie ne cesse d’interroger le philosophe, et le mythe de la caverne de Platon demeure toujours actuel pour Chestov. Comment retrouver la liberté d’avant la chute ? La voie ne passe pas par la pensée raisonnable, par le fait de se retourner et de « regarder en arrière » au risque d’être pétrifié par le regard de la Méduse… Pour l’auteur d’Athènes et Jérusalem, la philosophie religieuse n’appréhende pas la pensée raisonnable comme seule base, elle va au contraire « tout oser » en acceptant d’aller en avant, sans chercher ce qui nous attend. Dans cette démarche, tournée vers l’avenir, mais aussi avec le présent de la mort dont il faut se concilier l’amitié, l’homme dépasse les vérités rappelées par Kant et Hegel pour aller au-delà de ce niveau et atteindre tout ce qui est impossible, cette vue élargie qui transcende les catégories du monde réel. Chestov souligne en effet que « la puissance de la révélation biblique, ce qu’il y a en elle d’incomparablement miraculeux et en même temps d’absurdement paradoxal, ou pour mieux dire sa monstrueuse ineptie, nous emportent au-delà des limites de toute compréhension humaine et des possibilités qu’elle admet. Mais pour Dieu l’impossible n’existe pas ». La philosophie religieuse aura alors comme valeur programmatique de recouvrer la liberté originelle, celle de la création sans altération, avant la chute… Car Chestov souligne les souffrances de l’homme qui accepte les lois de l’éthique jusque dans l’horreur la plus absolue (référence au taureau d’airain du sanguinaire Phalaris servant de four pour ses ennemis…) et même les stoïciens ne parviendront pas à convaincre le philosophe de la justesse de leur acceptation du malheur, pas plus que les efforts infructueux de la philosophie médiévale à concilier les deux capitales de la pensée.
Bien entendu, il peut apparaître difficile d’adhérer sans réserve en notre XXI° siècle à l’anima naturaliter christiana de Tertullien, une âme qui serait naturellement chrétienne et nous ferait oublier les leçons de raison léguées par les siècles. Mais la profondeur de la réflexion philosophique de Léon Chestov dans la dernière œuvre de sa vie ouvrira à bien des horizons, des horizons dont le lecteur ne reviendra pas indemne comme le note avec sagacité Yves Bonnefoy dans le bel essai qui conclut « Athènes et Jérusalem », un livre à méditer grâce à cette très belle édition de Ramona Fotiade aux éditions Le Bruit du Temps !


Philippe-Emmanuel Krautter

 

François Kasbi "Supplément inactuel au Bréviaire capricieux de littérature contemporaine pour lecteurs déconcertés, désorientés, désemparés" , Paris, Ed. La Bibliothèque, Coll. Les Billets de La Bibliothèque, 2011.

 

 

Ouvrir l’ouvrage de François Kasbi, c’est accepter l’invitation d’un hôte à venir s’asseoir en sa compagnie dans son cabinet de lecture, à entrer dans son univers littéraire – son intimité donc – pour quelques heures, quelques pages sur des auteurs choisis par lui au détour de ses lectures récentes. Un fauteuil Chesterfield, le feu crépite dans la cheminée, et sur la table basse pêle-mêle les livres lus (notamment, le volume paru dans la collection de la Pléiade, sous la direction de Jean Ristat, des « Œuvres poétiques complètes » de Louis Aragon ou encore « Œuvres critiques, Les œuvres et les Hommes » paru aux Éditions Les Belles Lettres…), et qui seront prétexte à discussions, digressions et surtout partage ; car rien ne le réjouit plus que de transmettre, partager ses lectures, ses auteurs, comme on offre un bon dîner, un cigare, un cognac.
François Kasbi nous avait déjà entrainés dans cet eudémonisme littéraire avec le « Bréviaire capricieux de littérature contemporaine pour lecteurs déconcertés, désorientés, désemparés» en 2008 ; Il renouvelle aujourd’hui cette invitation, en plus petit comité, avec ce « Supplément inactuel au Bréviaire capricieux de littérature contemporaine pour lecteurs déconcertés, désorientés, désemparés». C’est au tour d’Aragon, de Drieu la Rochelle, Berl, Claudel, mais également Barbey d’Aurevilly, Valéry, Bloy ou encore Toulet ou Gobineau de faire leur entrée dans le Bréviaire capricieux. Ne vous étonnez pas que Louis Aragon figure aux côtés de Drieu ou Claudel aux côtés de Valéry ou Gobineau, ces caprices nés d’affinités électives ne se discutent pas !
En hôte attentionné, François Kasbi n’assène pas, aucun ton péremptoire chez lui, ce qu’il aime c’est semer, ce goût, cette saveur inimitable de la littérature. Ce qu’il aime avant tout, ce sont ces auteurs à conviction, à engagement. Les passionnés, certes, parfois avec excès, doutes ou erreurs, voire même pour certains impardonnables – on pense bien sûr à Drieu, mais, des Écrivains, des « Singuliers », toujours là, littérairement présents, et plus que jamais encore vivants à qui sait les lire, les redécouvrir. Ils ont été ou sont encore admirés ou exécrés, mais ne sont et ne seront jamais des auteurs tièdes ; ce qu’ils ont en commun ? : L’audace, l’orgueil parfois démesuré d’un Barbey d’Aurévilly, mais toujours, que ce soit Aragon ou Claudel, l’art, l’art littéraire au-delà des faiblesses, contradictions, prétentions ou impostures… Peut-être, en commun aussi l’amour des femmes, on songe à Paul-Jean Toulet, à Valéry avec Jean Voilier, à Drieu avec Victoria Ocampo , ce dernier se brouillera d’ailleurs avec Aragon et s’écartera du mouvement surréaliste dans les années 20 à cause d’une femme. Que seraient ces chefs d’œuvres que sont Aurélien ou Gilles sans ce goût des femmes ?...
Et, dans ces tourbillons, François Kasbi se veut précis. Il tente cette sincère objectivité subjective – et par là même, toujours susceptible bien sûr de critiques - qui mène au-delà des préjugés, des idées depuis trop longtemps reçus et véhiculés comme pour se rassurer, se dispenser ou s’absoudre…Oui, il y a du justicier littéraire chez lui, faire aimer, découvrir, voire réhabiliter, mais sans jamais cependant cacher ou masquer ce qui doit assurément ne pas l’être. En fait, rien ne l’intéresse plus que cette audace de l’écriture, l’audace des mots ou de la poésie – lire notamment les pages consacrées à Paul-Jean Toulet :

Dans Arles, où sont les Aliscams
Quand l’ombre est rouge, sous les roses,
Et clair le temps,
Prends garde à la douceur des choses,


Et c’est avec ce goût sans concession qu’il livre ses auteurs, ses résistants, ses « combattants de l’absolu » Cet absolu, ce mot qui fâche, mais réconcilie si bien lorsqu’on aime à se souvenir qu’il a dicté quelques-unes des plus belles pages d’Aurélien : « (…) Qui a le goût de l’absolu renonce par là même à tout bonheur. Quel bonheur résisterait à ce vertige, à cette exigence toujours renouvelée ? Cette machine critique des sentiments, cette vis a tergo du doute, attaque tout ce qui rend l’existence tolérable, tout ce qui fait le climat du cœur(…) ». Et, on soupçonne quelque peu François Kasbi …
Car, enfin, ne comptez pas sur lui pour mépriser au-delà des faits, de l’histoire, les auteurs qu’il a choisis, de noircir ses écrivains et poètes élus ; ce n’est pas pour rien qu’il a mis en exergue de son introduction cette citation de Paul Valéry : « Celui qui crée dédaigne de détruire » ; Et à Lexnews, nous ne le blâmerons pas !
Assurément, un ouvrage roboratif, qui aggrave sérieusement la pile de livres que l’on avait déjà prévu de lire, et c’est tant mieux !

L.B.K.

 

Désolations de David Vann Titre original “Caribou Island”, Traduit de l’américain par Laura Derajinski, collection Nature Writing, Editions Gallmeister 2011.

 



Déjà très remarqué après le succès de son premier roman traduit en français « Sukkwan Island », David Vann nous emporte une nouvelle fois en Alaska. Tout en nous rappelant par certaines touches la quête d’absolu de Chris McCandless dans « Into the Wild » de Jon Krakauer, David Vann, ce surdoué de la littérature contemporaine américaine, réussit à nous faire dériver dans la désolation des vies de chacun de ses personnages mis en scène dans ce roman glaçant et tragique. Des couples, Irène et Gary mariés depuis trente ans, celui de leur fille, Rodha et Jim, celui de leur fils, Carl et Monique, comme principaux acteurs de l’impossibilité de vivre le mythe du grand retour à la nature, pure et salvatrice dans laquelle tout peut redevenir simple. Gary, peu satisfait de sa vie, en est obsédé au point de se mettre à construire, sur un îlot éloigné de la côte, une cabane en rondins, imposant cet acharnement à sa femme qui ne le suivra que par peur de le perdre. Attention ! Le risque de se perdre elle-même la guette… Et ses maux de têtes réels ou imaginaires pourraient bien la mener à la folie, sous le regard de Rodha, pleine de douces illusions sur l’amour mais aussi déçue de l’irréalisme de son rêve amoureux, de celui nettement plus éloigné de Carl qui ne prend part à la vie de ses parents que par une analyse critique et détachée… Englouti par une nature grandiose dont chaque description détaillée de la lumière, des teintes des paysages, des bruits perçus, des nuits pleines de courants d’air glacés et du vent qui transperce… donne l’impression au lecteur d’être là, juste à côté, assis au bord du lac, dans la violence tourbillonnante des tempêtes de neige, dans les forêts primitives d’Alaska, où seuls des ours solitaires pourraient vivre, comme témoin direct de ce qui va indubitablement arriver… Et on ne peut rien pour eux… Ils doivent chacun aller au bout de leur propre désolation.
Ce roman de 297 pages ne nous épargne pas. David Vann semble vouloir que nous allions puiser au fond de nous mêmes les ressources nécessaires pour accepter l’explosion de ces vies de la première à la dernière page.
 

Evelys Toneg

 

Carlo Gozzi « Ecrits sur le théâtre, dramaturgie de l’acteur et poétique théâtrale » introduction, traduction et notes Lucie Comparini, Eurydice El-Etr, Actes Sud, 2011.

 


Lorsque le comte Carlo Gozzi se porte au secours de la commedia dell’arte déclinante, c’est un peu Quichotte qui prend fait et cause pour les opprimés de son temps guidé par les romans de chevalerie… Le paysage culturel toscan du natif de Venise (1720) est menacé par toutes sortes d’influences étrangères, il n’en faut pas plus pour prendre cheval de bataille ! Le temps presse d’autant qu’un rival fait parler de lui dans l’Italie du Nord de ce XVIII° siècle : il s’agit d’un autre Carlo, de son nom Goldoni et de quelques années l’aîné de Gozzi (1707). Ce dernier a acquis toute la rigueur du métier d’avocat et a en même temps été influencé par le théâtre de Molière, un mélange détonnant. Mais, il ne faut pas en conclure trop rapidement que Gozzi serait un conservateur impénitent, fermé à toute évolution. Comme le rappellent justement Lucie Comparini et Eurydice El-Etr dans leur riche introduction, Gozzi, par sa réflexion sur la commedia dell’arte, va bien plus chercher à régénérer le théâtre italien qu'à le figer. Nous apprenons ainsi que l’homme est un fin observateur de son public et de ses acteurs allant jusqu’à intervenir personnellement avec les machinistes sur les effets scéniques. Gozzi dégage une personnalité complexe d’où l’humour n’est pas absent.
Dans son « Manifeste », Gozzi n’hésite pas à lancer des mots d’ordre à l’encontre de ses concitoyens : « J’inciterai les Italiens à des productions qui leur sont propres […] je prouverai par des comparaisons d’une irréfutable vérité que ce sont des situations fortes qui retiennent l’attention des spectateurs italiens, et non l’art des seuls sentiments délicats dans les pièces larmoyantes à l’intrigue réduite… » (p. 28), le coup est porté ! Gozzi réserve les larmes aux tragédies et estime que des comédies « jaillissent arguties, traits d’esprit, critique des mœurs, bon exemple et jovialité, mais avec cette décence digne d’un écrivain… » (Préface du traducteur à Fayel). Là réside toute la difficulté et l’art selon Gozzi : la bouffonnerie doit, par une subtile harmonie, se mêler au merveilleux des contes populaires. Pour l’auteur de L’Amour des trois Oranges, il n’y a que l’art qui puisse rendre « beaux et immortels » et pour lui, il est une vérité italienne que l’on se doit de connaître : « Est beau parmi nous seulement ce qui plaît », une belle leçon qui non seulement rayonnera dans l’Italie, mais sera également un exemple qui inspirera les romantiques allemands (Goethe, Schiller et Hoffmann) ainsi que les compositeurs, il suffit pour s’en convaincre d’écouter l’admirable opéra de Prokofiev « L’amour des trois Oranges » !



C’est justement « L’amour des trois Oranges » qui fait également l’objet d’une belle traduction d’Eurydice El-Etr aux éditions La Délirante. Cette édition particulièrement réussie et à l’esthétique rare en raison de la beauté du papier et de la typographie est sublimée par des dessins du peintre de l’absurde, Antonio Segui, qui jette sur l’univers de Gozzi, et sur le nôtre, un regard plein d’humour et d’ironie. La présente édition nous permet de découvrir ainsi le regard acerbe de Gozzi sur la société de son époque, le texte qui nous est parvenu n’étant pas la pièce elle-même, a priori perdue, mais l’Analyse réflexive de son auteur selon ses propres termes, rédigée quarante plus tard. Conçu à partir d’un conte pour enfants, « L’amour des trois Oranges » est un récit insolite comme le souligne Eurydice El-Etr dans son introduction, un récit qui tient à la fois du manifeste poétique et du témoignage. L’humour est également omniprésent et l’on sait que Gozzi n’en était pas dépourvu, notamment lorsqu’il n’hésite pas à apostropher son rival Goldoni par des références explicites à ses œuvres. Prenons ce témoignage comme le reflet de la richesse et de la diversité de la création artistique de cette époque et laissons les derniers mots à Carlo Gozzi : « L’Amour des trois Oranges, un Conte pour les enfants, que j’adaptai à la scène, et par lequel je commençai à porter assistance à la Troupe Comique de Sacchi, ne fut rien d’autre qu’une parodie bouffonne et outrancière des œuvres de Messieurs Chiari et Goldoni, qui étaient fort en vogue à l’époque de sa création. » (Prologue)

Carlo Gozzi « L’amour des trois Oranges » traduit de l’italien par Eurydice El-Etr avec des dessins d’Antonio Segui aux éditions La Délirante.

 

Philippe-Emmanuel Krautter

 

Stéphanie de Saint Marc « Nadar » Biographies Nrf Gallimard, 2010.

 


Qui est Nadar ? Il est difficile de réponde à une telle question tant l’homme a traversé les époques tourmentées du siècle suivant celui de la Révolution française. Stéphanie de Saint Marc s’est attachée à faire connaître la pensée d’une personnalité complexe et délicate, il suffit pour s’en convaincre de s’attarder quelques instants sur la photographie du personnage en couverture de cette riche biographie. L’homme annonce très clairement qu’il ne se laissera pas saisir facilement, la main posée sur la joue, le regard à la fois sceptique et scrutateur vers l’objectif. Celui qui naîtra sous la Restauration et achèvera ses derniers jours sous la III° République est en effet une personnalité à la fois connue pour ses fameux clichés des grands de son temps, et en même temps trop largement méconnue quant à la diversité de ses engagements. Il compte parmi les reclus de l’Histoire, condamné à être connu par leur nom, mais par là même ignoré quant à leur existence. C’est à cette fatalité que s’est attaquée Stéphanie de Saint Marc avec cette biographie.


Qui est Nadar ? Le biographe apporte un premier élément de réponse dès l’introduction en soulignant que Nadar est en quête de reconnaissance, une reconnaissance qu’il n’aura de cesse de réaliser en faisant parler de lui dans les journaux et les gazettes, homme des médias avant l’heure !
Felix Tournachon ou Nadar, explore le monde comme il explore sa riche personnalité. Et derrière l’extrême diversité et apparente dispersion du personnage, il y a une insatiable volonté d’embrasser la diversité pour donner un sens au tout. Qu’il se passionne pour les airs et l’aviation naissante ou qu’il s’exprime dans l’art tout aussi naissant de la photographie, Nadar pousse toujours plus loin les limites de la connaissance et de la curiosité. Comme le souligne l’auteur, Nadar est un homme de contraste, un contraste qui imprime la plaque argentique et qui révèle bien des choses de l’obscurité. Le désir est au cœur de cet homme insatiable, le sensible également qui le porte vers l’homme et toute sa richesse. A une époque où reporter l’image d’un homme ou d’une femme ne se fait plus uniquement par la représentation picturale idéalisée, il faut une certaine acuité pour saisir le regard tourmenté de Baudelaire ou l’air rêveur de Courbet. Nadar nous avait pourtant avertis : « Une indifférente reproduction plastique est la portée du dernier servant de laboratoire », nous voilà prévenus !


Nadar explore toujours, dans les profondeurs des daguerréotypes, mais également dans les hauteurs avec une passion pour le ciel et le fait de s’y mouvoir. Le fameux rêve d’Icare dépasse les premiers essais de ballons aériens, Nadar souhaite naviguer dans les airs et non s’y laissé porter. L’hélice et l’engin « plus lourd que l’air » seront les moyens de réaliser cette quête de l’élévation de l’homme vers de nouveaux cieux. Cet élan connaîtra des lendemains douloureux (la fameuse équipée du Géant relatée avec brio) et plombera si l’on ose dire définitivement les finances de celui qui rêvait de l’air. Mais l’homme ne s’avoue pas vaincu, il persévèrera non seulement dans cette aviation naissante, mais également dans une débauche de rebonds dans la politique, lui qui est républicain dans l’âme et qualifié de rouge par un grand nombre. Il cherchera également à persévérer dans l’écriture avec un projet de Mémoires emporté à Marseille, mais qui n’aboutira pas comme si l’homme qui cherchait à appréhender le monde dans lequel il vivait était incapable de circonscrire la richesse de sa propre personne. Avec cette biographie, Stéphanie de Saint Marc accomplit les désirs secrets de cet homme passionnant en nous le rendant familier et si humain !
 

Léon Werth « Saint-Exupéry tel que je l’ai connu » Album, Editions Viviane Hamy, 2010.

 



Saint-Exupéry, géant au pied d’argile, colosse qu’une amitié trahie pouvait effondrer, avait rencontré Léon Werth en 1931 et à partir de cette date, les deux hommes restèrent de fidèles amis. Celui qui appelait affectueusement le célèbre aviateur « Tonio » avait été d’ailleurs le dédicataire du fameux Petit Prince, geste symbolique plus qu’évocateur des liens qui les unissaient lorsque le lecteur s’y arrête quelques instants pour la relire :

A Léon Werth.

Je demande pardon aux enfants d'avoir dédié ce livre à une grande personne. J'ai une excuse sérieuse : cette grande personne est le meilleur ami que j'ai au monde. J'ai une autre excuse : cette grande personne peut tout comprendre, même les livres pour enfants. J'ai une troisième excuse : cette grande personne habite la France où elle a faim et froid. Elle a besoin d'être consolée. Si toutes ces excuses ne suffisent pas, je veux bien dédier ce livre à l'enfant qu'a été autrefois cette grande personne. Toutes les grandes personnes ont d'abord été des enfants. (Mais peu d'entre elles s'en souviennent.) Je corrige donc ma dédicace :

A Léon Werth quand il était petit garçon


Les éditions Viviane Hamy ont eu l’heureuse initiative de proposer une nouvelle édition de ce précieux témoignage épuisé depuis de nombreuses années, et de le compléter par de nombreux documents iconographiques inédits.
Il ressort de la lecture de ce témoignage que son auteur a tenu absolument à transmettre l’image la plus fidèle de la grandeur de l’homme, celle qui trop souvent a été malheureusement – bêtement pourrait-on ajouter – l’objet de simplifications réductrices.
L’homme, l’amitié irréductible qui tisse des liens plus forts que l’adversité, le courage, la tendresse, l’amour parfois trop partagé, sont autant de valeurs qui animent celui qui était trop grand pour habiter cette terre, raison pour laquelle il avait fait pousser des ailes à son âme…
Le 15 octobre 1940, Léon Werth note que Saint-Exupéry a passé deux jours avec lui pour souligner immédiatement la profondeur de l’amitié, qui, avec l’amour, partage un mystère si difficile à déchiffrer. Comment rester insensible à ce petit mot dont Saint-Exupéry avait le secret par lequel il indique à son ami
« Je venais vous chercher pour dîner
je suis bien triste de vous manquer de si peu ! »
et le petit mot manuscrit est complété d’un petit personnage dépité fronçant les sourcils avouant dans une bulle « Ils sont partis ! »…
ce sont ces petits rien, ces petites attentions qui marquent les esprits en quête d’amour et d’absolu qui composent cet hymne à l’être, cet autre qui ne saurait être que soi et dont l’image est si souvent brouillée pour le plus grand malheur des hommes.
Le miroir de Léon Werth et d’Antoine de Saint-Exupéry n’a pas terni et cette image ne peut que nous réjouir grâce à ce merveilleux témoignage à découvrir dans une édition particulièrement soignée !

 

"Parle-le leur de batailles, de rois et d’éléphants" 154 pagesEditions Actes Sud, 2010.

 


Dans cette rentrée littéraire plus qu’abondante, il peut être difficile de s’y retrouver. Parfois un conseil de libraire, une bonne intuition sur une quatrième de couverture, un article, un mot d’un ami ou quelques pages feuilletées à la dérobée sont les meilleurs atouts pour choisir un bon livre. Mais qu’est-ce qu’un bon livre, sinon celui qui vous ouvre le cœur, l’âme, celui qui vous touche ou vous bouleverse, celui qui vous marque et peut même changer votre vie. Nous avons tous eu un ou deux livres vraiment très importants dans notre vie de lecteur…
Le livre de Mathias Enard publié chez Actes Sud attire, étonne et éveille la curiosité déjà par son titre : « Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants », une formulation mystérieuse. Est-ce un conseil, un ordre ? Non juste une phrase prononcée par le poète Mesihi de Pristina qui sera très proche de Michel-Ange lors de son séjour à Constantinople, un événement que l’histoire de l’art semble avoir oublié… Alors qu’il se vexe des traitements du pape Jules II qui ne le considère pas à la hauteur de son génie et sur un coup de tête, Michel-Ange quitte Rome le 17 avril 1506 et débarque dans le port de Constantinople le 13 mai suivant. C’est le sultan Bayazid, deuxième du nom, qui convoqua le maestro pour lui proposer un projet architectural. Michel-Ange se voit confier la réalisation d’un pont au milieu du port d’Istanbul, un pont pour traverser la Corne d’Or, un pont entre Constantinople et son faubourg, Péra. Michel ange n’est pas architecte, mais preneur de tous les défis, d’autant qu’il apprend que le projet de Léonard de Vinci a été rejeté par le grand Turc. « Passer après Léonard de Vinci ? Après ce lourdaud qui méprise la sculpture ? - Vous le dépasserez en gloire si vous acceptez, car vous réussirez là où il a échoué, et donnerez au monde un monument sans pareil, comme votre David. » A Constantinople, Michel-Ange s’ennuie, il attend une inspiration qui ne vient pas et déambule dans les venelles et dans le port en compagnie du poète Mesihi ou de Manuel son drogman. Il visite tout ce qui est à voir et cherche à comprendre la culture et la civilisation dans laquelle il se sent perdu. Alors qu’un jour, il aperçoit le projet de son célèbre aîné, le projet de Léonard de Vinci lui paraît si novateur que Michel-Ange doute un instant. Mais, d’instinct, il sait qu’il ira plus loin et qu’il réussira. Ce livre est ainsi un voyage dans l’intimité de Michel-Ange, dans ses pensées, son rapport à l’art et à la poésie, aux hommes et aux femmes, à la beauté, à la recherche du perfectible. Baigné d’odeurs de parfums et autres muscs orientaux, de descriptions des lieux qu’il découvre, des couleurs du pays, des bruits et clameurs des rues et du port, Mathias Enard nous emmène sur le fil d’une réflexion subtile et forte sur l’acte de création, celle de Michel-Ange, qu’il nous fait partager dans une confession pudique, sensible, mais libre de l’artiste, donnée directement au lecteur, autour des lettres qu’il envoie en Italie et de ses réflexions les plus personnelles.
Après lecture de ce beau livre, on ne s’étonnera pas de retrouver dans les œuvres à venir du maître, les inspirations, les émotions artistiques ressenties lors de son séjour à Constantinople.
 

Eivlys Toneg
 

Marceline Desbordes-Valmore, Louis Aragon : « Les Yeux pleins d’églises ; Le Voyage d’Italie. », Paris, Éditions La Bibliothèque, Coll. L’Écrivain Voyageur, 2010.

 


« Venir en Italie pour guérir un cœur blessé à mort d’amour, c’est étrange et fatal », mais le train lentement vous emmène ; vous regardez flotter le paysage, vous ne voyez qu’un gris intense que marque à jamais le ruissellement de l’eau sur la vitre ; le regard perdu, vous apercevez deux alouettes soumises au vent et virevoltant entre les gouttes ; une jolie histoire, pensez-vous, de charmantes arabesques livrées au gré des vents ou plutôt…oui, c’est cela, de délicats poèmes dessinés au crayon comme pour soulager l’âme… Alors, vous ouvrez le livre et ils sont là, ensemble, destins qui se croisent…
Lui, c’est Louis Aragon. Il est jeune et Nancy Cunard vient de le quitter. En cet été 1928, il fuit vers l’Italie, vers Venise, prêt à se tuer avec dans sa valise un carnet de poésies inédites ; le carnet de voyage en Italie d’une poétesse qu’il admire, tout comme l’avaient admirée avant lui Rimbaud ou encore Rilke, et qu’il vient -peut-être juste la veille par désespoir- d’acquérir. Elle, c’est Marceline Desbordes-Valmore. Elle part, fuit, elle aussi, en cette année 1838, une passion brisée, une blessure brûlante qu’elle pleure, voudrait crier et expier pour Henri de Latouche…Bercé, vous lisez ce poème où une main tremblante a tracé cette musique inouïe que seules les ombres blessées qui se croisent et s’entrelacent par un jeu de miroirs, comme au jeu de l’amour, murmurent.

« Écoute cette femme qui te parcourt d’un silencieux concert
Cette femme de murmures divins dans une chambre d’hôtel
Qui s’en revient d’avoir erré dans une ville de marbre et de mascarades
Où le soleil est vin renversé l’ombre sent l’ambre du figuier
Lasse à mourir de la beauté des pierres
Les yeux pleins d’églises dit-elle
On dirait un grillon perdu dans une maison sans cheminées
Partagée entre cet homme en elle ce ravage d’elle-même
Ce chant qui ne veut pas mourir
Et les soucis mesquins l’argent qui manque et les vêtements usés
Les mécomptes de la troupe et les cris des comédiens
Écoute cette femme Italie Italie »

(« Le Voyage d’Italie », Louis Aragon)

Un concours de circonstances, des tournées théâtrales emportent en effet Marceline avec son mari, Prosper Valmore, et leurs deux filles vers l’Italie, vers Milan, première étape qui ne sera en fait que la seule en cette terre d’Italie. Désargentée, brisée, marquée au fer rouge par cet amour qu’elle ne saurait avouer, elle a laissé contrainte son fils à Paris. « Ivre de malheur », elle écrit d’une main tremblée sur des petits feuillets…

« Ah ! je crains de souffrir. Ma tâche est trop pressée.
Oh ! laissez-moi finir ma tâche commencée.
Oh ! laissez-moi m’asseoir sur le bord du chemin,
Mes enfants à mes pieds et mon front dans ma main. »

(« Les Yeux pleins d’églises », Marceline Desbordes-Valmore)

Le bruit des sabots sur les pavés glissants résonne, et le cliquetis des brides et harnais comme autant de chaînes se mêle aux sons des cloches des églises de Milan. Ce sont ces églises, ces pierres qui s’élancent sans faille que Marceline ne cesse de parcourir. Seules quelques fleurs parfois au pied de l’une d’elles, fragiles et délavées par la pluie – des violettes noires peut-être - rappellent à l’homme sa condition. Marceline les cueillera et les collera sur les fines pages de son carnet comme pour mieux les protéger, les sauver et se souvenir...
Sur le chemin qui le mène à Venise, Louis Aragon s’arrête lui aussi à Milan. Tournant lentement les pages du carnet de Marceline, comme de faibles battements d’un cœur qui veut mourir, il y écrit ce poème « Le Voyage d’ Italie ». Et qui donc, mieux que Marceline pouvait le comprendre ? Oui, qui donc ? Il racontera alors Marceline, l’histoire de Marceline Desbordes-Valmore ; Il sera Marceline, il est Marceline…

« Je ne vois qu’elle triste et troublante
Dans un carnet à l’italienne une fleur anonyme entre les feuillets séchée »

(« Le Voyage d’Italie », Louis Aragon)

Assis dans ce wagon qui toujours vous emmène, vous ressentez alors le froid qui pénètre, ce triste froid d’Italie. Il pleut. Il pleut sans cesse, sans discontinu, une larme de Marceline tombe sur le carnet, et Aragon ne peut la consoler. Il fait trop froid en cette Italie...

« Parce qu’il pleut Marceline parce qu’il
Pleut
Et qu’il faut compter les mailles de la pluie
Assise sur une malle attendre et coudre entendre
Sourdre dans les tiens ce désespoir à demeurer
Là quand il pleut
Attendre et coudre coudre coudre quand il pleut
Quand il pleut et que la pluie chante
Sur les toits d’un air d’opéra
Ma mère avait une servante
Qui s’appelait Barbara. »

(« Le Voyage d’Italie », Louis Aragon)

Il fallait, enfin, la finesse de plume de Jean Ristat pour offrir à ces vers, tragiques et si fragiles, toute la délicatesse de la préface. Poète, écrivain et ami cher de Louis Aragon, – aujourd’hui son exécuteur testamentaire – Jean Ristat le veillera jusqu’à sa mort le 24 décembre 1982. Louis Aragon lui avait un jour donné ce carnet de voyage en Italie de Marceline Desbordes-Valmore « à la condition, me dit Aragon, que tu écrives cette histoire…son histoire. Quelques dizaines d’années plus tard, j’aurai donc honoré ma promesse… », écrit-il. Fidèle, Jean Ristat transmit, en effet, ce carnet de voyage en Italie à Claude Schopp qui patiemment le déchiffra, refit le voyage de Marceline à Milan, et minutieusement l’annotera. Restait pour que s’accomplisse cette promesse que Marceline Desbordes-Valmore, Louis Aragon, ce carnet de voyage, ces carnets croisent le chemin des Éditions La Bibliothèque…Voilà, vous refermez doucement le livre, les « Yeux pleins d’églises »,… Italie, Italie !

L.B.K.

 

Tanizaki Junichirô « Romans, Nouvelles » édition établie et présentée par Anne Bayard-Sakai, Collection Quarto, Gallimard, 2011.

 


Tanizaki (1886-1965) est un auteur qui résiste au classement, échappe à toute velléité d’école et autres catégories. Son œuvre, déroutante et multiple, étonna et scandalisa dès son premier roman de jeunesse, « L’amour d’un idiot ». L’auteur n’hésita pas à bousculer les catégories des convenances de ce Japon à peine sorti de la féodalité quelques décennies plus tôt. A un discours feutré, évoqué, suggéré, Tanizaki jette souvent un regard cru et cynique sur les déviances et les obsessions du quotidien de ses contemporains, à commencer par les siennes. Au-delà de ces comportements excessifs, pointe de manière récurrente une confrontation des cultures et des traditions malmenées par l’occidentalisation forcée du Japon. L’image de la femme se trouble, elle quitte son statut d’épouse modèle penchant légèrement le port de tête tout en servant son mari, tels une représentation d’estampes classiques ou des films les plus classiques d’Ozu. La femme peut revêtir une image beaucoup plus agressive et attirante lorsqu’elle réinterprète le modèle féminin hérité de l’Amérique. Elle est alors source de conflits et d’extrême, stigmatisant ainsi l’image du Japon qui se modernise. Ces heurts sont au cœur de l’écriture de Tanizaki Junichirô bien au-delà du fétichisme ou du masochisme pourtant certes omniprésents dans son œuvre.
Anne Bayard-Sakai souligne justement dans sa préface à ce nouveau volume de la collection Quarto que l’écrivain japonais n’a pas fait école. Paradoxalement dans un pays nourri de traditions et de rapports de maître à disciple, il n’y a pas eu d’école Tanizaki, preuve s’il en était besoin du caractère inimitable de cette comète du paysage littéraire japonais du XX° siècle. Il faut certainement chercher dans un rapport jusqu’alors inédit à l’écriture pour mieux comprendre l’originalité de Tanizaki. Il est parfois qualifié d’esthète, mais cet adjectif est vite complété par le qualificatif péjoratif « décadent » en raison de ses audaces jamais accomplies jusqu’alors, comme dans le Tatouage : «… le pied de cette femme lui apparût comme un inestimable joyau de chair. La disposition harmonieuse des cinq orteils déployant leur délicat éventail depuis le pouce jusqu’au petit doigt, le rose des ongles qui ne cédait en rien aux coquillages qu’on ramasse sur les plages d’Enoshima… », pour finir par : «…oui, c’était bien là un pied qui sous peu piétinerait les mâles et se gorgerait de leur sang vif », nous sommes en 1910, et Nagisa Oshima était loin d’être né…
Tanizaki est un amoureux de la forme romanesque, et décline sa narration avec une précision et une variété de formes qui force l’admiration. Il utilisera même la forme du journal dans La Clef et dans le fameux Journal d’un vieux fou qu’il faudra bien entendu découvrir si on a cette chance de ne l’avoir pas encore lu ! On y découvrira la plume d’un écrivain ayant atteint l’âge de 75 ans et qui raconte comment un vieillard jette sur lui-même un regard sans concession et parvient à raviver sa libido à la vue des pieds de sa très jeune belle-fille !

 

«Le Turquetto» de Metin Arditi, Actes Sud, 2011.

 



« La vérité d’un homme, c’est d’abord ce qu’il cache » André Malraux – Antimémoires.
Si Metin Arditi commence son récit par cette réflexion, c’est que nous avons certainement tous quelque chose en nous de caché, qui est notre vérité, celle qui fait ce que nous sommes et que nous ne souhaitons pas voir étalée au grand jour. Ce que nous cachons aux autres nous protège t-il ? Et combien de temps cela peut-il durer ?
« Je suis sûr que dans le monde entier il n’y a pas une seul enfant de ton âge qui puisse faire un aussi beau portrait. Mais la Loi nous dit que nous ne devons représenter ni Dieu ni ses œuvres. Nous ne pouvons que reproduire les textes sacrés, avec humilité, en essayant de rendre toute leur profondeur et leur beauté. Allez, rentre chez toi. Elie éclata en sanglot… » « Mais personne ne gagnait sa vie en dessinant ! Surtout pas un juif ! Il aurait du comprendre ça, Petit Rat ! Avec son intelligence… Le dessin, le dessin, il n’avait que ça en tête ! »
Tout va peut-être se jouer ce jour pour Elie né juif, à la figure d’un petit rat, grandissant dans la Constantinople du 16ème siècle, où son maître et ami, musulman, lui apprend les encres, les courbes et les lignes autorisées par les religieux et tous les interdits lui disent que rien n’est possible pour lui. Fou de dessin, il décide de prendre son destin en main, un jour, en quittant ses racines, sa ville, ses amis et ce qu’il lui reste de famille pour monter dans un bateau et partir vers Venise. Apprendre auprès des grands maîtres du Cinquecento et pratiquer son art jour et nuit, voilà la seule obsession d’Elie qui, pour ce, changera jusqu’à son identité et deviendra le Turquetto. Peintre reconnu de tous comme un grand, ni aimé, ni détesté, chacun s’accordait à dire que de tous les peintres de Venise, il était le plus grand. Plus grand que le Titien et que le Véronais et c’est pourtant l’œuvre de sa vie, une Cène, « La Cène » qui trahira son secret gardé quarante ans au fond de lui dans cette ville où l’Inquisition veille au respect des lois qu’elle impose à tous.
Metin Arditi construit une intrigue historique et artistique, sur la seule supposition qu’un tableau à l’histoire mouvementée, attribué au Titien et exposé au Louvre, ne serait pas forcement du maître. A travers l’art et les méandres des ruelles et canaux de Venise, se déroule au fil des pages, une passionnante aventure, à l’esthétique pure et lumineuse, aux couleurs et odeurs des ateliers de peintures, aux goûts d’interdits, aux difficultés d’être face à l’intolérance et aux dogmes religieux cruels de l’époque mais qui sont parfois encore d’actualité. Arrêté, jugé et condamné, que deviendra le Turquetto après que sa trahison, son mensonge aient été portés au grand jour ? Que deviendra son œuvre colossale en nombre de toiles et de beauté si touchante que personne ne résiste aux émotions qu’elles procurent, au silence qu’elles imposent naturellement ? Qui a peint « l’homme au gant », cette toile attribuée au Titien et qui présente une troublante curiosité ?
Seule la lecture du dernier roman de Metin Arditi pourra étancher cette soif de savoir, de ressentir et de se sentir vivre pour quelques centaines de pages, entre Constantinople et Venise au 16ème siècle.
« Le Turquetto » a été distingué en 2011 par le prix Jean Giono


Evelys Toneg

 

Philippe Denis « Petits traités d’aphasie lyrique » Le Bruit du Temps éditions, 2011.

 



L’infime, tel semble être la riche partie de notre existence qui ouvre au poète Philippe Denis une multitude, derrière les étroites apparences. L’inspiration pour le sensible se manifeste par une poésie souvent proche de la forme brève du haïku ou du moki japonais. L’instant en écho à la fugacité du quotidien, le souvenir de notre personne dans la mémoire d’un passereau, tels sont ces petits riens qui forment des touts, des cahiers de vacuité, si envahissants à leur lecture ! L’aphasie n’est qu’apparente, au-delà des mots, mais avec les mots, tel est le défi lancé par Philippe Denis dans ce petit traité nourri du silence, de la musique, de la note et de ses accords. Accord parfait ? L’auteur répond par un adage latin Sint ut sunt aut non sint redoutable aux Jésuites, à nous de choisir… Les mots, comme les contours d’un nuage, peluchent. L’image du galet qui résiste à la force des éléments parvient cependant à susciter « nos dons d’aphasie lyrique » comme le souligne le poète, tout cela prend couleur dans un noir et blanc de silence. La distance parfois amusée du poète à l’égard du monde, et donc de soi-même, fait naître des fulgurances dignes d’une inscription épigraphique laissée à l’abandon par une antiquité négligée :

 
     Je cherche une question ne portant pas traces
     de mes interrogations, n’ayant d’humain que
     les réponses qu’elle repousse.


Nous sommes en heureuse compagnie dans ces petits traités d’un auteur nourri par le pays qui l’abrite en ce moment, le Portugal, comme il le reconnait à la fin de ce recueil où nous rencontrons Pessoa, Camoes, ainsi que de sombres aïeules allant fourbir les tombes par un dimanche après-midi…

 

Jacques Damade : « Les Îles disparues de Paris », Paris, Ed. La Bibliothèque, 2011.

 


« Maman, les p’tits bateaux qui vont sur l’eau ont-ils… ? »
Pour Jacques Damade, ils ont des ailes pour remonter le temps et changer au gré des humeurs des siècles, des passions des rois et des colères des Dieux, l’espace et la géographie. Et, descendre la Seine et traverser Paris en sa compagnie n’est pas de tout repos : on n’y croise pas seulement des bateliers, on y fait et défait des ponts, on y couronne et guillotine des rois ; surtout, au fil des pages, des lectures, des recherches, y apparaissent les îles de Paris aujourd’hui disparues. Non pas des îles imaginaires ou tristement disparues à jamais, mais des îles de Paris, un peu fantasques, qui bien que disparues, n’en demeurent pas moins enchantées et réelles. Et, oui, Paris ne comptait pas, et ne compte toujours pas que sa seule île de la Cité ; d’ailleurs, elle-même coupée en deux îles, voire en trois, puis ressoudée… île Notre Dame, île aux Juifs, îles Gourdaine, île de la Cité…elles s’enlacent et fusionnent parfois ces îles… Plus sérieux et plus documenté que nous, l’auteur note que l’on en comptait plus d’une dizaine au XVIe siècle ; il n’a quant à lui rencontré et côtoyé que dix îles, les doigts d’une main, mais quelles îles ! On les découvre, on les perd, on les retrouve un peu plus loin… changeant de nom ou de place, elles ne cessent de surprendre le lecteur ou l’amoureux de Paris qui pensait pourtant tout connaître. Et l'on lit cet avertissement, plutôt ce programme : « Des îles comme témoins de ce qui s’est passé, des îles qui connaissent Paris comme personne, voilà, une parole lumineuse, féconde dont je ferai mon miel, sans l’épuiser. »
Dans un style parfois cocasse ou décalé, au travers de ces îles disparues - l’île Louviers à la hauteur de l’Arsenal, l’île aux Vaches et l’île Gourdaine toutes deux face au quai des Célestins, l’île aux Treilles…- c’est l’histoire de la Cité qui murmure, fredonne ou tonne selon les crues et décrues de l’histoire. L’île de la Cité n’appartient plus à Paris, mais c’est bien Paris qui appartient à son fleuve, à son île, à ses îles comme un joyau sorti d’une coquille ; métaphore dessinée de manière sensible par Angèle Damade qui signe les illustrations de cet ouvrage. En découvrant ce livre, on ne peut que se dire : « Heureux qui, comme Jacques Damade, a fait un beau voyage… » ; Il est vrai que pour se faire, Sancho lui a suggéré que lui aussi pouvait devenir gouverneur de ces îles, pensez donc ! Cependant, force est d’admettre qu’il y en a pour tous les goûts et les humeurs : des mélancoliques, des tristes ou joyeuses ; des habitées, délaissées ou servant de refuge à un Coffinhal qui fuit la Révolution ; des petites, minuscules mêmes telle l’île du Louvre non loin des jardins du Palais; des charmantes au joli nom comme l’île des Cygnes, ou encore des innommables dont on hésite presque à vous parler, telle l’ île Merdeuse ou l’île Maquerelle, bien que l’auteur soit quant à lui plus disert, et se laisserait presque surprendre à citer les vers de ce « Rêve parisien » :

« De ce terrible paysage,
Tel que jamais mortel n’en vit,
Ce matin encore l’image,
Vague et lointaine me ravit. »


D’ailleurs, ne soyons pas choqués, on les baptise, débaptise et rebaptise à la minute des siècles ces îles ! On les coupe, soude, recolle au gré des vents, des folies des hommes ou chansons de Paris… Elles ont leur vie, leurs amours et leurs tristesses… Laissons-les voguer au rythme de Paris et des battements de plume de l’auteur. Ni vraiment « Promeneur solitaire » ni tout à fait « Rôdeur parisien », mais plutôt « Flâneur des deux rives », l’auteur nous entraîne dans cet archipel parisien plus ensorcelé qu’enseveli. Dans cet archipel où l’on se prend à rêver, à imaginer ces îles que l’on aime disparues ou seulement englouties pour mieux les faire, le temps d’une lecture, d’un songe, réapparaître, flotter, dériver, et se souvenir…

« J'ai vu des archipels sidéraux ! et des îles
Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur :
- Est-ce en ces nuits sans fonds que tu dors et t'exiles,
Million d'oiseaux d'or, ô future Vigueur ?

Mais, vrai, j'ai trop pleuré ! Les Aubes sont navrantes.
Toute lune est atroce et tout soleil amer :
L'âcre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes.
Ô que ma quille éclate ! Ô que j'aille à la mer ! »


L.B.K.
 

Kamo No Chômei « Notes de ma cabane de moine » traduit du japonais et annoté par le Révérend Père Sauveur Candau, postface de Jacqueline Pigeot, Le Bruit du Temps éditions, 2010.

 


« Le monde est ainsi fait ; il est bien difficile d’y vivre et chacun sent la précarité de sa propre vie, de son habitation. » écrit Kamo no Chômei dans un petit livret, et combien ces paroles semblent résonner en notre fragile XXI° siècle ! Nous sommes pourtant au XIII° siècle dans un Japon ravagé par les dissensions politiques et celui qui tient cette plume isolée au fond d’une cabane esseulée a cependant connu la vie de cour et ses vicissitudes…
Profondément inspiré par le bouddhisme qui se développe à cette époque, l’écriture de Chômei est marquée par les traits de la religion asiatique : l’impermanence des choses, l’évitement de la souffrance en abandonnant l’ego pour parvenir à l’éveil. Faut-il pour autant conclure à un essai spirituel, une digression à vocation religieuse ? Cela serait trop réducteur et surtout méconnaîtrait la complexité de celui qui témoigne de sa retraite volontaire au milieu des montagnes et qui voit le feu de son brasier le matin comme un compagnon fidèle de ses vieux jours. Chômei n’est pas un moine érémitique ou tout au moins s’il a décidé de vivre en solitude et en ascèse, ses émerveillements et ses rencontres en atténuent considérablement la rigueur… Comment en effet juger autrement le fait que la simple voix du hibou suffise à émouvoir notre moine et que lorsqu’il entend les cris du singe, il mouille sa manche de ses larmes ? Il serait plus juste de parler d’une ascèse poétique pour ces pensées écrites de sa cabane de moine ; une attitude qui évoque à la fois une certaine distance des choses et du monde, qui rappelle les pensées de Sénèque et en même temps préfigure un sensualisme marqué qui résonnera encore au siècle dernier avec Kawabata. Notre moine sait bien que ses émotions sont contraires à la maîtrise de soi prônée par l’enseignement bouddhique et s’il se repent, il ne peut s’empêcher à la dernière ligne de son ouvrage de remarquer que « la lune brille, mais il est triste de la voir disparaître derrière les monts » !
A noter que ce texte majeur de la littérature japonaise est accompagné en postface d’une étude particulièrement détaillée sur son contexte historique et littéraire rédigée par Jacqueline Pigeot.

Vient également de paraître également au Bruit du Temps « Notes sans titre » de Kamo No Chômei

 

John Keats « Ode à un rossignol et autres poèmes » traduit de l’anglais par Fouad El-Etr, frontispice de Gérard Barthélémy, Editions La Délirante, 2010.
 


L’épitaphe gravée sur la stèle de John Keats dans le cimetière protestant de Rome est ainsi rédigée par la propre main du poète : « Here lies one whose name was writ in water » (ici repose celui dont le nom était écrit sur l’eau). Dans Endymion au Livre IV, nous pouvons également lire ces mots si forts :


                                    I have clung
To nothing, loved a nothing, nothing seen
Or felt but a great dream!


                      Je ne me suis attaché
A rien, n’ai aimé qu’un rien, n’ai rien vu
Ni senti qu’un rêve immense !
                        Traduction Fouad El-Etr


Quel océan, quelle distance entre la vacuité présagée par ces images du vide et l’immensité suggérée par le rêve et tous les possibles détachés de leurs contingences terrestres ! La poésie de Keats appartient bien entendu au panthéon du romantisme anglais où ses vers se font l’écho de la beauté de la nature. Quelle est-elle cette nature et comment se partage-t-elle dans le cœur du jeune poète anglais avec les fruits savoureux de la culture antique qu’il chérit tant ? C’est peut-être à partir de la notion de sensation et des sens qu’il est possible de tisser une toile telle cette tresse d’hommes et filles dans le marbre ouvragée, avec les branches des bois et l’herbe foulée fraîche dont la permanence sera le témoin d’une vérité qui ne saurait mourir (Ode sur une urne grecque, V). « Ode à un rossignol et autres poèmes » de John Keats ouvre ainsi à tout un univers où la délicatesse du jeune poète transcende les années difficiles de son adolescence marquées par la mort précoce de ses parents. La mort n’est pas absente et rôde sans pour autant sombrer dans la morbidité : le délicat contrepoint formé par la narration du poète et le chant du rossignol dans Ode à un rossignol suffit à s’en convaincre. Alors que Keats avoue : « Mon cœur a mal, et une langueur sourde oppresse mes sens, comme si j’avais bu la ciguë (…) Tu chantes à tue-tête l’été pour ton plaisir. » L’insouciance de l’oiseau emplit les sens du narrateur qui ressent plus qu’il n’observe les beautés de la forêt où son cœur s’émerveille avant de se heurter au silence de la triste réalité.
Robert Browning ne s’était pas trompé quant à la valeur du jeune homme : « Milton et Keats, les deux poètes surhommes. » et Shelley, qui fut son ami, reconnaissait lui-même qu’il était un rival qui le dépasserait de beaucoup… C’est d’ailleurs sur son corps noyé quelques mois après la mort son ami que l’on découvrit des poésies de Keats…

Fouad El-Etr a honoré le grand poète mis en avant récemment avec le film de Jane Campion « Bright Star » en offrant une très belle traduction des odes, traduction qui a servi aux versions doublées et sous-titrées du film. Fouad El-Etr est lui-même poète et fondateur des éditions La Délirante, spécialisées dans les livres rares et les belles éditions. C’est ainsi grâce à un regard de l’intérieur qu’il a su restituer cette poésie parfois redoutable pour l’âme, en témoigne ce dialogue entre le poète et le rossignol :

Mourir plus que jamais voluptueux me semble,
Cesser d’être à minuit sans douleur aucune
Alors que tu répands ton âme au loin
Dans une telle extase !
Tu chanterais encore, et moi l’oreille vaine –
Pour ton haut requiem je ne serai que terre.


La poésie originale placée en vis-à-vis sur la page de gauche permet d’apprécier les choix de l’auteur, choix qui jamais n’occultent la splendeur des sonnets de Keats, mais au contraire les subliment par d’heureuses équivalences toutes chargées de manifester la beauté si chère au poète anglais. Le soin apporté à cette édition de référence se manifeste également par la beauté du travail éditorial salué par un nouveau tirage après le succès du livre. Lire cette poésie de Keats sur du papier Vergé dans une édition brochée à la typographie irréprochable est un bonheur rare et qui mérite d’être partagé !

Philippe-Emmanuel Krautter

 

Jean Galard "Promenades au Louvre" collection Bouquins, Editions Robert Laffont, 2010.

 

 

Le Louvre se découvre à vrai dire d’autant de manière qu’il existe de vies… L’amoureux choisira les lieux qui évoquent les passions ou les regrets de son cœur, le nostalgique y cherchera les échos de ses promenades passées (« … je suis en train de ne rien faire, et ayant besoin d’être absent de chez moi et un peu de moi-même, je m’en vais au musée du Louvre remiser mon esprit dans du vieux passé » note Edmond de Goncourt dans son Journal un mardi 17 février 1891), le passionné cherchera à tout appréhender de manière systématique dans une vaine quête. L’arpenteur de ce haut lieu de l’art entre non pas dans un sanctuaire, mais dans un labyrinthe initiatique. Saura-t-il s’y promener sans se perdre ? Que rapportera-t-il de ses pérégrinations ? Pourra-t-il même en ressortir ? C’est un peu à toutes ces questions qu’invite ce très beau recueil « Promenades au Louvre » de Jean Galard dans la collection Bouquins des éditions Robert Laffont. Le pluriel au mot promenade n’est pas superfétatoire ! Plus qu’une visite qui aurait un rien de trop désinvolte, le plus grand musée du monde invite plutôt à des promenades. Ces ailes et ces salles exigent en effet une attention particulière au risque de glisser parmi les siècles et les arts sans effleurer ce qu’ils ont à nous apprendre. C’est ce qui ressort de ce recueil qui pourra accompagner le promeneur du Louvre : tous les témoignages réunis, qu’ils soient d’hommes de lettres célèbres tels Diderot, Baudelaire, Claudel, Rilke, d’artistes ou de critiques d’art, tous proposent un éclairage original sur ces tableaux, ces sculptures, ces mobiliers, parfois illustres d’autres fois plus méconnus, mais jamais indifférents à leurs observateurs. Comment opère cette magie ? Dans cette quête initiatique suggérée tout à l’heure, des accompagnateurs nous ont ouvert la voie d’une manière moins formelle que celle des guides traditionnels. La systématique est souvent loin au profit d’un angle particulier parfois même anecdotique, mais toujours singulier. Et si Huysmans se trompe en attribuant un tableau à Bianchi alors qu’il est de la main de Francesco Marmitta (peintre italien de la deuxième moitié du XV° siècle), cela n’enlève rien à la beauté de son analyse de « La Vierge et l’Enfant entourés de saint Benoît et saint Quentin, et deux anges» tableau installé dans la salle 5 (Grande Galerie) de l’aile Denon. Jean Galard dévoile le fil directeur de ces nombreux témoins invités à plaider pour la grande dame de la culture : tous ces textes ont quelque chose de suggestif dans un cadre éclectique. Bien entendu, la subjectivité a sa place, et heureusement ! Comment expliquer autrement ce « butinage » tel que le conçoit l’auteur de ce recueil ? Et si les abeilles oeuvrent de manière plus logique que ne laisserait croire de prime abord leurs tâches quotidiennes, il en est de même avec les textes réunis ici par Jean Galard : « plus les œuvres qu’on essaie de comprendre sont lointaines et plus l’imagination peine à se procurer les secours qui la rendraient puissante et diverse. » Tout est dit ! A l’image d’un virtuose qui parvient à oublier la difficile technique acquise à force de gammes, ces témoignages dépassent la connaissance généralement acquise pour la sublimer vers une autre dimension moins académique parfois, mais toujours passionnante…

 

Gabriel Levin « Ostraca » édition bilingue, traduction de l’anglais par Emmanuel Moses, Le Bruit du Temps Editions, 2010.

 

 

L’Antiquité a livré, bien malgré eux, des trésors d’instantanéité à l’éternité. Ils portent le nom d’ostraca et ces fragments de calcaire blanc ou autres tessons de poterie ont porté jusqu’à notre époque des poésies et autres pensées parfois satiriques de leur temps. S’agit-il de la quête éternelle de la bouteille à la mer ou de l’improbable écho de l’explosion cosmique originelle ? La réponse du poète Gabriel Levin vivant à Jérusalem se veut plus discrète, presque diaphane ; le message de l’ostracon ne peut parvenir jusqu’à nous que si nous y prêtons une oreille discrète, presque oublieuse de capter une idée ou une humeur qui n’aurait jamais dû s’affranchir du temps qui les avait vues naître. Le poète ne se veut surtout pas archéologue pas plus qu’épigraphe. Sa rigueur sera celle du peintre rêvant de l’improbable lumière sacrificielle d’où tout serait né. Ces morceaux épars livrés presque honteusement par le sable et la terre requièrent l’humilité de celui qui observe les siècles passés tout autant que notre quotidien. Dans Le masque de Lipari (p. 33), Gabriel Levin fait cette constatation : « Dégagé de l’étreinte du mort, l’empreinte exacte de celui que tu fus amenée à la lumière du jour : spectral dans un champ lumineux, la somme de terre cuite abstraite de ce que tu pouvais, ou aurais pu dire ».
Ce surgissement du présent à partir du calcaire est constitutif de notre connaissance : « c’est ainsi que je te vis ». La pierre s’est faite chair nous dit dans une admirable sentence Gabriel Levin ( Après Ninive) où le poète rappelle la terrible prédication de Jonas « Qui a poussé en une nuit, et en une nuit a péri » (4,10). Telle la flèche qui blessait la lionne antique emprisonnée dans sa gangue de bas-reliefs, le trait nous frappe en plein cœur. La vie n’est pas réservée au seul cœur qui bat et bouillonne, et le félin pourtant touché il y a des siècles continue de démontrer une vitalité rarement atteinte. Le calame antique souligne encore des vérités dérangeantes pour les âmes serviles de notre époque : « Qui est ton serviteur sinon un chien ». L’échelle céleste, chère à saint Jean Climaque et aux pères de l’Eglise, nous invite à gravir « sans abri, ni nulle part où fuir » et sous le prunier sauvage, nous aurons peut-être la chance de découvrir « une pointe de crépuscule prise dans les serres du faucon pèlerin qui tournoie lentement au-dessus de la vallée de l’ermite… » (p. 101).
Gabriel Levin ne répond-il pas à la question « Où allez-vous ? » par cette formule lapidaire « Vers l’Orient ! » avec une majuscule qui résume le cercle fondateur (Quand les vents tournent p. 113). Il s’agit d’un Orient où une hémorragie de pavots sur les flancs des collines ne parvient pas à réduire l’espoir du réveil en des jours meilleurs des sept dormeurs de l’Éphèse romaine (Quand les vents tournent p. 111).
Au terme de ce parcours en terre d’ostraca, nous pourrons reprendre ces mots de L’autoportrait en kaki : « C’est pourquoi même après un millier d’années, les vagues agitent le rivage d’un bruit aussi mélancolique. », une mélancolie propice à propager ces paroles fugaces qui parcourront encore bien des contrées et des siècles.

Vient de paraître également du même auteur aux éditions Le Bruit du Temps : « Le tunnel d’Ezéchias et deux autres récits »

 

« Une maison de poupée » de Henrik Ibsen, traduit par Eloi Recoing, Actes Sud- Papiers, 2009.

 


Une maison de poupée a eu un grand retentissement lors de sa publication en 1879. Henrik Ibsen (1828-1906) développe dans cette pièce de théâtre des idées très modernes qui se font l’écho des idées féministes de son époque et annonce celui du siècle à venir. Le drame qui se tisse progressivement au cours des préparatifs de Noël est rendu avec une finesse psychologique qui ne laissera pas le lecteur indemne. Cette « broderie » de caractères nous invite en effet à observer de l’intérieur un couple bourgeois formé de Helmer, avocat, et de son épouse Nora. Helmer est un juriste intègre dont la réussite financière s’en est ressentie. Sa femme, Nora, apparaît de prime abord comme dépensière et frivole. A l’occasion d’une promotion sociale inespérée, il semble que le couple voit alors s’éloigner le risque de la précarité et la nouvelle année apporter des auspices plus heureux. Mais, une vieille histoire, cachée à son mari par Nora, va compromettre ce bonheur trop fugace. Dévoilant la vraie nature humaine de chacun des protagonistes, ces évènements vont servir de révélateur de ce que sont l’amour, le mariage, la fidélité, l’honneur…
Sans concessions, Ibsen n’accepte aucun faux-semblant : on ne transige pas avec le cœur de l’homme, surtout quand il s’agit de celui d’une femme !



Vient également de paraître de Henrik Ibsen aux éditions Actes Sud : « Rosmersholm » traduit par Eloi Recoing, 2009.

 

 

 

 

 

 

 

 

Paulette Choné « Mademoiselle G. » Edilivre, 2008.

 

Ce roman de Paulette Choné nous invite à revisiter notre passé et plus précisément notre enfance. Nous avons toutes et tous en souvenir, ou sinon en mémoire, une Mademoiselle G., enseignante, qui a gravé des souvenirs indélébiles dans les méandres de notre histoire. Encore faut-il accepter ce jeu où cette épreuve toujours délicate, celui de consentir à exprimer les petits riens, ces anecdotes qui nous ont composés, sans que ce passé ne soit à jamais refoulé. Certaines personnes, et Paulette Choné compte parmi elles, savent faire vivre ces instants, car il ne s’agit pas d’une renaissance, mais plutôt de la vie la plus immédiate. Ces traces du passé sont constitutives de la vie que nous regardons aujourd’hui et l’auteur en connaît l’importance. Plus que de la poésie, les évocations de la narratrice cherchent à nous conduire dans l’immédiateté de ces souvenirs, dont le plus souvent, nous n’avons plus qu’un vague halo de mémoire ou quelques émotions bien abstraites. Nous n’irons pas jusqu’à dire qu’elle revit ces instants, car cela serait trop trivial et impossible, mais elle témoigne de leur intensité à l’image de cette trousse de couture rouge qui, un jour de grande émotion en salle de classe, finira en plein milieu de la travée de la salle. Le moment n’est pas souvenir, il est vie. Il n’est pas inventé non plus, car il est constitutif d’un être et d’une personne, que celle-ci ait ou non existé, peu importe. La vie file, comme le train dans lequel le roman égrène les instants du quotidien d’êtres et de paroles envolés. Paulette Choné laisse l’impression étrange de rattraper ces instants fugaces avec un filet à papillons, elle n’hésite pas à introduire des éléments de distanciation avec la narration ce qui ne fait qu’accentuer le trouble. Mademoiselle G. n’est pas un livre de souvenirs, mais bien un livre de mémoire au singulier !

 

 

 

 

 

 

 

 

Marguerite Duras Œuvres complètes tome I et II, édition sous la direction de Gilles Philippe, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 2011.


L’écriture, la vie, l’existence, le tout ne forme qu’un pour Marguerite Duras. Ecrivain emblématique d’un nouvel art de la prose, Duras étonne, attire ou agace, elle laisse rarement indifférent. L’heureuse initiative de réunir son œuvre complète dans la prestigieuse collection de la Pléiade réjouira tous celles et ceux qui ont souvent été marqués par un titre, un film ou même parfois par la voix de celle qui a tout donné à sa passion. C’est l’histoire de l’écriture de cette figure atypique du paysage littéraire du XXe siècle qui est ici retracée dans toute sa cohérence sous la direction de Gilles Philippe. Car l’œuvre de Duras forme un tout qui prend racine dans les œuvres de jeunesse ou dans des rencontres fortuites qui créeront de véritables « mythes » notamment L’Amant, Le Ravissement de Lol V. Stein ou encore India Song


Son écriture n’est pas née d’une révélation ou d’un don inné, mais plutôt d’une véritable recherche de toute une vie. Cette « écriture courante » ne sera acquise qu’après bien des pages noircies avec L’Amant, ce qui n’enlève rien de leur force aux écrits de jeunesse jusqu’à ceux de la fin des années 50, tous réunis dans le premier volume de ces œuvres complètes. C’est en effet avec 1958 que l’on peut relever une première rupture dans l’écriture de Marguerite Duras qui avouait ne plus se retrouver dans ces œuvres qu’elle aimait pourtant encore tel Un barrage contre le Pacifique. Gilles Philippe souligne que ces romans d’avant 1960 reflètent souvent l’air du temps de leur époque : l’existentialisme avec Les Impudents et La Vie tranquille dans les années 40, l’influence du roman américain avec Un barrage contre le Pacifique, Le Marin de Gibraltar ou encore Les Petits Chevaux de Tarquinia. Puis, viendra les temps où l’auteur de Détruire dit-elle est associé, parfois malgré elle, au nouveau roman, elle refusera cependant toujours d’être emprisonnée dans un mouvement ou une école, tout en étant ouverte au monde qui l’entourait. Ce qui va alors primer dans l’écriture de Marguerite Duras sera le résultat d’une déréalisation du réel : seule la parole a ici sa place sous forme de dialogue ou de soliloque dans le contexte d’une Inde rêvée plus que réelle. Les années 60 seront celles consacrées à des pièces qui ne seront pas anecdotiques dans son parcours. Véritable laboratoire dans la pensée de Duras, le théâtre va aussi être le lieu de multiples créations qui auront leurs échos dans les œuvres postérieures. Les années 70, après l’influence très nette de mai 68 sur l’écrivain, marquent un retour sur soi et une ouverture sur le cinéma avec India Song, les films de Duras devenant la plupart du temps des livres et non l’inverse. Après plus de dix ans d’éloignement du récit et du roman pour une écriture plus scénaristique, Duras revient avec une écriture qui ne cessera de s’épurer : le mot transcende progressivement la phrase, le silence, la poésie gagne où l’amour est omniprésent. Ce deuxième volume clôt le cycle indien et se termine sur India Song, un texte emblématique de la richesse de son auteur puisqu’est fait mention en exergue du titre : « texte théâtre film », tout est dit !

 

 

volume I : Les Impudents - La Vie tranquille - Un barrage contre le Pacifique - Le Marin de Gibraltar - Les Petits Chevaux de Tarquinia - Des journées entières dans les arbres - Le Square - Moderato cantabile - Les Viaducs de la Seine-et-Oise - Dix heures et demie du soir en été . Appendice : Les feuilles.

volume II : Hiroshima mon amour - Une aussi longue absence - L'Après-midi de monsieur Andesmas - Le Ravissement de Lol V. Stein - Les Eaux et Forêts - Le Square. Trois tableaux - La Musica - Le Vice-consul - L'Amante anglaise - Suzanna Andler - Des journées entières dans les arbres [théâtre] - Yes, peut-être - Le Shaga - Un homme est venu me voir - Le Théâtre de l'Amante anglaise - Détruire dit-elle - Abahn Sabana David - L'Amour - Nathalie Granger - La Femme du Gange - India Song


Les volumes 3 et 4 termineront ces œuvres complètes de Marguerite Duras qui devraient être publiées en 2014 pour le centenaire de la naissance de l’auteur.
 

LA PLEIADE

Paul Claudel « Théâtre » sous la direction de Didier Alexandre et de Michel Autrand, 2 Tomes, La Pléiade, Gallimard, 2011.

Claudel avait été l’un des rares auteurs vivant à être entré dans la fameuse collection de la Pléiade en 1947 et 1948. Plus de soixante ans plus tard, les deux volumes de son théâtre sont au catalogue avec une nouvelle édition reprenant les différentes versions de ses grands drames avec, à la différence de l’édition initiale, le respect de la chronologie des compositions permettant ainsi de mieux apprécier le parcours de l’écrivain et poète. Cette belle édition réalisée sous la direction de Didier Alexandre et de Michel Autrand se caractérise également par un remarquable effort de documents réunis : notes préparatoires de Claudel, de précieuses informations restées jusqu’alors à l’état de manuscrits, ainsi qu’un grand nombre de lettres, préfaces et commentaires de l’auteur de L’annonce faite à Marie et Le Soulier de satin.
L’expérience du théâtre de Paul Claudel est chose unique : le cardinal de l’époque, en 1998, Josef Ratzinger se souvient de sa première découverte du poète : « Dans une Allemagne détruite et humiliée par suite de la Guerre, le premier drame que j'ai vu était « Le Soulier de satin » de Paul Claudel. C'était à un tournant important de ma vie. Le symbolisme de l'amour et du renoncement, de la fécondité du renoncement, de la gloire divine dans la faiblesse humaine s'était transformé pour moi en un message très personnel, en une indication fondamentale du chemin de vie que je devais prendre ». C’est cette joie du verbe contre l’absurdité de l’Histoire et, comme le souligne Didier Alexandre, l’interrogation de toute vie pour échapper au non sens de l’ignorance qui fondent le théâtre de Claudel. Cette interrogation peut s’exprimer lors d’une conversion, situation récurrente dans ses œuvres, et l’on pense bien entendu à la plus connue : celle de l’auteur lors des Vêpres de Noël 1886 au pied de la Vierge dans Notre-Dame. Cette conversio induit un changement tel que l’homme devient étranger à lui-même, début d’un long exil en témoigne cette note du Journal de Claudel : « De nouveau, je vais partir et ce qui m’entoure reprend son aspect distant, fantomatique. Je n’ai d’attache à aucun point de la terre ». Mais, face à cet ébranlement, l’homme doit reconstruire un monde nouveau au risque de sombrer dans un nihilisme fatal. Cette reconstruction s’accomplit lors d’un chemin sinueux, parfois incompréhensible, et pourtant nécessaire. Cette approche finaliste doit largement à la pensée de Thomas d’Aquin selon laquelle l’homme va dans le quotidien de ses actes agir en vue d’une fin et l’ensemble de ces fins vont se réaliser dans le but d’une fin suprême. Tout le théâtre de Claudel tisse cette dentelle que le lecteur doit pouvoir apprécier sans pour autant en saisir immédiatement toute la complexité. Le drame est au cœur de ce maillage en permettant d’exprimer toutes les contradictions de la vie et de la réalité.
Claudel n’a eu de cesse d’écrire et de réécrire son théâtre pendant toute sa vie et s’il est lecteur d’Eschyle et de Shakespeare, son œuvre est bien personnelle et à nulle autre pareille comme le rappelle Didier Alexandre dans l’introduction aux deux volumes du Théâtre. Il n’a pas d’imitateur et son théâtre est particulièrement actuel à l’heure où le sens de la vie est au cœur de nos sociétés modernes malades de leur croissance trop rapide. Il offre une pause, certes exigeante, mais ô combien nécessaire dans la frénésie de l’instant présent, amnésique de son passé et aveugle de son devenir. Prendre le temps de lire ou relire Claudel, c’est d’une certaine manière renouer avec un bonheur qui dépasse celui que nos contemporains cherchent en vain dans leur individualité et atteindre un certaine béatitude qu’il nous appartient d’accepter.

vol 1 :
L'Endormie ; Fragment d'un drame ; Tête d'Or (1889) ; La Ville (1890-1891) ; La Jeune Fille Violaine (1892) ; Tête d'Or (1894) ; Agamemnon d'Eschyle ; L'Échange (1893-1894) ; Le Repos du septième jour ; La Ville (1894-1898) ; La Jeune Fille Violaine (1899-1900) ; Partage de Midi (1905-1906) ; L'Otage ; L'Annonce faite à Marie (1910-1911) ; Protée ; Les Choéphores d'Eschyle

vol 2 :

Le Pain dur ; La Nuit de Noël 1914 ; Les Euménides d'Eschyle ; Le Père humilié ; L'Ours et la Lune ; L'Homme et son désir ; Le Soulier de satin ; La Femme et son ombre [première version, 1922] ; La Femme et son ombre [deuxième version, 1922] ; La Parabole du Festin ; Le Peuple des hommes cassés ; Sous le rempart d'Athènes ; Le Livre de Christophe Colomb ; La Sagesse ou La Parabole du Festin ; Jeanne d'Arc au bûcher ; Le Jet de pierre ; La Danse des morts ; L'Histoire de Tobie et de Sara ; Au quatrième toc il sera exactement... ; La Lune à la recherche d'elle-même ; L'Annonce faite à Marie (1948) ; Partage de Midi [nouvelle version, 1948-1949] ; Tête d'Or [version de 1949] ; Le Ravissement de Scapin ; L'Échange (1951-1952) ; Le Chemin de la Croix n° 2

 

Guy Goffette
Album Claudel
Iconographie commentée


«S'il est un écrivain que l'image, renchérissant sur les commentaires souvent peu amènes de ses contemporains, aura plutôt desservi, c'est bien Paul Claudel. En bicorne ou tête nue, la face auréolée d'un bon sourire ou sobre et sombre comme une vertu, l'assise est sculpturale et satisfaite. Elle rappelle davantage un notaire de province que le poète souverainement marginal qu'il fut et demeure. Rien pourtant ne l'a jamais fait se détourner de l'objectif. Au contraire, Claudel a toujours l'air de s'y prêter sans vergogne, sinon sans complaisance, en familier de l'autodérision, aussi naturel en apparence dans la pose en son grand âge qu'en son adolescence, à l'heure où sa sœur Camille se faisait la main en le prenant pour modèle. Et lorsqu'il se fut, à son tour, quelque peu initié à la magie de «cet appareil à éternité qu'est la boîte photographique», il s'y adonna avec une gourmandise toute enfantine [...].
Il y a cent ans cette année, Paul Claudel inaugurait en l'illustrant d'un grand livre la naissance des Éditions Gallimard (L'Otage, mai 1911). Nous avons tenté de dégager de la masse des documents mis à notre disposition de quoi dresser un portrait rafraîchi et aussi ressemblant que contrasté de cet homme-orchestre tumultueux qui faisait danser comme personne sur les planches les images d'une vie abouchée à l'Absolu.»
Guy Goffette.

Parution le 13 Mai 2011
Albums de la Pléiade, n° 50
offert gracieusement par les libraires, à l’occasion de la Quinzaine de la Pléiade, pour l’achat de trois volumes de la collection
304 pages, 322 ill., rel. Peau, 105 x 170 mm
 
 

Herman Melville « Bartleby le scribe, Billy Budd, marin et autres romans, œuvres IV » édition publiée sous la direction de Philippe Jaworski avec la collaboration de David Lapoujade et Hershel Parker, Bibliothèque de La Pléiade, Gallimard, 2010.

Bartleby, vous connaissez ? Mais, si ! réfléchissez encore un peu… « I would prefer not to », et là les problèmes commencent ! Le personnage de Herman Melville, Bartleby, est un copiste de notaire qui progressivement passe d’une situation d’homme consciencieux à un état de refus subtilement énoncé avec la fameuse formule dont la traduction en français fait toujours débat selon les écoles : « je ne préférerais pas », « j'aimerais mieux pas » ou encore la formule retenue par la présente édition : « je préférerais ne pas »… Révolte d’un homme face à la société ? Le mot est trop fort. Résistance à la tyrannie oppressive des hommes sur ses congénères ? Là encore, la version développée sous forme de conte par Herman Melville est plus nuancée…
Bartleby le scribe est, au-delà de cette anecdote du refus, une œuvre mystérieuse sans secret. Comme le relève très justement Philippe Jaworski dans sa préface : « On trahirait le geste de Melville en attribuant à chacune de ces histoires une signification précise et définitive : la leçon qui y est explicitement formulée n’a d’autre fonction que de troubler le lecteur par ses insuffisances ou sa médiocrité. » Tout est dit !
Bartleby que l’on vient de renvoyer de l’étude où il travaillait jusqu’alors refuse ce même licenciement… Alors même qu’on lui fait différentes propositions de travail, il répond invariablement qu’il préfère ne pas prendre tel ou tel emploi tout en soulignant qu’il n’est pas difficile. Derrière ce paradoxe qui n’en est pas un, se cache le drame humain. Trop souvent, au nom de la pensée cartésienne, l’homme accepte trop de choses au prétexte que l’on ne saurait les écarter alors même que la conscience intérieure crie le contraire. L’auteur de Moby Dick poursuit ainsi sur terre et dans une étude notariale l’exploration de nos abîmes et de nos abysses. L’élément biographique de l’auteur a bien entendu son importance. Melville est orphelin de père et sa mère très puritaine ne lui aurait pas fait preuve d’un amour démonstratif. Celui qui a très tôt fréquenté de nombreux foyers connaît ses failles affectives, et c’est dans ses récits qu’il va chercher à les exprimer dans des récits souvent initiatiques. La mer, bien entendu, sera présente jusqu’à son dernier récit Billy Budd, marin (Melville s’éteindra le 28 septembre 1891 sans avoir eu le temps de l’achever), qui traduit la solitude et les dangers ressentis par Melville face à l’iniquité et à l’injustice. L’œuvre est puissante, à l’image des idées qui s’y développent : « L’affrontement barbare du mal élémentaire et de la pureté meurtrière, la bête assoiffée de meurtre et l’ange qui donne la mort. Un coup de poing ? Non, une apocalypse d’avant le commencement du temps. », comme le souligne Philippe Jaworski. A l’image des tempêtes maritimes, celles des hommes sont souvent imprévisibles et redoutables. Le chaos, l’absence de raison, l’iniquité forment une partition sans chef d’orchestre et dont le mensonge semble le seul vainqueur…



BARTLEBY LE SCRIBE – BILLY BUDD, MARIN ET AUTRES ROMANS : Israël Potter. Les Contes de la véranda : La Véranda - Bartleby le scribe - Benito Cereno - Le Marchand de paratonnerres - Les Encantadas ou Îles Enchantées - Le Campanile. Contes non recueillis : L'Heureux Échec - Le Violoneux - Coquerico ! - Le Pudding du pauvre et les Miettes du riche - Les Deux Temples - Le Paradis des célibataires et le Tartare des jeunes filles - Jimmy Rose - Les Portos - Moi et ma cheminée - La Table en bois de pommier - L'escroc à la confiance - Billy Budd, marin (ŒUVRES, IV) [2010] . Édition publiée sous la direction de Philippe Jaworski avec la collaboration de David Lapoujade et Hershel Parker, trad. de l'anglais par Philippe Jaworski et Pierre Leyris, 1424 pages, rel. peau, 105 x 170 mm. Collection Bibliothèque de la Pléiade (No 559)
 

Lautréamont "Oeuvres complètes" nouvelle édition établie par Jean-Luc Steinmetz, 848 pages, collection La Pléiade, Gallimard, 2009.
 

Les œuvres de Lautréamont dans la Pléiade vont être l’heureuse occasion d’appréhender dans son ensemble une littérature tissée dans la révolte et la remise en question.
Jean-Luc Steinmetz a établi cette édition des œuvres de celui qui avant d’être connu sous le nom de comte de Lautréamont se nommait Isidore Ducasse. Les écrits de Lautréamont se résument à deux titres majeurs : Les Chants de Maldoror et les Poésies, et leur auteur a certainement souffert pendant de nombreuses années d’une méconnaissance due à une mort précoce, mais plus encore à cette ambivalence entre excès et parodie comme le relève Jean-Luc Steinmetz. Isidore Ducasse est né à Montevideo en Uruguay, le jour de la saint Isidore, un 4 avril 1846. C’est en 1859 qu’il rejoindra la France pour y faire ses études. En 1868, Les Chants de Maldoror seront publiés et 1870 sera l’année de la parution des deux fascicules de Poésies, ainsi que celle de la mort de son auteur en pleine guerre contre la Prusse.
Les Chants de Maldoror mettent en avant un personnage central inspiré du Faust de Goethe, mais aussi du Manfred de Byron. Maldoror est un archange du diable qui lutte contre le bien et dont la dimension épique structure le texte divisé en chants. La strophe n° 4 du Chant premier a d’ailleurs une consonance programmatique : « Il y en a qui écrivent pour rechercher les applaudissements humains, au moyen de nobles qualités de cœur que l’imagination invente ou qu’ils peuvent avoir. Moi, je fais servir mon génie à peindre les délices de la cruauté ! ». L’univers de Maldoror reflète-t-il celui de son auteur ? Lautréamont s’est employé à brouiller les pistes, mais nul doute que cette description du Chant premier strophe 8 n’est pas étrangère à certains états de l’écrivain : « Chaque matin quand le soleil se lève pour les autres, en répandant la joie et la chaleur salutaires dans toute la nature, tandis qu’aucun de mes traits ne bouge, en regardant fixement l’espace plein de ténèbres, accroupi dans le fond de ma caverne aimée, dans un désespoir qui m’enivre comme le vin, je meurtris de mes puissantes mains ma poitrine en lambeaux. »
Sadisme et homosexualité sont souvent présents dans une narration sans réelle intrigue. Ces délices de la cruauté érigées en vision épique souvent accentuée par le gigantisme des personnages sont régulièrement interrompues par des instants de lucidité et de distance qui marquent une rupture d’un style très moderne en cette fin de Second Empire. Lautréamont s’emploie à cette distance quant au style littéraire, une distance non seulement avec ses modèles littéraires, mais également ceux de son époque.
Les Poésies marquent encore plus la distance d’Isidore Ducasse avec les modèles de son temps qu’il n’hésite pas à tourner en dérision : « J’accepte Euripide et Sophocle ; mais je n’accepte pas Eschyle. » Voilà qui est dit, mais ce n’est pas tout ! «Il y a des écrivains ravalés, dangereux loustics, farceurs au quarteron, sombres mystificateurs, véritables aliénés, qui mériteraient de peupler Bicêtre. Leurs têtes crétinisantes, d’où une tuile a été enlevée, créent des fantômes gigantesques qui descendent au lieu de monter. » La liste serait longue à donner et Lautréamont donne dans cette œuvre le même regard sarcastique sur la bêtise et la médiocrité humaines que dans les Chants.
Ce volume des œuvres complètes donne la parole aux écrivains, lecteurs de Lautréamont : Des noms aussi différents que ceux de Bachelard, Ponge, Césaire, Caillois Sollers, Le Clézio et bien d’autres encore livrent leur lecture du poète maudit qui marqua irrémédiablement la littérature. Jean-Luc Steinmetz conclut en soulignant la singularité de cette oeuvre:« Inatteignable à portée, la prospérité du texte n’a que faire des malheurs de l’interprétation qui voudraient le réduire à merci. » Cette contradiction n’en est pas une, nous sommes prévenus !

 

 

Jean Calvin « Œuvres » édition établie par F. Higman et B. Roussel, collection La Pléiade, Gallimard, 2009.

Nous connaissons bien le nom de Jean Calvin définitivement associé à la Réforme protestante. Nous savons que l’homme Calvin et le calvinisme s’opposeront à la toute puissante Église romaine, comme l’avait fait bien auparavant le pouvoir temporel au Moyen-Âge, puis Luther. Mais c’est sur le domaine même de la foi et de sa pratique que porte ce coup de tonnerre lancé par Jean Cauvin, dit Calvin, né un 10 juillet de l’année 1509 à Noyon. Pour ce cinq centième anniversaire, La Pléiade fait entrer le Picard dans sa collection avec une édition remarquable qui regroupe un grand nombre de ses œuvres les plus connues. « Je n’ai point cherché de plaire » a écrit le dissident religieux qui diffusera sa pensée à partir d’un centre névralgique : Genève sur le bord du lac Léman. On ne connaît pratiquement rien sur l’enfance de Calvin, mais le jeune homme est un être inquiet et timide en perpétuelle recherche de Dieu. L’homme a de multiples facettes et, s’il ne rejette pas un certain humour dans ses différentes critiques de l’omnipotence romaine, c’est surtout sa rigueur qui est mise en avant. Une rigueur contre tous les préjugés qui impose au croyant une vigilance de tous les instants. Comme le relèvent les deux grands spécialistes de Calvin, Bernard Roussel et Francis Higman dans l’introduction de cette édition, Calvin est persuadé qu’il fait l’objet d’une grâce pour aider ses contemporains dans leur foi. Le terrain défriché par Luther n’attendait plus que la rigueur et la discipline forgées aux matières exigeantes de la théologie et du droit. Aussi, l’homme n’aura de cesse de comprendre et d’expliquer l’Écriture sainte au plus grand nombre. Seule l’Écriture compte et la Parole de Dieu, rejetant par la même le magistère de L’Église. C’est dans ses sermons (Calvin allait jusqu’à prononcer 250 sermons par an d’une durée d’une heure !) que l’on retrouve en premier ce commentaire de la Bible. Ses écrits recueilleront également sa pensée avec son œuvre maîtresse l’Institution de la religion chrétienne.
L’homme rejette l’idée de sacerdoce et souligne l’inanité de la hiérarchie de l’Église. Il prône au contraire une égalité des pasteurs de la foi qui seront élus par les fidèles selon ses recommandations. Les sacrements sont également réduits aux seuls baptêmes et cène. La gloire de Dieu est au cœur de la pensée du théologien et la vérité de l’Écriture sa priorité.
Cette très belle édition permettra ainsi d'apprécier pour cet anniversaire les différentes facettes du personnage : le théologien, le prédicateur, le pédagogue, le polémiste, l'épistolier, et surtout l'extraordinaire écrivain qui invite selon Bernard Roussel et Francis Higman à une « rhétorique de la simplicité » pour faciliter la compréhension d'une pensée complexe !


ŒUVRES. « Je n'ai point cherché de plaire » : Correspondance entre Jean Calvin et Louis du Tillet - Épître de Jacques Sadolet avec la Réponse de Jean Calvin - Préface aux Commentaires des Psaumes. Calvin et la Bible : À tous amateurs de Jésus Christ - Commentaire sur la Genèse, 2, 4-7 ; 18, 25 - Commentaire sur le Psaume 22 - Commentaire sur les Béatitudes (Mt 5, 1-12 ; Lc 6, 20-26) - Commentaire sur l'Épître de saint Jacques, 2. Structurer l'Église : Instruction et confession de foi - La Forme des prières ecclésiastiques - Sermon sur le cantique du roi Ézéchias - Lettres diverses aux Églises. Les Luttes : Avertissement sur les reliques - Avertissement sur la censure - Histoire d'un meurtre - Préface de « Confession de foi » - Congratulation à Gabriel de Saconay - Petit traité montrant que doit faire un homme fidèle - Excuse aux nicodémites - Réponse à un certain moyenneur rusé - Contre les anabaptistes - Contre les libertins. Les Doctrines : Petit traité de la sainte Cène - Congrégation pour l'élection éternelle - Déclaration pour maintenir la vraie foi - Brève résolution sur les sacrements. Envoi : Discours d'adieu aux membres du petit Conseil - Discours d'adieu aux ministres - Testament et dernière volonté de Jean Calvin [2009]. Édition de Francis Higman et Bernard Roussel, 1520 pages, rel. peau, 105 x 170 mm. Collection Bibliothèque de la Pléiade (No 552).
 

Rimbaud « Œuvres complètes » nouvelle édition établie par André Guyaux, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 2009.


L’œuvre de Rimbaud s’articule essentiellement à partir d’ « Une saison en enfer » publiée en 1873 à l’âge de 19 ans. Le poète a laissé à d’autres le soin de compléter sa création, Verlaine le premier bien entendu, suivi par d’autres convaincus du génie de cette plume précoce. Rimbaud ne connut quasiment pas son père, officier d’infanterie qui se séparera rapidement de sa mère. Son œuvre est un peu à l’image de ses relations familiales. Un attachement et en même temps un détachement qui laisseront une large part à la reconstitution de ce génie de la poésie française dont le rayonnement dépassera rapidement les frontières nationales. Cette nouvelle édition part d’une certaine manière de cette première interrogation : qui est Rimbaud, quelle est son œuvre ?
Ces questions a priori peuvent surprendre. Qui n’a pas dévoré les vers de celui qui fera irruption de manière brutale dans la vie de Verlaine avec l’issue que nous connaissons tous. Rimbaud appartient au panthéon de la poésie et pourtant le rebelle de son époque se laisse tout autant difficilement attraper aujourd’hui, au XXI° siècle. Le travail réalisé par André Guyaux souligne ce paradoxe que l’on ne saurait réduire sans appauvrir le legs laissé par Rimbaud : ce qui est dit par l’auteur et ce qui relève du silence, ce qui est donné par sa main et ce que d’autres souhaiteront retenir de son génie.
La présente édition facilite ce voyage poétique en offrant les textes en vers et en prose dans une première partie intitulée « Œuvres et lettres ». Les poèmes non datés sont placés à la fin de l’année supposée et les poèmes en vers apparaissent dans leurs différentes versions. Les textes sont en corps réduit lorsqu’ils ne sont pas établis à partir d’un manuscrit autographe et en taille classique lorsqu’ils proviennent d’une source autographe avérée. Le lecteur goûtera ainsi le plaisir renouvelé de l’écriture directement à partir de la propre main du poète ou de sa restitution par celui qui en fut son premier témoin et admirateur.
Comme un fil d’or brodé souligne le textile sorti du métier, la section « Vie et documents » qui complète les œuvres propose un regard sur cette nébuleuse poétique insaisissable.
L’approche est séduisante, car elle offre plusieurs interprétations allant du génie précoce repéré à l’école à la terrible « affaire de Bruxelles » qui jugea la tentative d’assassinat de Rimbaud par Verlaine. De nombreux témoins sont appelés à la barre de cette deuxième partie passionnante des Œuvres complètes établies par André Guyaux.
Tous ces souvenirs, ces recompositions de la mémoire, suggèrent un portrait parallèle à celui dont la mémoire a souvent laissé de Rimbaud, poète rebelle. Ce paysage multiple ne se laisse pas facilement saisir comme en témoignent les lettres enflammées de Verlaine qui menace son ami de se brûler la gueule selon ses propres termes s’il ne s’est pas réconcilié avec sa femme tout en avouant « …comme je t’aimais immensément… ». Paradoxe encore, ce n’est pas sur lui-même que le coup parti, mais sur le sujet de son amour, cible aimante indissociée…

PHILOSOPHIE

Michel Onfray « L’ordre libertaire, la vie philosophique d’Albert Camus » Flammarion, 2012.

Aborder la vie philosophique d’un des plus grands noms de la littérature française du XX° siècle est un angle bien singulier, surtout lorsqu’il est le fait d’un philosophe libertaire, fortement inspiré par son sujet. Michel Onfray ne le cache pas, et ce depuis longtemps, la vie d’Albert Camus a eu une grande influence sur lui. Les rapprochements sont tentants : milieu modeste, vie à l’écart des grandes capitales, études réalisées à la force du poignet, désir impétueux de liberté, influence de Nietzsche, combat de tous les jours au nom de la liberté…
Fort de ces similitudes, ce livre nourrit l’ambitieux projet de décrire ce que fut la vie d’un philosophe existentiel à l’opposé des philosophes existentialistes, plutôt égratignés dans ces lignes sans concessions. Camus n’est pas Sartre ! Et à partir de ce constat, Michel Onfray démontre avec intelligence tout ce qui distingue les deux hommes. L’écriture et la pensée d’Albert Camus sont lisibles, accessibles à tous sans « traduction ». Cette simplicité qui évolue dans un monde sans futilités, bercée par la lumière algéroise, ne signifie pas pour autant, et loin de là même, une pensée simpliste. Le monde, parfois futile, de Saint-Germain-des-Prés décrit par Michel Onfray s’oppose à l’école de la vie dans les quartiers pauvres de la ville blanche, de cette Algérie qui était encore française lorsque le jeune Camus gravissait une à une les marches qui allaient le conduire à la renommée mondiale. Et, c’est en rebelle que le jeune garçon s’élèvera contre les injustices, celles de la vie qu’il a connu très tôt lorsqu’on est pauvre et que toute la société tient à vous le rappeler. Cette sensibilité libertaire s’oppose aux concepts abstraits et à la sophistique dont le seul but est de persuader, peu importe de quoi. « Devenir ce que l’on est », tel sera le maître mot d’Albert Camus. La jeunesse de Camus sera nourrie aux extrêmes : une mère aimante, mais silencieuse, une grand-mère aussi dure que les coups qu’elle assène au jeune garçon, un père qu’il n’a pas connu et qui lui a légué son horreur de la peine capitale et de l’injustice, un amour de la vie baignée par le soleil de la Méditerranée tout en se sachant condamné par la tuberculose…
Michel Onfray a ce très beau mot : « Camus fut la voix des gens sans paroles, le verbe des êtres sans mots », et c’est pourquoi ce même Camus écrira avec son sang, comme le rappelle le philosophe créateur de l’Université Populaire de Caen.

Ce « oui » à la vie que Camus emprunte sans concessions à la pensée de Nietzche nourrira cette idée de puissance qu’il partagera avec le philosophe allemand. Camus veut en effet être un philosophe artiste, pour « un art de vivre par temps de catastrophe », belle mission ! Son instituteur, puis quelques années plus tard, Jean Grenier, son professeur de philosophie, ouvriront le cœur du jeune homme qui célébrera tout ce qui nourrit la vie, la sienne et celles des autres. Bien évidemment, cette aspiration fait l’objet de réductions, de caricatures, la plus cruelle rabaissant Camus au statut de philosophe de classes terminales…

Peut-être Camus a-t-il eu le tort d’élaborer une théorie du roman trop en avance sur son temps : comme le relève Michel Onfray, l’auteur de Noces a conçu des livres de philosophie de façon littéraire et c’est là toute la différence ! Si Camus n’est pas un philosophe au sens institutionnel du terme, il l’incarne parfaitement dans une acception existentielle. Reste à dérouler le roman d’une vie, philosophique, de surcroît : franchir la Méditerranée, quitter l’Algérie, la maladie qui empêche l’engagement dans la Résistance, mais non sa résistance, le combat de tous les instants et cette question essentielle en ces lendemains de guerre, comment faire la révolution sans Marx ?
Toute la vie d’Albert Camus est en syntonie avec sa pensée : ses combats contre le colonialisme sont sans équivoques, il suffit de lire son réquisitoire « Misère dans la Kabylie » pour se convaincre qu’il n’a aucune complaisance pour cette situation inique et invite les Kabyles à une nouvelle organisation proche d’un fédéralisme libertaire. A la lecture de la passionnante étude de Michel Onfray, nous découvrons une vie pleine de cohérences malgré les divers chemins pris par celui qui disparaîtra prématurément un 4 janvier 1960 dans un accident de voiture avec dans sa sacoche Le gai savoir de Nietzsche et son manuscrit inachevé du Premier homme. Sa vie prend fin, mais son œuvre prendra le relai d’une pensée toujours fertile après un demi-siècle, cette très belle étude en témoigne !

 

Emanuele Coccia « La vie sensible », Paris, Ed.Payot & Rivages, Coll. Bibliothèque Rivages, 2011.

Ce petit ouvrage est à découvrir car s’il peut ne pas convaincre nécessairement, il ouvre cependant des pistes et s’offre aux débats et interrogations ; Et c’est là, un grand mérite pour un livre philosophique.
Emanuele Coccia aborde, ici, une rive inconnue d’un monde trop souvent délaissé et survolé par la philosophie moderne qu’est le monde du sensible, d’où son titre « La vie sensible ». Pour ce philosophe italien qui enseigne la philosophie à l’université de Fribourg la vie sensible est au-delà, par de-là les sens, dans un ailleurs : ni le monde psychique de l’âme, ni le monde matériel des choses, le sensible se situe dans cet espace intermédiaire, non vide, mais néanmoins le plus souvent occulté des études philosophiques. Cet espace du sensible, ce monde sensible, par sa place particulière suppose pour l’auteur non pas tant les sens, ni même la perception en tant que telle, mais bien et surtout la force évocatrice, vivante des images, car la vie sensible suppose ou a besoin de médiums, de passeurs, pour être à la fois transmise et réceptionnée. D’où, le rôle central donnée à l’image, images des choses, des autres et de soi. A ce titre, Emanuele Coccia reprend bien sûr les travaux de Jacques Lacan sur le miroir, mais il interroge également des textes de penseurs tels que Avicenne, José Ortega y Gasset... Il reprend également les écrits de Synésios de Cyrène sur le monde des rêves, monde de l’imagination, de l’image, du sensible par excellence.
Cependant, Emanuele Coccia mène son étude plus loin encore, et s’appuyant notamment sur les travaux d’Adolf Portmann, s’intéresse par de-là l’image à la peau elle-même. L’homme étant, selon l’auteur, le seul animal nu et capable de se vêtir, de s’habiller, d’être à la mode ! A la fois, pas assez nu pour se laisser percevoir pleinement hors de sa corporéité, mais également trop nu pour un moi qui appelle pour apparaître, pour exister, le vêtement, l’image de soi dans le monde du sensible. D’où toute l’importance donnée par l’auteur non seulement à la peau, mais également et surtout aux vêtements, aux ornements, bijoux, maquillage et à la mode…Entre la peau et la mode, le sensible, le vivant, la vie sensible ne se glisse pas, elle existe.

L.B.K.

 

 

« Les grandes amitiés de Jacques et Raïssa Maritain » préface de René Mougel, Éditions du Carmel, 2009.

Jean-Luc Barré « Jacques et Raïssa Maritain, les mendiants du ciel » Fayard, 2009.

Le XX° siècle, suivant en cela les siècles qui lui précédaient, a vu naître de nombreux penseurs indissociablement associés à la foi catholique même si cette étiquette religieuse peut paraître bien réductrice eu égard à la portée de leurs réflexions. Les plus connus, Bernanos, Claudel, Teilhard de Chardin…ne doivent en rien occulter la richesse et l’étendue de la pensée d’un homme, celle de Jacques Maritain qui a toute sa vie associée la foi avec la culture et la culture avec la foi comme le rappellera Jean-Paul II en hommage au grand penseur français.

Jacques, et son épouse Raïsssa, laisseront l’image d’un couple indissociablement réuni afin de partager ce dialogue entre foi et raison avec le plus grand nombre d’intellectuels et d’artistes de leur époque. Leur foyer ouvert à tous a vu se côtoyer des personnages aussi différents que Cocteau, Rouault, De Falla ou encore le poète Max Jacob…
Un très beau livre relate ces grandes amitiés sollicitées et entretenues par le couple Maritain avec de nombreux documents d’une exposition organisée en 1993 pour célébrer le 20ième anniversaire de la mort du philosophe français. Le lecteur découvre l’influence de Péguy et de la philosophie de Bergson sur le jeune couple qui avait cependant débuté des études scientifiques, mais qui les décevront tous deux en raison du scientisme omniprésent à cette époque à la Sorbonne. Jacques Maritain était pourtant né dans un milieu peu enclin à la religion catholique (sa mère était la fille de Jules Favre républicain convaincu…) et Raïssa, sa future épouse, était juive. Ils se marièrent en 1904 et deux ans après se convertirent au catholicisme. Ce sera alors le temps des grandes découvertes et notamment celle de saint Thomas d’Aquin dont Jacques Maritain sera l’un des grands interprètes tout au long de sa carrière. Cette effervescence intellectuelle est contagieuse et leur maison de Meudon sera le creuset de rencontres extraordinaires de nombreux philosophes, écrivains, poètes, musiciens, peintres… qu’ils soient croyants ou athées. Cette tolérance nourrira une réelle ouverture à l’homme dans sa plénitude et renforcera, dans l’entre-deux-guerres, cette opposition à toute forme d’exclusions et de totalitarisme. Mais l’Histoire rattrapera le couple. Comme le relève Jean-Luc Barré dans une biographie exceptionnelle, le couple mythique accompagné de la sœur de Raïssa, Véra, quitte en effet la France en 1938 au lendemain de la conférence de Munich. Viendront alors les moments de doute, le sentiment de déracinement qui étreint Jacques avant le ressaisissement dans son engagement contre le totalitarisme qui menaçait l’Europe et le monde. Il sera l’un des premiers écrivains de la Résistance et de Gaulle lui demandera en 1944 de représenter la France comme ambassadeur auprès du Saint-Siège. Après la guerre, les trois années à Rome verront naître une autre grande amitié avec Mgr Montini, futur pape Paul VI, ainsi que de nombreux allers et retours aux États-Unis pour des enseignements.
La biographie exhaustive de Jean-Luc Barré ouvre également et délicatement l’intimité d’un couple qui avait décidé de vivre leur amour avec un vœu de chasteté, choix qui surprendra et choquera certainement au XXI° siècle, mais qui est révélateur du sens de l’absolu qui animait ces deux âmes sur terre…

 

 

Patrick DECLERCK : « Socrate dans la nuit. », Collection Blanche, NRF, Gallimard, 2008, 243p.

Patrick Declerck - auteur de « Les naufragés » en 2001 dans la collection Terre Humaine, ouvrage majeur d’anthropologie contemporaine parce qu’il avait su nous faire regarder les clochards, ces naufragés de la vie, différemment, un peu plus humainement - nous livre un nouvelle fois dans ce dernier ouvrage sa fureur de vivre, sa fureur contre la mort, cette empêcheuse de vie, mais ici, aujourd’hui contre sa propre mort.

Atteint d’une tumeur au cerveau – il commence son livre par cette phrase terrible « je suis mort le 5 août 2005, à 8h 47 exactement. Je le sais parce que j’ai regardé ma montre.» - l’auteur n’a de cesse d’écrire, de crier son combat, ses comptes, sa rage…à Socrate, d’abord, avec qui il entretient au fil des pages un honnête et régulier monologue ; il crie également dans un doux murmure tout ce qu’il n’a pas toujours dit ou pu dire, tout ce qu’il faudrait toujours dire avant…à ses proches, à sa femme, à sa fille… il crie aussi ses joyeux regrets ou ses savoureux souvenirs parfois acides, parfois amers à ses amours, à ses amis, à son enfance, à ses plaisirs… il crie, hurle à lui-même surtout, Patrick Declerck ;  seul face à Cornélius Van Zandt ; face à la maladie, face aux douleurs, face aux symptômes de la mort, qui le guettent, le grignotent et le tuent sans espoir, sans illusions, sans paradis pour demain ou après demain…lui qui préfère Hamlet : « Si c’est maintenant, ce n’est pas à venir. Si ce n’est pas à venir, ce sera maintenant »  parce que Patrick Declerck est un pessimiste acharné doté d’une lucidité négative implacable…rien n’y fait, impossible,  c’est un nietzschéen endurci…avec un soupçon de Schopenhauer mais surtout pas kantien et encore moins de Saint Augustin ! Il ne nous épargne pas, il ne s’épargne surtout rien à lui même, Patrick Declerck, lui qui s’aime si peu. Surtout pas de larmes, pas de …juste ce qu’il sent, ce qu’il ressent… ce qu’il consent à nous dire… à moins qu’on ne le surprenne lorsqu’il regarde ou caresse son chien…

On aimerait à notre tour dire ou écrire…mais, voilà…on manque parfois de mots décents, souvent de phrases qui sonnent justes pour ces choses là…bref, toujours de cran…alors on préfère laisser parler l’auteur… 

L.B.K.

« Nous priverais-tu, ô Socrate, du dernier de nos biens : de notre fureur ? De nos imprécations dernières ? De nos hululements  dans la nuit ? Et comment, par quel impossible tour de force, une fois allumée, éteindre la flamme atroce, l’affreuse et hypnotique lumière de la conscience ? Ou alors – pour préserver les autres – plaisamment laisser croire que l’on croit. Faire semblant d’un semblant espoir. Offrir, en souriant à la face des êtres et du monde, le discret sacrifice de cet innocent mensonge. Suprême élégance ? Peut-être. »  Socrate dans la nuit.  Extrait p. 236.

 

 

 

 

 

ien vers notre Interview

de Miguel BENASAYAG

 

Miguel BENASAYAG avec la collaboration d'Angélique del Rey « La santé à tout prix ; Médecine et biopouvoir. », Paris, Bayard, 2008, 137 p. 

Vous ne fumez pas ou plus : Bravo !..., vous faites votre gym tous les matins, un jogging le dimanche et puis…Très bien, très bien…vous mangez cinq portions de fruits et légumes, avez réduit le sucre, le sel, le… Bien, bien…Mais, êtes-vous sûr d’être vraiment en bonne santé ? Aussi dynamique que votre voisin ? Aussi, performant que votre collègue ? Etes vous certain ?...STOP !, c’est à tous ces diktats auxquels s’attaque le philosophe et psychanalyste Miguel Benasayag dans son dernier ouvrage « La santé à tout prix ; Médecine et biopouvoir ».

Dans ce livre, l’auteur met aujourd’hui en évidence notre crainte maladive de la maladie, notre préoccupation constante et quasi obsessionnelle de survie et s’interroge avec pertinence ou plutôt avec une impertinence sans concession, pour savoir si derrière ce « fantasme de mourir en bonne santé », il y a pour la personne, pour l’homme compris dans toute sa singularité, encore réellement, humainement une place pour une vie, pour la Vie. Car, ne nous trompons pas : au-delà de cette obsession de notre santé, de nos compétences, de nos performances que l’on nous propose, impose et auxquelles nous aspirons, c’est en fait, ainsi que le souligne Miguel Benasayag, une modification, un profond changement de structure même de la société qui s’opère permettant la mise en place – pour reprendre une terminologie de Michel Foucault – d’un réel et efficace biopouvoir c’est-à-dire un pouvoir ayant pour triste réalité de s’exercer sur la vie elle-même. L’idée maîtresse du philosophe est de nous montrer et démontrer comment nous sommes passés en quelques décennies de l’homme sans qualités, lisse, sans aspérités, à l’homme des compétences et performances sans limites en oubliant à chaque fois malheureusement ce qui fait l’humain, l’homme de qualité. Or, dans la mise en place de ce biopouvoir auquel nous consentons si volontiers le plus souvent sous prétexte de  notre bien, la médecine occupe bien sûr une place privilégiée parce que centrale.  

L’auteur, philosophe mais également homme de terrain en qualité de psychanalyste et pédopsychiatre depuis plus de vingt ans, a retenu cinq domaines : les handicaps, le cancer, les soins palliatifs, le champ « psy » et la maladie d’Alzheimer.

Le premier chapitre concernant le handicap et plus particulièrement les personnes sourdes est un chapitre fort. Miguel Benasayag nous montre dès les premières pages comment, après avoir été un terrain abandonné par une médecine toute tournée vers la « normalisation », après avoir été étiqueté « hors norme » parce que trop inutile, le champs handicapé est devenu en quelques décennies, après un changement de dénomination plus « démocratiquement correct », un véritable laboratoire du biopouvoir, une reconquête non seulement d’une société normative, mais surtout et avant tout une reconquête d’une société de la performance. « L’unidimensionnalité disciplinaire des handicapés aura été – souligne-t-il – le champ, le laboratoire pour l’unidimensionnalité de l’ensemble de la société ». Mais, au-delà du constat, avec des mots justes et des phrases fortes, le philosophe dénonce l’oubli de la complexité, de la fragilité, de ce qui fait l’humain. Beaucoup de personnes handicapées, notamment les personnes sourdes approuveront ces courageuses pages, elles qui trop souvent tentent, bien que ce heurtant à une incompréhension, de résister au modèle de l’homme des compétences pour défendre une culture, leur singularité.

Miguel Benasayag aborde également avec humour dans cet ouvrage un domaine qu’il connaît également très bien celui du « champ psy ». Domaine dans lequel le biopouvoir sévit comme une micro-entreprise à coup de projets psychologiques, bilans psychanalytiques, résultats thérapeutiques, etc. nous intimant selon une classification de plus en plus minutieuse « d’aller bien » fusse au prix d’un formatage et d’un quadrillage de la complexité, du vivant toujours plus serré. Toute souffrance existentielle, tout débordement, malaise, fragilité, peut-être même de simples interrogations, sont aujourd’hui interprétés, et dès lors ressentis et vécus, comme une calamité, des maux voire des échecs à éradiquer, étouffer, écraser…

De même, c’est avec des mots justes et forts, que le philosophe aborde la maladie d’Alzheimer et par là même la question de l’humanité du malade, osant souligner qu’il ne s’agit pas « de faire en sorte que le malade soit à nouveau ce qu’il fût mais, que ce qu’il est soit : qu’il se déploie » dans toute sa multitude et complexité, ou encore les soins palliatifs lorsque l’on oublie trop vite que la fin de la vie fait également partie de la vie…  

Or, face à cette avancée d’un biopouvoir posant le corps comme un pur agrégat d’organes pouvant être géré, surveillé, contrôlé et imposant ainsi « une version du posthumain comme vie « artefactualisée » et homme des compétences », le philosophe Miguel Benasayag  préfère et propose comme hypothèse une « médecine de la situation », de l’humain dans toute sa singularité, sa complexité, contradictions et possibles déploiements ; De belles leçons de sagesse qui ne peuvent nous laisser indifférents et qui se révèlent être pour chacun d’entre nous, pour l’humain que nous sommes peut-être encore un peu, un véritable défi !

"Il s'agit selon nous de développer une "clinique de la situation". Par là nous entendons cette rencontre entre les savoirs théoriques et pratiques du clinicien, l'expérience de vie du patient, sa famille et son environnement, l'époque (plus d'autres facteurs aléatoires), autant d'éléments constituant le soubassement à partir duquel la question de comment faire "avec" peut se poser. La clinique de la situation implique donc un véritable "non-savoir" sur le bien de l'autre, permettant une production, une création de savoirs et d'expériences dans lesquelles le clinicien partage un devenir avec son patient. Une telle clinique du "faire avec" déploie, grâce aux agencements multiples de la situation, et bien sûr au-delà de l'individu porteur d'une étiquette, de nouvelles puissances." Extrait : "La santé à tout prix ; médecine et biopouvoir", p. 85.

L.B.K.

 

 

ien vers notre Interview

de Michel ONFRAY

Michel ONFRAY : « La lueur des orages désirés. », Paris, Ed.Grasset, 2007, 341p. 

Ses lecteurs l’attendaient…le journal hédoniste IV du philosophe Michel ONFRAY vient de paraître aux éditions GRASSET. On y retrouve un philosophe matérialiste, sensualiste prônant une éthique hédoniste, viscéralement de gauche, mais surtout et avant tout libertaire !

Ainsi, en philosophe matérialiste, il nous offre de très belles pages sur le thème « Deviens ce que tu es » pour une construction de soi, ici et maintenant, au-delà d’un vulgaire « je », au-delà d’un moi « surmoïque » ou d’un volontarisme exacerbé, mais pour et par la seule force de la puissance qui nous veut. Assumer sa puissance avant qu’elle nous ensevelisse…Si forte, et pourtant pour beaucoup insoupçonnable ! Il nous offre également dans ce dernier ouvrage des pages profondes sur le squelette qui nous habite, une manière bien à lui d’évoquer plus la vie que l’échéance fatale … ou encore une jolie réflexion sur la relation – si difficile parce que si fragile – de Maître à disciple. A l’heure des gourous et pseudo-maîtres en tout genre ou des Maîtres oublieux, l’auteur évoque ce qui pourrait être là un code d’honneur à suivre afin d’éviter toute trahison… Et lorsque de telles pages sont écrites par Michel ONFRAY avec son style bien à lui – un peu trop littéraire pour certains philosophes ou un peu trop philosophique pour les autres ! – se ne sont plus seulement des pages de vie mais de véritables Leçons ou Exercices de Vie…Toute la « Puissance d’exister » du philosophe !

En philosophe sensualiste prônant une éthique hédoniste, on y retrouve également dans ce volume le plaisir des goûts réunis de Michel ONFRAY pour l’art, la peinture, la littérature, la poésie ou encore la photographie avec des pages consacrées à PICASSO, RIMBAUD ou encore CIORAN par celui qui sait trop bien aujourd’hui en revenant sur cet amour de jeunesse qu’il a conjuré la certitude du pire. En philosophe mélomane incorrigible (on se souvient de sa conférence en août dernier à Argentan sur NIETZSCHE et sa musique), il convoque également, dans cet ouvrage, non plus WAGNER mais BERLIOZ ou encore RAVEL. Enfin et pour le plus grand plaisir des ses lecteurs, Michel ONFRAY, dans ce quatrième tome, rompt sa promesse de ne plus écrire sur la gastronomie avec une promenade en Catalogne à la table de Ferran ADRIǍ à El Billi ; Après l’ouverture d’une deuxième Université Populaire à Argentan en 2006 avec - entre autres - une approche gastrosophique, pouvait-il vraiment faire autrement ?

Mais, en philosophe surtout et avant tout libertaire, ce n’est non pas un journal intime que l’auteur nous livre, mais des pages d’humeurs, de combats et de convictions dans lesquelles Michel ONFRAY ose avec courage  dire, dénoncer et surtout écrire. Ainsi, en philosophe de gauche, ni anarchiste, ni socialiste, ni d’extrême gauche mais viscéralement de gauche, Michel ONFRAY revient dans ce journal sur la flambée des banlieues en 2005, sur l’injustice et bien sûr la misère, la « misère sale » comme il désespère de le dire, sur la famille « avec toutes ses potentialités pour que l’intersubjectivité s’écrive moins sous le signe du religieux et du social, mais plus sur celui des seules affinités électives. », ou encore courageusement sur la pédophilie… On y retrouvera enfin un Michel ONFRAY tout simplement Michel ONFRAY lorsqu’il évoque notamment son voyage en 2001 au Pôle Nord avec son Père ; Mais un Michel ONFRAY qui ne laisse jamais bien loin à l’évidence le philosophe pour nous livrer des pages sur les Inuits pour une réflexion sur une intersubjectivité contrapuntique et une éthique véritablement écologique.

… Bref c’est du Michel ONFRAY, une splendide lueur d’orages désirés, voulus et recherchés … et on demeure – à peine ouvert, si vite achevé – dans le désir de lire le prochain volume !  

« Lorsque l’on a réussi à savoir ce que l’on est, on peut envisager de le vouloir enfin. La connaissance de soi inaugure la construction de soi. En découvrant qui je suis je peux alors vouloir l’être, ce à quoi se réduit in fine la liberté. De cette série d’exercices de consentement, d’adhésion puis d’amour du réel, les stoïciens disaient qu’il apportait la sérénité, Spinoza la Joie - et Nietzsche la grande santé. Vouloir la puissance qui nous veut, voilà qui révèle la liberté et rend possible de devenir ce que l’on est… » Extrait : "La lueur des orages désirés.", p. 201-202.

 

Miguel BENASAYAG

Un Philosophe,

passeur... de Vie

 

 

Biographie :

 

Né en Argentine

Ancien résistant guévariste en Argentine, torturé et emprisonné plus de 4 ans

Exilé en France en 1978

Aujourd’hui, philosophe et psychanalyste

Il est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages dont « Le mythe de l’individu » en 1998, « Résister, c’est créer » avec Florence Aubenas en 2002.

Animateur entre autres du Collectif « MALGRE TOUT » et du Réseau NOVOX 

Il est à l’origine du Manifeste « Malgré tout », du Manifeste des Indiens sans terre du Brésil, et de l’Université Populaire de La Courneuve

 

 

Courants Philosophiques :

 

Philosophie de l’organisme

Mouvance alternative : Nouvelle radicalité

Matérialiste

 

Influences dominantes :

 

Spinoza

Leibniz

Néo-platoniciens

Deleuze

 

 

 

 

BENASAYAG Miguel : «La fragilité.», Paris, Ed. La Découverte,  Coll.Poche, 2007, 212 p.

 

 Dans cet ouvrage, « La fragilité », paru aux Editions La Découverte en 2004 et réédité aujourd’hui dans la collection La Découverte-poche, Miguel BENASAYAG, philosophe et psychanalyste, nous renvoie en tant qu’être à notre propre fragilité. Non pas, pour nous adresser un pessimiste et triste « dommage ! », mais au contraire, avec cette joyeuse lucidité dont il a le secret, un sincère : « allez, cela demande certes un effort, mais allons y, assumons ! », parce que pour ce Philosophe argentin, ancien résistant dans la guérilla guévariste en Argentine, la fragilité est la condition essentielle de l’existence et assumer cette fragilité est – autant le dire tout de suite - le défi de tout à chacun.

 

Pour Miguel BENASAYAG, accepter toute sa fragilité signifie avant tout pour l’homme moderne d’admettre que celle-ci est une expérience, non pas une petite affaire personnelle vécue purement pour soi dans son petit décorum, mais bien au contraire, l’expérience concrète d’assumer pleinement le réel, de s’y confronter et d’y entrer de pleins pieds. Or, l’impuissance actuelle de l’homme moderne provient du fait que «l’individu» vit dans un monde purement virtuel, isolé, séparé et donc impuissant. De cette séparation, de cette « virtualisation  » le coupant de sa puissance d’agir, réside son incapacité à assumer la réalité et donc sa fragilité fondamentale.

 

Accepter sa propre fragilité implique pour chacun d’entre nous de mesurer avec justesse sa liberté et donc – et c’est là que les choses se compliquent – également ses propres chaînes, car qui ignore ses chaînes ne saurait être libre pour reprendre une idée chère à Spinoza et à laquelle adhère volontiers Miguel BENASAYAG. Assumer sa fragilité commence donc par accepter de réconcilier destin et liberté, ni déterminisme d’une fatalité paralysante, ni une illusoire liberté absolue tout aussi accablante, mais une concrète participation aux possibles devenirs multiples de libération. Or, pour le Philosophe, inventer de nouvelles formes de libération, de nouvelles formes d’émancipation, d’émergence de cette auto affirmation en tant qu’exigence ontologique, c’est ressouder ce qui a été coupé, oublié et séparé en acceptant toute la complexité. C’est avant tout résister à l’unidimensionnalité pour la multitude, résister sans la nier à la suprématie propre au monde occidental de la conscience, de la perception réduite aux seules et uniques perceptions conscientes qui nous amènent, par une inversion ontologique, à prendre le virtuel pour plus réel que le réel et à croire que la liberté ne peut qu’être qu’une pure domination par la connaissance consciente.

Assumer sa propre fragilité, c’est pour le Philosophe, effectuer un travail de pensée et d’engagement pour créer de nouvelles formes d’émancipation, d’agir, de vie. Mais dans ce monde de modernité, l’homme n’arrive plus vraiment à savoir comment s’engager, comment penser pour agir – tout simplement comment faire ?  Il semble avoir perdu les commandes de cette machine infernale pourtant souhaitée et voulue pour ses promesses enchantées. Or, pour Miguel BENASAYAG, l’individu doit sortir « du royaume paisible de la certitude absolue » pour accepter d’habiter un monde, un paysage non maîtrisable, non prévisible, non connaissable dans toute sa multitude et toute sa complexité. Tout cela suppose, cependant, que l’individu reconsidère ce qu’est la connaissance. Or, pour le Philosophe, s’appuyant sur les découvertes récentes de la neurophysiologie, notamment celles du chilien Francisco Varela, la connaissance n’est pas simplement le dévoilement d’une stricte vérité préétablie, ni même un pur processus de perception, mais demeure intimement liée, neuronalement liée à l’« agir ». Pour Miguel BENASAYAG, la connaissance est dans l’« agir », la connaissance est agir et suppose donc de construire une pensée de « l’agir ».

 

Cependant, cette déconstruction des mécanismes classiques de la perception, de cette perception séparant le sujet du monde perçu conduit en fin de compte, ainsi que le souligne Miguel BENASAYAG, à une déconstruction du sujet initial même de la perception : « on a perdu le sujet » ! Mais, pour mieux y retrouver « la personne », l’être. Car par cette déconstruction, «l’individu » laisse apparaître une « personne », figure même de l’émancipation, une  singularité ontologique c’est-à-dire cette profonde singularité, paradoxale et contradictoire, qui seule nous ramène à notre essence même, et non plus cet individu triste au moi virtuel et imaginaire simulacre de singularité et d’identification réductrice et aliénante.

 

Mais, n’étant plus « individu », moi virtuel, il reste dès lors à l’homme moderne  de dépasser l’illusion du vouloir, des actes, pour aborder un « agir » plus profond, plus réel, provenant de chacun en tant que « personne », en tant que singularité ontologique. Or, agir d’après notre essence signifie pour Miguel BENASAYAG « que quelque chose de notre singularité multiple se déploie et s’exprime à travers nos actes », sans tomber cependant d’aucune manière dans une quelconque métaphysique. Cela suppose, en premier lieu, de cesser de croire que nous sommes nécessairement à l’origine de nos désirs (causa sui). Vous savez certes peut-être pourquoi vous désirez ceci plutôt que cela, mais pourquoi désirez-vous ? Pour le Philosophe, l’« agir » est un processus multiple et complexe dont la compréhension globale nous échappe. Il impose que nous acceptions le fait que l’ «agir » modifie sans cesse le processus lui-même et ce qui apparaîtra « après coup », renvoyant ainsi aux trois niveaux de connaissance de Spinoza.

L’«agir » nous entraîne donc à repenser nos désirs, nos actions, nos décisions pour nous situer en fin de compte dans ce que Miguel BENASAYAG nomme le « paysage ». Pour le Philosophe, « l’être, c’est d’être situé ». Or, dans ce « paysage », l’homme moderne est inexorablement et ontologiquement lié - lui à nous, nous à lui, aux autres, à soi - par un tissage infinitésimal qui ne peut être appréhendé que dans sa continuité dynamique, dans sa longue durée, dans une transcendance concrète et immanente, sans fin ni solution. Nous sommes certes dans le « paysage », mais nous sommes également le « paysage », « un homme de et pour la situation » avec toute la multiplicité, les paradoxes, contraires et complexité que cela suppose. Là, réside notre fragilité…mais également la multitude de possibles devenirs joyeux…

 

"Qu'il n'y ait pas au bout du chemin un monde de justice, qu'il n'y ait après tant d'effort un monde d'amour et de liberté peut être certes entendu depuis le pessimisme de la vanité. Mais aussi depuis la joie de la fragilité, car amour, justice et liberté, pensée et création sont le chemin même. Ils sont ce qui n'existe que dans des actes d'amour, de justice et de liberté. autrement dit, l'objectif est le chemin (...) L'amour, la justice, la liberté, la pensée sont en totalité en chaque acte ou elles ne sont pas, nulle part et jamais."  Extrait : "La fragilité" , p. 202.

L.B.K.

 

 

 

ien vers notre Interview

de Miguel BENASAYAG

 

BENASAYAG Miguel : « Connaître est agir ; Paysages et situations. », Paris, Ed.  La Découverte, 2006, 245 p.

Qui peut nier ce sentiment d’impuissance qui assaille aujourd’hui l’homme moderne ? Se sentant incapable de savoir comment agir que ce soit sur un plan individuel, social ou environnemental, tant il a perdu les commandes, la question « comment faire ? » se pose  à lui aujourd’hui plus que jamais. C’est à cette question fondamentale à laquelle s’attaque le Philosophe Miguel BENASAYAG dans son dernier ouvrage continuant ainsi sa construction d’une pensée de l’ «agir », d’une philosophie de l’organisme.

Pour le Philosophe, il convient avant toute chose de repenser notre perception du monde, de nos « paysages ». Tant que l’individu appréhendera son monde comme un pur décor extérieur, continuera à oublier ou à refouler le caractère ontologique des liens qui le relient à «son paysage » et « le paysage » à lui, aux autres et en fin de compte à lui même, l’homme de la modernité continuera à se sentir isolé, séparé, incapable d’agir parce qu’impuissant à éprouver le monde. Pour Miguel BENASAYAG, l’homme, les organismes n’existent que « dans et par le paysage », ce paysage tissé d’une multitude de liens serrés, cette unité minimale complexe, mais offrant une multiplicité de devenirs possibles. « Nos synapses agissent, souligne-t-il, comme si elles étaient limitées, interdites ». Il s’agit dès lors pour l’homme d’aujourd’hui de retrouver une vision, une perception, une connaissance, qui ne soit ni une petite part de point de vue, ni un point de vue de nulle part, mais bien le « point de vue du paysage » qui seul permettra à l’individu de sortir de l’impasse et de l’impuissance propre à notre époque obscure. Mais, cela suppose de renoncer au mythe du progrès dont nous connaissons pertinemment pourtant les limites, de renoncer à la figure du politique comme force de maîtrise, de domination et de toute puissance sur le monde. Il s’agit pour le Philosophe Miguel BENASAYAG de proposer une critique progressiste – bien comprise – du progrès aux fins de comprendre les instances concrètes, les mécanismes de perception et de connaissance qui nous permettrons de renouer avec notre « paysage », nos liens, et donc avec l’«agir ».

 Or, l’homme moderne conçoit difficilement la connaissance autrement que comme une activité séparée de l’ « agir ». Au vieux schéma - connaissance, décision, action - où le sujet actif est séparé de l’objet passif, le philosophe Miguel BENASAYAG nous propose une connaissance comme expérience concrète qui est elle-même « agir ». Mais, aujourd’hui, l’homme moderne saturé d’informations, d’immédiat, de connaissances acquises par des voies virtuelles s’est coupé, séparé de ses sens, des autres voies, sources possibles d’expérimentation et donc de cette connaissance de l’ « agir ». Mais, comprendre les mécanismes de cette cassure, de cette « mise à distance » pour la dépasser impose de repenser les mécanismes classiques de la perception. S’appuyant sur les neurosciences, l’ethnologie, l’épistémologie, c’est à un nouvel agencement des champs possibles de la perception auquel nous invite dans cet ouvrage le Philosophe Miguel BENASAYAG : une perception, processus multiple, « repensée comme un ensemble de productions ou plutôt de co-productions du monde et du soi », et qui conduit dans une approche leibnizienne à distinguer la perception (sensibilité, intuition), passive, non-soi, et l’aperception (perception « consciente ») , soi, structurellement toujours en retard sur la perception parce possédant sa propre temporalité. Or, ce processus de production de la perception est celui de la perception de nos sens, « brique de base, « proto-soi » c’est-à-dire un stade antérieur à toute individualisation, à toute émergence d’un sujet et d’un objet, permettant à chaque espèce de construire les images qui lui sont propres.

Est-ce dire qu’il faudrait se fier à nos sens ? La réponse du Philosophe est affirmative : oui et oui, nos sens ne nous trompent jamais parce qu’il n’y a aucune tromperie possible ! Il n’y a, pour le Philosophe, ni erreur ni justesse dès lors que l’on veut bien comprendre ce que signifie concrètement se fier à ses sens et se souvenir qu’ils sont eux-mêmes expérience et déploiement de connaissance suffisante. Joyeuse perspective ! Puisque nous pouvons dès lors espérer développer notre potentiel de capacité de nos sens, expériences et connaissances ! Mais, également ce qui est nettement moins réjouissant, le réduire par une pensée normalisée, unidimensionnelle, une pensée de l’«étiquetage » créant des « indiscernables » nous empêchant de percevoir toute la multiplicité …Ne nous a-t-on pas appris depuis longtemps dans nos sociétés occidentales à nous méfier de nos sens ?... Ne serait-il pas temps de revoir nos vieux schémas de mécanisme de méfiance, de libre-arbitre et par là même de la « Séparation » ?   Pour le Philosophe Miguel BENASAYAG, il n’y a pas à hésiter, « connaître, c’est vivre » ! 

Mais, connaître, c’est aussi bien sûr connaître sa liberté ou plutôt connaître ses chaînes, thème fondamental sur lequel revient le Philosophe par une approche spinoziste : ni une liberté absolue, liberté arbitraire, d’un tout-est-possible sur le mythe d’un homme-dieu, ni un déterminisme figé, prédéterminé, d’une fatalité fatale, offrant place au hasard, mais une liberté qui ne s’oppose ni au destin, ni à un déterminisme repensé. Un déterminisme comme processus dynamique, non prévisible parce que toujours source d’émergences et de déploiements multiples pour de possibles ou plutôt compossibles devenirs toujours en devenir. C’est une assomption d’un déterminisme repensé que nous propose Miguel BENASAYAG : ni nier ses chaînes, ni s’y complaire jusqu’à une jouissante pulsion de mort, ni s’en croire affranchi par un volontarisme toujours impuissant, mais bien composer avec ses déterminations par des agencements multiples, des déploiements non piégés, des compossibles jamais figés, sans qu’il y ait, pour le Philosophe Miguel BENASAYAG, ni solution, ni cohérence, ni espoir, encore moins désespoir, nihilisme ou relativisme …mais la recherche d’un possible « opérateur d’agir », l’émergence d’une nouvelle bonne mesure : « le point de vue du paysage », avec ses liens nous reliant à lui, aux autres, à nous… des liens de puissance de vie, la vie tout simplement !

"Renouer, lier, déployer, voilà le coeur que nous nommons joyeux de notre critique. Et ce en pensant à Spinoza, pour qui les passions joyeuses ne sont pas celles qui ricanent, mais celles qui, par le développement des liens, augmentent le champ des possibles, la vie." Extrait: "Connaître est agir.", p.46.

L.B.K.

 

 

Michel ONFRAY

Un philosophe rebelle,

lu, et n’en déplaise, apprécié… 

 

 

Biographie

 

Philosophe, Ecrivain, épris de littérature, d’art, de musique…

Auteur d’une trentaine de livres depuis 1989, dont  « Traité d’athéologie » en 2005 et de « La Puissance d’exister » en 2006

Il est né le 1er janvier 1959 à Argentan en Normandie (Orne)

Docteur en philosophie

Il a enseigné la philosophie en classes terminales dans un lycée technique de Caen de 1983 à 2002.

En 2002, il crée l’Université Populaire de Caen et en écrit le manifeste, "La Communauté philosophique", en 2004 et 2006

En 2006, il crée l’Université Populaire du goût à Argentan

 

 

Courants philosophiques :

 

- Hédoniste libertaire

- Matérialiste sensuel

- « Athéiste athée »

- Utilitariste

 

Influences dominantes

 

- Nietzsche

- Freud

- Montaigne

- De La Mettrie

- « Présocratiques »

 

 

ien vers notre Interview

de Michel ONFRAY

 

Michel ONFRAY : « La puissance d’exister. », Paris, Editions GRASSET, 2006, 230 p.

 

 

 

Le dernier ouvrage du philosophe Michel ONFRAY est le manifeste d’un sincère hédoniste, la conviction profonde d’une « Puissance d’exister » comme l’annonce son titre même. Plaidoyer électrisant et galvanisant - comme seul l’auteur en a le secret - pour une Vie pleinement vécue avec plaisir, volupté  et jubilation, c’est un véritable art à vivre (et non pur discours) reposant avant tout sur l’existence, la culture, le plaisir et le désir, le rapport à soi et à autrui (pour les allergiques : peut-être à lire à dose homéopathique, sachant qu’en la matière les spécialistes vous diront qu’il ne peut y avoir d’effet néfaste !).

Cependant, et autant l’énoncer tout de suite, cette force de vie hédoniste se doit d’être, pour en revendiquer la puissance, canalisée, raffinée, ciselée, et donc se révèle être exigeante à qui veut la comprendre. Ni hédonisme béat, ni vulgaire, c’est à un « hédonisme sculpté » auquel nous convie l’auteur.

Aussi, chroniquer cette « Puissance d’exister » m’impose  de prendre d’inévitables risques : ne pas rapetisser le philosophe à un vulgaire vendeur de plaisir bon marché, démagogue et populiste (l’histoire est connue…), alors même qu’il exprime dans ses ouvrages une exigence très aristocratique au sens grec du terme, même si sa philosophie demeure sans conteste très populaire et démocratique (le succès de l’Université Populaire de Caen en est la preuve). Exposer, donc, sans simplisme outrancier, en ne dénaturant pas une pensée philosophique qui se veut une éthique hédoniste esthétique, voilà le défi…

 

Auteur déjà d’une trentaine de livres publiés en une quinzaine de langues – mais, est-il vraiment besoin de le rappeler lorsqu’on sait que son ouvrage « Traité d’athéologie » (Oui, Michel Onfray est athée, c’est-à-dire ne croit pas en Dieu)  s’est vendu à plus de 300 000 exemplaires ! -  le philosophe exprime le souhait de faire dans cette « Puissance d’exister », non pas une  synthèse de sa philosophie, mais bien une mise au point de sa proposition philosophique hédoniste, conscient qu’une philosophie n’est pas seulement une manière de bien penser, ou de mieux penser, mais se doit d’être une proposition globalisante de pensée à vivre au quotidien. C’est donc une véritable proclamation, loin des convenances et des salons, que nous offre à lire aujourd’hui - pour notre plus grand plaisir - ce philosophe hédoniste libertaire, matérialiste sensuel, hors de tout nihilisme mais tragique sans concession.

 

Sincère et authentique, le philosophe, après avoir si souvent rappelé dans ses ouvrages et conférences que l’on ne saurait détacher une philosophie et un philosophe de sa biographie, nous offre en préface de ce manifeste une partie de son enfance et adolescence, dont l’auteur nous avait déjà laissé entrevoir quelques bribes dans les pages de son « Journal hédoniste ». Dans un style et des mots comme toujours – mais peut être plus ici encore –  à la fois ajustés, affûtés, forts et violents, Michel ONFRAY nous raconte quatre années de souffrance, de rupture, de cassure profondes, de prise de conscience, de promesses silencieuses et personnelles dans un pensionnat dirigé par des prêtres salésiens. Nul doute que « La puissance d’exister » du philosophe y trouve sa source et qu’au-delà des lignes s’y glisse, avec pudeur et réserve, un véritable hapax existentiel. Le philosophe terminera cette préface  personnelle et courageuse en ces termes : « Seul l’art codifié de cette « puissance d’exister» guérit des douleurs passées, présentes et à venir».

 

Les chapitres – au nombre de six – révèlent la cohérence de la proposition philosophique hédoniste et matérialiste du philosophe. Ainsi, du  domaine politique (une politique libertaire), à l’art (une esthétique cynique), ou à la bioéthique (une bioéthique prométhéenne) en passant par le relationnel (une éthique élective à une érotique solaire), ce sont ces lignes de force que Michel ONFRAY n’a cessé de développer au fil des années, ouvrage après ouvrage. Sous les influences de NIETZSCHE, de certains « Présocratiques », ou encore de penseurs connus, tel que Michel de MONTAIGNE, ou plus méconnus tel que Julien Offray de La Mettrie, l’auteur n’a eu cesse d’élaborer, de construire une philosophie hédoniste globale nourrie d’une rigueur marquée et permanente à l’égard des sources et d’une réelle volonté de « sculpter ».

 

Ainsi, le philosophe revient-il dans « La puissance d’exister » avec une force littéraire fortifiée et concentrée sur les thématiques majeures de son système hédoniste :

Il combat, avant toute chose, l’uniformisation de la transmission du savoir enfermée aujourd’hui dans une philosophie et une historiographie idéalistes dominantes et officielles qui demeurent désespérément sous influence platonicienne, judéo-chrétienne et de l’idéalisme allemand. Cette pensée dominante, lissée et « polissée » ne laisse aucune possibilité de reconnaissance, ni même place à une philosophie  alternative et immanente. A savoir de concrètes propositions de vie, hors de tout formatage culturel, applicables dès à présent, parce  que demain n’est jamais aujourd’hui, et ne le sera jamais.

Son manifeste : Une philosophie existentielle redonnant au « Je » du philosophe, « à la grande raison » du corps et à l’hapax existentiel la place qu’il se doit (Michel ONFRAY réaffirme ici le thème majeur développé dans « L’art de jouir »).

Mais également, une philosophie exotérique (démocratique parce qu’ouverte), pragmatique et vivable au quotidien. Une philosophie de vie ancrée dans et avec le réel ; Un puissant désir de Vie vivante.

 

En deuxième lieu, on y retrouve également, sa conviction de nécessaires « affinités électives » qu’implique une éthique hédoniste dynamique et évolutive, c’est-à-dire des attirances pleinement choisies mais jamais définitivement acquises. Affinités dans lesquelles l’amitié, mais également la politesse – niveau basique de toute communication – prennent toute leur importance. Qui y restera insensible aujourd’hui ?

L’auteur revient, également, sur la place capitale accordée au contrat hédoniste et développé  dans son ouvrage « Théorie du corps amoureux ». Véritable contrat  synallagmatique au sens juridique du terme en tant que réelle rencontre, accord de volontés, de désirs assumés, partagés sans jamais nuire ni à soi, ni à l’autre. Du Sade sans le sadisme ! Mais, une érotique hédoniste qui se veut « solaire », selon les termes de l’auteur, réhabilitant le corps, le désir, la jubilation avec et non contre l’autre, refusant son opposé nocturne ancré dans la culpabilité, la haine du corps, de soi et au delà d’autrui et de la vie.

Le philosophe revient avec conviction sur son acception du célibataire libertin, sur l’idée qu’une stérilité souhaitée et voulue puisse être – aujourd’hui surtout - parfaitement défendable ou encore sur l’honnête nécessité d’accepter,  enfin sans préjugé ou étiquette moralisatrice, un libertinage tant féminin que masculin, un féminisme libertin :  une « Don Juane » contemporaine.

 

Ou encore sa conviction, développée dans « Politique du rebelle », d’une nécessaire philosophie engagée : Une politique hédoniste également alternative et postmoderne,  puisant sa force dans un nietzschéisme de gauche, un anarchisme bien compris, contemporain, achevé parce que constructif. Une politique de résistance permanente et rhizomique refusant la domination sans borne d’un libéralisme sauvage posé comme indépassable, et prônant ouvertement l’urgente défense de la misère libérale « sale », celle de nos rues et banlieues et le « désir de ne pas composer avec la pauvreté, la misère, l’injustice, l’exploitation du plus grand nombre par une poignée de nantis ».

Parce qu’une philosophie du plaisir, si vivifiante soit elle, se doit d’être également – ne nous leurrons pas, et Michel ONFRAY ne s’y trompe pas – une philosophie sérieuse. Ni simpliste, ni trivial,  mais un « hédonisme sculpté ». C’est par cette subtile alchimie que la proposition de philosophie de Michel ONFRAY acquière toute sa  puissance, sa puissance d’exister.                  

 

Un ouvrage à recommander avec plaisir à ceux ou celles qui ne connaissent pas encore le philosophe Michel ONFRAY.

Un manifeste hédoniste destiné à tous ceux qui apprécient déjà Michel ONFRAY et qui en connaissent la lecture jubilatoire ; Ceux là, à l’évidence et comme toujours, le remercieront d’avoir eu l’honnêteté et le courage de s’inscrire ouvertement à l’encontre d’un nihilisme ambiant déposé sur des vies mortifères vaguement réanimées par des pseudo bonheurs bradés à prix discount.  

Aux autres, peut-être de passer tout simplement leur chemin…

 

« Serein, sans haine, ignorant le mépris, loin de tout désir de vengeance, indemne de toute rancune, informé sur la formidable puissance des passions tristes, je ne veux que la culture et l’expansion de cette « puissance d’exister » - selon l’heureuse formule de Spinoza enchâssée comme un diamant dans son Ethique ; »  Extrait : « La puissance d’exister. », p. 49.

             

 L.B.K. pour LEXNEWS

 

  

 

ien vers notre Interview

de Michel ONFRAY

 

Michel ONFRAY : « La Philosophie féroce ; exercices anarchistes. », Paris, Ed. GALILEE, 2004, 116p. ; « Traces de feux furieux ; La Philosophie féroce II. », Paris, Ed.GALILEE, 2006, 128p.

A noter également la parution aux Edition GALILEE de « Traces de feux furieux » du philosophe Michel ONFRAY, deuxième tome de « La Philosophie féroce » déjà parue en 2004. Dans cet ensemble de chroniques au style décapant, revigorant et roboratif, mais également et surtout honnêtement subjectif, fidèle à lui-même dans cette individualité et cette subjectivité solaires et radieuses, on y retrouve un philosophe libertaire engagé et rebelle nous livrant sa vision du monde, de l’actualité ou tout simplement de notre monde. Dans des textes brefs un peu plus engagés que dans son journal hédoniste, Michel ONFRAY nous amène, en effet, avec ces deux tomes à réfléchir, à penser le quotidien, notre quotidien. Pensées philosophiques pour tous ceux et celles qui ont choisi, non pas de regarder simplement leur vie « en philosophe », mais ont retenu, pour construire leur existence, la philosophie comme compagne de vie, parce qu’une philosophie – et le philosophe n’a cesse de le répéter – se doit d’être avant tout un art de mieux penser et de mieux vivre au quotidien.

Ainsi, Michel ONFRAY nous rappelle-t-il au fil de l’actualité sa vision d’un engagement nécessairement rebelle face au libéralisme et à l’impérialisme américain, face également à l’Europe, aux élections, ou encore face aux nationalismes ou régionalismes…En libertaire indomptable, il aborde le droit, la justice, la laïcité, la violence, les prisons…En athée convaincu, il revient sur le monothéisme et l’amour du prochain…Ou encore, des pages sur le mariage des homosexuels, la télévision …

Une vision du monde sans concession, sans complaisance envers ceux ou celles qui, aux yeux du philosophe, ne méritent pas autre chose qu’une « Philosophie féroce ». Mais, une « Philosophie féroce » qui ne peut se comprendre qu’en contrepoint d’une philosophie hédoniste sensible, fine et subtile eu égard à ce que Michel ONFRAY sait, en revanche, vouloir aimer : Ainsi, retiendra-t-on des textes savoureux sur la femme, la Méditerranée ou encore des textes forts -sur l'amitié ou la loyauté - dans lesquels l'amertume du coeur ne trouve comme seul remède que l'espérance d'une philosophie "solaire" au quotidien comprise et partagée;  

« …consentant à la nécessité avec la volupté de qui sait

l’éternité enchâssée dans l’usage voluptueux du présent. »

in « La Philosophie féroce », Paris, Ed.GALILEE, 2004, p.14

REDECOUVERTE D’UN AUTEUR PAR SON OEUVRE :

 LAWRENCE DURRELL

BIOGRAPHIE : Lawrence Durrell est né à Jullundur le 27 février 1912 dans la région de Darjeeling, à l’époque des Indes Britanniques. Son père était ingénieur en génie civil anglais et sa mère, une irlandaise protestante, tous deux nés aux Indes. A 11 ans il est envoyé en Angleterre pour y recevoir une éducation dont il gardera à jamais un souvenir amer. Cela le mènera à abandonner la suite de ses études à l’université. Son véritable désir est de devenir écrivain. Il  publiera son premier roman, Pied Piper of Lovers, en 1935, suivi de  Panic Spring, en 1937, sous le pseudonyme de Charles Norden.

Il parviendra à persuader sa mère d'aller s'installer sur l'île grecque de Corfou en 1935, pour échapper à la rigueur du climat britannique et oublier ses années sombres. C’est à partir de cette période qu’il nourrira un lien très étroit avec la Méditerranée, passion qu’il partagera avec Henry Miller avec qui il sera ami pendant 45 ans. En 1941, Durrell est obligé de fuir la Grèce du fait de l'avancée de l'armée nazie. Ils s'installèrent sur l'autre rive de la Méditerranée, avec sa femme et leur fille Penelope Berengaria. En 1942, Durrell se sépare de sa femme et déménage à Alexandrie. Il y deviendra attaché de presse pour le British Information Office. Cette nouvelle fonction sera pour lui une source d’inspiration quant à la vie égyptienne durant la Seconde Guerre mondiale. Il y fera également la rencontre d’Eve Cohen, une juive d'Alexandrie qui deviendra son modèle pour Justine, premier tome du Quatuor d'Alexandrie. Durrell l'épousa en 1947, après avoir divorcé de Nancy Myers. Ils eurent une fille, Sappho Jane, en 1951. Au lendemain de la guerre, il retrouvera la Grèce et séjournera deux ans à Rhodes comme directeur des relations publiques pour les Iles du Dodécanèse. Il partira en Argentine de 1947 à 1948 où il occupera le poste de directeur du British Institute à Cordoba.  C’est en 1949 qu’il revient en Europe où il  sera attaché de presse à Belgrade en Yougoslavie et y puisera sa source d’inspiration directe pour sa chronique diplomatique : Affaires Urgentes.

Il achètera une maison à Chypre en pensant pouvoir y écrire dans le calme. Mais la guerre civile gronde en cette période de décolonisation et Durrell est obligé de fuir l’île sous l’insurrection. Cet épisode douloureux restera gravé dans son fameux Citrons acides. Durrell s'installera alors à Sommières, dans le sud de la France. Il y écrira son fameux Quatuor d'Alexandrie. Sa vie sentimentale sera très chaotique puisqu’il aura plusieurs remariages ainsi que la perte de sa fille Sappho Jane qui se suicidera en 1985. C’est le 7 novembre 1990 à Sommières qu’il est emporté par une crise cardiaque.

 

Lawrence DURRELL « Affaires urgentes, scènes de la vie diplomatique » NIL Editions, 2004. 

Lawrence Durrell a embrassé la Carrière, selon l’expression retenue, avec un détachement certain qui a permis la naissance de ce drôle de livre, « désopilant » selon les propres termes de Jacques Lacarrière dans sa postface.  Il s’agit d’une série de récits vécus par l’auteur et un grand nombre de ses amis, tous diplomates de sa gracieuse Majesté, la reine d’Angleterre dans les années 50 en Yougoslavie. Trois volumes distincts ont été réunis sous ce titre « Affaires urgentes » dont le lecteur jugera la pertinence avec délectation ! Le volume « Affaires urgentes » regroupe ainsi les titres « Esprit de corps », « Un peu de tenue, Messieurs ! » et « Sauve qui peu ! ». Parfait remède à la morosité, ce livre offre très certainement ce qu’a de meilleur l’humour anglais. Dressant un portrait sans merci de l’univers diplomatique, le regard porté par l’écrivain ne renie pas pour autant ses origines. Durrell nous fait en effet souvent partager un regard attendri, toujours teinté d’humour, sur ces scènes de la vie quotidienne au sein de l’Ambassade britannique à Belgrade. Lawrence Durrell ne cachait pas son admiration pour Evelyn Waugh dont il avait lu avec passion « Le cher disparu », satire de la mort à Hollywood. La filiation est directe même si Durrell nous offre un condensé d’humour qui se démarquera par son style de sa première source d’inspiration.

Que dire de ces scénettes de la diplomatie anglaise à l’étranger ? Personne n’est épargné, pas même l’auteur ! Autochtones, grands diplomates étrangers (à dévorer la fameuse scène de la valse folle de l’ambassadeur japonais et de son épouse sous l’emprise d’un substitut de saké improvisé !) et bien entendu tous les sujets de sa gracieuse Majesté. Le regard porté sur tout ce petit monde est parfois impitoyable, caustique, sournois, attendri ou amusé mais jamais indifférent. Nous ne prêterons pas au petit jeu de savoir ce qui peut être vrai ou de ce qui résulte d’un esprit inspiré par trente slivovitza (alcool de prune local apprécié de Durrell) par jour ! Le fait est : Un homme comme Lawrence Durrell a pu écrire de telles lignes, souvent proches de l’univers de Cervantès, et cela devrait rassurer tous les pessimistes quant à notre destinée. En effet, dans les hautes sphères de la diplomatie, de joyeuses personnes veillent à notre avenir avec, très certainement, la bénédiction bienveillante de l’auteur portant probablement un énième toast à leur honneur !

 

Lawrence DURRELL « Cefalû » Livre de Poche, Biblio

La trame de l’histoire de Cefalû renvoie à l’un des mythes fondateurs les plus anciens : des touristes anglais disparaissent dans un dédale de galeries souterraines d'une grotte en Crète près de Cefalû. L’image du labyrinthe va ainsi être le thème structurant de ce roman où la satire de Lawrence Durrell est toujours présente sans pour autant atténuer la dimension philosophique de l’ouvrage. En fait, il se trouve que les touristes sont engagés à leur insu dans une épreuve initiatique qui prend rapidement les caractéristiques d’une expérience mystique... La légende du Minautore vient bien entendu immédiatement à l’esprit, même si elle est revisitée par l’esprit caustique du célèbre romancier anglais. L’auteur, on le sait, connaît profondément la Méditerranée, et la Grèce en particulier pour laquelle il a voué un amour immodéré dés son plus jeune âge. Durrell a toujours souhaité synthétiser de manière métaphorique la cosmologie de l’instant présent. L’influence de l’Inde et du Tibet est également omniprésente dans son œuvre. Il n’a eu, en effet, sans cesse de rapprocher les deux influences de la métaphysique indienne et de l’expérience physique occidentale pour tenter d’opérer une synthèse nouvelle de ces deux sources d’inspirations. Cefalû est un très bel exemple de cette démarche passionnante de l’auteur qui, bien que retenant au lieu et place du monstre antique terrifiant un simple ruminant bien paisible, nous invite à la plus grande introspection, toujours avec le sourire aux lèvres !

BEAUX LIVRES et CATALOGUES D'EXPOSITION

« Matisse, paires et séries » sous la direction de Cécile Debray, Editions Centre Pompidou, 2012.

 


Développant la thématique de la très belle exposition Matisse Paires et séries, ce catalogue réalisé sous la direction de Cécile Debray, commissaire de l’exposition, a pour objet d’approfondir notre connaissance du peintre Matisse et de son extraordinaire alchimie entre la force des couleurs et l’interrogation des formes appréhendées.
C’est par le processus de la répétition, très souvent employé par Matisse, que cet ouvrage nous propose de manière originale de mieux entrer dans la création du peintre. A la manière de l’artisan, l’artiste par le geste répété, et sans cesse renouvelé, d’un même motif, dépasse les catégories existantes et parvient à une perception affinée du sujet. Cécile Debray souligne ainsi dès son introduction à cette étude collective que le thème de la dualité est omniprésent dans le travail de Matisse. Et cette dualité peut s’exprimer de diverses manières : oppositions, alternances, variations… même si la plus singulière semble résider dans la paire. Matisse reconnaît lui-même en jugeant son parcours que la répétition était au cœur de son travail, répétition qui transcende toute monotonie qui pourrait en découler. Il s’agit ainsi d’un parcours long et sinueux qui s’exprime dans le processus créatif du peintre et qui, à terme, aboutira à l’œuvre achevée. Mais c’est de cet incessant va-et-vient dans son œuvre que Matisse tire des analyses précieuses : épuration d’une thématique complexe, dialogue entre la conscience et l’inconscience…
C’est à partir de ce fil directeur que de nombreuses études nous sont offertes dans ce catalogue qui non seulement fait état de la recherche la plus avancée sur Matisse, mais suggèrent également de multiples pistes d’études pour les prochaines années.

 

Fabrizio Bisconti Le Pitture delle Catacombe Romane – Restauri e interpretazioni, Tau Editrice, Italie, 2011.

 


Grand spécialiste des peintures des catacombes romaines, Fabrizio Bisconti est professeur à l’Ecole de spécialisation de l’Institut pontifical d’archéologie chrétienne. Son dernier ouvrage paru s’attache à l'un des arts les plus anciens et enterré sous des mètres en dessous du sol : les peintures des catacombes. Si l’auteur souligne que l’art des catacombes est certes assez simple sur le plan de la technique, son contenu demeure quant à lui d’une richesse qu’il convient d’apprécier à sa juste valeur. Les représentations du Jugement dernier, du Salut, de la vie et de la mort témoignent d’une profondeur insoupçonnée. Il suffit, pour s’en convaincre, d’arpenter les kilomètres de galeries où les premiers chrétiens enterraient leurs morts. Ce voyage dans les fondations de la chrétienté permet ainsi d’admirer de nombreuses représentations de Moïse frappant de son bâton le rocher, la figure du Bon Pasteur, omniprésente, mais aussi des scènes très précises de la résurrection de Lazare ou de la multiplication des pains… Ce sont des centaines de références à l’Ancien et au Nouveau Testament qui prennent vie dans ces galeries et dans les pages de ce livre de référence, prélude à ce que sera l’art sacré des futures basiliques et grandes cathédrales des siècles plus tard. Cette vie spirituelle a ceci de touchant, par rapport à l’art sacré qui suivra quelques siècles plus tard, qu’elle reste étroitement associée à la vie de tous les jours. Nous y voyons des petits métiers du quotidien représentés très explicitement : commerçants et artisans figurent ainsi sur ces fresques afin de bien montrer que les chrétiens sont des personnes comme tout le monde comme le disait Tertullien mais avec la foi en plus ! L’ouvrage, superbement illustré, nous plonge dans le détail de ces fresques en montrant quels ont été les choix de restauration entrepris avant de pouvoir interpréter ces témoignages exceptionnels des premiers temps de la foi chrétienne.

 

L'Art de Rome sous la direction de Marco Bussagli, 326mm x 286mm, 48mm dos 680 pages, 4038g, Couverture cartonnée, 692 illustrations, Editions Place des Victoires.

 


Qui ne révérait pas d’un ouvrage unique, réunissant tout ce que Rome peut offrir d’art au visiteur impénitent, gourmand et inquiet de passer à côté de ce que la ville lui réserve de plus beau ? Les éditions Place des Victoires ont conçu cet ouvrage grâce à la plume inspirée de Marco Bussagli et des meilleurs spécialistes des différentes strates culturelles que le lecteur pourra découvrir, en prenant son temps, au fil de la lecture. Au risque de se perdre, dans toutes les acceptions du terme, l’amoureux de la Rome des arts aura tout intérêt à maîtriser sa fougue et à patiemment découvrir chacune de ces époques qui ont non seulement marquer l’Urbs mais également le monde de son époque, indissociablement liés. Impossible de comprendre la richesse des restes archéologiques encore présents au Forum, et dans ses alentours, sans faire la démarche de comprendre le sens du développement urbain pour Rome. La propagande, l’idée de puissance qui la sous-tend, la gestion d’un empire sans cesse croissant aux confins du monde impliquent des structures, des édifices dont on a le plus souvent oublié les fonctions lorsque l’on se promène innocemment sur le pavé antique de ces lieux érigés en musée. De la même manière, c'est-à-dire avec science et en même temps didactisme, la Rome chrétienne, qu’il s’agisse de ses premières constitutions ou de son autorité revendiquée au Moyen Age, éclaire toutes les œuvres d’art qui nous sont données à admirer dans les différents musées de la ville. Comment en effet comprendre ces objets d’orfèvrerie médiévale sans les influences qui ont concouru à leur réalisation ? Tout cela est expliqué dans ces études accessibles nourries par une iconographie irréprochable. La richesse picturale de la ville prend sens, les Primitifs italiens livrent leur message et l’influence de Giotto à Rome s’éclaire avant les feux de la Renaissance qui ne cesseront de briller jusqu’à nos jours. Nous pénétrons dans des lieux que nous n’aurions pas même imaginés car ils ne figurent pas toujours en tête de liste des guides rédigés à la hâte…
L’ouvrage décidément sans limites se permet même de nous emmener jusqu’à la seconde guerre mondiale et des artistes contemporains du XX° siècle comme Renato Guttuso ou encore Emanuele Cavalli offrent la découverte de leurs œuvres au visiteur qui aurait trop rapidement arrêté ses choix de visite à la Rome classique…
L’ouvrage est exigeant mais jamais rebutant, il pèse lourd et nécessitera de nombreuses heures de lecture, mais il est de ceux qui nourrissent et auquel on reviendra régulièrement pour mieux comprendre l’art inépuisable de la ville de Rome !

 

Rome, aquarelles de Fabrice Moireau, textes de Dominique Fernandez, Les Editions du Pacifique, 2011.

 


C’est voyager d’une autre manière dans Rome qu’emprunter les chemins offerts par les aquarelles de Fabrice Moireau. Nous voyageons en effet différemment et le regard s’arrête sur des détails que seul l’œil de l’artiste a su capter et rendre dans ces lavis subtils et influencés par la lumière si particulière de la ville éternelle. Il suffit d’embarquer sur le Mont Palatin, premier lieu emblématique du regard porté sur la ville par le peintre pour redescendre vers l’île Tibérine et plonger son regard dans les remous insondables du Tibre si bien rendus par Fabrice Moireau ! Le dialogue entretenu entre le texte ciselé de Dominique Fernandez et les couleurs de Fabrice Moireau ne cesseront pas d’ailleurs d’étonner car nous avons là à faire deux véritables amoureux de la ville même si parfois le texte peut s’avérer bien sévère à l’encontre du Saint-Siège accusé de tous les maux et notamment celui d’atrophier la vie culturelle… Mais la mauvaise humeur ne dure guère longtemps et l’auteur n’hésitera pas à rendre grâce à la beauté des uniformes des gardes suisses… Les couleurs de Rome, celles que relevait déjà Valéry Larbaud, avec cet ocre inimitable et pourtant décliné presque à l’infini dans la moindre ruelle ont marqué la palette de l’aquarelliste et les sublimes vues des toits de la ville, l’une des positions les plus importantes pour prendre son baromètre. Les deux auteurs plongent également au cœur des quartiers et de ses vies parmi les vendeurs de toute sorte, les petites échoppes, les artisans de l’inimaginable…
Il faut avouer que l’entreprise est réussie, au final, le lecteur a littéralement été au contact de cette ville extraordinaire, a entendu ses bruits, senti presque les odeurs de ses venelles, et a été baigné par la palette infinie de ses couleurs à nulle autre pareille. C’est un beau voyage qui nous est ainsi proposé et de bien belle manière !

 

Strasbourg, la grâce d’une cathédrale, sous la direction de Mgr Joseph Doré, Editions La Nuée Bleue, 2010.



Surgie du sol par la grâce, élevée vers le ciel avec grâce, la cathédrale de Strasbourg est la première architecture de pierre à honorer la nouvelle collection dirigée par Monseigneur Joseph Doré aux éditions La Nuée Bleue. Et pourtant, les nombreux familiers de ce vénérable édifice multiséculaire auraient pu conclure trop rapidement : était-ce bien nécessaire ? Le monument si connu des Strasbourgeois avait-il encore besoin d’un livre de plus ? Si l’on interroge l’un de ceux qui la connaît le mieux, Joseph Doré, archevêque de ces dentelles de pierre édifiées depuis la fin du XII° siècle, les écrits, bien que nombreux, ne pouvaient satisfaire l’intelligence de la globalité de la cathédrale. Le pari audacieux et fou de cette nouvelle collection est en effet de réunir tous les points de vue imaginables afin d’édifier un livre à la manière des bâtisseurs de cathédrales. Pas moins de vingt-deux auteurs sont mis à contribution pour livrer leur lecture de la vaste construction.

La ligne droite, rappelle Georges Duby, est au cœur même de la cathédrale gothique et s’avère être le vecteur de la chrétienté en ces temps mouvementés. Il suffit pour s’en convaincre de regarder la magnifique vision offerte par ce livre d’art et d’histoire du portail principal de la façade occidentale dont les portes sont exceptionnellement ouvertes pour l’occasion. Si les ogives assouplissent parfois la ligne, tout n’est qu’ode à la verticalité, à commencer par l’émouvante statue de la Vierge à l’Enfant sur qui repose l’ensemble du tympan du portail, juste en dessous du Christ en croix. Derrière cette statue emblématique, cathédrale à elle seule, se dessine dans la pénombre une véritable fugue de l’ordre divin, dont seule la musique sait en partager les échos.
Le lecteur, soucieux de mieux comprendre l’art des cathédrales, aura grand intérêt à partager l’avant-propos qui retrace en quelques pages concises et agréables à lire le phénomène unique des cathédrales, depuis la reconnaissance constantinienne de la religion chrétienne jusqu’à la cathédrale d’Evry terminée en 1995.

Une cathédrale avant d’être un édifice est tout d’abord un vaste chantier, au sens propre et figuré du terme, objet de la première partie du livre. Nous avons la chance de posséder de nombreuses archives qui ont rendu possible son histoire et la diffusion de nombreux détails sur l’art des cathédrales à partir des temps les plus anciens. Si une cathédrale est « élevée » de terre, il faut à jamais écarter de nos esprits ces fausses vues qui apparenteraient cette construction à celle des pyramides ! Nul esclave ici, point de longues cordées tirant des pierres à coup de fouet… Nous apprenons à notre plus grande surprise que le chantier médiéval ne réunissait guère plus qu’une cinquantaine de personnes, à peine plus que pour un vulgaire immeuble de trois étages en notre XXI° siècle… Et à partir de ces archives, nous feuilletons littéralement les pages de la cathédrale, qu’il s’agisse de son enfantement, du IV° au début du XIII° siècle, avant l’apothéose gothique des XIII° et XIV° siècles. Si l’on souhaite être encore surpris, ce ne sera pas la dernière fois, on découvrira les dessins d’architectures du XIV° siècle qui constituent un ensemble de plus de quatre mètres de hauteur ! Et là, le regard découvre, médusé, une cathédrale de papier où la rose et la galerie se dessinent en un subtil lavis rehaussé par de l’encre noire et de délicates couleurs qui soulignent les drapés des statues…

La grâce d’une cathédrale, c’est d’être ainsi le miroir de la beauté divine, le reflet de ce qui est impensable à l’homme et improbable aux éléments. Et pourtant, la cathédrale de Strasbourg a réussi, grâce à la foi de ses artistes, à dépasser ces limites humaines. Toutes les parures dont se revêt la cathédrale, qu’elles soient de pierre, de verre, d’or ou de bois, ont un lien avec la transcendance, celui de la beauté de ce qui dépasse l’homme et pourtant le constitue de la manière la plus intime. L’amour, dans un don absolu, a fait naître la beauté pour la magnifier et c’est cette intelligence de ce qui grandit toute œuvre qui a littéralement inspiré tous ces trésors habillant l’Eglise de pierre et l’Eglise humaine. Les pages qui constituent cette deuxième partie pourraient faire partie d’un musée si elles n’étaient le reflet d’une réalité bien vivante qui se renouvelle chaque jour, lorsque nos pas nous guident vers une cathédrale. Bien entendu, la cathédrale est vivante (troisième partie) notamment lors de ses instants les plus forts, ceux de ses célébrations liturgiques. Toutes les pages d’une année peuvent se vivre dans une cathédrale, à l’ombre des fêtes des saints et des martyrs, des grandes fêtes liturgiques (Avent, Noël, Pâques) et des grands moments de la vie de chacun, baptême, mariage, obsèques. La cathédrale n’est pas un musée, elle est au cœur de la cité avec laquelle elle a su toujours entretenir des liens privilégiés. Ces liens ont été tissés par des hommes qui ont marqué sa vie, notamment les évêques de la cathédrale qui ont su et savent encore – ce livre en témoigne - la préserver même pendant ses heures les plus sombres tel Mgr Ruch qui pendant la Seconde Guerre mondiale refusera de livrer son trésor aux nazis menaçants. Pour Monseigneur Doré, la cathédrale de Strasbourg est avant tout une présence incontournable de la ville qui attire puissamment le touriste tout aussi bien que le croyant. Elle est ainsi un lieu de convergence où le rassemblement est rendu possible avec toutes ses diversités. Pour ces seules et importantes raisons, il importe à l’homme du XXI° siècle de mieux connaître un lieu aussi symbolique…

 

____ Lire notre interview de Mgr Doré ____

 

Philippe-Emmanuel Krautter

« Cézanne et Paris » Musée du Luxembourg – Sénat, catalogue d’exposition, Editions de la RMN-Grand Palais, 2011.
 


Le catalogue de l’exposition Cézanne et Paris réalisé sous la direction de Denis Coutagne permettra à chacun d’apprécier la justesse de l’angle choisi pour l’évènement. On le sait (voir notre chronique), les commissaires de l’exposition ont retenu, à partir d’une heureuse intuition, l’idée selon laquelle la capitale aurait eu pour un peintre traditionnellement associé au sud, plus d’importance que l’on pouvait croire dans son processus créatif. Denis Coutagne n’hésite d’ailleurs pas à évoquer « Les » Paris de Cézanne, en jouant sur les mots entre le nom de la capitale et le pari que le peintre s’était imposé à lui-même en arrivant en 1861 ; Pari audacieux puisqu’il consistait à devenir le peintre incontournable de la capitale ! Il y parviendra avec le succès que l’on sait puisque son nom sera partout présent dans le monde artistique de ce début de siècle. Et pourtant, le pari ne fut pas des plus faciles à tenir, le rejet, les doutes et les échecs de ses débuts dans la grande ville de l’art auraient pu avoir raison de ses jeunes ambitions. Il n’en fut rien et ces difficultés ont certainement joué un rôle important dans l’attachement indéfectible de Cézanne pour Paris. « Ne crois pas que je devienne parisien », avait-il averti son ami Joseph Huot, et Zola, son ami de toujours, s’inquiétait du désespoir qu’il sentait si facilement poindre chez lui. Cézanne n’est pas un peintre familier de la ville, il suffit pour s’en convaincre d’observer avec attention l’angle qu’il choisit pour la représenter : il se poste sur ses toits comme un chat de gouttière et il observe. Le fruit de ce regard porté sur ces hauteurs est assez emblématique du peintre avec la toile « Les Toits de Paris », une huile de dimension modeste et dont un tiers de l’espace est réservé, au premier plan, à un toit de zinc le plus proche du peintre, signe des obstacles rencontrés par le peinte à ses débuts ?
L’homme, Paul Cézanne, fait aussi l’objet d’un portrait dans ce catalogue afin de réduire les images réductrices trop souvent léguées par ses critiques de l’époque. Provincial, il reste un homme attaché à la terre rappelle Philippe Cézanne, l’arrière-petit-fils du peintre. Il saura s’entourer de nombreux amis, dont Zola bien entendu, l’ami fidèle qui le conduira avec insistance à Paris. Ce sera le prélude à de multiples amitiés, dont celle de Pissarro en premier, avant les rencontres avec Monet, Renoir… Les vues de Paris « hors les murs » (p. 63) sont plus connues des amateurs de Cézanne, qu’il s’agisse des vues d’Auvers-sur-Oise ou de l’Ermitage à Pontoise. La peinture de Cézanne et de ses amis, notamment Pissarro, va relever du combat face à l’académisme des Salons qui les avait rejetés sans précautions. De cette réaction à l’establishment académique naîtra alors une nouvelle vérité en peinture plus fondée sur la sincérité que sur la véracité de l’image par rapport à ce qu’elle représente, une rupture lourde de conséquences pour les années à venir.
Paris, ville tentatrice pour l’artiste, sera la muse pour des œuvres marquantes de la femme exposée (p. 86). Vont naître de cet attrait des toiles qu’il faut relire à la lumière de cette influence de Paris sur l’artiste : Le Déjeuner sur l’herbe ; la Tentation de saint Antoine ; l’Eternel féminin ou le Veau d’or ; et la fameuse Olympia… Paris sera également le lieu de maturation de ses natures mortes, dont celles inoubliables des pommes qui le suivront longtemps et lui valurent souvent des appréciations peu aimables comme celle de Huysmans : ces « pommes brutales, frustres, maçonnées avec une truelle (…) ». Et pourtant, il y a tant à dire sur ces représentations du quotidien, mondes en miniatures parfois aussi suggestifs que les récits de son ami Zola !
Le lecteur réalisera à la lecture de ce catalogue et avec la visite de l’exposition au musée du Luxembourg que Cézanne a bien progressivement constitué sa palette avec les instants de vie empruntés à la capitale, non seulement lors de ses séjours, mais également hors de la ville lorsqu’il résidait dans ce Sud qu’il chérissait malgré tout !

____ Notre chronique de l'exposition ____

 

Goethe « Faust » illustré des 18 lithographies d'Eugène Delacroix et 60 huiles, aquarelles, dessins, croquis et esquisses, Traduction de Gérard de Nerval. Préface d'Arlette Sérullaz. Postface de Michel Butor, « La petite collection », 296 pages, broché avec jaquette à larges rabat, Poids : 1,3 Kg, Format : 19 x 26 cm, Editions Diane de Selliers, 2011.

 


Faust, la nuit tombée, rentre chez lui d’une promenade au cours de laquelle il a trouvé un barbet, un chien errant, qu’il a décidé de recueillir dans son cabinet d’étude. Mais l’animal apparaît vite agité et ne cesse de grogner. Puis la métamorphose survient, l’animal enfle, occupe tout l’espace de la pièce pour disparaître dans un nuage et laisser place à Méphistophélès en habit d’étudiant, sorti de derrière le poêle. La lithographie d’Eugène Delacroix souligne la dramaturgie de la scène, dans un décor digne du théâtre que le peintre affectionnait tant ! Les cornues jouxtent un crâne et les vieux grimoires confèrent à cette pièce l’ambiance d’un lieu d’un alchimiste qui aurait, imprudemment, fait appel à des forces qui dépassent sa science et sa raison. La célèbre confrontation de Faust et de Méphistophélès est ainsi initiée : nous pouvons sans difficulté encore sentir la fumée de l’apparition et nous remettre avec peine de l’émotion suscitée par le fracas des éléments.
L’œuvre de celui qui allait être très jeune la figure emblématique du Sturm und Drang fait avec cette parution l’objet d’une nouvelle mise en scène grâce à l’admirable travail de Diane de Selliers qui a réuni pour l’occasion Goethe, Nerval et Delacroix !
Gérard de Nerval a offert en effet très jeune sa plume pour une traduction qui, si elle n’est pas le reflet fidèle dans sa littéralité de l’œuvre originale, donne cependant toute sa poésie au texte de l’écrivain allemand qui avouera : « En allemand […], je n’aime plus lire Faust, mais dans cette traduction française de Gérard de Nerval, tout reprend fraîcheur, nouveauté et esprit. » Faust, le soir, dans la chambre de Marguerite, n’avoue-t-il pas dans la traduction de Nerval : « Sois bienvenu, doux crépuscule, qui éclaires ce sanctuaire. Saisis mon cœur, douce peine d’amour, qui vis dans ta faiblesse de la rosée de l’espérance ! » A cette langue allemande et à cette poésie de Nerval qui saura inspirer Berlioz dans sa non moins célèbre Damnation de Faust, il fallait un éclairage qui sera dévolu au peintre Delacroix.

 


Le peintre fut en effet pour sa part sollicité par l’éditeur de lithographies Charles Motte afin d’illustrer le Faust, œuvre que Delacroix venait de découvrir et qu’il qualifiait de « chef-d'œuvre de caractère et d’intelligence ». Il faudra attendre deux ans pour que viennent au jour dix-huit lithographies, véritables miroirs de l’œuvre interprétée. Une nouvelle fois, Goethe se reconnaîtra dans ce travail pourtant délicat de transcription picturale : « … Et, si je dois avouer que, dans ces scènes, Monsieur Delacroix a surpassé ma propre vision, combien, à plus forte raison, les lecteurs trouveront tout cela vivant et supérieur à ce qu’ils se figuraient ». Delacroix avait souhaité que ses dix-huit lithographies soient réunies sous forme d’album. Le choix de l’éditeur fut de les répartir dans le texte et les éditions Diane de Selliers ont aujourd’hui répondu au vœu de l’artiste en mettant en tête de l’édition, l’intégralité des lithographies avec au regard de chacune d’elles, un passage clé du Faust.
Soixante dessins, croquis, esquisses et aquarelles complètent cette riche iconographie, témoignant du rayonnement de l’œuvre depuis sa création. Arlette Sérullaz, directrice du musée Delacroix signe une étude passionnante des rapports entre l’œuvre et le peintre ; elle souligne que dans Faust, Delacroix a su trouver « la correspondance philosophique à sa méditation personnelle – profondément désabusée – sur les vanités humaines ».
Le lecteur curieux d’en apprendre plus et d’aborder le second Faust écrit près de quarante-cinq ans après pourra également découvrir les Impressions diaboliques de Michel Butor placées en postface. L’écrivain, en guise de conclusion et d’ouverture, signe dix-sept lithographies imaginaires par lesquelles il trace un pont entre les deux œuvres.
L’alchimie est ainsi conclue entre trois artistes et, dans un pacte éditorial que ne renierait pas Méphistophélès, les voici réunis pour la première fois dans une édition qui a souhaité que ces visions se complètent, se fassent écho pour ouvrir au lecteur de nouveaux horizons !

Philippe-Emmanuel Krautter

 

« L’Orient des femmes vu par Christian Lacroix » Ouvrage collectif préfacé par Christian Lacroix, 164 pages - illustrations couleurs et noir et blanc, Photographies de Grégoire Alexandre, Format 22,5 x 29 cm, coédition Actes Sud Beaux-Arts / Musée du quai Branly, 2011.

 

 

A l'image de l'exposition « L'Orient des femmes vu par Christian Lacroix » que propose le musée du quai Branly, jusqu'au 15 mai 2011, son catalogue explose de couleurs vives et éclatantes. C'est un patchwork de dessins préparatoires de Christian Lacroix, de tissus et de broderies exceptionnellement mis en valeur par les très belles photographies du talentueux Grégoire Alexandre qui enchantent nos pupilles à chaque page. Subtil mélange de commentaires, de textes imprimés sur papiers colorés et de photos, cet ouvrage s'ouvre sur une collection de vieilles cartes postales recolorées ou en noir et blanc, témoignages troublants et nostalgiques à la fois, de ces femmes douces et fières, posant dans leurs vêtements bigarrés. Splendeur des robes chatoyantes des femmes orientales, robes de désert et de prairie, secrets d'étoffes, costume médiéval retrouvé au Liban, costumes des femmes syriennes, palestiniennes, bédouines et des femmes jordaniennes, toutes ces têtes de chapitres et les articles, écrits par d'éminents spécialistes, comme Hana Al-Banna-Chidiac, commissaire de l'exposition, développent et apportent une étude complète sur l'histoire, les symboles, la confection (choix des tissus, coupe des robes, techniques de teinture, de broderie, styles des bijoux et autres accessoires du trousseau de la mariée, historique de ces vêtements...) de ces robes superbes qui illustrent chacune des parties de ce livre. « Le Proche-Orient est composé d'une mosaïque de terres et de peuples où règnent autant de gaieté que de diversité, d'élégance que de sensualité » ainsi commence l'avant-propos de Stéphane Martin, Président du musée du quai Branly. Tout est dit et tout reste à découvrir au fil des pages de ce grand livre de voyage et de rêves de tissus. On voudrait les toucher, les froisser, les faire tournoyer autour de soi, on n'hésiterait pas une seconde à se parer de ces robes pour être une de ces femmes de ces cultures encore lointaines jusqu'au 19e siècle et que nous ont fait découvrir, entre autres, les peintres orientalistes et pourtant si proches de nous aujourd'hui. Le contraste est d’autant plus étonnant entre les silhouettes uniformisées et sombres qui peuplent les rues des villes de notre monde contemporain et ces robes, manteaux, bijoux et voiles, véritables tableaux en Technicolor racontant les destins des toutes ces femmes qui depuis leur plus jeune âge ont appris, auprès de leur mère, point par point l'art de raconter qui elles seront et qui elles ont été. Chaque robe est l'identité même de chacune d'entre elles, de leur région, de leur religion, de leur milieu social, et peut se lire à travers des codes millénaires puisque la plus ancienne remonte à l'époque médiévale (1283). Ces milliers d'heures de broderies traditionnelles faites de milliers de kilomètres de fils colorés, sur les étoffes de cotons, de soie, de gaze, en prévision de leur mariage, font de ces vêtements de femmes de véritables œuvres d'art. Chaque page et chaque photographie de ce livre sont une réjouissance pour la vue. Autour d'une mise en scène inattendue, toutes ces robes semblent prêtes à s'envoler pour partager le destin de chacune de ces femmes d'Orient qui les ont créées. Tout au long de ce parcours dans le « croissant fertile », expression géographique du Moyen-Orient forgée au début du 20e siècle par l'archéologue américain James Henry Breasted, on découvre un équilibre entre la création et l'utilité, entre les paysages arides de ces régions et les couleurs vives des vêtements, leur gaieté et la sensualité de femmes qui les ont portés. Aujourd'hui, ces petits bijoux de tissus et d'histoires intimes se retrouvent dans les collections privées ou dans les musées et avec eux une part de la vie de ces femmes également...
C'est donc un catalogue très réussi que proposent les éditions Actes Sud et le musée du quai Branly, un catalogue qui est la parfaite illustration des propos de l'exposition et la complète idéalement. C’est un ouvrage à lire à l'ombre du feuillage d'un mûrier, un verre de thé à la menthe pour se désaltérer sans oublier à travers cet hommage historique, artistique et culturel, le sort et les combats quotidiens des femmes de l'Orient aujourd'hui.


Evelys Toneg

 

Shirley Neilsen Blum « Henri Matisse, chambres avec vue » Chêne Editions, 2010.

 



Quelle belle initiative que de réunir toutes ces « chambres avec vue » du peintre Henri Matisse en un seul ouvrage ! Il apparaît ainsi évident que cet encadrement se révèle omniprésent dans l’œuvre du peintre et que cela ne pouvait être fortuit. Les intérieurs du peintre étaient aménagés afin d’être un atelier du quotidien. Le peintre de la lumière portait sur toute chose un regard sans cesse renouvelé, et ce, jusqu’à la fin de sa vie. A la lecture de l’ouvrage de l’historienne de l’art Shirley Neilsen Blum, nous réalisons combien cette lumière naturelle, tant recherchée par le peintre, a été appréhendée par l’intermédiaire de l’encadrement de la fenêtre, tableau de la nature et prélude de la couleur.
La fenêtre réunit ce paradoxe surprenant d’être à la fois source inépuisable de lumière et en même temps limite et encadrement de cette profusion. Quel dilemme et quelle source inépuisable de réflexions pour l’artiste…
Shirley Neilsen Blum rappelle que les artistes de la renaissance feront très tôt la comparaison d’un tableau à une fenêtre ouverte. Le contraste entre le monde intérieur et les ouvertures vers les paysages et le ciel nourrira bien entendu toute une vision symbolique qui ne fera que s’accroître au fil des siècles. Matisse est ainsi d’une certaine manière l’héritier de cette tradition lorsqu’il esquisse la beauté de la création qui se reflète non seulement dans l’intérieur peint, mais également dans le regard que nous lui portons. Cette flèche acérée par la puissance des couleurs gagnera en intensité au fil des années, que l’on considère « La Toilette » peinte à Nice en 1919 et « Intérieur au rideau égyptien » réalisé dans les mêmes latitudes à Vence en 1948. La mutation est totale et notre regard peine à savoir si la fenêtre ouvre vers l’extérieur ou au contraire reflète le monde intérieur du peintre et par là même nos propres univers. Alors que Matisse sera atteint d’un cancer sur ses dernières années, quelle signification donner à ce chant ultime de la couleur ? Se veut-il une dernière larme versée à la beauté ou un testament pictural que nulle contrainte physique ne saurait réduire ?
Lorsqu’on interrogeait Matisse sur ces tableaux représentant des fenêtres, il répondait : « …l’espace ne fait qu’un depuis l’horizon jusqu’à l’intérieur de ma chambre-atelier et que le bateau qui passe vit dans le même espace que les objets familiers autour de moi, et le mur de la fenêtre ne crée pas deux mondes différents. »

 

Mauro Zanchi La Basilica di Santa Maria Maggiore, Una lettura iconografica della Biblia Pauperum di Bergamo, Ferrari Editrice.
 


La basilique Sainte-Marie Majeure est l’un des joyaux de la ville haute de Bergame. Quasi invisible de la piazza Vecchia, le Palazzo della Ragione joue les troubles fêtes en masquant la vue de la grande dame qui exige du temps pour être découverte. Une fois passé sous les voûtes admirables du Palais, un choc attend le visiteur : une basilique hors norme en des lieux si étroits a su se frayer un chemin vers le ciel et touche immédiatement le cœur du visiteur ému. C’est à ce monument d’exception tant par son architecture extérieure que par sa richesse intérieure étonnante qu’est consacrée une belle étude de Mauro Zanchi parue aux éditions Ferrari Editrice en langue italienne.
L’auteur souligne dès l’introduction que ce livre souhaite respecter le vœu des Pères de l’Eglise en considérant l’édifice sacré comme une « Bible des Pauvres ». Cette lecture sacrée iconographique a demandé de longues heures à son auteur afin de décrypter les corrélations entre la parole et l’imagination suggérée par les différentes représentations visibles dans tout l’édifice. Ce dialogue entre le visible et l’invisible a été entretenu au cours des siècles et ces échanges ne sont pas toujours faciles à considérer pour un contemporain de notre époque. Aussi est-il toujours nécessaire pour appréhender une peinture, une sculpture ou un mobilier architectural de se reporter à la théologie, à la philosophie et à la pensée de l’époque de son auteur. Pour saint Benoît, seul le Christ est l’image parfaite de Dieu et l’homme ne peut être qu’une image de l’image essentielle. La quête essentielle des artistes dés le Moyen-Âge sera de se rapprocher de cette image transcendante notamment par l’intermédiaire des représentations de celle qui a enfanté le Christ, la Vierge Marie, et donc donné à voir aux hommes une image de Dieu en son temps,.
C’est sur ces fondements qu’est organisée cette très belle étude où la richesse de l’iconographie est servie par une analyse remarquable qui va au-delà d’une analyse du seul édifice. Mauro Zanchi a en effet tout d’abord étudié la construction de la basilique dans son contexte médiéval en soulignant les nombreuses symboliques présidant à son édification. Puis viendra la prérenaissance italienne, le fameux Trecento (XIV° s.) qui apportera de magnifiques fresques à la basilique tel l’impressionnant « Arbre de la Vie » (L’Albero della Vita) sur la partie sud du transept. Le XVI° siècle verra une réalisation étonnante de Lorenzo Lotto, influencé par Bellini et Giorgione, avec des marqueteries situées dans le chœur de la basilique. Ces différents panneaux réalisés avec le concours de l’ébéniste Capoferri surprennent par la force de leurs évocations telle cette mer qui se referme sur l’armée de Pharaon sous les yeux du peuple d’Israël venant de traverser à pied sec.
Le XVI° et le XVII° siècles apporteront également de nombreux trésors à cette riche basilique qu’il s’agisse des nombreuses peintures de da Ponte, Cavagna ou Lolmo.
Véritable musée dédié à la Vierge Marie et à la gloire de Dieu, cette basilique est très certainement l’une des plus riches de la région et mérite toute l’attention du visiteur qui pourra préparer sa visite, ou la poursuivre, avec cet ouvrage remarquable !

 

...Retrouvez notre dossier sur la Lombardie...
 

Boccace « Le Décaméron » illustré par l’auteur et les peintres de son époque, La Petite Collection, Diane de Selliers Editeur, 2010.


Avec Boccace (1313-1375), nous entrons par la grande porte du Moyen-Âge italien, précédé par Dante et par Pétrarque plus connus des Français. Et pourtant l’homme du Trecento n’est pas un personnage mineur de la littérature et son fameux Décaméron a définitivement marqué le XIV° siècle par son originalité et acquit une place à part dans la production des idées de son temps. Pour quelles raisons ?
L’homme est complexe et sa pensée est à replacer dans le contexte d’une époque troublée au lendemain d’une terrible peste qui a ravagé Florence, ville qui a vu naître Giovanni Boccaccio, fils naturel d’un important homme d’affaires. Boccace écrira cent nouvelles qui feront de cette œuvre le premier chef-d'œuvre européen en prose en langue italienne. Les valeurs morales et les vices de l’homme constituent le cœur de cette pensée. Sept nobles demoiselles et trois jeunes gens ont fui la ville ravagée par la peste pour se protéger dans la campagne. Le récit de ces dix journées forme le cœur de ce Décaméron (du grec déca : dix et hêméra ; jour) ; dix journées qui d’une certaine façon vont être le reflet de la société florentine du XIV° siècle. Que voit-on dans ce miroir savamment poli par Boccace ?

Le récit se fait sous forme de nouvelles et la narration a recours, chaque jour, à une nouvelle histoire qui place l’homme au cœur du récit. Les grandes questions posées par la société de son époque sont soulevées au cours de ces propos faisant intervenir également de nombreuses interrogations morales. L’amour est bien sûr au centre de ces réflexions, un amour décliné sous toutes ses formes, des plus dignes aux plus viles…
Le Décaméron réunit de manière très souple de nombreuses traditions héritées de l’Antiquité avec les récits latins (Apulée), mais aussi des traditions orales ou encore les fabliaux. Ces nombreuses sources constituent un réseau savant à l’égard duquel l’auteur prend des distances soulignant ainsi la modernité de son écriture et préfigurant la future Renaissance italienne.
Il fallait une édition d’exception pour présenter un texte aussi précieux ; aussi, Diane de Selliers a-t-elle sectionné, comme à son habitude, une iconographie impressionnante réunissant plus de cinq cents œuvres d’art des artistes contemporains du Décaméron pour servir cette comédie humaine mémorable. Le Décaméron a nourri l’inspiration d’un très grand nombre d’artistes majeurs qui ont peint ou dessiné de nombreuses représentations des dix journées de cette jeunesse florentine. Boccace lui-même a illustré son œuvre à l’aide de dessins à la plume et à l’aquarelle, et la présente édition nous les propose pour la première fois au regard du texte !
(Andrea del Castagno, Boccace, fresque, première moitié du XVe siècle, Galerie des Offices, Florence.)
La puissance évocatrice du texte portée par la force du trait et du dessin sublime la lecture de ces récits : il suffit pour s’en convaincre de découvrir le détail de l’Allégorie de la Vanité et des plaisirs terrestres d’Andrea Bonaiuti dans la septième nouvelle de la deuxième journée ou encore la puissance dramatique de la potence installée en haut d’une colline telle un Golgotha médiéval attendant le supplice de Teodoro amoureux de Violante dans la septième nouvelle de la cinquième journée. Ce riche travail iconographique tisse ainsi un véritable maillage entre texte et image, mais autorise également l’expérience originale d’une « lecture » visuelle autonome du Décaméron par le truchement de ces représentations artistiques.
Véritable voyage dans la société italienne du Trecento, cette nouvelle édition du Décaméron (traduction de Christian Bec de l’édition italienne de référence de Vittore Branca) offre au lecteur du XXI° siècle une porte d’entrée idéale dans une pré renaissance italienne…

ANGOLA FIGURES DE POUVOIR Direction de Christiane Falgayrette-Leveau et conseiller scientifique, Boris Wastiau, Format 24 X 32 cm 312 pages – illustrations en couleurs et noir et blanc, Musée Dapper, 2010.

 

 

C’est un ouvrage d’envergure que nous proposent là les éditions du musée Dapper, sous la direction de Christiane Falgayrette-Leveau et de son conseiller scientifique, Boris Wastiau, entourés de spécialistes renommés tels Manuel Gutierrez, anthropologue et ethnologue – Maria Alexandra Miranda Aparicio, directeur des archives nationales d’Angola – Manuel Jordan, docteur en histoire de l’art africain – Barbaro Martinez-Ruiz, historien de l’art – Viviane Baeke, docteur en anthropologie – Maria do Rosario Martins et Maria Arminda Miranda de l’Université de Coimbra et Adriano Mixinge historien et critique d’art, conseiller culturel à l’ambassade d’Angola en France.
Comme un grand roman sur les arts de la mythologie la plus ancienne à aujourd’hui, ce catalogue raconte et illustre à quel point les sculptures et autres créations artisanales, objets de cour, de rituels, costumes, coiffes, ornements et parures…, ont le pouvoir d’agir sur le monde qui les entoure et par conséquent sur les hommes qui utilisent ces productions ou qui en subissent le pouvoir. Ce voyage, en 8 chapitres et des centaines de photographies en couleurs, à travers ces symboles du pouvoir et le pouvoir incontestable de ces symboles, ne laissera aucun lecteur insensible à la fascinante plastique qu’exigent les représentations de ce pouvoir. Chacun de ces articles peut être lu comme une aventure dans un univers qui pourrait nous dérouter si les superbes illustrations (détails, gros plans, en pieds…) des œuvres présentées ne fixaient dans nos esprits occidentaux, un peu de cette Afrique hypnotisante. Au fil des pages, l’univers des symboles devient moins obscur et le pouvoir prend une place à multiples dimensions qui aurait pu nous échapper autrement. Nous voilà partiellement initiés à l’histoire de l’Angola, son art rupestre, son archéologie, ses différents groupes culturels et leurs subtiles visions du pouvoir, nous voilà partis dans les méandres de cultures où s’entremêlent le conscient et l’inconscient, où la réalité frôle les ancêtres morts, où les messages d’autorité sont autant visuels que mis en mots ou chorégraphiés symboliquement, où nous devons accepter de perdre nos propres repères culturels quant au pouvoir en occident pour recueillir les informations délivrées par tous ces objets et figures de pouvoir et aller l’esprit ouvert visiter l’exposition au musée et lire, relire le catalogue. Serons-nous, un jour, exorcisés de nos peurs, nos angoisses, nos incompréhensions face aux cultures africaines ? L’exposition « Angola, figures du pouvoir » et son très beau catalogue nous aident à mieux admettre nos propres complexités et limites culturelles face à celles des autres cultures.
Le dernier chapitre dévoile la pensée et la démarche créatrice de l’artiste contemporain Antonio Ole. Sa liberté créatrice nourrie de ces voyages en Angola, étudiant ces peuples et leurs cultures, renonçant très tôt à la facilité de démarches stéréotypées, il transcende sa propre culture en laissant libre cours à son imagination. On découvre ses peintures, constructions, photographies, son œuvre cinématographique. Cet artiste multidisciplinaire est aujourd’hui le plus important des artistes angolais vivants.
Un grand merci pour ce beau livre d’art inspirant et pédagogique, mais c’est l’habitude du musée Dapper et de ses publications que de nous emmener au-delà de nos frontières culturelles pour mieux y retrouver notre essence humaine, le partage, la tolérance et l’acceptation des autres.

« Lisbonne » Edith Bricogne – Fernando Pessoa, Editions Chandeigne, 2011.

 


La ville de Lisbonne peut être approchée par la poésie de l’écriture ou de l’image, et les deux sont réunies, ici, dans ce très beau livre consacré à la ville aux sept collines. Le poète Fernando Pessoa chante la torpeur confuse des sensations aussi nombreuses que les petits pavés de la ville. Le fleuve barre les élans comme pour mieux ramener le promeneur à l’ombre des bleus azulejos, aussi nombreux sur les murs que les petits tramways jaunes au creux des chaussées… Les photographies d’Edith Bricogne ont bien su capter la lumière des bruits et des senteurs, ces verticalités déconcertées qui invitent au vertige autant qu’à la rêverie, selon les heures de la journée ou de la nuit. Ce livre n’est pas un manuel touristique, ni même un beau livre de plus où les illustrations serviraient de guide. Il serait plutôt l’écho d’un bruit sourd perçu parmi les nombreux bruissements de la ville, une fois les grandes artères délaissées et qu’il ne reste plus que les axes des rails abandonnés luisants à la lumière des lampadaires. Faut-il invoquer l’incontournable saudade, au risque de la galvauder ? Encourons cet écueil, tant les photographies d’Edith Bricogne semblent en avoir capté l’essence, en résonnance avec les trois extraits du Livre de l’intranquilité de Pessoa. Cet homme qui marche seul à la suite de son destin dans une rue sombre vient en parfait contrepoint avec la vie joyeuse d’une ruelle fleurie de linge, une belle journée de printemps, et qui se trouve au verso de la même feuille. Pessoa, lorsqu’il pleut sur Lisbonne, perçoit un je-ne-sais-quoi près de dégringoler dans cet extérieur noir, comme on le comprend ! Cette fragilité du poète est réchauffée quelques lignes plus loin par ce matin de mi- printemps qui confère aux choses et aux hommes un peu de tranquillité. Les lignes verticales et horizontales omniprésentes dans les prises de vue du photographe étreignent la vie de Lisbonne dans toutes ses possibilités. Le futur embrasse le passé en ne se retournant pas sur le présent, curieux paradoxe ! Il faudra longtemps déambuler dans ces quartiers de la ville, se perdant et se retrouvant dans les multiples labyrinthes qui l’habitent pour mieux goûter à l’intranquilité qui loin de nous effrayer, demeure grâce à cet ouvrage une très belle invite au voyage…


« De tout voyage, même du plus petit, je reviens comme d’un sommeil rempli de rêves – dans une torpeur confuse, les sensations collées les unes aux autres, ivre de ce que j’ai vu. »
Fernando Pessoa « Livre de l’Intranquilité »

Retrouvez le dossier que nous avons consacré à Lisbonne…

 

Marco Bussagli « Comment regarder… le dessin » Coll. Guide des Arts, Hazan, 2012.

 


Qui ne s’est jamais trouvé désemparé dans la « lecture » d’un dessin ? Comment porter son regard ? Selon quels critères ? Marco Bussagli est un orfèvre en la matière puisqu’il est titulaire de la chaire d’anatomie artistique de l’Académie des beaux-arts de Rome et professeur à l’université de Rome et de Palerme. L’auteur, digne héritier du monde latin, rappelle l’étymologie du mot dessin et souligne la parenté avec le verbe latin designare : marquer, représenter, indiquer. Cette représentation vaut exploration du monde selon Marco Bussagli, dans sa réalité tout autant que dans son imaginaire. Le dessin, par cette ouverture sur l’univers duquel il dépend étroitement, est également un miroir de celui qui le pense, le trace et l’offre à interprétation. Ce tissage très fin avait ainsi besoin d’un guide afin de démêler ces questions complexes, c’est ce que propose ce dernier volume de la collection Guide des Arts. Le professeur Bussagli a fait ici œuvre didactique tout en offrant en même temps une réflexion de fond. Le lecteur sera peut-être surpris de constater ce grand écart évoqué dans ces pages entre les premiers dessins rupestres et les dernières créations artistiques sur ordinateur, mais l’un des nombreux intérêts de ce guide est justement d’offrir une vue élargie sur ce qui a souvent fait l’objet d’analyses académiques plus restreintes. L’amateur d’art tout autant que l’étudiant en histoire de l’art ou des Beaux-arts trouvera ici matière à enrichissement dans ces très belles pages où l’auteur souligne le dessin comme geste, s’attarde sur l’ampleur des ombres et des lumières où la feuille entretient un dialogue étroit avec le trait qui la rencontre…
Viendra après un panorama très complet de la genèse du dessin et de son essor jusqu’à notre époque, vaste histoire du dessin où de nombreuses œuvres sont décortiquées par l’auteur en une analyse vivante, avec de nombreuses flèches pointant sur les détails soulignés. Les sujets, les techniques employées nous font entrer au cœur du tracé, dans une intimité qui sera bien précieuse lors des prochaines découvertes dans les musées et les expositions !

 

Les mosaïques de Saint-Pierre de Rome, 352 pages Format : 24 x 32,5 cm Reliure : sous jaquette et étui illustrés, 2011, Citadelles & Mazenod, 2011.

 

 

La mosaïque n’est-elle pas le reflet de notre âme, morcelée et en même temps unie par un tout, représentation générale et incroyable diversité du détail ? Cet art hérité de l’Antiquité ne cesse d’étonner et d’émerveiller le spectateur contemporain, toujours interdit par tant de virtuosité mise en œuvre à partir du presque rien. La basilique Saint-Pierre est bien connue pour constituer à elle seule une représentation non seulement architecturale mais également picturale du sacré. Lorsque ces deux réalités se rencontrent, cela donne un festival d’art sacré, un véritable livre ouvert de la foi depuis ses fondements les plus intimes, jusqu’à ses manifestations les plus liées à l’histoire du christianisme. Des milliers de mètres carrés s’offrent à celles et ceux qui ont cœur à pénétrer dans l’esthétique de la transcendance et en même dans le sein même de notre humanité. Comme le relève le cardinal Angelo Comastri, ces œuvres d’art uniques constituent d’une certaine manière une catéchèse en images qui était familière aux générations passées et beaucoup plus éloignée de nos contemporains. Il appartient ainsi au siècle présent de ne pas laisser s’échapper cet héritage et de renouveler la diffusion de ce message spirituel dans le contexte de notre époque moderne. Une telle entreprise éditoriale en est le signe le plus convaincant. Les tesselles de ces tableaux de pierre parlent de nouveau, elles perpétuent ainsi ce message fondateur du « Tu es Petrus » initié par le Christ au premier apôtre et à ses successeurs. Cette pierre est constitutive de l’Eglise, la pierre angulaire rejetée et en même temps clé de voute de toute l’humanité. Par analogie, la pierre témoigne de cette espérance des hommes : à la fois témoignage, acte de foi et en même temps célébration du divin fait homme. Chaque niche, chaque coupole, même la plus petite lunette abritant une mosaïque livre dans ce somptueux ouvrage cette éternelle louange de Dieu qui impressionne toujours autant les visiteurs de la basilique et dont il sera possible de mieux comprendre le message grâce à cet ouvrage !


La Chapelle Sixtine, préface d’Alexandre Gady, 340mm x 400mm, 40mm dos, 288 pages, 3540g, Relié sous jaquette, 210 illustrations Editions Place des Victoires, 2011.

 

 

Il fallait un ouvrage à l’ampleur de la tâche : représenter la Chapelle Sixtine, l’un des plus hauts lieux de l’art sacré aux yeux de l’humanité, et l’essai est réussi ! A celui qui a fait l’expérience de visiter la Chapelle et de suivre cette découverte par la lecture de cette nouvelle parution, il sera réservé une heureuse surprise : le génie des lieux dans sa puissance évocatrice monumentale est associé à la possibilité simultanée d’en goûter les détails, un à un, chose impossible à réaliser du parterre de la Chapelle. Les lectures de cette voute sont multiples et les admirables photographies des détails des fresques en facilitent leur découverte et analyse. Nous avons l’étrange impression d’être monté sur un échafaudage, une bougie au front et une palette à la main en ce XVI° siècle italien, nous oserions presque imaginer nos premières esquisses dans la pénombre tant le génie de Michel Ange est ainsi palpable, accessible, humain même pour le commun des mortels. C’est cette alchimie extraordinaire que réalise cette édition des détails des fresques, à savoir l’idée d’un art non plus inaccessible du parterre de notre quotidien de touriste anonyme mais au contraire cette volonté de partage de l’idée de beau, alors même qu’elle est honorée par l’un de ses plus illustres représentants. Cette communion qu’autorise l’art est ici parfaitement rendue, nous intégrons ces représentations de la Chapelle Sixtine en méditant sur le visage inoubliable du prophète Jérémie, le visage penché à l’idée de l’annonce du Jugement…
Les scènes sont parfois d’un dramatique à faire pâlir d’envie les réalisateurs de cinéma du XXI° siècle, la force d’évocation gagne en enfonçant un coin qui définitivement ébranle nos certitudes. Quel contraste entre ces bienheureux montant au ciel, progressivement, la peau de leur corps quitte leur habit de pénombre et gagne la lumière éternelle. Et combien plus terrible nous apparaît la lugubre barque des damnés, leur visage semble comme résigné face à la terreur qui les empoigne physiquement, et broie littéralement leur cœur dans un étau. Tout cela s’anime dans un tourbillon incroyable sur le papier, surtout lorsque nos souvenirs introduisent cette expérience d’une visite qui donne une autre lecture, d’ensemble celle-là, indissociable pour la compréhension générale de l’œuvre. C’est un beau voyage auquel nous invite cette parution monumentale, un voyage inoubliable dans le cœur de ce que l’homme a à dire de plus beau !

 

Sorcières , mythes et réalités. Co-édition Ladresse et LVE, 2011.
 


Curieusement ce catalogue se lit comme un roman. Un roman d’histoire et d’histoires vraies. Des histoires de sorcières… Mais pas celles des contes de fées ! Les histoires de toutes ces femmes qui ont été désignées comme sorcières, qu’elles le fussent ou non. Ce catalogue qui illustre l’exposition actuellement au musée de la poste, ne commence pas par « il était une fois… », même si dans les contes et légendes populaires, les sorcières y tiennent depuis toujours une place de choix !
Non, cet ouvrage qui se lit si facilement est à prendre comme un témoignage historique et ethnologique de ce que la vox populi, vox dei, ont réservé comme sort aux fiancées de Satan.
Dans son avant-propos Claude Signol écrit « ce qu’on va demander à un sorcier, c’est le sorcier lui-même. Il n’existe que par la foi que les hommes lui portent… » C’est bien de cela qu’il s’agit et de ce qui va être approfondi tout au long des chapitres de ce catalogue : les croyances populaires dans ce qu’elles auront eu de plus cruelles et de plus culpabilisantes dans notre pays entre les 13es et le 20e siècle. De tout temps, les hommes ont cherché des réponses aux mystères de l’existence ainsi qu’à ceux de la nature en se tournant vers des forces surnaturelles ou des divinités auxquelles ils attribuaient des pouvoirs particuliers de bienveillance à leur égard ou au contraire de punitions ou vengeances. Dans toutes les sociétés humaines de par le monde, la sorcellerie a eu, et a encore, sa part de pouvoirs. Ce catalogue suit ainsi en parallèle, la démarche de Patrick Marchand, commissaire de l’exposition, en complétant celle-ci par des textes expliquant les mécanismes de croyances persistantes au surnaturel et ses dérives, de la peur collective à la délation, de l’accusation à la mise en place d’une justice appelant des procès et condamnations à mort de personnes qui n’ont pas bénéficié du doute et furent accusées de sorcellerie. Face à la toute puissance de la religion et à la nécessité de laisser le peuple inculte, afin de mieux le manipuler, la création des mythes populaires autour des sorcières et de leurs missions sataniques a été facilement mis en place dans la conscience collective. De l’imaginaire de la sorcellerie au bilan des persécutions, ce catalogue propose un grand nombre d’illustrations de tout ce qui entoure cet univers fascinant et angoissant, des représentations picturales, des reproductions de gravures à l’affiche de cinéma, de grimoires pleins de recettes de sortilèges, aux verdicts des procès, des objets intimes des sorcières aux photos et cartes postales du siècle dernier de ces femmes (et hommes) de nos campagnes. Une quinzaine de références bibliographiques sont données en fin de catalogue pour tous ceux qui souhaitent approfondir leurs connaissances ou bien qui sait…se lancer dans les sciences occultes et autres sorcelleries !



Evelys Toneg

 

Mascarades et carnavals. Le catalogue. Editions Dapper, 2011.

 


Voici un nouveau catalogue des éditions du musée Dapper, particulièrement esthétique, qu’il faudra avoir dans sa bibliothèque, en parallèle à l’exposition « Mascarades et carnavals » jusqu’ 15 juillet 2012.
Les superbes photos des masques et créations uniques qui illustrent ce catalogue sont chacune autant de témoignages sur les liens réels, mais pas toujours identifiés comme tels, entre l’Afrique et les Caraïbes, dans les traditions autour des carnavals et mascarades et de leurs mises en scène, de la « mise en mouvement des masques » et des chorégraphies « du jeu et de la réalité » de ces objets chargés de symboles, pour reprendre le titre du chapitre de Jean-Paul Colleyn. Autant de grâce et d’irrévérence pour ce jeu social typique que sont ces moments de grand chambardement qui mettent les conventions à l'envers, mais où chaque élément, chaque personnage de ces défilés collectifs enfiévrés, ont une signification, une fonction et une action précises ; où les couleurs, les gestuelles, les formes et les sons répondent à une codification qui a son sens propre, existant uniquement à cette occasion. Claude Lévi- Strauss en avait bien saisi le sens dans son livre « La voie des masques ».
« Comment penser ensemble les créations culturelles de l’Afrique et des Caraïbes ? » C’est la question que pose Jean-Luc Bonniol dans la postface de ce catalogue et qui pourrait bien tenir lieu de fil d’Ariane de tous les différents chapitres de cet ouvrage collectif, qui traitent de ces objets chargés de sacré, de pouvoirs bienfaisants ou néfastes, d’exutoires aux peuples, de transferts vers d’autres dimensions, de résurrection de personnages historiques ou d’apparitions magiques ou spirituelles, que sont les masques et costumes, les peintures corporelles et créations artistiques contestataires, tous éphémères dans le temps et caractéristiques des mascarades et carnavals d’Afrique, de Martinique, de Guadeloupe, de Trinidad et de Guyane.
Autour de Christine Falgayrettes-Leveau, directrice du musée Dapper, une équipe d’ethnologues et d’anthropologues se sont penchés sur des thématiques bien précises de cet art de la dérision encore si vivant dans les pays d’Afrique et des Caraïbes. Ecrits dans un langage clair et compréhensif de tous, ces articles se lisent aisément, sans connaissance particulière si ce n’est la curiosité pour d’autres mœurs et cultures qui nous emmènent loin de nos carnavals commerciaux occidentaux, ayant perdu leur sens originel.
Précieuses sont les notices biographiques, les cartes géographiques et les notes des auteurs et les références bibliographiques en fin d’ouvrage qui ouvrent toujours à plus de recherches et de connaissances sur les thèmes proposés.
Le musée Dapper nous a habitués à des livres de référence et ce dernier catalogue n’échappera pas à la règle !

Site du musée www.dapper.com.fr
Musée Dapper – 35, bis rue Paul Valéry – 75116 Paris
Tel : 01 45 00 91 75
 

 

MAORI - leurs trésors ont une âme Coédition du musée du quai Branly – Somogy Editions d’Art 192 pages - 21 X 24 cm - environ 156 photos et illustrations NB et couleurs.
 



«Dans le monde Maori, on dit que Rangi, le ciel est le père, la mère est la terre, et qu’ils ne furent séparés que pour laisser entrer la lumière dans le monde et faire de la place aux vivants. Ils ne se sont jamais vraiment détachés l’un de l’autre.» écrit Fiona Kidman. Ceci laisse entendre l’importance de la tradition et du mode de culture très proche de la nature des Maori.
C’est dans le catalogue de l’exposition « Maori, leurs trésors ont une âme » que l’on retrouve toute l’âme de cette civilisation étonnante de volonté de vivre pleinement son identité et d’évoluer à travers les époques, comme de s’intégrer à celle de la Nouvelle Zélande contemporaine, qui en s’occidentalisant ne laisse plus la place à la culture des peuples d’ origine, peuples qui ont subit cette terrible invasion économico-culturelle inadéquate et qui se voudrait toute puissante ayant totalement perdu de vue l’essentiel de la culture ancestrale. Dans cet ouvrage, c’est justement là où nous mène l’âme des trésors Maoris, à l’essence même de leur culture, le respect de la nature mère, de l’environnement, de l’esprit des ancêtres, de la langue oubliée qui renaît, des luttes politiques pour le droit d’exister et de l’engagement des nouvelles générations qui veulent porter haut leurs racines, leurs origines et leur culture. Chapitré comme l’exposition actuellement au musée du quai Branly, on tourne les pages de ce catalogue, illustré de très belles photos noir et blanc et couleur, dans la douceur et la rudesse des traditions et du fort symbolisme de la culture Maori. Une première partie historique donne le ton de la détermination de ce peuple à exister sur ses terres propres et à en gérer les ressources. A travers les différents traités signés, c’est la lecture des victoires des Maori qui nous est démontrée. Dans chaque chapitre qui traite d’un aspect particulier de la culture et des rites Maori, sont montrés les trésors, œuvres ancestrales et celles plus contemporaines ; ce savoureux mélange des époques renforce terriblement l’impression d’avancement des Maori dans l’intégrité de leur identité et le respect total des traditions sans rejeter l’évolution de l’époque mais en l’intégrant dans leur démarche culturelle et artistique.
Le Haka de powhiri ou défi de bienvenue (photo de couverture que l’on retrouve entière p.64) invite à parcourir plusieurs fois ce catalogue et à relire chaque chapitre attentivement, chacun étant le bienvenu dans la culture des Maori, culture d’une haute spiritualité, puisque chaque geste humain y est reconnu à sa juste valeur, donc chaque geste humain est important.

Notes et glossaires nous aident à intégrer la signification profonde des termes en langue Maori, dont la subtilité pourrait nous échapper.


Evelys Toneg

 

Fra Angelico et les maîtres de la lumière Musée Jacquemart-André, Institut de France, Editions Fonds Mercator, 2011.

 



Nous sommes à Florence, au début du XV° siècle. Le style gothique marque encore de son empreinte l’espace culturel de l’Italie du Nord alors même que sourde une profonde mutation. L’ouvrage publié à l’occasion de l’exposition « Fra Angelico et les maîtres de lumière » au musée Jacquemart-André traduit l’écho de cette période si riche, non seulement en or et en lumière, mais également en créativité artistique dans cet espace si réduit de l’Europe à peine sortie du moyen-âge.
L’or rayonne incontestablement dans les œuvres de Fra Angelico qui reste et demeure avant tout un « moine peintre » comme le souligne Jean-Pierre Babelon, président de la fondation Jacquemart-André, en introduction au livre. La foi sera en effet cette lanterne toujours allumée dans la vie de l’artiste et jettera ses rayons sur toutes ses représentations picturales. Guido di Pietro naît avec le début du XV° siècle à Vicchio di Mugello et ne prendra le nom de Fra Giovanni, que vingt ans plus tard, lorsqu’il prononcera ses vœux au couvent dominicain de Fiesole. D’où vient alors ce qualificatif « Angelico » ? Un poème rédigé par Domenico di Giovanni da Corella qualifia le peintre de « Angelicus pictor » avant d’être décrit dans les mêmes termes par le célèbre Vasari dans ses Vite, Fra Angelico allait ainsi recevoir un nouveau nom passé à la postérité, nom emblématique de son œuvre créatrice.
Mais, si le frère Giovanni est un peintre dévot, sa peinture et toute son œuvre dégagent un sens esthétique et créatif apprécié à sa juste valeur ces dernières décennies comme le rappelle Giovanna Damiani, commissaire de l’exposition. Le point d’orgue de sa production artistique se manifestera avec la décoration à fresque des cellules du couvent de San Marco. Un éclairage significatif de cette vaste création nous est donné avec l’admirable Vierge en trône accompagnée de saints, plus connue sous le nom de Madone des ombres. Cette fresque réunit à elle seule à la fois les qualités artistiques de son auteur, ses novations audacieuses dans le traitement de la lumière et des ombres, mais également la profondeur spirituelle de la Conversation sacrée, réservée pendant longtemps aux seuls membres du couvent. Nicolas Sainte Fare Garnot, conservateur du musée Jacquemart-André et commissaire associé de l’exposition, poursuit ce parcours dans l’œuvre de Fra Angelico en soulignant le fait qu’il s’agit de la première exposition d’importance réservée au peintre dans notre pays tout en avouant humblement qu’il est impossible de réunir les œuvres majeures du peintre hors d’Italie. Toujours est-il que des œuvres comme Le Couronnement de la Vierge, présente dans l’exposition, offre un bel exemple des audaces du peintre, entre traditions et novations.
Ce très beau livre permettra également de mieux connaître les autres maîtres de lumière réunis pour l'exposition avec des études sur toutes les peintres de cette première moitié du XV° siècle à Florence : Andrea di Giusto , Zanobi Strozzi, Domenico di Michelino, Giovanni di Consalvo…
 

« Au royaume d’Alexandre le Grand : la Macédoine antique » sous la direction de Sophie Descamps-Lequime, coéditions Musée du Louvre / Somogy, 2011.

 


Plus de 700 pages et près de 600 illustrations font de ce catalogue une somme impressionnante digne de l’évènement organisé au Musée du Louvre pour l’exposition consacrée au royaume d’Alexandre le Grand. Si la Macédoine reste indissociable du personnage historique, elle doit également beaucoup à la promesse de Philippe II, le père d’Alexandre, de venger l’affront subi par les Perses lors des guerres médiques. Cette revanche à prendre sur l’ennemi qui animait le père trop tôt assassiné pour l’assouvir a nourri le jeune Alexandre, élevé avec le culte des héros de la mythologie grecque ainsi qu’avec une vénération toute particulière pour Achille, le fougueux combattant. Un homme, un destin et une terre qui allaient ensembles bouleverser l’équilibre du monde antique en quelques années seulement, voici les éléments réunis dans cette somme importante réalisée sous la direction de Sophie Descamps-Lequime. Le lecteur pourra bien entendu retrouver dans ces pages les six cents œuvres présentées dans l’exposition, certaines d’entre elles n’ayant jamais été présentées au public. Les découvertes archéologiques ont été déterminantes ces dernières trente années pour dresser une nouvelle histoire de la Macédoine antique tel que l’y invite cette importante exposition. Comme le rappellent les auteurs du catalogue, c’est une histoire globale de la Macédoine qui est proposée sous l’angle de ce qu’elle deviendra avec Alexandre, depuis les premiers temps de l’âge de bronze jusqu’au début du IV° siècle apr. J.-C.
Il convient d’avoir à l’esprit en effet la géographie, l’histoire ainsi que les premières sociétés de la Macédoine pour mieux apprécier le tournant que représentera la royauté macédonienne d’Alexandre Ier à Alexandre le Grand aux Ve et IVe (p. 250 et s.).
A la périphérie du monde grec antique, la Macédoine mène une vie à l’écart des conflits plus au sud. Ce n’est que progressivement que la Macédoine acquiert un certain poids dans les affaires grecques.
Le catalogue souligne l’importance des réformes apportées à l’armée par Philippe II puis par Alexandre III avec notamment la création de la redoutable phalange macédonienne qui allait rapidement faire parler d’elle sur les champs de bataille. L’équipement suit bien entendu ces évolutions comme il sera possible de le remarquer dans les nombreuses pièces décrites dans cette section et exposées au Louvre. C’est évidemment l’âge d’or avec le développement des trois grands centres macédoniens avec leurs palais et leurs nécropoles dont la parure de « la Dame d’Aigai » témoigne la splendeur et la richesse.
C’est également au chapitre consacré au royaume de Macédoine à l’époque hellénistique qu’il faudra également accorder toute son attention. La gloire et la fascination pour l’empire conquis si brillamment et en si peu de temps firent du trône de Macédoine l’objet de toutes les convoitises pour ce seul legs, et ce jusqu’à la domination romaine en 168 av J.-C.
Cette riche publication consacre également de longs développements à la société macédonienne aux époques classiques et hellénistiques permettant de mieux comprendre les objets du quotidien présentés dans l’exposition. Les arts et les croyances au temps des Macédoniens font également l’objet de synthèses éclairantes avant de conclure sur la Macédoine romaine, dernier reflet du mythe d’Alexandre et de son empire, repris de manière bien habile par le nouveau conquérant romain !

 

____ Notre chronique de l'exposition ____

 

« Ecrire la Sculpture de l’Antiquité à Louise Bourgeois » Sophie Mouquin, Claire Barbillon, Citadelles & Mazenod Editions, 2011.

 



La main de l’artiste et la main de celui qui écrit ont souvent été confondues dans l’histoire de l’humanité. Que le calligraphe élabore ses volutes ou que le maître zen souligne par quelques traits la vacuité du monde, l’écriture se fait dessin et le dessin, écriture. Graphein en grec ancien renvoie à l’idée de faire des entailles, graver des caractères, évoquant ainsi un lien indissociable entre écriture et représentation visuelle. Pour Paul Klee, écrire et dessiner signifiait la même réalité. On dira souvent d’ailleurs d’un artiste créant une icône qu’il l’écrit et non qu’il la peint. Qu’en est-il alors des liens qui unissent sculpture et écriture ? Si la peinture a nourri une riche tradition avec la littérature, la sculpture a-t-elle profité des mêmes attentions ?
La pratique de la rhétorique antique a souligné dès l’empire romain, avec l’ekphrasis, l’idée d’un discours qui permettrait de dégager une certaine représentation visuelle de ce qui est évoqué. Il va sans dire que cette pratique a non seulement influencé la peinture, mais également la sculpture avec, par exemple, les descriptions de Callistrate sur la statuaire grecque classique. Ces différents niveaux de discours (celui de l’artiste créant la sculpture, et celui de l’écrivain décrivant l’œuvre) iront en complexité croissante si l’on songe aux commentaires pratiqués par les humanistes de la Renaissance tel Blaise de Vigenère lors de traduction de l’œuvre du même Callistrate. Ces enchevêtrements de représentations tissent un tissu si serré que l’œuvre se confond avec le verbe qui les décrit, maillage inextricable qui parfois dépasse la « réalité » lorsque l’œuvre décrite n’a dans certains cas peut-être même jamais existé ! (cf notre chronique de l’ouvrage de Blaise de Vigenère récemment paru aux Éditions La Bibliothèque, «La Description de Callistrate de quelques statues antiques tant de marbre comme de bronze (1602) », ainsi que l’interview d’Aline Magnien responsable de cette nouvelle édition)
Nos contemporains auront donc fort à faire avec cette très belle réalisation de Sophie Mouquin et Claire Barbillon, toutes deux universitaires en Histoire de l’art. L’ouvrage est monumental non seulement par son iconographie exceptionnelle (350 illustrations couleurs dans un format 350 x 290), mais surtout dans la manière où celle-ci a été mise en rapport avec les textes des plus grands écrivains et essayistes. Car l’acte d’écrire sur la sculpture ne va pas de soi, contrairement aux nombreux textes inspirés par la peinture. Par son emprise particulière dans l’espace, le fait qu’elle ne puisse être appréhendée comme une page d’un livre ou d’un tableau, la sculpture a besoin de se « dérouler » pour livrer un dialogue avec celui qui la regarde. Il suffit d’observer dans un musée les visiteurs « abordant » une sculpture pour relever que l’angle peut être intime en approchant l’œuvre de côté ou bien encore l’abord peut-être audacieux avec un face à face hardi pour les plus téméraires, choc qui cède souvent à l’esquive et à la souplesse du regard dans un second temps… Cette particularité de la sculpture a ainsi nourri un dialogue bien particulier, en témoignent les textes ici fort à propos réunis. Le lecteur pourra également à ravir se délecter des propos introductifs des deux auteurs qui offrent une belle invitation aux rapports complexes de l’écriture et de la sculpture.
Par la suite, c’est au fil des pages, de manière chronologique de l’Antiquité à Louise Bourgeois ou au contraire de manière « désordonnée » que certains goûteront le texte de Rudolf Wittkower sur la sculpture de Franz Xaver Messerschmidt qui « n’avait jamais douté un instant de l’existence effective des esprits » ! Ce lecteur pourra encore rêver à cette « Main de Dieu » d’Auguste Rodin avec le texte de Rainer Maria Rilke sur ces mêmes mains sculptées par l’artiste, et nous savons la profonde admiration portée par le poète au grand sculpteur…
Le chemin est pluriel, chacun pourra faire sa lecture du rapport entre la chaleur du marbre ou de la pierre et les entrelacs dessinés par l’écriture, nous entrons alors dans un monde bien particulier, un peu secret, dont il sera difficile de ressortir avec cette très belle édition !


Auteur(s) : Sophie Mouquin, Claire Barbillon
Date parution : 04/04/2011
Dimensions : 350 x 290
Editeur : Citadelles & Mazenod
Format : Ouvrage relié semi toilé sous coffret illustré
Langue : Français
Nombre de pages : 512
Technique(s) : 350 illustrations couleurs
Les auteurs : Sophie Mouquin est maître de Conférences en Histoire de l’art moderne à l’Université Charles de Gaulle Lille III. Lauréate en 2004 du Prix Nicole (CFHA) puis de la bourse Focillon (CFHA et Yale University) en 2007, elle est l’auteur d’ouvrages sur l’ébéniste Pierre IV Migeon, 1696-1758 (2001), sur le Style Louis XV (2003) mais aussi d’articles sur les marbres de la Couronne. Claire Barbillon est maître de conférences à l’université de Paris-Ouest Nanterre La Défense et directrice des études de l’Ecole du Louvre. Spécialiste de l’histoire de la sculpture du XIXe siècle, elle est l’auteur des Canons du corps humain au XIXe siècle. L’art et la règle (2004), et a contribué au catalogue de l’exposition Oublier Rodin ? La sculpture à Paris 1905-1914 (2009) ainsi qu’à l’ouvrage La Mémoire à l’œuvre. Les archives Antoine Bourdelle (2009).
 

 

 

 

 

MUSIQUE

Delphine Grivel « Maurice Denis et la musique » Editions Symétrie, 2011.

Maurice Denis a nourri un rapport très étroit à la musique, comme en témoigne toute son œuvre. L’étude particulièrement détaillée de Delphine Grival parue aux éditions Symétrie débute par un beau témoignage emblématique de ces liens. L’organiste Marie-Claire Alain, sœur du compositeur Jehan Alain, évoque en effet ses souvenirs alors qu’elle se rendait, petite fille, avec toute sa famille au Prieuré de Saint-Germain-en-Laye (actuel musée Maurice Denis) rendre visite à la famille de Maurice Denis pour y jouer de la musique et y suivre les offices à la chapelle. Ces réminiscences montrent avec quelle spontanéité la musique côtoyait les autres arts, en accord parfait avec le sacré, omniprésent chez le peintre.
Maurice Denis aura très tôt un goût marqué pour la musique, et les affinités qu’il tissera avec d’autres peintres, les fameux nabis, laisseront toujours une large place à la musique jusqu’au début du XX° siècle, date à laquelle le groupe se séparera. Si Maurice Denis ne jouait d’aucun instrument, il semble qu’il connaissait suffisamment la musique pour savoir la déchiffrer. Très rapidement, il nouera des liens très étroits avec les grands musiciens de son époque. C’est chez Henry Lerolle, qui apprécie sa peinture, qu’il rencontrera, non seulement des écrivains (Claudel, Mallarmé, Gide…), des peintres (Renoir, Degas…), mais également des musiciens de renom tels que : Claude Debussy, Pau Dukas, Vincent d’Indy.
Il faut imaginer ces salons où les musiques de Beethoven et de Chopin étaient interprétées sous les doigts d’Alfred Cortot ! C’est également par l’intermédiaire du même Henry Lerolle que Maurice Denis fit la connaissance d’Ernest Chausson dont il deviendra très proche.
L’appétit musical du peintre est insatiable et il découvrira les grandes œuvres de son temps à l’opéra ou dans les salles de concert qu’il visite assidument. Ce sera pour lui l’occasion de multiples sources d’inspirations dont les prémisses seront souvent notées dans son précieux Journal. La musique accompagnera le musicien jusqu’à ses funérailles puisque Marie-Claire Alain se souvient d’avoir joué elle-même à son enterrement l’émouvant choral de Bach, Herzlich tut mich Verlangen BWV 727, une pièce d’Albert Alain, son père, et le profond Troisième Choral de César Franck que Maurice Denis aimait tant…
Cette très belle étude consacre également de longs développements sur la musique dans l’œuvre de Maurice Denis et c’est avec ces pages que le lecteur prendra conscience des rapports intimes entretenus par les deux arts chez le peintre. Que l’on pense à la frise de la Coupole du Théâtre des Champs-Élysées ou au panneau « La musique sacrée » décorant la galerie latérale du théâtre du palais de Chaillot, œuvres dans lesquelles peinture et musique entretiennent un discours que Maurice Denis a su percevoir et suggérer dans ses toiles. Tout cela est bien entendu fait avec grâce et discrétion, mais ces échanges prennent vie dans ses toiles comme celle intitulée « Le Miracle » de la Légende de saint Hubert réalisée en 1897 où les sons des trompes de chasse ne cessent de résonner dans la forêt éclairée par l’apparition du sacré. Cette musique peut également se faire cantate lors d’un concert d’un « Soir florentin ». La danse, indissociable de la musique, est également omniprésente dans l’œuvre de Maurice Denis et il n’est pas rare d’apercevoir dans de nombreuses toiles des danseuses rythmer de leurs pas légers les accords esquissés par Maurice Denis…
Ce rapprochement entre musique et peinture à partir de l’œuvre de Maurice Denis ouvre de nombreuses perspectives, non seulement aux chercheurs et aux passionnés d’art, mais également à tous les mélomanes. Ce livre démontre en effet que tout le travail de l’artiste dépasse largement les catégories académiques en cherchant à appréhender une « réalité » au-delà de toutes frontières. L’œil de Maurice Denis peut être musique, de même qu’il perçoit et parvient à rendre le mouvement de toute chose dans ses toiles. Sa quête de l’absolu justifie sans doute de tels rapprochements et cet ouvrage permettra d’en apprécier les manifestations dans toute leur étendue !

 

Berlioz, textes et contextes, édité sous la direction de Joël-Marie Fauquet, Catherine Massip et Cécile Reynaud, Société française de musicologie (distribution Editions Symétrie), 2011.

A l’image de Franz Liszt, Hector Berlioz a nourri un rapport intime entre l’écriture et la musique, les écrits et la composition musicale. Le présent volume rassemble les contributions d’un colloque tenu en 2003 sur ce rapport bien particulier du musicien à un univers littéraire qui nourrissait intimement ses compositions. Comme le relèvent les auteurs de l’introduction à ce livre, Berlioz était un écrivain né, et c’est bien plus dans les arcanes de ces liens étroits qu’il faut chercher le processus de créativité du musicien que dans des impulsions dues à une vie survoltée. Son ami, Heinrich Heine lui-même, s’était trompé sur le compte de Berlioz, au grand désespoir de ce dernier, en ne voyant dans la production du musicien que d’énormes monstruosités, un fantastique qui prédominait et autres « impossibilités entassées ». Plus profonde qu’il n’y parait, l’inspiration du musicien semble avoir été très largement associée à une insatiable soif de lectures, multiples et diverses et qui influenceront l’écriture de nombreuses compositions à différents niveaux. Berlioz est en effet un grand lecteur. A l’image de Mishima troublé par le tableau du martyre de saint Sébastien peint par Guido Reni, Berlioz, encore adolescent, doit interrompre sa lecture de l’Enéide au moment du suicide de Didon, tellement l’émotion était forte. Goethe bien entendu sera une révélation avec son Faust, et Shakespeare le foudroiera selon ses propres termes : « Son éclair, en m’ouvrant le ciel de l’art avec un fracas sublime, m’en illumina les plus lointaines profondeurs. Je reconnus la vraie grandeur, la vraie beauté, la vraie vérité dramatiques. »
Et, en écrivain exigeant, lorsqu’il trouvera trop faibles les livrets sur lesquels il devait composer, il n’hésitera pas à les réécrire lui-même, manifestant dans cet art un talent souligné par la recherche musicale actuelle.
Cette écriture n’est-elle que relative et dépendante des compositions musicales de Berlioz ou alors ses nombreux textes et écrits ont-ils une valeur indépendante qui les rendrait accessibles à un public autre que celui des salles de concert ? La force de la narration tient avant tout dans sa présence rythmique, une pulsation qui anime directement les textes, au-delà des contenus, comme le souligne une des contributions de ce volume d’études. Berlioz apparaît ainsi à la lecture de ces nombreuses et riches contributions sous un jour nouveau, bien plus « rationnel » que l’on a l’habitude de le considérer. Il est un homme de son temps, les sciences physiques ont suscité son intérêt, et il pose de la même manière un regard éclairé sur les grandes questions esthétiques de son temps, battant ainsi en brèche l’image surfaite d’un Berlioz impulsif. Flaubert avait recommandé en termes éloquents à Maupassant de lire la Correspondance du musicien, après lecture de ces actes du colloque, nous comprenons mieux pour quelles raisons !

 

Anne Boissière « La pensée musicale de Theodor W. Adorno, l’épique et le temps » Beauchesne éditions, 2011.

Anne Boissière s’attache dans la présente étude à un personnage qu’elle connaît bien pour lui avoir consacré une thèse ainsi que de nombreuses analyses, Théodore W. Adorno. C’est sous l’angle de ses écrits musicaux que l’universitaire place l’analyse de cet ouvrage en posant deux questions essentielles qui vont structurer sa recherche : quelle articulation mettre en évidence entre philosophie et musique ? Et de quelle musique peut-il être question, quel objet d’analyse ? L’auteur souligne, en premier lieu, une lacune cruelle dans les nombreuses études pourtant réalisées sur le philosophe de l’Ecole de Francfort depuis sa disparition en 1969, dans lesquelles la place de la philosophie est quasiment écartée de l’analyse des écrits musicaux d’Adorno. Le fait même de résoudre dans la question de l’esthétique, le rapport entre musique et esthétique doit être remis en cause selon l’auteur. Tout d’abord parce que Adorno n’a pas conçu l’esthétique comme un domaine de la philosophie, mais également, parce que le philosophe n’estimait pas que la philosophie pouvait subsumer l’art. Il ne saurait donc être question d’une sphère séparée chez Adorno. Il faut donc, selon Anne Boissière, relire sous l’angle de la philosophie les écrits musicaux d’Adorno. C’est à partir d’une philosophie du concret et développée dans le livre consacré par le philosophe à Gustav Mahler qu’il faut appréhender cette pensée d’Adorno, une pensée du temps et de la narration où prennent place Georg Lukacs, Walter Benjamin ou encore Bertolt Brecht. C’est ainsi une théorie ayant pour « théâtre l’expérience de l’objet esthétique » qui aura sa préférence. Adorno ne souhaite plus philosopher sur le concret, mais à partir de lui, démarche reprise par Anne Boissière dans cette brillante étude en analysant les écrits musicaux du philosophe, en fonction de cette exigence philosophique du concret. Il ressort de cette analyse exigeante que la catégorie de l’ « épique », entre musique et philosophie, porte tout l’édifice d’une théorie tournée vers le concret, une conception où pointe « l’archaïque tristesse de la musique », une tristesse qui donne à la physionomie musicale d’Adorno « celle d’un visage, humidifié par les larmes, qui ainsi s’isole du monde »…
 

 

« Guide des genres de la musique occidentale » Eugène de Montalembert et Claude Abromont, Coll. Les Indispensables de la musique, Fayard, 2010.

Voici une somme au sens noble du terme que tout mélomane devra faire sienne dans sa bibliothèque consacrée à la musique ! Le Guide des genres de la musique occidentale n’est en effet pas un dictionnaire de plus, plus ou moins consultable ou consulté. Il s’agit bien plutôt d’un véritable traité organisé en plus de 300 entrées (331 exactement) couvrant les principaux genres de la musique occidentale. Qu’il s’agisse de la forme concertante, vocale ou de la musique religieuse, la richesse du domaine concerné exigeait une synthèse à la fois facile d’accès (la table des matières est particulièrement détaillée) et en même temps allant au fond des choses. C’est chose faite ! Le lecteur aura plaisir à trouver une entrée lui indiquant l’essentiel grâce à une définition d’une page, définition pouvant être développée par la suite au gré de chacun par les multiples divisions qui suivent. La recherche est savante et le style très accessible, chose rare dans ce domaine aussi le curieux aura plaisir à flâner d’une page à l’autre et aura le bonheur de faire de nombreuses découvertes : ainsi, la lauda n’aura plus de secret pour le mélomane qui saura faire la distinction entre la forme monodique et polyphonique et son évolution au fil des siècles…
Les auteurs avouent humblement dans la présentation du livre qu’ils ont eu l’envie d’écrire ce guide non pas en raison de leur savoir, mais de leur grande envie d’apprendre. Il ne fait nul doute que cette démarche sera communicative et inspirera tous celles et ceux qui auront l’heureuse initiative d’acquérir ce Guide des genres de la musique occidentale !

 

Bruno Moysan « Liszt – virtuose subversif » Editions Symétrie, 2009.

Bruno Moysan a choisi un angle particulièrement original pour ce dernier ouvrage paru aux éditions Symétrie. À mi-chemin entre art et politique, cet universitaire qui enseigne à Sciences Po analyse dans cette brillante étude les fonctions rhétoriques de l’œuvre de Liszt, artiste que l’on a trop longtemps réduit à celui d’un virtuose « amuseur public ». C’est justement au cœur de sa carrière de grand virtuose du piano (certaines de ses œuvres restent encore plus que difficiles à un grand nombre de pianistes chevronnés) – sur ces années 1830-1848 – que porte l’analyse de Bruno Moysan et ses recherches concernent principalement la forme de la fantaisie, genre particulièrement présent chez Liszt dans son rôle de promotion des grands compositeurs. Liszt a, en effet, toujours défendu les oeuvres d’un grand nombre de ses contemporains et la fantaisie sur des airs d’opéra était le moyen idéal de faire partager ces œuvres au plus grand nombre. Il suffit pour s’en convaincre d’écouter les réminiscences de Lucia di Lammermoor de Donizetti, la Symphonie fantastique de Berlioz ou les Réminiscences de Don Juan de Mozart transcrites par Liszt.
Ces magnifiques reconstructions participent d’une idée plus générale chez le grand virtuose, idée sur le rôle de l’artiste dans la société de son temps que Bruno Moysan passe au filtre serré d’une analyse sur les circuits du langage. D’amuseur, le musicien se transforme à l’insu du plus grand nombre en acteur subversif du discours social en matière d’art. Il est assez rare, pour ne pas dire unique, de proposer un tel regard sur l’œuvre de Liszt, et cet ouvrage très complet devrait tout autant passionner les mélomanes avertis que les passionnés d’histoire du XIX° siècle.

 

Lettres de compositeurs à Camille Saint-Saëns, présentées et annotées par Eurydice Jousse et Yves Gérard, Editions Symétrie, 2009.

La correspondance a toujours eu un rôle déterminant dans les arts et les lettres. Sa place et son rôle dans la vie de Camille Saint-Saëns est une belle illustration de ce qu’elle peut apporter comme témoignages, parfois spontanés, souvent plus travaillés, dans le rapport entretenu par le musicien avec ses collègues et amis compositeurs. La masse de correspondances (10.000 lettres au moins) conservées au musée de Dieppe est impressionnante ; Saint-Saëns avouait lui-même « vous avez toute raison de trouver ma correspondance formidable, et pourtant vous n’en voyez qu’une faible partie ; la presque totalité disparaît dans les flammes et dans l’oubli… »
Les grands noms côtoient des compositeurs moins connus, mais dont les idées offrent un regard original sur l’univers musical de la fin du XIX° et du début du XX° siècle.
Ainsi, Georges Bizet avoue de manière bien familière : « Mille compliments cher vieux. Je regrette de n’avoir pas concouru. J’aurai eu l’honneur d’être battu par toi. » Il s’avère que ce même Bizet avait en fait participé au concours sous un pseudonyme et avait été éliminé à la troisième lecture sans révéler sa véritable identité… Une correspondance d’Emmanuel Chabrier (ref 59) dévoile les arrières cours peu reluisantes des concours de musique de l’époque où le favoritisme règne en maître ! La lecture des lettres de Paul Dukas adressées à Saint-Saëns vaut le détour pour leur humour, sous les drapeaux ; Dukas avoue : « J’ai une extinction de voix ; en dépit d’un rhume, il me faut en qualité de caporal, hurler toute la journée pour faire pivoter une escouade. Au fond, c’est bête, mais ça m’amuse. Du moins, ça me change, et puis c’est une préparation aux répétitions de l’opéra ! » La correspondance nourrie avec Charles Gounod laisse deviner la profonde amitié qui réunissait les deux hommes : « Mon cher petit grand Camille, c’est mon cœur, tu le sais, qui te donne la première de ces deux épithètes, et mon vote qui t’adresse la seconde… ».
La lecture des lettres adressées par Franz Liszt à Saint-Saëns témoigne de l’estime de celui qui fut toujours l’ami et le soutien des plus grands musiciens. Liszt applaudit sans réserve le second concerto, puis la Messe qu’il juge admirable et sans comparaison parmi les œuvres contemporaines avec une analyse développée en direct dans le cœur de la lettre même…
Ce travail scientifique constitue bien entendu un outil de référence indispensable au chercheur et à tout musicologue, mais il est avant tout un beau voyage dans un univers où les petits riens de la vie des musiciens de cette époque éclairent encore plus les grands moments de leurs créations.

 

Gustav Mahler « A tout jamais » Lieder sur des poèmes du Cor enchanté de l’enfant, de Friedrich Rückert, Mong-Kao-Jen et Wang-Wei, enregistrés par Bo Skovhus (baryton) et Stefan Vladar (piano), livre + CD, La Dogana, 2009.

Lorsque la poésie et la musique s’accordent et livrent leurs plus beaux chants, nous sommes dans l’antichambre de la nature où les contraires se réduisent pour n’exprimer que l’excellence et l’innocence. L’innocence de l’enfant est un thème de prédilection chez Gustav Mahler qui trouvera une résonance dans toute sa musique en raison d’une enfance difficile déchirée par la mésentente de ses parents. L’univers à la fois onirique et naïf d’un quotidien hérité des vieilles traditions germaniques qui inspire ces poèmes du Cor enchanté de l’enfant forme l’espace préservé de cette candeur dans laquelle se réfugie l’enfant spontanément. Mahler suivra cette voie toute sa vie marquée par les évènements tragiques que l’on connaît avec la perte de sa fille aimée, Anna, sa maladie cardiaque et la perte de son emploi à Vienne la même année…

Jean Starobinski souligne dans le texte accompagnant le disque que Mahler a été une des inspirations du poète Pierre Jean Jouve qui avouait que « le poète en moi a toujours envié les musiciens » pour cette rare faculté qu’a le discours musical d’étendre au-delà des notes les horizons ouverts… Mais la poésie inspire-elle aussi le musicien, et par un généreux retour, retrouve vie chez le poète tissant ainsi un lien inextricable dont le présent enregistrement est une belle illustration. Bo Skovhus offre sa belle voix de baryton aux poèmes du Cor enchanté dans une générosité qui sait magnifier la joie de la candeur amoureuse, avec le si beau lied « Liebst du um Schönheit ». Le chant parvient également à faire partager la gravité des instants tragiques avec, par exemple, ce coucou tombé raide mort d’un saule dont seul le rossignol saura prendre la relève (« Ablösung im Sommer »). Cet accord parfait entre la poésie, le chant et le piano offrira des instants rares accentués par le plaisir de lire des textes de qualité qui invitent à la poésie et à la rêverie...

 

 

« Musique, théologie et sacré, d’Oresme à Erasme » ouvrage collectif sous la direction de Annie Coeurdevey et Philippe Vendrix, Ambronay Editions, 2009.

Musique et sacralité ont entretenu des liens indissociables depuis la plus haute antiquité, liens renforcés par une longue tradition héritée du Moyen-Âge et ce jusqu’à l’aube de la renaissance. D’Oresme à Erasme vont ainsi se succéder d’intenses débats théoriques sur les rapports entre musique et sacré, faisant intervenir des interrogations tout autant théologiques qu’artistiques. Ces questionnements étonneront le lecteur du XXI° siècle trop souvent coupé de ses racines musicales où la musique des anges trouvait son écho dans la musique des mortels ! Afin de mieux comprendre l’importance de ces enjeux souvent très théoriques, ce collectif réalisé dans le cadre du programme Ricercar du Centre d’Etudes Supérieures de la Renaissance de Tours a réuni les meilleurs spécialistes de la question. Il s’agissait de mettre en évidence les rapports complexes entre le fait de composer la musique et l’image de Dieu, et, dans quelle mesure la pratique musicale relevait de la foi…
Dans la préface, Philippe Vendrix rappelle cette distinction entre l’oreille externe et l’oreille interne, cette dernière pouvant seule entendre la musique ineffable et indescriptible de Dieu. Il ne s’agit pas encore de camouflage du sacré comme le relèvera Mircea Eliade pour le XX° siècle mais plutôt d’une élévation de l’âme nécessaire à la perception divine. Tous peuvent l’atteindre à condition de mettre son âme à l’écoute du divin. L’ouvrage est exigeant comme l’était la musique et la théologie de ces temps où l’humanisme concevait la société et son intelligence comme un tout. Il est particulièrement réjouissant, avec un plaisir égoïste, de prendre connaissance au XXI° siècle de ces débats qui la plupart du temps sont étrangers au mélomane néophyte que nous sommes : lorsqu’un canon à douze voix de Mathieu Gascongue par son nombre fait une référence symbolique à la femme de l’Apocalypse, ou encore lorsque Walter Hilton note dans L’Echelle de Perfection que : « Le corps n’est plus qu’un instrument et une trompette de l’âme qui fait doucement retentir les louanges spirituelles de Dieu »…
Ces études soulignent à la fois la richesse et l’ambiguïté des rapports de la foi et de la musique, ambiguïté qu’avait déjà relevée saint Augustin qui, alors même qu’il faisait référence à sa conversion au christianisme intervenue en entendant chanter une voix d’enfant, soulignait en même temps les risques d’une trop grande attache aux sens !

 

« La musique » T. Benardeau et M. Pineau, collection Repères Pratiques, Nathan, 2009.

Ce livre est destiné tout aussi bien aux étudiants qu’à tous ceux souhaitant parfaire leurs connaissances musicales. Conçu de manière pédagogique, l’ouvrage synthétise les grandes notions à connaître sur la page de gauche alors que la page de droite développe un point précis de ce contexte général. Ce guide qui fourmille de tableaux et de représentations est véritablement conçu comme un aide-mémoire particulièrement complet puisqu’il s’autorise non seulement des résumés quant à l’histoire de la musique, mais développe également les musiques extraeuropéennes, et ce, en 160 pages !
Véritable guide didactique pouvant être emporté partout avec soi, il devrait offrir de précieux services à tout à chacun pour une révision en douceur de la culture musicale…


A noter dans la même collection et dans le même esprit : « La Peinture » ouvrage conçu par F. Giboulet et M. Mengelle-Barilleau

 

Henri Rabaud « Correspondance et écrits de jeunesse » présentés et annotés par Michel Rabaud, Palazzetto Bru Zane & SYMETRIE Editions, 2009.

Aux mélomanes qui ne connaîtraient pas encore le nom du compositeur français Henri Rabaud (1873-1949), ce recueil volumineux de correspondances devrait apporter un éclairage intéressant sur une figure qui vécut trop souvent à l’ombre de Debussy et de Ravel. Benoît Duteurtre rappelle dans sa préface que le nom d’Henri Rabaud évoque au moins deux souvenirs : en premier lieu, celui de Mârouf, savetier du Caire, un opéra-comique dont certains airs encore sont connus, soixante ans après sa mort. En second lieu, c’est la direction du Conservatoire pendant l’entre-deux-guerres qui marquera les esprits avec la révélation de grands solistes et compositeurs (Messiaen, Dutilleux…).
Mais avant d’être un personnage incontournable du paysage musical français, Henri Rabaud est avant tout un esprit créateur ouvert à de nouveaux horizons et un amoureux des débats intellectuels, la première partie de sa riche correspondance en témoigne. Dans ses lettres à Daniel Halévy, le jeune homme s’enflamme pour tout ce qui est plaisir à l’esprit. Il n’hésite pas à revenir sur les raisons qui l’ont poussé à critiquer « Lohengrin », opéra qu’il n’hésite pas à qualifier de meyerbeerien…
Sa lettre du 13 septembre 1893 est révélatrice. Si Henri Rabaud n’hésite pas à dire à son ami « … me voici enfin rentré, après avoir traîné mon corps inutilement et sans raison d’Etretat au Havre, du Havre à Trouville, de là à Houlgate, de là à Cabourg,…, Il n’y a eu qu’une chose de vraiment agréable là-dedans : c’est mon séjour à Trouville. J’y ai découvert Jacques Bizet et je ne l’ai plus quitté. (…) J’ai passé mes vacances à manger du Bach (te rappelles-tu Gounod ?). Je n’ai mangé que deux morceaux ou trois petits morceaux. Mais aussi je crois les avoir complètement digérés. »
Il n’y a pas que Bach qu’il digère, Corneille, Sophocle ou « les souffrances du jeune Werther » de Goethe qu’il juge admirable, donnent un exemple de sa frénésie intellectuelle. Songeons à cette période des années 1890-1900 où tant de courants émergent dans la musique française. C’est dans ce bouillonnement d’idées et d’émotions artistiques que ces lettres à Daniel Halévy ou Max d’Ollone ont été écrites et constituent pour nos contemporains un formidable témoignage de la modernité de cette fin de siècle.

 

Hugo Wolf « Le Tombeau d’Anacréon » choix de lieder sur des poèmes de Goethe, Mörike, Eichendorff, Byron et Keller enregistrés par Angelika Kirchschlager (mezzo-soprano) et Helmut Deutsch (piano), CD + Livre, La Dogana. 

Comment parler de ce livre-disque ou de ce disque-livre après les si belles paroles de Florian Rodari sur la voix et l’envol ? Le texte particulièrement délicat qui ouvre un petit recueil à l’esthétique digne des autres publications des éditions La Dogana amène idéalement le mélomane à  une réflexion sur la voix et les liens étroits entre ce don éternel et toutes les autres émotions qu’elle suscite. L’écrin sobre de couleur ambre de la reliure invite au bonheur du bel objet que le lecteur a plaisir à tenir entre ses mains. Le CD qui accompagne le livre est de même couleur, témoin d’un goût assuré !

L’habit ne fait pas le moine mais il y contribue… La qualité des textes, la poésie omniprésente alors que les commentaires sur la musique sont plus souvent d’ordre musicologique ou organologique, la beauté enfin des enregistrements, tout encourage à lire en écoutant un jour, pour inverser l’ordre le lendemain.

Ce recueil intitulé « Le tombeau d’Anacréon » est un choix de lieder sur des poèmes de Goethe, Mörike, Eichendorff, Byron et Keller. La poésie et la musique, la voix sublime de la mezzo-soprano Angelika Kirchschlager et le piano émouvant d’Helmut Deutsch offrent autant d’émotions artistiques accélérées par l’intimité de la forme musicale. La voix, l’instrument, la poésie composent un trio qui réclame une quatrième entité pour un plaisir partagé : pourquoi pas vous ?

 

Robert Schumann « L’amour et la vie d’une femme » choix de lieder sur des poèmes de Chamisso, Goethe, Marie Stuart, Heine, Rückert, Mörike, Eichendorff, enregistrés par Angelika Kirchschlager (mezzo-soprano) et Helmut Deutsch (piano), CD + Livre, La Dogana. 

Le romantisme ne saurait occulter la figure de Robert Schumann, poète et amoureux de la belle Clara Wieck, la fille de son maître qui deviendra des années plus tard la fameuse Clara Schumann… Mais il faudra subir avant les foudres du père possessif qui ne souhaite pas voir partir sa protégée au bras de son élève. Interdisant tout contact, Wieck sépare les deux amants. Suivra une période sombre et désespérée pour Robert Schumann, période qui sera l’humus des plus belles œuvres pour piano. La période qui suivra verra le bonheur enfin poindre avec son union avec Clara. A partir de cette date heureuse, Schumann compose de nombreux lieder exprimant son amour de la musique et de la poésie réunies à l’image des deux amants enfin unis. Le titre de l’opus 42 de Robert Schumann s’intitule donc Frauenliebe und leben. Cet amour et la vie d’une femme sont au cœur du génie créateur du compositeur. Ils forment un tissage complexe parfois uni d’autrefois désordonné. Les amoureux de la musique de Schumann savent combien l’amour est au cœur de nombreuses œuvres de l’artiste qui mourra fou, enfermé dans un asile mais dans les bras de son épouse qui pour rien au monde n’aurait échangé sa dernière étreinte.

L’amour sublimé par la poésie et par la musique se décline en un arc en ciel d’émotions : l’amour passion avec la première rencontre (poème de A. von Chamiso), l’amour contrarié avec Goethe ou l’amour tragique avec Heine…

L’interprétation d’Angelika Kirchschlager est redoutable : habitée littéralement par la poésie et la musique, le thème de ce recueil lui sied à merveille !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sciences

Trinh Xuan Thuan "Dictionnaire amoureux du Ciel et des Etoiles" Editions PLON / FAYARD, 2009.

 

Trinh Xuan Thuan a réussi ce pari extraordinaire de rendre l'astrophysique et les origines de notre univers comme étant une mélodie familière à nos oreilles ! Le célèbre astrophysicien d'origine vietnamienne, professeur d'Astronomie à l'Université de Virginie à Charlottesville, est également un francophone convaincu puisqu'il partage sa vie entre les Etats-Unis et la France. Il est auteur de nombreux ouvrages de vulgarisation en français sur l'Univers et les questions philosophiques qu'il pose.
Thuan est également chercheur à l'Institut d'Astrophysique de Paris. Rencontre avec un grand scientifique, mais également avec un troubadour de l'immensité galactique !

 

Retrouvez la suite de l'interview...

 

 

Yves Coppens « L’histoire de l’Homme » 22 ans d’Amphi au Collège de France (1983-2005), Fayard. 

C’est la synthèse de 22 ans de cours au Collège de France d’Yves Coppens (voir notre interview) qui est réunie dans ce dernier ouvrage. Après l’abbé Breuil, Teilhard de Chardin et Leroi-Gourhan, Yves Coppens a en effet régulièrement proposé l’enseignement d’un demi-siècle d’une passion, la paléoanthropologie, qu’il a grandement contribué à faire connaître du grand public. Comment cette discipline a-t-elle pu se développer au cours du XX° siècle, à l’aide de quelles méthodes scientifiques et de leurs conséquences sur notre connaissance des origines de l’homme,… toutes ces questions sont abordées dans ces leçons réunies pour le plus grand plaisir du lecteur.

 

Lucas Salomon, Yann Verchier « Le corbeau et le renard ou la gravitation du camembert, 25 morceaux de sciences poétiques » illustrations de Gilles Macagno, Editions ELLIPSES, 2008. 

Voici une initiative inspirée et originale : favoriser la compréhension des sciences grâce à la poésie, à moins que cela ne soit l’inverse ! A partir de 25 poèmes, ce recueil tente l’impossible, et c’est une réussite. Lisons par exemple le poème du sonneur de Stéphane Mallarmé « Cependant que la cloche éveille sa voix claire… »… Une fois l’admirable illustration de Gilles Macagno découverte et la page tournée, nous pouvons suivre une explication scientifique très pédagogique sur les différents processus qui s’enclenchent à partir de la cloche martelée jusqu’à la propagation de son dans nos oreilles et dans l’espace… Et la magie opère de nouveau avec les coraux et les volcans, ou encore le fameux poème de Verlaine Chanson d’automne « les sanglots longs des violons de l’automne blessent mon cœur d’une langueur monotone. » qui permet aux auteurs de très belles digressions sur les feuilles d’automne et les saisons !

Un ouvrage à recommander pour une lecture en famille…

 

« Le Grand Larousse du corps humain » Collectif avec validation d’un comité scientifique, LAROUSSE, 2008.

 

Tout y est ! Le corps humain est passé au crible de la tête aux pieds qu’il s’agisse du squelette, des muscles, des nerfs, poils, peau ou ongles… Les différents appareils sont également décrits dans ce travail remarquable dressé par des consultants spécialisés : L’appareil digestif, urinaire, respiratoire, génital,… sont décrits dans le détail avec, pour chaque fonction l’ensemble de ses organes constitutifs, cellules et molécules ! Vision macroscopique et microscopique sont conjuguées afin de nous offrir une formidable exploration des arcanes de notre corps. Le voyage est impressionnant et il est difficile de ne pas imaginer toute la complexité qui se conjugue et s’associe pour nous offrir chaque jour et chaque nuit tous les sens dont nous disposons…

 

Description détaillée et multiple iconographie :

▪ le squelette,

▪ les muscles et tendons,

▪ le système nerveux,

▪ le système endocrinien,

▪ le système cardiovasculaire,

▪ l’appareil respiratoire,

▪ la peau, les poils et les ongles,

▪ la lymphe et le système immunitaire,

▪ l’appareil digestif,

▪ l’appareil urinaire,

l’appareil génital et la reproduction.

 

25,2 x 30,1 cm, 256 pages, 1 000 illustrations, cartonné.

 

« Le Sacre de l’Homme, Homo sapiens invente les civilisations » sous la direction de Jean Guillaine et Yves Coppens, textes d’Isabelle Bourdial, photographies de Patrick Glaize, DVD du film « Homo Sapiens » offert, 200 illustrations, 176 pages, FLAMMARION, 2007. 

Très beau complément du dernier volet paru de la grande épopée de l’espèce humaine sous la direction d’Yves COPPENS, le livre « Le Sacre de l’Homme » devrait connaître un beau succès, à l’image du DVD qui sort parallèlement. Yves COPPENS nous le rappelait dans l’interview exclusive qu’il a accordée à notre Revue : le succès du documentaire « L’Odyssée de l’espèce » a été au-delà de toute attente (voir l’interview d’Yves Coppens). Rivalisant avec les scores de la coupe du monde de foot de 1998, le premier essai avait démontré qu’il était possible de réunir beaucoup de monde autour d’un projet culturel.

Ce dernier ouvrage sous la direction de Jean Guilaine et d’Yves Coppens nous fait entrer à une époque charnière de notre évolution. Il y a 12 000 ans, le cerveau de l’homme est à la base de comportements et de découvertes qui feront de lui l’être vivant doué de l’intelligence la plus sophistiquée jusqu’à nos jours.

Avec un texte limpide et passionnant d’Isabelle Bourdial, ce beau livre prend le relais du DVD et complète parfaitement la magie de l’image. Une iconographie soignée illustre les grandes étapes de la marche de Sapiens Sapiens vers la naissance de notre civilisation. Découvrons la sédentarisation, étape cruciale, accompagnée de l’agriculture et de l’architecture, mais aussi l’élevage et le commerce,… L’homme prend conscience également du sacré avec la naissance et la sophistication des premières religions. L’idée de transmission se développe et par là même celle d’écriture qui aura la destinée que nous connaissons. Il faudrait être de granit pour ne pas être ému par cet album de notre propre famille, avec toutes ses qualités, mais aussi ses défauts qui s’amplifieront tout autant. Oui, il est possible de dire avec cette belle initiative que l’homme est véritablement l’acteur le plus marquant de cette pièce jouée depuis 12 000 ans, une pièce qu’il a écrite, interprétée et dont il se doit, aujourd’hui plus que jamais, d’assurer les représentations futures.

RETROUVEZ YVES COPPENS DANS UNE INTERVIEW EXCLUSIVE ACCORDEE A LEXNEWS !

 

Michel Brunet « D’Abel à Toumaï, Nomade chercheur d’os » Editions Odile Jacob (2006)

Le titre délibérément provocateur de l’ouvrage de Michel Brunet annonce le style du livre : une démarche scientifique, une passion sans limites, une quête qui n’a pas de frontières géographiques, le tout servi par un humour qui n’hésite pas à emprunter à la dérision ! Michel Brunet est conscient de la valeur de la démarche entreprise par lui, et son équipe, il y a plus de quarante ans comme il le rappelle lui-même. Mais il n’hésite pas à rappeler dans ces très belles pages, les moments de doute, de détresse et même de peine dans les épreuves subies lors de ce parcours extraordinaire. Le grand public ne perçoit souvent qu’au détour de quelques lignes le résultat final d’une découverte de quelques morceaux d’os d’anciens hominidés, mais c’est bien un parcours au long cours qui caractérise cette entreprise scientifique qui ne peut être menée qu’en équipe mais avec  un seul capitaine à bord, Michel Brunet endossant parfaitement cette responsabilité. Découvrons avec ce guide hors-pair les déserts africains, les difficultés du terrain qui ont tant d’importance dans les découvertes ou les déconvenues.  C’est à une fantastique aventure humaine à laquelle nous invite l’auteur, avec ses grandeurs mais aussi ses bassesses, parce que c’est avant tout l’homme qui se regarde dans ce miroir lors de cette quête de notre origine… 

RETROUVEZ MICHEL BRUNET DANS UNE INTERVIEW EXCLUSIVE ACCORDEE A LEXNEWS !

 

Hubert REEVES « Chroniques des atomes et des galaxies » Editions du Seuil, 2007.

 

Ce présent volume rassemble les chroniques du célèbre astrophysicien données sur France Culture. Synthétiques et pédagogiques, ces réflexions cherchent à rendre accessible la richesse de l’univers sans pour autant en sous-estimer les complexités. L’astrophysique est bien entendu l’invité d’honneur de ces petits textes passionnants mais également la cosmologie, les textes proposés allant de l’infiniment grand à l’infiniment petit, grâce à l’art de conteur du grand savant à barbe blanche. Le Big Bang, la naissance de l’hydrogène, l’énergie quantique, les pulsars, la vitesse de lumière n’auront plus de secret après lecture de ce petit livre très bien fait et facile à lire. Hubert Reeves offre à notre réflexion une série d’enseignements qui nous permettent de mieux aborder les questions fondamentales sur l’origine de notre existence et de notre univers, un univers que nous oublions trop souvent en ne regardant plus un ciel de moins en moins étoilé dans nos villes et même nos campagnes !

 

 

L.VINCENT : « Comment devient-on amoureux ? », Paris, Éditions Odile Jacob Poches, 2006, 191 p.

Et si vous profitiez de ce bel été pour comprendre un état que l’on souhaite à tout à chacun : « être amoureux ». Un joli programme, non ?

Dans cet essai «  Comment devient-on  amoureux », paru chez Odile Jacob, Lucy VINCENT, Docteur en neurosciences nous rappelle en effet que depuis moins de 20 ans, la science a progressé de manière spectaculaire dans le domaine de la « biologie de l’état amoureux » pour reprendre les termes de l’auteur.

Et si plus guère de personnes n’ignorent encore aujourd’hui qu’effectivement derrière l’amour, même avec un grand A, c’est avant tout l’instinct exclusif de reproduction et par là même de survie de l’espèce qui l’emporte, l’auteur ne s’arrête cependant pas à cette seule donnée scientifique propre à casser les illusions les plus passionnées ; Bien au contraire, Lucy VINCENT, avec humour et tendresse, nous expose que l’état amoureux, si agréable soit il, relève cependant d’une pure question d’hormones, de phéromones et de neurotransmetteurs et que ce qui pousse deux personnes l’une vers l’autre ne passe pas par la partie consciente du cerveau ; De quoi presque rassurer ceux qui croient aux coups de foudre, si ce n’est….Si ce n’est le destin génétique, car dans cette mission inscrite dans nos gènes, ce sont en fait des molécules, des protéines, des enzymes captés par nos sens olfactif ou phéromonal, deux sens bien distincts, qui influencent notre cerveau cognitif, notre désir de l’autre. Bref, ne nous y trompons pas, tomber amoureux relève de messages strictement chimiques, et l’ocytocine demeure le filtre magique de l’état amoureux. Certes, ces messages seront transmis par des signes corporels que l’on connaît ou croît connaître beaucoup mieux – de là à les maîtriser ? – tels que le sourire, les yeux dans les yeux, sans oublier le fatal baiser !

Mais si être amoureux peut être une belle histoire, même chimique…, Lucy VINCENT nous rappelle cependant que la suite n’est pas toujours aussi simple – on s’en doutait un peu - et exige des efforts ; C’est en effet dans un style clair et sans détours que l’auteur aborde également, se fondant sur de nombreuses analyses et expériences scientifiques, les ennemis du couple, les raisons qui font que l’on se quitte et celles pour lesquelles on ne se quitte pas. L.VINCENT souligne  d’ailleurs – ce qui rassurera ceux qui ont plusieurs années de mariage derrière eux – qu’il demeure néanmoins, même dans les couples les plus solides, toujours 10 sujets qui ne seront jamais réglés. Reste cependant à s’entendre sur ces 10 sujets de désaccord !

Enfin, à ceux qui auraient quelques craintes à se pencher sur un tel sujet de peur qu’il ne perde de ses mystères, qu’ils se rassurent, être amoureux – qu’on en connaisse ou non le processus – même si c’est chimique, même si c’est biologique, c’est toujours plus fort que tout ;  A vous de savoir si vous succombez ou non aux neurosciences !

 

Alan Cutler "La montagne et le coquillage, comment Nicolas Sténon a remis en cause la Bible et créé les sciences de la terre" JC Lattès.

Qui connaît aujourd'hui le nom de Nicolas Sténon, né en 1638 au Danemark, en dehors des spécialistes de la géologie et de l'histoire des sciences ?  Et pourtant cet infatigable savant, réputé pour ses études sur l'anatomie avant d'être appelé à la Cour des Médicis où il commencera à déchiffrer les strates de l'écorce terrestre, est considéré comme l'un des pères de la géologie moderne ! Celui qui sera canonisé par Jean-Paul II en 1988, pourrait nourrir des milliers de pages et c'est tout le mérite d'Alan Cutler que de nous offrir en moins de 300 pages un essai passionnant sur l'un des figures emblématiques de ce XVII° siècle sans laquelle la pensée scientifique n'aurait pas pu progresser aussi vite.

 

Spiritualités

« Encyclopédie des Mystiques rhénans - D’Eckhart à Nicolas de Cues et leur réception » édition française par Marie-Anne Vannier, Editions du Cerf, 2011.

Après l’ouvrage « Les mystiques rhénans, Eckhart, Tauler, Suso » que nous avions présenté dans ces colonnes lors de sa sortie, voici une encyclopédie réunissant pour la première fois les principaux courants de cette même mystique rhénane. Cette vaste entreprise est le fruit d’une étroite collaboration entre l’Allemagne et la France et permet au lecteur d’avoir sous la main en un fort volume de plus de 1200 pages des entrées qui seront précieuses non seulement aux chercheurs et aux enseignants, mais également à l’honnête homme qui pourra les découvrir au gré de ses envies…
Prenons par exemple le thème si porteur de l’amour chez Eckhart et nous aurons ainsi une vaste synthèse de plusieurs pages sur ce qui était considéré chez le maître comme la plus haute puissance de l’âme. Cet amour doit abandonner l’ego, l’amour propre pour ne retenir que le Verbe éternel. Dieu est amour et s’est fait homme pour montrer à l’homme qu’avec la Passion de son Fils, le don d’amour est absolu. Comment ne peut pas passer immédiatement à l’entrée « Dieu » après une telle définition de l’amour ! Dieu est bien entendu au cœur même des différents écrits d’Eckhart. Nous apprenons ainsi le fin tissage des différents langages de la théologie, de la métaphysique et de la mystique quant à ses analyses. De cet écheveau ressortent les « paradigmes » de la Transcendance. C’est dans les Commentaires latins de l’Ecriture que l’on pourra le mieux distinguer la pensée d’Eckhart. Le célèbre mystique distinguera de manière déterminante entre le Dieu de la tradition chrétienne et la Déité. Cette dernière est une entité complexe qui renvoie à la profondeur de Dieu et ne saurait être appréhendée par l’homme, même si ce dernier ne doit cesser de poursuivre sa quête afin de tenter de percer cette inconnue vers le fond de l’être divin.
Si la présence de Nicolas de Cues, Jean Tauler ou encore Henri Suso dans de nombreuses entrées n’étonnera pas, l’entrée consacrée à Jacques Derrida pourra quant à elle surprendre, le philosophe n’étant pas connu pour être un exégète assidu d’Eckhart ! Marie-Anne Vannier justifie de manière intéressante le rapprochement possible entre la notion de déconstruction propre à Derrida à celle du détachement du maître rhénan en démontrant que les pensées sont plus proches que l’on pourrait croire et que certains développements du philosophe du XX° siècle conduisent à cette idée proche d’Eckhart que « personne ne peut parler de lui ni le comprendre » en parlant de Dieu…
Le lecteur réalisera vite par-delà ces quelques exemples que ce vaste travail collaboratif ouvre non seulement de vastes synthèses jamais réunies en un seul volume jusqu’à présent, mais offre également de manière dynamique des pistes de recherches et d’interrogations multiples sur cette matière inépuisable.

A souligner l’iconographie réunie dans un carnet central de cette riche encyclopédie ! Nous y découvrirons le cloître d’Erfurt où Eckhart fut prieur et dut plus d’une fois méditer en laissant son regard vagabonder à l’ombre de ses galeries… De nombreux documents d’archives relatent les bâtiments et les témoignages de la vie de ces mystiques.

 

« Le gout de l’excellence – quatre siècles d’éducation jésuite en France » par Philippe Rocher, Beauchesne éditions, 2011.

L’éducation jésuite a, depuis, longtemps, suscité les passions, soit pour l’exalter, soit au contraire pour la décrier notamment depuis le tournant de la séparation de l’Église et de l’État en France. Le livre de Philippe Rocher, spécialiste de la question, a le grand avantage de dépasser ces querelles souvent stériles et qui se limitent à des priori venant de personnes extérieures ou au contraire trop impliquées dans ce qu’elles évoquent. Abordant cette riche thématique avec rigueur et analyse, l’auteur nous propose de commencer la réflexion en partant des bases, c'est-à-dire de la Ratio studiorum, titre abrégé du document définissant les bases mêmes de l’enseignement jésuite (Ratio atque Institutio Studiorum Societatis Iesu) élaboré à la fin du XVI° siècle. Messine et Rome (la future Grégorienne) seront des lieux où les bases de cet enseignement se constitueront, enseignement qui saura évoluer au fil des siècles même si de nombreuses critiques regretteront un enseignement trop littéraire. Mais avant tout, c’est de France dont il faut partir, et même plus précisément encore de Paris, comme le rappelle Philippe Rocher. L’éducation jésuite doit en effet son acte de naissance à la France. Ignace de Loyola a déjà rédigé ses fameux Exercices lorsqu’il arrive à Paris pour ses études. La Compagnie naitra d’un tout petit groupe de compagnons et n’avait pas initialement de prétentions à l’extension qu’elle connaîtra par la suite. C’est dans l’optique de former les nouvelles recrues que les Jésuites vont alors étendre cette fonction pédagogique. Les critères de formation seront, dès le départ, exigeants puisqu’ils reposaient sur la propre expérience des fondateurs. Cette formation devait non seulement bénéficier aux jeunes ayant une vocation au sacerdoce, mais également à tous ceux qui entreraient dans la vie professionnelle active. Dans le même esprit, toutes les couches de la société devaient pouvoir bénéficier de cette éducation fondée sur l’excellence. C’est sur cette base invariable que les différents collèges jésuites se développeront en France durant le XVII et XVIII° siècle jusqu’à la date fatidique de 1762, date à laquelle la Compagnie de Jésus sera interdite par le Parlement de Paris. La « Nouvelle Compagnie » renaîtra de ses cendres avec la première Charte et devra continuellement conjuguer le respect des fondamentaux à la base de la Compagnie en même temps qu’accompagner les évolutions des époques traversées. Cette adaptation, parfois subie, d’autre fois souhaitée, a ainsi conduit à de nouvelles missions où s’expriment les qualités et le savoir-faire hérités d’Ignace de Loyola et de ses successeurs. C’est cette très belle aventure qui est retracée et analysée par Philippe Rocher dans cet ouvrage, une aventure ignatienne qui se perpétue encore, faut-il le rappeler, jour après jour, en notre XXI° siècle !

  Agenda 2012 Benoit XVI, Terra Mare et Artège éditions, 2011.

Nouvelle année et nouvelle édition de l'agenda Benoît XVI. Cet agenda est devenu en peu de temps un classique apprécié pour la gestion du temps sous le signe du Saint-Père ! Un très beau bleu de France vient rappeler le 600e anniversaire de la naissance de sainte Jeanne d'Arc, une sainte souvent évoquée par le pape. «Vous êtes la lumière du monde. Osez devenir des saints ardents ! », telle est l'invocation de Benoît XVI pour cette nouvelle année, encourageant ainsi tout à chacun à être des témoins engagés de leur foi, sans peur, ni honte, à l'image des premiers chrétiens bravant l'adversité. Chaque mois, un saint évoqué par Benoît XVI a été retenu, d'autres saints sont également présents semaine après semaine, dans ce bel agenda toujours illustré avec goût et esthétisme !

à noter qu'un euro est reversé à la Fondation Lejeune et à Enfants du Mékong, pour chaque Agenda Benoît XVI 2012 vendu.

Direction éditoriale : Abbé Gabriel Grimaud et Grégoire Boucher
Editeurs : TerraMare et Artège
Date de parution : Novembre 2011
Nombre de pages : 176 pages
Format : 17 cm par 25 cm

 

Marie-Anne Vannier « Les mystiques rhénans, Eckhart, Tauler, Suso » collection « L’apogée de la mystique de l’église d’occident », Editions du Cerf, 2011.

La mystique est un concept relativement récent au regard de l’histoire de l’église puisqu’il ne se distingue de la théologie qui l’englobait jusqu’alors qu’à partir de la fin du XI° siècle avec Bernard de Clairvaux. La mystique rhénane naîtra ainsi d’une théologie bien spécifique avec Albert le Grand à Cologne au milieu du XIII° siècle. Mais c’est essentiellement avec maître Eckhart que cette mystique se caractérise autour d’une langue commune : le moyen haut allemand de la vallée du Rhin. L’unité de l’âme avec Dieu est au cœur de cette intelligence de la foi qui se veut « une expérience vécue » de Dieu selon Wolfgang Stammler. Mais cela ne doit pas réduire la part importante prise par la théologie et la connaissance de Dieu dans cette démarche : Eckhart n’hésitera pas à se comparer à un second Paul sur le chemin de Damas, réconciliant ainsi ces deux dimensions. Le présent ouvrage de Marie-Anne Vannier dans la collection « L’apogée de la mystique de l’église d’occident » aux éditions du Cerf est au cœur de cette pensée avec une sélection des principaux textes de maître Eckhart, Jean Tauler et d’Henri Suso. Comme le relève justement Marie-Anne Vannier, Eckhart est un auteur qui est actuel en raison d’une pensée propice à un dialogue interreligieux. Il n’est ainsi pas étonnant de constater un grand nombre d’éditions de ses écrits, non seulement en langue allemande, mais également en français dans lequel nous relevons régulièrement de nouvelles publications dans nos colonnes. L’auteur souligne combien la recherche la plus récente a fait de nombreux progrès quant à la connaissance de la biographie d’Eckhart. Un petit bémol est cependant à souligner dans cette actualité du mystique rhénan, si le nom d’Eckhart orne souvent les grands titres de la presse ou des rayons d’ésotérisme, c’est la plupart du temps pour quelques lignes extraites de ses fameux Sermons allemands dont se délectent les cercles du New Age et non pour la profondeur de sa théologie dégagée de son expérience mystique. C’est à une actualité bien plus profonde que nous invite Eckhart avec ces différents textes réunis dans cette anthologie : l’instant d’éternité de l’Incarnation si bien symbolisé par la reproduction en page centrale du sceau de maître Eckhart montrant un Christ ressuscitant, un pied sorti du tombeau tenant de la main gauche le bâton de pèlerin, signe de l’évangélisation à poursuivre et adressant à l’humanité tout entière de la main droite un geste de paix jusqu'au jugement dernier.
Cette anthologie est une première et permet de voir ainsi présenté en une seule source un panorama particulièrement complet de trois auteurs majeurs de cette mystique rhénane avec des introductions très détaillées pour chaque auteur et une bibliographie complète.

 

Chantal et Paul Colonge « Benoît XVI, la joie de croire » L’histoire à vif, éditions du Cerf, 2011.

Il manquait curieusement une biographie engagée sur Josef Ratzinger, l’actuel pape Benoît XVI. Plus qu’un exercice de style, les deux auteurs sont manifestement entrés au cœur même de la personnalité de celui qui est devenu en 2005 le 265e successeur de Pierre. Comment appréhender un parcours aussi riche et une personnalité beaucoup plus fine et subtile que ce les caricatures ont tenté d’imposer dès son élection le 19 avril 2005, après le long pontificat du pape surmédiatisé Jean-Paul II ? Pour répondre à cette question, Chantal et Paul Colonge, universitaires, sont allés à la rencontre de celles et ceux qui ont connu Josef Ratzinger. L’ouvrage prend immédiatement un ton, sinon familier, tout au moins intime avec une personnalité qui au fil des pages se découvre et permet d’affiner bien des idées reçues.
Le livre n’hésite pas à repartir très loin dans les souvenirs d’enfance telle cette touchante histoire d’ours en peluche offert pour Noël à la grande émotion du tout jeune enfant dans ses premières années bavaroises à Marktl am Inn. C’est surtout à Tittmoning que les souvenirs seront les plus importants. La petite ville est à 30 kilomètres de Salzbourg, la ville de son musicien préféré, l’incomparable Mozart. C’est dans cette ville que les premiers souvenirs des grandes fêtes religieuses et l’importance de la liturgie vont prendre racine chez le tout jeune enfant. Cette enfance sera centrée autour des valeurs traditionnelles de la Bavière de cette époque : la famille et la foi. Mais, rapidement, des nuages annonciateurs s’accumuleront sur cette région de l’Europe qui avait vu aussi naître en 1889 à une soixantaine de kilomètres de Salzbourg Adolf Hitler…
C’est ainsi que les bruits de bottes vont rapidement se faire entendre dans cette campagne pourtant si calme. Chantal et Paul Colonge jettent définitivement aux oubliettes les prétendues velléités du jeune garçon pour les Jeunesses hitlériennes. Radicalement opposé à cet endoctrinement, suivant en cela la position de son père très critique, il eut grâce au ciel, et au concours de son professeur de maths, le certificat nécessaire pour figurer dans cette institution obligatoire sans avoir à suivre cependant le cursus qui s’imposait à toute la jeunesse de cette époque. A seize ans, en 1943, il connaît la triste réalité de la guerre avec son service dans la DCA. Cette expérience si marquante sera certainement déterminante pour sa vocation. Suivront les années du séminaire et d’études avant l’ordination, le fameux 29 juin 1951 où il dira oui à Dieu en même temps que son frère aîné, Georg.
La biographie de Benoît XVI se poursuit avec les années de recherche et d’enseignement. A peine plus âgé que ses étudiants, il est très tôt apprécié pour la clarté et en même temps la profondeur de ses enseignements. Sa thèse sur saint Augustin sera soutenue brillamment et appréciée par les meilleurs théologiens de son époque (Congar la citera très tôt en référence), puis viendra la seconde thèse sur saint Bonaventure acquise avec plus de difficulté en raison d’une divergence entre ses directeurs de thèse. Sa puissance de travail et son goût pour la recherche le feront rapidement remarquer lors du Concile Vatican II où il sera désigné expert en même temps qu’un certain Hans Küng, qui croisera dès lors régulièrement son chemin.
Le livre développe alors la vie plus connue de Josef Ratzinger (l’enseignement à Tübingen puis à Ratisbonne) avant d’approfondir la période romaine en tant que préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi puis l’élection de 2005. Le lecteur s’arrêtera avec intérêt sur des aspects plus personnels et moins biographiques, tels les lectures d’un pape amoureux d’une littérature attendue (Goethe, Kafka, Bernanos, Claudel…), mais aussi plus originale avec Nietzsche, Camus, Sartre et Simone de Beauvoir… Le chapitre 22 consacré à « la joie de croire » est un florilège de ce qui est au cœur de la personnalité de Josef Ratzinger avec une joie de la liturgie qui transcende toutes les divisions à son sujet.
Impossible de résumer la richesse de cet ouvrage qui, plus qu’une biographie, sans être pour autant une hagiographie, dresse un portrait tout en nuance d’un homme et du souverain pontife qui a trop souvent fait l’objet de raccourcis réducteurs. Chacun pourra ainsi, à sa lecture, se faire sa propre opinion.
 

 

Slawomir Oder avec Saverio Gaeta « Le vrai Jean-Paul II, l’homme, le pape, le mystique » Presses de la Renaissance, 2011.

L’actualité de la prochaine béatification de Jean-Paul II, le 1er mai prochain, rend bien évidemment la lecture de ce livre intéressante. Tout d’abord en raison de la qualité de son auteur, Slawomir Oder, qui est le président du Tribunal d’appel du vicariat de Rome et qui a été le postulateur de la cause de canonisation de Jean-Paul II dés 2005, année de la mort du souverain pontife. Le lecteur apprendra par là même que la « fabrique des saints » répond à des règles bien précises et en l’occurrence particulièrement rigoureuses. Il apparaît évident que le choix et la rapidité de mise en œuvre de cette procédure ne sont pas anodins pour le Saint-Siège (un délai de 5 ans à partir du décès doit normalement être respecté avant d’introduire une cause).
La publication de cet ouvrage l’année dernière en Italie a également fait couler beaucoup d’encre et a particulièrement gêné comme le reconnaissait récemment le cardinal Angelo Amato, préfet de la Congrégation pour les Causes des Saints. Les « révélations » sur certains aspects du mysticisme de Karol Wojtyla étaient en effet jusqu’alors connues d’un petit cercle de proches du pape polonais. Pour être exact, il faut avouer que les pratiques évoquées de flagellation et autres mortifications ont une place plus que réduite dans ce livre qui se veut plutôt une introduction à la personnalité de Jean-Paul II. Mais, comme toutes révélations, elles ont été reprises rapidement par la presse qui a su les extirper de leur contexte et en faire des révélations extravagantes… A l’heure où des millions de gens s’affament pour des régimes amaigrissants ou s’exténuent dans des salles de sport pour un corps hypothétique, une mise à l’épreuve du corps physique pour renforcer une dimension mystique peut sembler suspecte. Peu importe, et là n’est pas l’essentiel, il est bien plus important, semble-t-il, de souligner le nombre important de témoignages qui sont ici réunis et qui convergent vers la dimension exceptionnelle de celui qui aurait du être un comédien de théâtre ou un poète s’il avait suivi ses premières aspirations. Nous apprenons en effet de la bouche de personnes peu suspectes de sympathies excessives en la personne notamment de Gorbatchev et du général Jaruzelski combien Jean-Paul II les laissait admiratifs quant à sa force morale et à son rayonnement. Pour Gorbatchev, ce n’est pas lui-même qui a contribué à abattre les murs du communisme avec sa fameuse Glasnost, mais bien le pape polonais !

 

Benoît XVI « Lumière du monde, le pape, l’église et les signes des temps » un entretien avec Peter Seewald, BAYARD, 2010.

Jean évoque les paroles de Jésus Christ lors du fameux épisode de la femme adultère : « Moi, je suis la lumière du monde. Qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais aura la lumière de la vie. ». Ce message du salut si essentiel à la foi catholique a été repris comme titre de l’entretien réalisé en 2010 entre le pape Benoît XVI et le journaliste allemand Peter Seewald à Castel Gandolfo.
La lumière est en effet au cœur de ces entretiens, une lumière inaltérable quelles que soient les atteintes qui peuvent lui être portées de l’intérieur ou de l’extérieur de l’Église. Le journaliste connaît bien l’actuel pape pour avoir écrit un livre d’entretiens plus de treize ans auparavant alors que Josef Ratzinger était encore le cardinal responsable de la Congrégation pour la doctrine de la Foi (Le sel de la terre) et n’hésite pas à aborder avec lui les questions les plus brûlantes qui ont marqué les dernières années du pontificat. Si quelques lignes ont fait l’objet d’un écho encore une fois excessif (propos sur le préservatif en cas de prostitution), le fond du livre est d’une ampleur autrement plus large, touchant de nombreux fondamentaux de la foi chrétienne et de la société de manière plus générale. Science et raison sont invitées à cette lumière de la foi sans que ce dialogue puisse paraître incongru selon Benoît XVI, bien au contraire. L’universitaire et chercheur en théologie connaît bien les exigences de la recherche scientifique et n’estime pas qu’elles soient antithétiques avec le message profond de la foi. Le livre souligne combien les sciences butent sur leurs propres limites et ne peuvent parvenir à expliquer tout et, qui plus est, la raison d’être de ce tout. De nombreux scientifiques intègrent de plus en plus la foi à la raison sans que cela impose un nouvel obscurantisme préjudiciable à la connaissance. Ce qui ressort de la lecture de ce livre stimulant, c’est à la fois cet énoncé d’un message de foi absolu, qui ne souffre pas du relativisme et du doute omniprésent, et en même temps une ouverture aux problèmes de notre temps et à ses exigences en terme de société. Contrairement à ce que ses détracteurs laissent souvent entendre, l’actuel pape n’estime pas vivre dans une tour d’ivoire (même s’il reconnaît avoir du mal à pouvoir s’échapper des appartements du Vatican…). Il souligne combien il est chaque jour à l’écoute du pouls de l’Église et du monde par l’intermédiaire des nombreuses représentations qui viennent lui rendre compte de ce qui passe chez elles, mais également lors des nombreux voyages réalisés dans les continents les plus éloignés. Benoît XVI ne dresse pas pour autant un paysage idyllique d’où seraient bannis tous les problèmes, tant s'en faut. Ses jugements sont même souvent pessimistes, voire tragiques, quant aux difficultés et à l’évolution de notre société. Profondément blessé par les scandales des abus sexuels au sein de l’Eglise, il ne nie pas que de nombreux responsables aient échoué dans leur mission, mais, même dans cette terrible épreuve, il veut trouver là le signe d’une catharsis qui implique une remise en question. Cette destruction des valeurs morales poussées au point le plus effroyable peut être en effet surmontée par une purification, c'est-à-dire reconnaître que « nous ne pouvons pas vivre n’importe comment » selon ses propres termes. « Qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres mais aura la lumière éternelle », voici en termes très actuels, une nouvelle lecture des paroles de l’évangile à l’heure où de sombres nuages planent sur nos sociétés en crise…
 

 

Hans Küng « Mémoires II, une vérité contestée » Novalis – Editions du Cerf, 2010.

Deux histoires se répondent en écho dans ce deuxième volume des mémoires de Hans Küng : celle, en premier lieu, d'un grand théologien de renom du XXe siècle, et d’autre part, parce qu’indissociable, l’histoire de l'Eglise et du monde dans la décennie des années 70. Si le premier volume des mémoires de Hans Küng retraçait la formation de l'intellectuel avec un parcours exigeant forgé aux armes délicates de la théologie, de la philosophie et de la culture, le second volume est marqué par les batailles souvent éprouvantes auxquelles a dû faire face le jeune théologien rebelle. Hans Küng lors de sa présentation du livre à Paris au printemps dernier reconnaissait cependant qu’au-delà des difficultés et des épreuves, le bilan demeurait positif, car il était resté dans l'Église catholique et ce malgré l'adversité. Cette bataille de l'un des plus jeunes théologiens du concile Vatican II a été non seulement menée pour la liberté, mais aussi pour la vérité. Hans Küng a su en effet profiter de sa grande connaissance des théologiens de la génération précédente afin de s'engager toujours plus dans l'action de l'Église catholique plutôt que de rester un observateur neutre de son évolution. Lorsque Pie XII mit un terme à l'expérience des prêtres ouvriers, commença alors une suite d'interrogations sur l'infaillibilité pontificale chez le jeune théologien, et c'est tout le récit de celui qui a vécu de l'intérieur tous ces événements qui nous sont proposés dans ce deuxième volume. Les grands conflits qui ont émergé dès le Concile Vatican II jusqu'à aujourd'hui relèvent, souligne l'auteur, d'un conflit de paradigmes : qu'il s'agisse du paradigme judéo-chrétien dès les premiers temps de l'église, de celui hellénistique pour le premier millénaire, puis du paradigme romain catholique du XIe siècle où toute l'Église romaine s'est définitivement figée selon Hans Küng. Pour l’auteur de ce deuxième volume de mémoires, Joseph Ratzinger, par le passé et sous son actuel pontificat, serait toujours resté à ces niveaux de paradigmes. Le pape actuel considérerait la philosophie des Lumières et la modernité qui ont succédé aux paradigmes précédents comme de véritables menaces quant à ces bases traditionnelles premières…
Ce second volume part des fameux évènements de 1968 qui ont eu de fortes répercussions y compris dans la faculté de théologie de Tübingen jusqu’à 1980 avec le pontificat de Jean-Paul II. Cette grande décennie fut particulièrement chargée émotionnellement pour un théologien qui progressivement sera mis au ban par la hiérarchie catholique voyant d’un mauvais œil la position critique d’un de ses membres qui refusera cependant toujours de quitter la prêtrise. La documentation exceptionnelle et de premières mains réunies par Hans Küng constitue de véritables archives pour l’histoire de l’Eglise avec les coulisses décrites par une plume sans concessions. Au fur et à mesure que sa réputation internationale croit avec des publications qui deviendront rapidement des best-sellers et de nombreux voyages et conférences autour du monde, une opposition sourde commence à poindre laissant présager de lourdes conséquences : à la veille de Noël 1979, Hans Küng tente de se remettre de ses émotions d’une année éprouvante sur les pistes de ski de Lech au Tyrol. Alors qu’il se présente au remonte-pente pour gravir une piste, on l’interroge avec empressement : « Professeur Küng ? Toutes les stations vous appellent. Vous devez redescendre tout de suite dans la vallée. ». L’auteur comprend vite que Rome est à l’origine de ce message urgent et le lecteur découvrira la suite dans ce qui aurait pu être un roman haletant s’il n’était le récit de la vie d’un grand penseur qui a gardé dans cette première décennie du XXI° siècle toute la fraîcheur de sa liberté !

 

 

Le cardinal André Vingt-Trois présente : "Vatican II, une boussole pour notre temps. Plus de quarante ans après qu’est devenu le Concile ? Conférences de Carême à Notre-Dame de Paris 2010" Editions Parole et Silence, 2010, 156 pages.

Les conférences de Carême à Notre-Dame de Paris sont depuis Lacordaire un rendez-vous de réflexion spirituelle et ecclésiale qui concerne un public bien plus large que les catholiques de la capitale. Elles ont été imitées dans de nombreuses autres grandes villes. Le cardinal Vingt-Trois leur a donné un nouvel élan en en faisant un lieu de dialogue entre des voix multiples, et en particulier avec des non chrétiens ou des non croyants (cette année, le rabbin Rivon Krygier a ainsi été invité à prendre la parole sous les augustes voutes de la cathédrale, ce qui a déclenché la réaction d’un groupuscule intégriste).
Ces six conférences (dont trois sont à deux voix) offrent un beau panorama du questionnement contemporain autour de Vatican II. Deux conférences générales (confiées à deux évêques, E. de Moulins-Beaufort et J.-L. Bruguès) encadrent quatre conférences thématiques : La Parole de Dieu, L’histoire du salut, la liturgie et « enracinement et ouverture ». La conférence d’ouverture propose quelques formules brèves pour résumer l’œuvre du Concile, par exemple : « il y a une destinée unique de l’humanité, si diverse soit-elle […] ; cette destinée est divine et l’Eglise est la forme que Dieu donne à l’humanité pour qu’elle entre dans sa destinée » (p.17). La deuxième conférence nous offre une belle méditation à deux voix sur l’articulation entre Ecritures sainte, Parole de Dieu et écoute. M. Camdessus montre en économiste l’actualité de Gaudium et Spes, en particulier dans la relecture qu’en a proposé Benoît XVI dans son encyclique sociale. M. Rougé met lui en lumière qu’en liturgie, seule la réforme est traditionnelle, et que la liturgie est le cœur brûlant de la cité terrestre. Le pasteur Krygier répond ensuite à une question décisive en ces temps de conflits de civilisation : « De quelles marges disposent nos enracinements respectifs pour progresser dans l’ouverture ? » Enfin, Mgr Bruguès propose une synthèse de Vatican II autour d’une triple écoute de l’autre : le goût de l’Autre, le souci de l’autre et la perception de soi-même comme un autre. Il a cependant quelques propositions qui mériteraient d’être discutées, en demandant qu’on ne cherche pas à maintenir un esprit du concile, destiné à disparaître en même temps que ses derniers témoins et en affirmant que le grand œuvre du pape Jean-Paul II serait le Catéchisme de l’Eglise catholique, qui devrait être l’instrument privilégié pour la réception de Vatican II.

Père Dominique Barnérias.

 

Joaquin Navarro Valls « La passion de l’homme » Editions Parole et Silence, 2010.

Le présent livre réunit les différents articles écrits par celui qui fut le directeur de la Salle de presse du Saint-Siège pendant plus de vingt ans durant le pontificat de Jean-Paul II. Si l’ordre des articles ne suit pas la chronologie, c’est bien parce que, pour leur auteur, ils révèlent quelque chose de plus profond qui dépasse le cadre de l’actualité journalistique. La force de l’écriture journalistique pour Joaquin Navarro Valls, c’est l’aptitude à faire valoir les faits de l’actualité dans le cadre d’une culture humaniste. Cette démarche évite ainsi deux écueils : la description brute des faits sans profondeur et son antagoniste, le développement d’idées sans une connaissance fine de l’actualité se transformant ainsi en une idéologie. Ce recueil ne se veut être ni l’un, ni l’autre. Celui qui fut également psychiatre avant de devenir journaliste rappelle ainsi : « Chaque fait, chaque évènement, chaque contexte particulier – même minime – est centré sur l’humanité car il tourne toujours autour du facteur humain en tant que problème et en tant que solution ».
Joaquin Navarro Valls souhaite ainsi que la lecture de ces épisodes d’actualité puisse ouvrir à une pensée plus générale sur l’homme. Nous découvrons ainsi derrière les hommes et les idées qui les animent de véritables leçons de vie. Elles semblent parfois cachées derrière le masque du pouvoir telle cette entrevue inoubliable avec Mikhaïl Gorbatchev ou parfois plus apparentes tel ce témoignage sur Josef Ratzinger qui contrairement à l’image préfabriquée des médias apparaît sous la plume de Joaquin Navarro Valls comme une personne délicate, discrète, sobre et en même temps plein de vitalité.
On ressort presque rasséréné par la lecture de ce beau témoignage porté avec une plume à la fois vive et incisive sur le caractère humain. Il apparaît en effet très nettement que, malgré les clivages et les dissensions, il reste toujours une dimension qui tout en partant de notre condition humaine la dépasse et la transcende bien souvent à son insu.

 

Cardinal Stanislaw Dziwisz, Angelo Comastri, Vincent Paglia « N’ayez pas peur ! Jean-Paul II – le début du pontificat » Editions Parole et Silence, 2010.

« N’ayez pas peur » cette phrase fameuse prononcée par Jean-Paul II dès le début de son pontificat résonne encore aux oreilles de nombreuses personnes, trente années après et alors que le cinquième anniversaire de la disparition du pape polonais vient d’être commémoré. Ce vaste programme d’ouverture de l’économie, de la culture, de la civilisation et de la politique allait anticiper les grandes mutations de l’ancien bloc soviétique. Il apparaît opportun non seulement en guise d’anniversaire, mais plus largement en raison de son actualité de rappeler cette confiance à laquelle encourageait le souverain pontifie, non pas une confiance béate, mais une confiance fidèle au Christ. Cette apostrophe avait mobilisé la jeunesse dans un vaste élan qui persiste encore aujourd’hui avec les JMJ qui n’ont pas faibli avec la disparition du pape charismatique. Le cardinal Stanislaw Dziwisz, secrétaire de Jean-Paul II, et l’homme le plus proche de Karol Wojtyla, revient sur le début de ce pontificat et montre combien cette longue expérience auprès du pape lui a permis de « toucher le mystère » selon ses propres mots. Le cardinal Dziwisz évoque dans le détail le dramatique épisode de l’attentat place Saint-Pierre le 13 mai 1981 afin de montrer comment cette journée allait devenir le révélateur de ce mystère. Vincent Paglia développe également dans une autre partie de ce livre l’importance de l’oecuménisme pour Jean-Paul II avec le grand moment d’Assise. Dans le sillage du Concile, Jean-Paul II a souhaité ainsi encourager le dialogue des religions. Angelo Comastri évoque quant à lui la surprise de la désignation d’un pape polonais dans une fin de siècle où l’athéisme d’Etat sembler vouloir toujours prédominer à l’Est.

 

 

“Benedetto XVI. Urbi et orbi, con il Papa a Roma e per le vie del mondo » A cura di Georg Gänswein, Libreria Editrice Vaticana, 2010. (en italien)
“Benedikt XVI. Urbi et Orbi, mit dem Papst unterwegs in Rom und der Welt” Herausgegeben von Georg Gänswein, Herder, 2010. (en allemand)


Publié à l’occasion du Jubilé pour les 5 ans du magistère du pape Benoit XVI, cet album illustré de nombreuses photos est un témoignage de l’activité du Saint-Père depuis son élection en 2005. Celui que l’on présentait comme un intellectuel plus effacé que son actif prédécesseur, véritable pape globe-trotter, a cependant fait la preuve qu’il pouvait mobiliser la chrétienté avec un autre style. Les kilomètres sont certes moins nombreux, mais les directions choisies sont symboliques et, grâce à des discours et des messages rédigés avec soin par le pape théologien, les paroles fortes et exigeantes portent loin, les polémiques et raccourcis médiatiques qui en découlent en étant la preuve. Le combat inlassable contre le relativisme et pour la vérité est au cœur de l’action de Benoît XVI. Josef Ratzinger a vécu les affres du régime nazi et il connaît les conséquences des valeurs remises en question au profit du culte de la personne, des idéologies et pire, du nihilisme. C’est ainsi dans un esprit d’espérance, de foi et d’amour dans l’humanité que ces cinq premières années ont permis à Benoît XVI de déployer une action en profondeur, y compris à l’attention des jeunes pour lesquels il adresse régulièrement un message exigeant et en même temps plein d’espoir, les derniers voyages de Malte et du Portugal en étant la preuve. Nous parcourons ainsi les grands voyages du pape depuis 2005 avec le premier, à Cologne la même année, puis toute une série de directions à l’intérieur ou proche de l’Europe (Pologne, Valence, Bavière, Turquie…). Il faudra attendre 2007 pour que Benoît XVI franchisse l’Atlantique et se rende au Brésil, une région qu’il connaissait bien en tant que cardinal et qu’il qualifie de « continent de l’espoir » en raison de sa forte concentration catholique. L’année suivante, 2008, sera l’année des États-Unis, voyage particulièrement important en raison du fort développement du pentecôtisme et voyage au cours duquel le pape a su toucher le cœur de New York avec son recueillement sur le site Ground Zero des tours effondrées par l’attentat du 11 septembre. Sydney, la même année, fut la preuve que Benoît XVI pouvait parler et toucher le cœur des 220.000 jeunes présents lors de ces JMJ. 2008. Une année décidément riche de voyages verra le pape rencontrer la fille aînée de l’Eglise avec son voyage en France. Le fameux discours tenu au Collège des Bernardins séduira le monde intellectuel français initialement réservé à l’égard d’un pape suspecté d’être trop conservateur. L’année suivante s’accélère encore avec deux grands voyages essentiels : le continent africain (Cameroun – Angola) avec un pape qui reçut un accueil triomphal sur des terres où l’Islam est très présent et le pèlerinage en Terre sainte avec des moments forts dans un contexte plus que délicat entre Israël et les revendications palestiniennes.
Illustré par de nombreuses photos souvent inédites, cet album préfacé par le secrétaire de Benoît XVI, Mgr Georg Gänswein, est le témoignage de l’intense activité du Saint-Père. Georg Gänswein n’hésite pas en effet à relever que le pape n’est pas un homme du consensus, mais qu’il est au contraire persuadé que le message de la foi doit primer même si son contenu est souvent jugé trop exigeant. Urbi et orbi, au monde et à la ville, est un parfait résumé de l’action du pape Benoît XVI depuis cette fameuse journée du 19 avril 2005, où le théologien, homme de dossiers et d’études, a élargi son action à l’humanité tout entière !

pour acheter ce livre dans la version italienne :

www.paxbook.com

pour acheter ce livre dans la version allemande : www.herder.de 
 

 

François Wernert : Le Dimanche en déroute, les pratiques dominicales dans le catholicisme français au début du 3e millénaire. Préface de Mgr Albert Rouet, évêque de Poitiers, Médiaspaul 2010.

L’auteur part d’un constat que tout le monde peut faire : la forte diminution de la pratique de la messe dominicale en France. En 1952, 27% de la population française allait à la messe le dimanche, en 2006, on atteint le niveau de 4,5%. Le dimanche est désormais devenu le week-end et il est associé aux loisirs, à la liberté, aux rencontres. La diminution du nombre de prêtres a aussi conduit à une baisse du nombre de messes, en particulier dans le monde rural, qui rend pour beaucoup de gens la pratique plus difficile. Pourtant, l’Eucharistie dominicale est essentielle pour les chrétiens qui y célèbrent la résurrection du Christ. Pour réfléchir à cette situation, il faut tenir ensemble trois termes, dont aucun ne peut être sacrifié : Assemblée – Eucharistie – Dimanche. Cette trilogie a fait l’objet de plusieurs démarches de réflexion dans des diocèses de France ces dernières années.
François Wernert, prêtre et professeur de théologie à l’Université de Strasbourg, initie dans ce livre une démarche de théologie pratique très structurée et pertinente. Il procède en cinq étapes. Il part de la pratique qu’il analyse en rendant compte de quatre enquêtes récentes, tant qualitatives que quantitatives. Ces enquêtes fournissent un paysage assez précis des propositions faites autour du dimanche, et d’une réelle fragilisation du tissu ecclésial, qui accompagne le regroupement des paroisses rurales. La deuxième étape est un repérage des textes magistériels récents de l’Eglise catholique sur le dimanche (le Concile Vatican II, les papes, le catéchisme de l’Eglise catholique, les évêques de France et leurs prises de position). Ces textes rappellent de diverse manière l’obligation de la pratique dominicale pour les catholiques, (rappels que l’auteur juge peu efficaces et même contre-productifs).
La troisième étape, « problématiser » est la plus courte (15 pages) : La problématique proposée est celle de l’évolution du rapport entre « eucharistie, assemblée et dimanche » et ce que cette évolution dévoile du rapport entre théorie (doctrine maintenue) et pratique. Peut-on à partir de cette évolution proposer de nouveaux paradigmes pour la vie des communautés chrétiennes ? La quatrième étape, « corréler », la plus longue (plus de 160 pages), tente d’éclairer la problématique le plus finement possible à partir d’approches variées, venant de l’intérieur autant que de l’extérieur du catholicisme (théologie, réflexions de pasteurs, apport des pères de l’Eglise, sociologie et histoire) : « Il s’agit de mettre en relation dynamique et critique réciproque les données de l’analyse interprétée et contextualisée avec le contenu de la Révélation » (p.227)
Enfin, la dernière partie, « préconiser », fait un certain nombre de propositions pour aider l’Eglise à retrouver une attitude plus dynamique sur le dimanche. L’auteur ose lancer quelques pistes nouvelles, par exemple sur les écoles du dimanche et sur la nécessaire proximité de la vie ecclésiale, ce qui pose problème surtout dans le monde rural. L’ensemble de l’ouvrage semble d’ailleurs plus partir des réalités rurales qu’urbaines, et c’est sans doute le reproche principal qu’on peut lui adresser, alors qu’aujourd’hui la majorité des français vivent en ville. La question de la proximité ne s’y pose pas, bien sûr, de la même manière. Mais l’ensemble de la démarche, bien structurée, est très éclairante pour qui s’intéresse à une démarche théologique en prise avec la réalité vécue par les chrétiens.

P. Dominique Barnérias.

 

 

Mgr Mieczyslaw Mokrzycki - Brygida Grysiak « Le mardi était son jour préféré, dans l’intimité de Jean-Paul II » Editions des Béatitudes, 2010.

Mieczyslaw Mokrzycki était surnommé Mieciu par le pape Jean Paul II dont il était le second secrétaire personnel de 1997 jusqu’à sa mort. Ce diminutif affectueux en dit long sur le climat qui entourait la « garde rapprochée » du Saint-Père ; en fait de garde, il s’agissait plutôt d’anges gardiens veillant au bon ordonnancement de la vie quotidienne de celui qui était à la tête de l’Eglise catholique universelle. Ce jeune prêtre polonais ordonné en 1987 sera le témoin direct des dernières années du pontificat particulièrement long de Karol Wojtyla. Il n’aura ainsi pas connu le pape marathonien, mais plutôt un pape conscient de ses limites physiques qui, avec l’âge et la maladie, allaient s’accroissant. Cependant, il fut le témoin d’une énergie toujours intacte et parfois même transcendée par les épreuves du temps et de la douleur. Les paroles ne sont pas reines dans ce quotidien du pape et son secrétaire est souvent dans l’expectative quant aux questions posées par la journaliste Brygida Grysiak car le pape dialoguait surtout avec Dieu et son emploi du temps surchargé jusqu’aux dernières heures ne lui laissait pas le temps de longs dialogues et autres confidences avec ses secrétaires particuliers. Mais, cette prière était tellement rayonnante que les réponses émanaient directement d’elle et « Mieciu » peut s’avancer sans se tromper sur nombres d’interrogations avancées quant aux huit dernières années de la vie du pape Jean-Paul II. Nulle flagornerie dans ce témoignage, le secrétaire chargé du quotidien du pape sait qu’il n’a pas besoin de cela et que la grande popularité de Jean-Paul II témoigne de la dimension d’un homme qui a donné toute sa vie à l’Eglise et à Marie dont la célèbre devise Totus Tuus (tout à toi) est le symbole évocateur…
Le pape n’en était pas moins un homme aimant la vie, les rires et les chants, ces fameux chants polonais qui résonnaient dans les appartements pontificaux au moment des grandes fêtes. Ces fêtes réunissaient toujours un petit groupe de fidèles liés par la même langue et le même amour de la patrie polonaise. Jean-Paul II aimait aussi les sucreries, les réclamait même d’un geste discret circulaire tracé avec le doigt sur la table, comme un enfant qui aurait peur de demander à voix haute. Ce caractère humain contraste avec l’intensité de l’homme de prière qui pouvait rester de longs moments dans la méditation sans qu’aucun bruit ni personne ne puissent le déranger. Ce bloc de prière était là et ses secrétaires ne pouvaient que préserver ces instants sacrés qui les nourrissaient tout autant par leur intensité que par leur véracité. Il n’y avait pas deux vies chez Jean-Paul II, une vie de prière et une vie quotidienne, mais bien une seule vie nourrie de prières pour affronter ou composer avec le quotidien. C’est en cela que le témoignage de Mieczyslaw Mokrzycki, maintenant archevêque de Lvov en Ukraine, est précieux, car, quelque soit les opinions portées sur le pape polonais, il est un témoignage d’un amour de la vie que rien ne sut atteindre, ni la maladie, ni la balle d’un tueur professionnel tirée à bout portant…

 

« Philosophie & Théologie dans la période antique tome 1 » sous la direction de Philippe Capelle-Dumont, volume dirigé par Jérôme Alexandre, Cerf Editions, 2009.
« Philosophie & Théologie au Moyen âge tome 2 » sous la direction de Philippe Capelle-Dumont, volume dirigé par Olivier Boulnois, Cerf Editions, 2009.


Il s’agit de la première anthologie associant les deux disciplines que sont la théologie et la philosophie pourtant étroitement dépendantes l’une de l’autre dans leur histoire. Les grands textes de l’histoire des idées sont organisés en quatre périodes distinctes : l’Antiquité, le Moyen-âge (les deux premiers volumes parus), puis la période moderne, et enfin la période contemporaine à paraître. Cette anthologie vise à explorer les liens nombreux tissés par les deux disciplines et dont émerge un nombre incroyable de problématiques pour le lecteur moderne. Par ce regard croisé, l’une comme l’autre peuvent retrouver leur intrication, et Philippe Capelle-Dumont relève d’ailleurs à ce sujet que la recherche philosophique séculière atteste d’un renouveau pour les idées théologiques. Il est donc grand temps de reléguer cette amnésie au rang de l’historiographie, et d’accorder une recherche approfondie aux relations entre les deux disciplines. Quel chemin a été parcouru avec l’invention de la philosophie par les Grecs et en même temps la réflexion sur le divin dont le mot theologias créé par Platon dans La République souligne l’importance ?
Ce premier volume part effectivement de Platon et couvre les grands noms que comptent l’Antiquité jusqu’à Jean Damascène au VIII° siècle, figure emblématique pour l’usage qu’il fit de l’héritage philosophique grec. A ceci viennent s’ajouter 29 notices qui offriront au lecteur une synthèse des idées de ces grands penseurs, ainsi qu’une sélection des textes les plus représentatifs de leur pensée.
La période médiévale objet du second volume débute par la transition byzantine du IX° siècle, suivie de la réception d’Aristote par la philosophie de l’Islam avant d’entamer les grandes périodes de la théologie médiévale. Comme le relevait Jacques Le Goff, lors de l’interview accordée à notre revue, il a existé un long Moyen-âge que le célèbre médiéviste n’hésite pas à étendre jusqu’au XVIII° siècle. Malgré l’uniformité trompeuse du vocable, il faut au XXI° siècle apprendre à distinguer les évolutions lexicales appartenant à la philosophia et à la theologia, ainsi qu’invitent à le faire les auteurs du présent volume. C’est tout l’objet de ce second tome que d’offrir ces nuances indispensables à une compréhension de ce Moyen-âge si prompt à tromper l’imprudent : la pensée juste héritée des Antiques rencontre la connaissance de Dieu, rencontre qui dépasse largement l’acte de synthèse, mais produit plutôt une nouvelle manière de penser le monde et la transcendance.
 

 

 

Le nouveau Théo, l’encyclopédie catholique pour tous MAME Editions, 2009.

Il n’existe pas à ce jour d’équivalent à Théo. Cette vaste entreprise réalisée sous la direction de Michel Dubost et Stanislas Lalanne, tous deux évêques bien connus du monde catholique, impressionne non seulement par son ampleur ( 1500 pages qui ont exigé 5 ans de travail avec un manuscrit de 6 kg !) mais surtout par la qualité et la clarté du plan retenu afin de présenter cette masse d’information. Cette culture chrétienne qui est mise sur papier de manière encyclopédique est non seulement validée par des auteurs et spécialistes de référence dans leur domaine, mais a également donné lieu à un travail éditorial exceptionnel qui a rendu cette richesse exploitable grâce à un plan pédagogique à partir duquel toutes ces informations ont été organisées.
Théo est tout d’abord un lieu de connaissances particulièrement accessible sur des données souvent disséminées dans plusieurs ouvrages différents, très peu ou trop développées selon les cas. Une première partie s’attache à rappeler aux fondamentaux : quels sont les témoins historiques de la foi (1021 biographies de saints de tous les pays et toutes les époques). La deuxième partie de Théo relate l’histoire de l’Ancien comme du Nouveau Testament. 251 entrées de cette encyclopédie vont ainsi encourager et faciliter l’abord de ces textes souvent ardus et éloignés de la femme et de l’homme du XXI° siècle. De nombreux repères sont donnés au lecteur qu’ils soient sous forme de cartes ou de chronologies. L’histoire de l’Église a constitué un long parcours de plus de XX° siècle et si nos contemporains peuvent facilement se souvenir des premières missions des saints Pierre ou Paul, il est déjà plus difficile d’avoir une connaissance précise des longs siècles qui ont suivi la reconnaissance officielle de l’Église par l’Empire romain. Qu’il s’agisse des différents conciles et des nombreux schismes qui ont marqué son histoire, des luttes contre les hérésies ou des différentes croisades, le lecteur de Théo trouvera toujours une information lui dispensant une synthèse claire et néanmoins complète sur ces évènements essentiels de la culture et de la foi chrétienne. Cette dernière est d’ailleurs au cœur de ce travail encyclopédique : une partie entière lui est consacrée afin de mieux rappeler les bases de la foi catholique avec 417 notions théologiques clairement exposées. Tous les grands débats du passé ou de la plus proche actualité (écologie, bioéthique…) sont abordés pour mieux comprendre la position de l’Église. À noter d’ailleurs, l’effort très louable de laisser une place importante aux grands textes des papes ou du Concile qui y sont analysés.
Les deux dernières thématiques dressent un bilan des chrétiens et des catholiques dans le monde avant d’analyser la place de l’Église dans le monde d’aujourd’hui. Qu’il s’agisse des grandes tendances actuelles ou de données très pratiques comme des adresses d’associations catholiques, Théo apporte des informations rapidement identifiables à l’aide d’une typographie très claire malgré les 8 millions de signes que compte cet ouvrage de référence…

Une véritable somme encyclopédique sur le monde catholique en un seul volume !

retrouvez toutes nos chroniques

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Histoire - Ethnologie

« Jeanne d’Arc, histoire et dictionnaire » Philippe Contamine, Olivier Bouzy, Xavier Hélary, collection Bouquins, Robert Laffont, 2012.


Qui était Jeanne, née à Domrémy le 6 janvier 1412, et dont le nom de famille allait faire trembler les grands de cette époque au point d’obtenir sa condamnation à être brûlée vive sur le bucher un 30 mai 1431 ? Condamnée pour hérésie et relapse par l’Eglise, elle sera déclarée sainte et patronne de la France par cette même Eglise au XX siècle. Cette jeune femme illettrée a fait l’objet de toutes les interprétations et c’est par le regard porté sur elle que l’historien apprend bien des choses sur les temps qui l’ont jugée, suspectée ou vénérée. Cette figure incontournable de l’Histoire de France et de l’Europe de ce XV° siècle méritait bien, en cette année anniversaire de sa naissance, un dictionnaire sous la direction de Philippe Contamine, membre de l’Institut et professeur émérite à la Sorbonne.
Comme le rappelle le grand médiéviste, Jeanne est devenue d’une certaine manière une icône inexorablement associée au « récit national ». La question est complexe parce que passionnée et inversement. Entre le réel et l’imaginaire, entre les questions stratégiques et religieuses, au regard de la politique et du social, le cas Jeanne d’Arc cristallise d’une certaine manière toutes ces complexités. Le lecteur comprendra ainsi très rapidement que toute tentative de démêler cet écheveau prend vite allure de défi. Philippe Contamine insiste d’ailleurs sur cette idée première selon laquelle l’histoire de Jeanne d’Arc, avant d’être merveilleuse et mystérieuse, est avant tout une histoire vraie. C’est incontestablement le premier objectif réussi de ce Dictionnaire que d’établir les faits, proposer les éléments du dossier dans toute leur richesse sans pour autant réduire leurs complexités. Cette démarche n’exclut pas les prises de position et les interprétations inévitables sur un tel dossier. Le « cas » Jeanne d’Arc est particulièrement riche d’enseignement dans la mesure où ce personnage hors du commun trouve des résonnances dans le contexte de son époque. Echo de la pensée de ce XV° siècle si riche d’enjeux, Jeanne d’Arc est également l’objet dans la présente étude d’une attention toute particulière sur le rôle des femmes à son époque. Par ailleurs, Jeanne d’Arc est d’une certaine manière une icône du XV° siècle vers où regarder pour mieux comprendre les imbrications de cette période charnière. L’héritage qu’elle a laissé aux siècles suivants, jusqu’à notre époque la plus récente, témoigne en effet des enjeux dont elle a pu faire l’objet. De Jeannette à Jeanne la Pucelle, de Jeanne d’Arc à la sainte patronne de France, que de chemins parcourus à travers la France d’hier et d’aujourd’hui, chemins retracés avec acuité et finesse par ce très beau dictionnaire !

Philippe-Emmanuel Krautter

 

 

« Louise Elisabeth Vigée Le Brun, histoire d’un regard » de Geneviève Haroche-Bouzinac, Flammarion, 2011.

Il est impossible d’échapper au regard de l’autoportrait bien connu de Louise Elisabeth Vigée Le Brun, peint vers 1782. Nous croyons observer ce visage mutin alors que ces yeux au regard indéfinissable nous ont scrutés bien avant. La bouche entrouverte, dont le coin des lèvres remonte légèrement, souffle sinon une confidence du moins une invitation à un partage, celui de la beauté, de l’éphémère. Pour quelles raisons le port délicat de la main droite étonne par opposition à la prise presque virile de la palette par la main gauche ? Cette épaule droite découverte de son châle, ses cheveux presque sauvages surmontés d’un chapeau valant à lui seul tout un tableau attisent la curiosité. Nous souhaitons en savoir plus et Geneviève Haroche-Bouzinac va s’employer avec bonheur à satisfaire nos interrogations en retraçant la vie d’une artiste qui traversera les régimes troublés à la veille de la Révolution jusqu’à la monarchie de juillet. La jeunesse de mademoiselle Vigée ne se déroule pas dans un milieu bourgeois comme cela a souvent été répété par ses biographes. Elle serait plutôt issue d’un milieu bohême, le père de « Lisette », lui-même peintre, encouragera les talents précoces de la jeune fille dès l’âge de huit ans ! C’est une belle jeune fille qui va dès lors s’épanouir et charmer son entourage et tous ceux qui la rencontreront jusqu’à son apothéose dans le cadre de la cour royale. Mais Louise Elisabeth Vigée Le Brun ne doit surtout pas rester enfermée dans cette position à la fois confortable, mais réductrice de peintre officiel de la reine Marie-Antoinette qui l’a fait tant connaître. Le paradoxe est là, immédiatement souligné par le biographe : Louise Elisabeth n’a pas connu que le bonheur, tant s’en faut. Elle expliquera ses déconvenues dans ses mémoires et Geneviève Haroche-Bouzinac a fait un travail impressionnant de redécouverte et analyse de ces sources (pour certaines inédites), largement réécrites après la mort de l’intéressée afin de plaire au goût du jour. On a alors cherché à honorer le souvenir de la reine décapitée et les remarques en bas de page de son peintre officiel ne sauraient venir ternir une telle mémoire… Il ne fallait pas de tâches, elles seront donc enlevées, sans atermoiements pour la vie d’une artiste et d’une femme, plus fragile que le modèle que l’on souhaitait éterniser. C’est durant l’été 1789 qu’elle entend le canon de la maison de Madame du Barry à Louveciennes où elle peint son portrait. Une conscience aiguë l’avertit qu’il est temps de partir alors qu’un grand nombre de ses contemporains croyaient à une révolte de plus, sans lendemains. La vie d’exil, courageusement menée, l’Italie, Vienne, Saint-Pétersbourg, les capitales défilent devant les yeux et la palette d’une femme qui connaîtra les blessures de la vie sans se départir de la voie initialement prise : celle de la rectitude et de l’art, de l’émotion qui n’empêche pas l’ironie. L’œuvre de l’artiste se dessine progressivement au fil des pages, éclairée par une nouvelle lumière, celle d’un destin ouvert à toutes les curiosités de la vie…

Philippe-Emmanuel Krautter

 

« En pays Dogon» Aurélien Gaborit, directeur du département Afrique au musée du quai Branly -  8 modules dépliants - illustrations couleurs et noir et blanc, Hors-série Découvertes Gallimard, 2011.

C’est un très astucieux petit guide ludique, à mettre entre toutes les mains, que vient d’éditer Gallimard dans sa très renommée collection « Découvertes », sur l’exposition « Dogon » actuellement au musée du quai Branly.
Son auteur, Aurélien Gaborit nous rappelle qu’au milieu du 20ème siècle, la découverte de la culture et de l’art Dogon du Mali va profondément bouleverser les connaissances sur l’histoire de l’Afrique.
Ce guide s’organise en 8 modules dépliants, qui appréhendent la statuaire dogon dans ses dimensions plastiques, fonctionnelles, historiques et symboliques.
Ces thèmes sont l’historique, la culture pré-dogon avec les Tellem, la cosmogonie et le mythe fondateur complexe de la culture dogon, l’habitat et l’architecture de bois, de terre et de paille, les masques et leurs mises en scène, l’autorité morale et spirituelle, le hogon, l’art de vivre dogon et les expéditions et collections autour de ma mission de Marcel Griaule entre 1931 et 1933.
Très bien illustré, chaque thème « se déplie » et montre statuaire, portes, dessins sur sable, bijoux, objets de culte, masques et paysage dogons.
Aujourd’hui encore, les arts, la langue et la société dogon sont sujets de recherches et de débats passionnés qui confèrent toujours à l’histoire de l’Afrique, une profondeur historique et une dimension métaphysique insoupçonnée qui se dévoilent un peu plus à travers les travaux des anthropologues, archéologues, ethnologues et historiens de l’art africain.
Un petit bout d’Afrique et de culture dogon à avoir dans sa poche ou dans son sac pour visiter l’exposition du musée du quai Branly, dans les musées d’art africain, mais aussi et avant tout pour découvrir assez finement cette civilisation.

Evelys Toneg

 

 

A lire également notre interview d'Aline Magnien

Blaise de Vigenère «La Description de Callistrate de quelques statues antiques tant de marbre comme de bronze (1602)», Éditions La Bibliothèque, 2010.

Callistrate, Blaise de Vigenère, ou la sculpture de mots…

Ouvrir l’ouvrage de Blaise de Vigenère paru aux Éditions La Bibliothèque, «La Description de Callistrate de quelques statues antiques tant de marbre comme de bronze (1602)», c’est entrer dans une galerie d’art, un tourbillon de connaissances, un doux vertige de prose où, sous la pointe de Callistrate ciselée par la plume de Blaise de Vigenère, les dieux et les maîtres rivalisent, les figures mythologiques, les statues et sculptures s’animent et se répondent, où l’espace-temps, les siècles et les lieux se croisent et s’entrecroisent pour ne laisser apparaître peut-être que l’essentiel…
C’est, en première lecture, une galerie de statues. Une description de statues antiques du second classicisme grec (probablement du IVe s. av. J.-C..) qui grâce au texte latin laissé par Callistrate, rhéteur du III ou IV s. apr. J.-C.., apparaissent et s’animent sous le burin des plus grands maîtres de l’art grec – Praxitèle, Scopas majeur ou mineur, Lysippe…- ; quatorze statues au total dans la description de Callistrate : des satyres parfois dansants, des bacchantes en transe, un centaure, deux Cupidons de Praxitèle en bronze, mais également Médée, Narcisse, Orphée, ou encore Esculape…qui vous entraînent dans une valse mythologique qui ravira tant l’amateur que le passionné de sculpture ou de mythologie. Car, la description sous le tracé de ce Romain, Callistrate, n’est nullement figée ou gravée purement dans le marbre, mais ces sculptures par leurs comportements, leurs attributs, leur matière acquièrent bien une âme. Vous réalisez alors que déjà six ou sept siècles séparent Callistrate de la création de ces sculptures ; et lorsque l’on se souvient que très peu d’originaux nous sont parvenus ou que le nombre de copies à l’époque romaine était impressionnant, vous restez songeur…Callistrate a-t-il véritablement vu ces statues ? Doit-on rapprocher Callistrate de Philostrate et des « Plattes Peintures » ?...
Mais, le tourbillon de l’art vous entraîne de nouveau par la main élégante de Blaise de Vigenère. Il fallait, en effet, toute la finesse de traduction du latin en français du XVIe siècle, en cette langue à peine construite, toute l’éloquence, l’art de la prose de Blaise de Vigenère – traducteur, auteur, savant contemporain de Michel de Montaigne – pour ce texte antique de Callistrate. Il a déjà traduit dans le même esprit, dans cet esprit de partage du savoir de la Renaissance, Philostrate, ou encore Tite-Live ou César… Mais, surtout, Blaise de Vigenère, en homme de son temps, humaniste, offre au texte de Callistrate un véritable écrin d’éloquence et d’érudition. Ainsi, après avoir présenté dans une plus ou moins longue présentation l’œuvre – L’argumentation -, puis traduit et exposé en français classique le texte proprement dit de Callistrate, il y apporte un commentaire -une annotation- qui vous transporte littéralement de mythologie en lieux, de maîtres en alchimie, de dieux en matières, de statues en techniques de sculpture…On y croise Michel-Ange que Blaise de Vigenère a vu sculpter de son vivant… mais également un serpent… Alors, vous réalisez pour la deuxième fois que treize siècles séparent le rhéteur romain Callistrate de cet érudit et savant qu’est Blaise de Vigenère, et par là même, presque vingt siècles le séparent des statues antiques grecques. Or, qu’a-t-il eu véritablement sous la main cet érudit dont on se plait à imaginer la bibliothèque…Diplomate, protégé du Duc de Nevers, il se veut savant homme et homme de partage et de transmission, lui, ce « kabbaliste chrétien » qui croit aux planètes et à la Renaissance….
Mais, l’espace-temps continue de se dilater, vous êtes au XXIe siècle et saluez cette initiative et belle édition présentée par Aline Magnien. Cela fait de nombreuses années qu’elle travaille et songe à cette édition, à cette traduction subtilement modernisée, l’annotation en témoigne…et découvrant son travail, le vertige de l’éloquence, de l’art de l’éloquence vous reprend lorsqu’elle vous souffle à l’oreille que peut-être ces statues…et bien ?...Et bien, ces statues n’auraient peut-être jamais existé, qu’elles ne sont peut-être que pur exercice d’éloquence, de prose, rivalité des arts, faisant ainsi de Callistrate un auteur privilégié aux yeux de cet humaniste qu’est Blaise de Vigenère. Comment pouvait-il, en effet, lui, cet érudit, passionné d’art, de beauté, d’éloquence et de prose ne pas en faire son complice ?... Comment, enfin, Aline Magnien, conservatrice au Musée Rodin, et Michel Magnien, directeur du volume Michel d’Yquem de Montaigne dans la Pléiade, pouvaient-ils, eux aussi, ne pas faire de Blaise de Vigenère, cet érudit et prosateur du XVIe siècle leur compagnon de route et de travail ? Aline Magnien nous raconte…

L.B.K.

 

Jean Erceau « Les jardins initiatiques du château de Versailles » Editions Thalia, 2009.

Toute initiation réserve des surprises à celui qui s’y livre et peut-être est-ce en cela que le parcours est-il le plus important : s’ouvrir à l’inattendu, élargir le champ de sa vision… Découvrir les jardins de Versailles, c’est très certainement s’offrir à une initiation exigeant patience et ouverture au risque de passer à côté des charmilles comme l’on se promènerait dans un parc municipal… Les multiples références symboliques parfois cachées au point d’avoir été définitivement perdues à nos yeux ou au contraire trop apparentes pour que nous puissions les reconnaître exigent une initiation, et Jean Erceau nous propose d’en être le guide !
L’auteur nous invite ainsi à passer du monde sublunaire à l’univers solaire par excellence, il tente de nous faire entendre le dialogue entretenu par les statues, dialogue de pierre qui peut encore faire entendre ses échos à celui qui sait regarder et écouter…
Tous les éléments sont présents dans ce petit espace symbolisant la nature, la culture, le pouvoir, les passions… Ce véritable labyrinthe peut-être une voie vers l’éveil et la transfiguration de la matière ou bien une chute définitive symbolisée par la terrible fontaine de l’Encelade… Prenons garde et suivons bien les traces de ce parcours pour pouvoir ressortir de cet univers merveilleux auquel ce très beau livre nous invite !

 

Théocrite « Idylles » texte établi par Philippe-Ernest Legrand revu par Françoise Frazier, bilingue, collection « Classiques en poche », éditions Les Belles Lettres, 2009. 

Si l’on connaît bien la tradition bucolique représentée par Virgile, on oublie trop souvent que l’auteur des Eglogues avait puisé son inspiration dans un genre déjà développé par Théocrite. Qui était ce poète du III° siècle ? Né probablement à Syracuse ou à Cos dans les années 280-275 av. J.C., il sera l’un des trois grands poètes de la première génération alexandrine avec Callimaque et Apollonios de Rhodes. L’hellénisme devient la culture dominante comme le rappelle Françoise Frazier dans son introduction au livre. La langue grecque véhicule le savoir de Marseille à Samarcande et le livre est là pour en témoigner ne serait-ce qu’avec la si fameuse bibliothèque d’Alexandrie !

Dans ce contexte foisonnant, la poésie de Théocrite est une fenêtre ouverte sur la campagne avec ses bouviers, ses bergers, ses moissonneurs… Le chant est omniprésent et entremêle références pastorales et mythologie. L’univers chanté est le plus souvent « idyllique » même si parfois quelques insultes et grossièretés de paysans viennent émailler cette sérénité de la campagne idéale. En fait le lecteur du XXI° siècle réalise que derrière cette représentation « bucolique » de la nature fourmille une multitude de références culturelles à Hésiode comme à Homère, références destinées à une élite urbaine qui pouvait en apprécier la richesse.

 

 

Stéphane Ratti « Ecrire l’Histoire à Rome » en collaboration avec Jean-Yves Guillaumin, Paul-Marius Martin et Etienne Wolff, Editions Les Belles Lettres, 2009.

L’historiographie romaine est particulièrement riche et les noms de César, Tacite, Tite-Live ou encore Suétone sont connus de tous indépendamment de la connaissance de leurs écrits. Les sources littéraires restent cependant encore essentielles pour la compréhension du monde romain même si les sources archéologiques sont depuis des décennies des éléments déterminants venant corriger ou appuyer les enseignements puisés aux textes antiques. Or, si un habitat, une pièce de monnaie ou un tesson de poterie peuvent poser des difficultés parfois très importantes d’interprétation, elles sont rarement objets de manipulations et autres figures de rhétorique. Ce livre qui est avant tout le fruit d’un enseignement livré à des étudiants se veut également un essai qui n’écarte pas la subjectivité offrant ainsi au lecteur un tableau particulièrement clair des grands historiens de la Rome antique. La période couverte est large puisqu’elle part de la fin de la République pour aller jusqu’à l’Antiquité tardive, fait original, car la plupart des études de ce genre passent plus vite les derniers temps de l’Empire. Ici, les auteurs forts de leurs recherches scientifiques rappellent la place importante tenue par Ammien Marcellin et résument l’actualité scientifique la plus récente sur la fameuse Histoire Auguste dont l’auteur restait inconnu. Stéphane Ratti, par une démonstration rapportée dans un chapitre du livre, attribue en effet à Nicomaque Flavien senior la paternité de ce recueil majeur réunissant la biographie de trente empereurs romains.
Le style clair et pédagogique de ce collectif est une véritable réussite qui devrait largement dépasser le cadre universitaire et intéresser tous les passionnés d’Histoire romaine !

 

Marcel Bataillon « Les Jésuites dans l’Espagne du XVI° siècle » Editions Les Belles Lettres, 2009.

La présente édition reprend le cours prononcé au Collège de France en 1946 par Marcel Bataillon. C’est à partir de la correspondance jusqu’alors inédite d’Ignace de Loyola (1491-1556) avec ses premiers collaborateurs que l’auteur a présenté une interprétation totalement novatrice selon laquelle la Compagnie de Jésus se serait distinguée de l’institution de l’Église catholique pendant toute la seconde moitié du XVI° siècle.
Gilles Bataillon, petit-fils de Marcel Bataillon, signe la préface de cette leçon majeure d’un grand historien et d’un grand hispaniste. Pierre-Antoine Fabre, directeur d’études à l’EHESS, a établi et présenté ce travail qui reste encore de nos jours incontournable.
« Erasme et l’Espagne » fut le grand livre de Marcel Bataillon et l’universitaire exprima expressément le souhait que ses descendants poursuivent la réédition de cet ouvrage auquel il travailla jusqu’à la fin de ses jours. Pierre-Antoine Fabre souligne que Marcel Bataillon avait envisagé cette publication en 1967 sans que cela soit mené à terme. C’est ainsi chose faite grâce à la présente édition et c’est à partir de son Erasme qu’il faut chercher la trame de cette étude sur les premiers temps de la jeune Compagnie de Jésus au XVI° siècle. Bataillon indiquait déjà dans ce livre que « nous voudrions considérer un témoin inattendu de (la) métamorphose de l’illuminisme : Ignace de Loyola en personne. Qu’il ait mérité ou non le qualificatif d’alumbrado, peu nous importe. Il a fait figure d’illuminé à l’heure décisive que nous étudions, et, du même coup, il est apparu comme solidaire de cette révolution religieuse dont Erasme devenait le symbole en Espagne. »
C’est ainsi l’extension de cette révolution à la Compagnie de Jésus, promise à la notoriété que l’on sait, qui sera développée dans ce fameux cours au Collège de France en 1946 et désormais disponible après plus d’un demi-siècle dans cette belle édition !

 

« Saga de Hrolf kraki » présentée, annotée et traduite du vieil islandais par Régis Boyer, Editions Anacharsis, 2008. 

Régis Boyer, le grand spécialiste de la civilisation scandinave, nous offre avec cette saga de Hrolf kraki l’un des textes les plus anciens témoignant de cet univers légendaire de l’Islande du VI° siècle de notre ère. Nous sommes en présence d’une lignée royale maudite du Danemark, celle des Skjöldungar, qui s’entretue pour le pouvoir. Un enfant décide de venger son père tué par son oncle. Le destin veut qu’il épouse sans le savoir sa propre fille. Hrolf naîtra de cette union reposant sur l’amour et la vengeance, la paix et les intrigues.

Il n’existait pas jusqu’alors de traduction française de ce texte qui représente pourtant un concentré des mythes et des épopées du Nord. Comme le rappelle Régis Boyer, le récit n’est pas historique mais appartient à l’univers littéraire des « anecdotes errantes ». Mêlant légendes et personnages ayant réellement existés, le but n’est pas de narrer une histoire ou l’Histoire mais plutôt d’exposer un récit fondateur. Cette narration concentre ainsi en elle les archétypes des hommes de ces temps anciens. A l’image de nombreux récits mythiques, le divin est omniprésent dans le destin des hommes. Pour notre saga, c’est au fameux dieu Odinn qu’échoit ce rôle, dieu versatile qui n’hésite pas à oublier ses alliances pour en préférer, à l’occasion, de nouvelles. Notre monde moderne se plait souvent à évoquer la fatalité ou le hasard, alors qu’avec ces récits mythiques, l’emprise des dieux est déterminante sur le destin des hommes. Les différents niveaux de récits qui structurent bien entendu ces sagas offrent alors une richesse parfois très complexe à décrypter pour nos contemporains. Ce texte aura non seulement une destinée essentielle dans la littérature médiévale qui suivra (il sera repris dans de nombreuses sources majeures du Moyen-âge) mais sera également à comparer sur le même plan chronologique avec « Beowulf », l’œuvre si connue initiée également au VI° siècle et s’intéressant aux rapports entre les  Danois et les habitants anciens de la Suède. De nombreuses similitudes structurent en effet ces deux textes et notamment les ressemblances entre les deux héros.

La « Saga de Hrolf kraki » s’avère être un texte passionnant qu’il faut absolument découvrir dans cette très belle édition !

 « Bödvarr dit : « Nombreuse est la troupe de Skuld, je soupçonne que des morts errent par ici et qu’ils se relèvent pour se battre contre nous ; il va être difficile de combattre des revenants. Si nombreux que soient les boucliers fendus ici, les casques, arrachés, les broignes, mises en pièces, maint chef, dépecé, ce sont les morts auxquels il est le plus cruel d’avoir affaire et nous n’en avons pas le pouvoir. » (Extraits p. 147.)

 

Aristophane « Ploutos » Edition bilingue français-grec ancien (Poche) établie par Victor Coulon, Silvia Milanezi (introduction et notes), Hilaire Van Daele (Traduction), Classiques en poche, Les Belles Lettres, 2008.

Suétone « Vies des douze Césars : César – Auguste », édition bilingue français-latin établie par Henri Ailloud, François L' Yvonnet (introduction et notes), Classiques en poche, Les Belles Lettres, 2008.

Les classiques sont en poche aux éditions Les Belles Lettres ! Avec Aristophane et Suétone, l’accès aux sources antiques est facilité par une édition pratique et économique, sans pour autant sacrifier le précieux appareil critique également présent. Une introduction, le texte original en pagination gauche et sa traduction en vis-à-vis, des notes de bas de page, index, repères chronologiques, bibliographie,… tout est là pour faciliter la compréhension des trésors des textes anciens.
Deux derniers volumes s’ajoutent à une collection dirigée par Hélène Monsacré riche de plus de 60 numéros, le « Ploutos » du poète grec Aristophane (445-380 avant J.-C.) et « Vies des douze Césars ; César ~ Auguste » de l’historien romain Suétone (70 env. – 140).

Aristophane est le plus grand poète grec comique et derrière cette ironie, souvent grossière, se cache un regard acerbe et sans concessions sur la réalité humaine et la vanité des actions entreprises par ses contemporains. Et l’histoire d’Athènes n’est pas avare pour fournir une riche matière pour le poète. En 405, après la bataille d’Aigos, Athènes est dans une situation désastreuse. La défaite a causé la ruine de la grande cité jusqu’alors rayonnante. C’est à partir de cette amertume que le « Ploutos » est conçu. La comédie n’abandonne pas pour autant le ton satirique, mais ce dernier est emprunt d’une certaine gravité. L’histoire est la suivante : la Richesse vient d’être guérie de la cécité dont Zeus l’avait frappée. Elle décide d’instaurer un ordre nouveau dans lequel les justes seront désormais récompensés au grand dam des habituels parasites de la société. Cette pièce oscille entre le rêve inaccessible d’atteindre la richesse et le retour ironique à la réalité des choses qui ne changeront jamais, en témoigne l’extrait suivant…

Le Prêtre.- Quoi d’autre que du mauvais ? Depuis que le dieu que tu sais a commencé à voir clair, je suis mort de faim. Car je n’ai rien à mettre sous la dent, et cela tout en étant prêtre de Zeus sauveur.
Chrémyle.- Et la cause, quelle est-elle, au nom des dieux ?
Le Prêtre.- Personne ne daigne plus sacrifier.
Chrémyle.- Pour quelle raison ?
Le Prêtre.- Parce que tous sont riches. Et pourtant, au temps où il n’y avait rien, tantôt un marchand, à son retour, sacrifiait une victime pour avoir été sauvé, tantôt un homme acquitté en justice ; tel autre sacrifiait pour avoir des auspices favorables, et il m’invitait, moi le prêtre. Maintenant pas un n’offre le moindre sacrifice, ni n’entre au temple, hormis des gens pour y faire leurs ordures, plus de dix mille.


Suétone a fait de la vie de César un récit digne du roman. Plus biographe en réalité qu’historien, l’auteur latin offre au lecteur du XXI° siècle un nombre impressionnant d’anecdotes sur le siècle dont il fut le témoin avisé. Tour à tour élogieux ou critique, le discours de Suétone est d’une érudition qui l’a classé au premier plan des sources latines. Ami de Pline le Jeune, et amoureux des bibliothèques, l’étude est son souci premier, reléguant les charges officielles au second plan. Son œuvre majeure, « Vies des douze Césars » est ainsi nourrie directement auprès des sources contenues dans les bibliothèques impériales auxquelles Suétone avait accès. Suivant le plan classique des oraisons funèbres, chaque vie retrace le parcours de l’Empereur en partant de sa famille avant sa naissance, jusqu’à sa mort. Chaque vie décrite par Suétone est précieuse pour le tableau qu’il dresse de la personnalité de l’homme disposant de la charge suprême. Les différentes sources qui alimentent le récit peuvent parfois se contredire, mais elles apportent au récit, grâce à l’art de Suétone, un accent de véracité. C’est ainsi toute une histoire, à défaut d’être peut-être l’Histoire, qui ouvre ses pages au lecteur émerveillé !

« LXIX. Quant à ses adultères, ses amis eux-mêmes ne les nient pas, mais ils les excusent en disant qu’il les commit à coup sûr non point par libertinage, mais par politique, pour découvrir plus facilement les desseins de ses adversaires, en questionnant leurs femmes. »
 

 

 

 

 

Louis XIV « Mémoires, suivis de Manière de montrer les jardins de Versailles » présentés par Joël Cornette, Collection Texto dirigée par Jean-Claude Zylberstein, TALLANDIER. 

Pouvoir lire les mémoires de l’un des plus illustres monarques européens de l’Ancien régime est chose possible avec cette édition de poche de la collection Texto des éditions Tallandier. Louis XIV a réfléchi très tôt au rôle de sa fonction et des différentes manières de dépasser le poids du passé qui avait terni son pouvoir (frondes, guerres,…). Ces textes présentés sous forme de mémoires sont en fait initialement destinés à l’attention de son fils le Grand Dauphin afin de parfaire son éducation et l’initier à ce qui serait sa future tâche selon les règles ancestrales de la dévolution successorale. Heureusement rescapées du feu en 1714 par le maréchal de Noailles où leur auteur souhaitait les y voir brûler, ces feuilles offrent, au-delà de leur valeur immédiate, un enseignement précieux quant à la personnalité du monarque les ayant rédigées. Ayant sondé très jeune le cœur des hommes et connaissant pour l’avoir subi le poids incommensurable de la trahison, Louis XIV a su faire de ces expériences sans cesse répétées un avantage indéniable lui donnant une longueur d’avance sur les différents cercles de son entourage. C’est cette « connaissance empirique » de la valeur des hommes et des ressorts qui les font mouvoir qui est concentrée dans ces très belles pages. A ceux qui ne connaîtraient pas le petit texte fameux « Manière de montrer les jardins de Versailles », la présente édition a l’heureuse idée de l’annexer en fin de volume. Véritable ode aux muses des jardins de Versailles, ces indications témoignent d’une vision d’ensemble de l’architecture du parc par celui qui a été non seulement l’initiateur mais également le « maître d’œuvre » attentif de leur réalisation. A emporter avec soi lors d’une prochaine visite ! 

 

Daniel HALEVY « VAUBAN » Editions de FALLOIS. 

2007 marque le troisième centenaire de la mort du célèbre maréchal dont nul n’ignore le nom longtemps associé à ses célèbres fortifications. Mais l’homme mérite plus que cela car, celui qui fut remarqué par le cardinal Mazarin à l’âge de vingt ans, fut non seulement un stratège et un homme de guerre redoutable (il participera à 14 sièges) mais également un homme de cœur, soucieux des terribles problèmes résultant de la révocation de l’Edit de Nantes de Louis XIV et de la misère des français face à l’imposition. Il fut même à l’origine d’une proposition originale de réforme de l’imposition avec un prélèvement proportionnel aux richesses qu’il proposa au Roi dans un livre intitulé : «  Projet d’une dîme royale ». Cet ouvrage reçut un accueil glacial du roi et fut même interdit la même année. Le portrait ainsi dressé par Daniel Halévy nous fait découvrir un homme simple et humain face aux responsabilités qui étaient les siennes et dans sa relation au monarque absolu qui n’aimait pourtant pas les oppositions. Louis XIV reconnaîtra cependant à sa mort : « Je perds un homme fort affectionné à ma personne et à l’Etat ».

 

 

« Les grandes Pyramides, chronique d’un mythe » Jean-Pierre Corteggiani – « L’Affaire Qumrân, les découvertes de la mer Morte » Jean-Baptiste Humbert, Estelle Villeneuve, Collection Découvertes Gallimard, GALLIMARD.

Deux Découvertes Gallimard nous emportent aux portes de notre civilisation : les Pyramides égyptiennes et les manuscrits de la mer Morte. Comment en effet penser notre civilisation sans le legs incomparable de ces deux sources de notre histoire ancienne. Erigées il y a plus de 4500 ans, ces monumentales édifications, odes au sacré et à l’éternité, ne cessent pas de nous interroger, de nous émerveiller et de nous surprendre à l’heure de notre modernité. Nos constructions les plus insensées ne parviennent pas à éclipser ces instants d’absolu, impensables si l’on veut bien réfléchir aux techniques architecturales de l’époque. Il ne s’agit pas pour autant de céder aux plus folles élucubrations sur leur éventuelle origine extraterrestre, la passionnante synthèse de Jean-Pierre Corteggiani est là pour nous montrer qu’il s’agit d’un réflexe bien ancien, qui n’appartient pas à notre seul siècle, loin s’en faut.

Autre monument d’éternité, pourtant caché pendant des siècles dans une grotte, les manuscrits de la mer Morte semblent bien depuis leur découverte en 1947 ébranler notre confiance en la seule modernité. Comment en effet comprendre autrement que de vieux rouleaux de cuir appartenant aux siècles les plus reculés suscitent autant d’intérêts et de passions à l’heure où des sondes construites par l’homme quittent notre système solaire ? L’affaire Qumrân, comme on la nomme, démontre que cette découverte archéologique majeure du XX° siècle fait encore résonner en nous, quelque soient nos croyances, les échos de nos origines. Ce très beau livre de la collection « Découvertes Gallimard » nous emporte dans une aventure extraordinaire où l’homme moderne peut se réconcilier avec lui-même et tout ses semblables, sans prosélytisme.

 

 

Paul VEYNE « Quant notre monde est devenu chrétien » Bibliothèque ALBIN MICHEL.

Les ouvrages de Paul Veyne sont toujours des évènements, propices à l’intelligence et à une réflexion vivifiante. Ce dernier titre ne fait pas exception, tant ce quatrième siècle après J.C. marque une étape majeure dans l’histoire occidentale. Le livre porte en effet un titre évocateur : « Quant notre monde est devenu chrétien ». La fameuse conversion de Constantin fait de ce jour du 29 octobre 312 l’une des dates essentielles pour l’avenir non seulement de l’Empire, mais aussi de la spiritualité à venir jusqu’à nos jours. De secte, le christianisme passe au statut de religion d’Etat, une transformation impensable si l’on se reporte aux terribles persécutions de Dioclétien quelques années auparavant. Quels sont les bénéfices qu’a pu tirer profit Constantin de cette conversion ? Il semble clair que la nouveauté de cette religion par rapport aux cultes anciens polythéistes offre un cadre idéal pour le pouvoir, le césaro-papisme se développant sur cette base incontestable. Dans son style inimitable, Paul Veyne force les serrures et dresse un tableau particulièrement saisissant de ces années essentielles pour le paysage historique. Quelles leçons tirer de cette conversion ? L’Europe doit-elle encore compter ce christianisme au nombre du legs hérité de cette antiquité tardive ? Paul Veyne a son idée sur la question : ce n’est pas le christianisme qui sous-tend l’Europe actuelle mais l’Europe actuelle qui inspire le christianisme… Un essai de l’un de nos historiens les plus talentueux à découvrir de toute urgence !

CÔTÉ REVUES

LA GAZETTE DROUOT – Hors série – AU COEUR DU QUAI BRANLY

Le musée du quai Branly fête ses cinq ans ! Évènement auquel s'associe la gazette Drouot en éditant un très beau et bon « Hors série » de plus de cent quarante pages dédiées aux chefs-d'œuvre des collections du musée. C'est comme un catalogue ! La gazette explore les différentes facettes de ce lieu conçu comme un véritable laboratoire de recherches et d'échanges culturels et artistiques des civilisations des quatre coins de la planète. Il fallait bien à cette occasion se remémorer l'historique, la conception du bâtiment et analyser sa place dans la configuration culturelle, architecturale et urbanistique de la capitale. On notera que Jean Nouvel, son équipe et tous les collaborateurs associés ont bien créé «une enclave exotique en plein Paris, au service de collections exceptionnelles», dans un écrin de verdure grimpante, tombante, de petite jungle, de jardin étonnant, initiatique, lieu de promenade intérieure, de murs vivants de jour comme de nuit. Chapitré autour des cultures d'Afrique, d'Asie, d'Océanie et des Amériques, ce voyage au coeur du musée du quai Branly est ponctué d'interviews (Claire Denis pour l'Afrique, D'Adrew Gn pour l'Asie, Jean-Paul Barbier-Mueller pour l'Océanie, Philippe Descola pour les Amériques), de mini biographies, de mémos et aussi de rappels étonnants des ventes de ces oeuvres d'art fascinantes qui ont eu lieu à travers le monde, montrant ainsi la valeur inestimable de ces créations, nous rappelant également la chance d'avoir à disposition de grands lieux de rendez-vous entre nous et les Arts, mêlant connaissances et curiosité. La gazette parfait son rôle de passeur d'informations avec un nombre de photos couleur si belles, si respectueuses des oeuvres, que l'on ne peut qu’imaginer faire partie de la grande famille des collectionneurs !
A travers d'astucieux clins d'oeil aux expositions en cours ou à venir au musée du quai Branly, Dogons et Mayas, la gazette invite à aller se réjouir de toute cette créativité universelle qui traverse les temps et représente la complexité de la vision du monde dans lequel tous les peuples de toutes les civilisations ont cherché et cherchent encore à comprendre le sens. Comment aujourd'hui bâtir de nouvelles passerelles entre les traditions et l'art contemporain sous toutes ses formes d'expressions, comment bouger les codes de la muséographie de telle façon que tous s'y trouvent les bienvenus ? C'est une des missions du musée du quai Branly, faire entrer l'art contemporain dans ses murs comme celui d'organiser des rencontres musicales, chorégraphiques, des colloques thématiques, cinématographiques... La gazette n'oublie pas les premiers pas de la création du musée du quai Branly en rendant hommage au Pavillon des Sessions, première section des arts premiers au Louvre, qui porte haut ces arts longtemps méprisés, avec ses 108 chefs-d'oeuvre d'Afrique, d'Océanie, d'Asie et des Amériques, présentés dans le plus grand musée du monde.

Stéphane Martin, président du musée du quai Branly, havre de paix pour les arts d'Afrique, d'Océanie, des Amériques et d'Asie, peut être heureux puisqu'en cinq ans, le musée du quai Branly est un des lieux culturels incontournables avec 1,35 million d'entrées chaque année. Mission accomplie, à la rencontre des autres et des ailleurs, et tant de nouvelles aventures humaines et artistiques en perspective... Au musée du quai Branly, là où dialoguent les cultures...

La gazette Drouot, hors série, «Au coeur du quai Branly»

Evelys Toneg
 

Hors-série Le Monde « Simone de Beauvoir, une femme libre »

Simone de Beauvoir est devenue femme, nul doute à ce sujet après la lecture du passionnant dossier paru dans le dernier Hors-série du Monde consacrée à celle qui aura marqué le XX° siècle quant à ses réflexions sur la femme.
La femme « devenue », et non pas seulement « née », est au cœur de ce riche dossier réunissant témoignages, analyses et extraits d’œuvres de la compagne de Sartre, tout en se dissociant parfois de lui quant à ses idées et ses combats. La vie de Beauvoir est en elle-même un livre dans lequel tout à chacun peut lire de nombreux témoignages sur ce combat de tous les jours pour échapper au « destin » d’une femme née au début du siècle passé. On peut songer à l’effroi et à la colère qui la saisiront lorsqu’elle apprendra le mariage forcé de sa plus chère amie, Zaza, qui mourra peu de temps après. Cette révélation, associée au contre-exemple du couple de ses parents, favorisera la rencontre avec Sartre. Josyane Savigneau signe un très beau portrait de Beauvoir intitulé « L’aventure d’être soi ». Il apparaît en effet que ce « devenir » pour être soi a été au cœur de l’action de cette brillante intellectuelle. Malheureusement, ses combats apparaissent parfois aujourd’hui comme faisant parti d’une « vieille garde » de féministes soixante-huitardes, si éloignés des débats et des crises de notre époque. En sommes-nous si sûrs ? Ses combats ont certes souvent conduit à des droits acquis qui font oublier leur origine ; mais la grande leçon de liberté qui a été au cœur de sa vie est-elle également à considérer comme chose acquise ?
Ce beau numéro offre une lecture diagonale de la vie de Simone de Beauvoir, une lecture qui invite à découvrir l’œuvre très variée de celle qui était persuadée « qu’à la fin, les femmes gagneront » !
 

Le Magazine Littéraire n° 518 avril 2012.

dossier :  Virginia Woolf

 

Perspectives

10 Peut-on encore transmettre ?
12 Vivre et laisser mourir, par Maxime Rovere
14 « Les estampes étaient le web du xviie siècle », entretien avec Rémi Mathis
16 Devenir autonome ou compétent ? par Laurent Fedi
18 La médiologie,par François-Bernard Huygue
19 Bibliographie commentée

L’actualité

20 La vie des lettres Édition, festivals, spectacles… Les rendez-vous du mois
30 Le feuilleton de Charles Dantzig

Le cahier critique

32 Dany Laferrière, Chronique de la dérive douce
34 Patrick Chamoiseau, L’Empreinte à Crusoé
36 Frédéric Boyer, Sexy Lamb
37 Olivier Steiner, Bohème
38 Dominique Fabre, Il faudrait s’arracher le cœur
39 Jean Rouaud, Une façon de chanter
40 Eric Faye, Devenir immortel, et puis mourir
41 Jonathan Coe, Désaccords imparfaits
42 Angelo Rinaldi, Les souvenirs sont au comptoir
43 Ismail Kadaré, La Provocation et autres récits
44 Elfriede Jelinek, Winterreise
46 Steve Tesich, Karoo
47 William T. Vollmann, Fukushima
48 Charles Bukowski, Shakespeare n’a jamais fait ça
49 Herta Müller, Animal du cœur

Le dossier

52 Virginia Woolf, dossier coordonné par Augustin Trapenard
54 Oser être soi-même, par Geneviève Brisac
58 Entretien avec Jacques Aubert
60 Précoces esquisses, par Frédérique Amselle
62 La Hogarth Press, par Alexandra Lemasson
63 Nécessité du snobisme, par Marc Lambron
64 Virginia face à Victoria, par Christine Reynier
66 Bibliographie
67 Reflets d’une chrysalide, par Viviane Forrester
69 Pièces de soi, par Belinda Cannone
70 Écrire le féminin, par Frédéric Regard
72 Des vagues de plus en plus violentes, par Catherine Bernard
74 L’insoutenable vitalité de Vita, par Diane de Margerie
76 Un patient lissage, par Daniel Ferrer
78 Mrs Dalloway, ou la forêt de l’âme, par Camille Laurens
80 Blessée de guerre, par Chantal Delourme
82 À l’assaut des bibliothèques, par Agnès Desarthe
84 Écrire en couleurs, par Catherine Lanone
86 Dalloway ad lib., par Alexis Brocas
88 La rivière de Virginia, par Patti Smith
89 « Oh Wolfie... », par Marie Darrieussecq Le magazine des écrivains

Le Magazine des écrivains

90 Grand entretien avec Claudio Magris
96 Admiration Georges Bataille, par Michel Surya
98 Visite privée Helmut Newton, par Olivier Steiner
100 Traduction inédite « Le quatuor à cordes », de Virginia Woolf
104 Le premier mot. Notre ami l’étranger, par Laurent Nunez
106 Le dernier mot, par Alain Rey

LIVRES A ECOUTER, DOCUMENTAIRES,...

Les grands Entretiens « Les lieux de Marguerite Duras » un film de Michelle Porte, Gallimard / INA, 2009.

Nous entrons avec cette très belle réalisation de Michelle Porte dans l’univers, les univers devrions-nous dire, de Marguerite Duras. Ce film divisé en deux parties, dont le texte a été publié aux Editions de Minuit, ouvre en effet les portes de l’intimité de la romancière, cette intimité où les lieux et les personnes sont intrinsèquement associés. C’est en 1976 que Michelle Porte propose à Marguerite Duras de dresser un portrait d’elle à partir des lieux, sa maison de Neauphle-le-Château qu’elle a tant aimée et qui reste indissociable de nombreux personnages de ses romans ainsi que de son film Nathalie Granger tourné dans cette demeure. La réalisatrice, par un entretien à la fois très discret et en même temps très présent, parvient à lever certains voiles d’une pensée fascinante et complexe en même temps. Les silences comptent autant que les mots qui parfois révèlent une douleur aiguë voire un malaise profond. Cette maison jouxte la forêt à la fois lieu de l’insouciance de l’enfance et du danger imminent perçu par l’adulte, lieu historique d’intimité de la femme à l’époque moyenâgeuse des sorcières et en même temps lieu inquiétant pour la rationalité. Tout est tendu et à la fois relâché dans ces témoignages à cœur ouvert. Marguerite Duras est inquiétante de sincérité, ses sourires attirent en même temps qu’ils font craindre les gouffres de son quotidien, toujours cette tension créatrice qui a nourri son génie littéraire. Plus qu’une introduction à l’œuvre et à la personne de Marguerite Duras, ce film est à recommander à tous celles et ceux qui souhaitent découvrir l’univers d’un auteur majeur du XX° siècle.
 

 

Paul Veyne, Lucien Jerphagnon "Paul Veyne Sur l'Antiquité - Entretien avec Lucien Jerphagnon" - Un livre sonore 1 CD Audio, Editions Textuel, 2008.

Écouter Paul Veyne, conteur hors pair, c’est passer quelques moments exquis à déambuler dans Rome, c’est se retrouver parmi la foule venue assister à un combat de gladiateurs, c’est s’arrêter un instant sur l’enseignement des grandes écoles de philosophies antiques, c’est apprendre l’Histoire autrement. Une écoute jubilatoire et merveilleusement ludique. Un entretien avec Lucien Jerphagnon, historien de la philosophie, spécialiste de la pensée grecque et romaine, lève le voile sur la complicité intellectuelle qui le lie avec le grand historien de l’Antiquité. En aèdes modernes, ces deux joyeux trublions de l’histoire et de la pensée antique, nous apprennent avec enchantement à regarder et à comprendre les Anciens.

Archéologue et historien français né en 1930, professeur honoraire au Collège de France intronisé par Raymond Aron, Paul Veyne est notamment l’auteur de Comment on écrit l’histoire (Seuil, 1970), Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes (Seuil, 1983), Sexe et pouvoir à Rome (Tallandier, 2005), et tout récemment, de Michel Foucault, sa pensée, sa personne (Albin Michel, 2008). Il s’est épris d’archéologie à l’âge de huit ans, alors qu’il découvrait un morceau d’amphore sur un site celtique près de Cavaillon. Depuis, il n’a eu de cesse de percer le mystère de l’Antiquité.

Lucien Jerphagnon, né en 1921, est philosophe, spécialiste de la pensée grecque et romaine. Il est l’auteur de Histoire de la Rome antique (Tallandier), de Histoire de la pensée de l’Antiquité au Moyen-Âge (Tallandier), et d’Au Bonheur des sages (Desclée de Brouwer). Il a également dirigé l’édition des Œuvres de Saint-Augustin dans la Pléiade.

Lucien Jerphagnon et Paul Veyne ont correspondu pendant une vingtaine d’années sans se rencontrer, discutant de points d’histoire, de philosophie et partageant leur lecture du monde antique. Ce livre-disque lève le voile sur une complicité intellectuelle et philosophique aussi touchante que passionnante.

(lire nos interviews des deux historiens sur LEXNEWS dans nos pages interviews)

 

Philosophie au quotidien avec la Librairie Sonore des Editions Fremeaux

Lire en conduisant ou en préparant un repas n’est pas une activité habituellement recommandée mais avec les grands classiques de la Librairie Sonore des Editions FREMEAUX cela devient non seulement possible mais également vivement recommandé !

Lus par de grands artistes, ces enregistrements nous font revivre d’une autre manière des textes découverts par le livre seul. Détaché des lignes à parcourir, l’ouie prend le relais pour une autre sensibilité, celle des sonorités des mots, de leurs articulations et de leurs silences.

Découvrons tout d’abord « Le Banquet ou de L’Amour» de Platon lu par Michel Aumont. « Le Banquet » est avant tout un éloge de l’amour décliné au pluriel. Les différents discours de ce banquet particulièrement bien arrosé offrent en effet plusieurs manières de désirer le Beau, certaines plus crues que d’autres. Mais par cette réflexion sur l’eros, le « lecteur-auditeur » accède également à une interrogation plus générale sur ce qui mène au Vrai et au Bien. Ce texte fondateur de la philosophie est particulièrement bien servi par l’interprétation sobre de l’homme de théâtre qu’est Michel Aumont.

Le stoïcisme est à l’honneur avec le fameux « De brevitate vitae », De la brièveté de la vie, de Sénèque lu par Jean-Pierre Cassel récemment disparu. Cette très belle lecture fait parfaitement résonner le sens de ce texte majeur qui tend à démontrer que si la vie n’est pas si brève si nous apprenons à la vivre pleinement. Cette leçon de vie comme pratique philosophique est une exigence de tous les instants. Sénèque nous rappelle que nous gaspillons trop souvent notre temps au lieu de réaliser de grandes tâches. Si nous concevons nos journées comme une vie tout entière, la vie ne sera pas brève en raison de sa richesse…

« Les Essais » de Michel de Montaigne lu par Michel Piccoli ne tiennent pas du rêve mais de deux superbes coffrets de la même Librairie Sonore. Grand prix de l’Académie Charles Cros, cet enregistrement fera en effet date tant la rencontre du texte et de l’artiste tend à la symbiose parfaite ! Cette sélection d’écrits ont fait l’objet d’un travail remarquable de réécriture pour l’oralité. « Que philosopher c’est apprendre à mourir » ou « De l’inconstance de nos actions » sont les fruits d’une réflexion qui ne s’est pas donnée de plan a priori. « Les Essais » occuperont en effet Montaigne jusqu’à sa mort. C’est une nouvelle fois la connaissance de soi qui est au cœur de ces essais de la part d’un humaniste qui sut également prendre part à la vie politique de son temps. Le choix de Michel Piccoli est incontestablement une réussite, l’intelligence de la voix de l’acteur seyant parfaitement au texte.

Pour finir, un texte plus moderne d’Albert Camus, « Le mythe de Sisyphe », lu par Jacques Pradel, est un moment de véritable découverte. Camus reconnaissait que c’est lors de la descente pour rechercher la pierre qu’il aurait à remonter sans cesse que le personnage mythologique de Sisyphe l’intéressait le plus. Conscient de la vacuité des recherches de l’homme, Camus regarde son tourment dont il sait qu’il ne connaîtra pas la fin. Mais c’est également là le génie de ce texte de ne point sombrer dans un pessimisme nihiliste : le regard est tragique car Sisyphe est conscient mais la tâche du héros peut également être joyeuse selon Camus car son destin lui appartient ! La voix de Jacques Pradel met bien en lumière ce texte à écouter et à partager pour des instants de vrai bonheur !

 

LE CORBUSIER, Entretiens avec Georges Charensol (1962), et Robert Mallet (1951), Collection La Librairie Sonore – Notre Mémoire Collective, Editions FREMEAUX & ASSOCIES, 2007.

 

Qui ne connaît le nom de l’un des plus célèbres architectes au monde, Le CORBUSIER, synonyme de renouveau de l’architecture après la seconde guerre mondiale. Pour pouvoir approcher de plus près ce personnage atypique qui refusait les honneurs, ces Entretiens de la Librairie Sonore FREMEAUX ASSOCIES marquent incontestablement un témoignage clé dans la mémoire de ce visionnaire infatigable.

Charles-Edouard Jeanneret naquit le 6 octobre 1887 à la Chaux de Fonds et ne prendra son pseudonyme Le Corbusier qu’en 1920 d’après le nom de l’un de ses ancêtres albigeois. Le Corbusier est avant tout un peintre avant d’être architecte comme il le rappelle dans l’un des deux entretiens proposés. Très sensible à l’art pictural (qui aura sa place dans la conception même de ses créations architecturales), il fondera un mouvement, le mouvement puriste, avec son ami Amédée Ozenfant. Ces deux entretiens (avec Georges Charensol en 1962, et Robert Mallet en 1951) montrent bien que l’homme est en rupture avec l’académisme de ses débuts. Jetant un œil acerbe, et même parfois acide, sur les institutions académiques trop souvent responsables d’un art figé selon lui, Le Corbusier soutient une architecture purifiée et revisitée grâce à de nouveaux matériaux tel le béton armé dont il exploitera toutes les possibilités techniques et esthétiques. La dimension sociale est essentielle dans le travail créatif de l’artiste. Il sera même d’ailleurs l’un des rares architectes à avoir pu concevoir une capitale (Chandigarh). Même si certains critiqueront ses réalisations, le génie est à ce prix et Le Corbusier est définitivement entré dans le panthéon culturel du XX° siècle comme en témoignent ces enregistrements à découvrir absolument.

 

« Je fais mon architecture comme un organisme vivant, elle est biologique, il y a un support osseux, des forces musculaires, des réseaux sanguins lymphatiques nerveux,… » Le CORBUSIER, 1962.

Politique, Société, Médias,...

Miguel Benasayag, Angélique del Rey et des militants de RESF « La chasse aux enfants – l’effet miroir de l’expulsion des sans-papiers » préface de Stéphane Hessel, Coll. Sur le Vif, Éditions La Découverte, 2008.

 N’a-t-on jamais la sourde impression d’une partie arrachée à un tout lorsque un membre de sa famille, de sa communauté ou de ses relations de travail vient à disparaître ?

Un arbre déraciné laisse rarement insensible même le plus acharné défenseur du pouvoir de l’homme sur la nature. On regarde souvent un bateau s’éloigner du port avec nostalgie sans forcément penser au port soudainement esseulé par ce départ. Et pourtant, qui aurait pu penser que le « départ », le mot convient-il encore…, des sans-papiers laisserait tant de traumatismes pour les témoins qui ne peuvent que subir l’absence, donnant ainsi son sens plein à la notion de dommage collatéral.

C’est toute l’interrogation portée par la vaste enquête entreprise par RESF et dont le livre écrit par Miguel Benasayag, Angélique del Rey et les militants de RESF « La chasse aux enfants » paru à La Découverte vient exposer « l’effet miroir », reflet douloureux de ce que la partie ôtée d’un tout peut avoir comme conséquence.

Une fois de plus, ce sont les cœurs purs, ceux qui n’ont pas encore été suffisamment formatés par le discours social, qui prennent de plein fouet ce vent violent de la disparition inexpliquée. Comment faire comprendre à un tout petit que son camarade de classe, certes à la peau plus sombre que lui, ne sera plus là pour partager ses jeux, ses joies et ne lui laissant plus que la peine d’une chaise vide à l’école ? Plus violent encore, comment lui faire comprendre certaines traques, ces drôles de bracelets en fer accroché sans sourire aux poignets crispés par la peur et la crainte… Ces instants de vie marquent à jamais un enfant, de même qu’il meurtrit le corps enseignant, le voisinage, les témoins impuissants. On aurait pu croire ces scènes reléguées à la mémoire collective du passé, à cette époque honnie où des enfants étaient enlevés de la patrie au nom du droit certes mais dont la légitimité nous fait encore rougir de honte plus de soixante années passées.

Il ne s’agit pas de diaboliser mais de poser des questions : d’éviter ces soupirs gênés, ces conjonctions additionnées et autre onomatopées qui cherchent à faire éteindre ce lourd sentiment d’être face à un problème que l’on ne souhaite pas voir. Pourra-t-on  une fois de plus dire : on ne savait pas…

Ces choses là commencent à être soulignées grâce à des actions courageuses qui n’ont d’autre motif que de préserver un tissu et un lien social toujours fragilisés, l’action du RESF en est la plus belle expérience. La prise de conscience est là, à nos portes, devant et dans nos écoles.

« Ma fille s’est retrouvée au  mauvais endroit au mauvais moment, en pleine arrestation policière , celle de M. Chen : avec les policiers en lutte contre les parents, les voitures, les chiens (qui l’ont beaucoup impressionnée), les cris ; elle a respiré les gaz lacrymogènes. Elle était choquée, ne pouvait plus s’arrêter de pleurer (…) Le soir, elle n’a plus pleuré, elle m’a raconté qu’elle croyait que c’était la guerre, a eu très peu, sans comprendre ce qui se passait, elle s’est sentie en danger. J’ai dû lui expliquer, la rassurer, mais elle s’inquiétait encore sur un point : avions nous des papiers ? Elle m’a posé cette question une quinzaine de fois… »  Témoignage d’un parent (p. 62)

Développement

Personnel, Management,...

 

Tony Buzan « Muscler son cerveau avec le Mind Mapping » Eyrolles, 2008.

 

Le Mind Mapping gagne en notoriété ces dernières années et ce dernier livre de Tony Buzan, créateur du concept, est là pour en témoigner. De quoi s’agit-il ? Nous pouvons représenter nos pensées non plus exclusivement par des phrases mais par des représentations cartographiques, de véritables schémas, plus ou moins complexes selon les personnes et les situations. Il faut en fait imaginer une représentation mentale d’une idée, d’un projet ou d’un problème sur un papier, à l’aide de bulles, de flèches, de petits dessins, la créativité du pratiquant étant la seule limite. Si l’exercice peut sembler un peu élémentaire de prime abord, il n’en est rien lorsque l’on approfondit l’exercice. Il s’agit en fait de développer ce que tout à chacun possède en lui, à savoir sa pensée créative. Or, pour que cette dernière puisse irradier et développer toutes ses possibilités, la schématisation organisée de manière spécifique par le Mind Mapping est redoutable si l’on veut bien accepter cette nouvelle manière de penser. Un outil à découvrir et à exploiter régulièrement pour accroître ses fonctions créatives.

Thierry Audoux, Jean-Marie Defrance « Dreamweaver CS3 » Eyrolles, 2008.

 

La bible sur Dreamweaver CS3 vient enfin de paraître aux éditions Eyrolles, l’éditeur de référence en la matière. La dernière version du célèbre logiciel éditeur de sites Web commercialisé par Adobe mérite véritablement que l’on fasse une mise à jour de ses connaissances ou bien que l’on aborde ce programme en cas de migration. Il ne s’agit en effet pas d’une nouvelle version de façade mais bien d’une refonte du produit en vue d’une plus grande facilité de conception de pages à l’interface complexe et au graphisme élaboré. Grâce à cette nouvelle version, l’utilisateur peut faire l’impasse de Javascript alors même qu’il souhaite élaborer des pages interactives.

Cette somme (572 p.) aborde tout l’univers de Dreamweaver pour créer des sites modernes, intégrer des formulaires, des tableaux, des vidéos et autres éléments sonores permettant de s’inscrire dans l’évolution vers le Web 2.0

De nombreux exemples et exercices sont également proposés pour permettre l’apprentissage de ce logiciel incontournable, exercices dont le code source est disponible sur le site de l’éditeur.

Une véritable réussite de pédagogie !

« Le Yoga des paresseuses » de Davina Delor, Coll. Le Petit Guide des paresseuses, Editions MARABOUT, 2008.

 

Yoga et paresse peuvent-ils faire bon ménage ? Derrière la question insolente, se cache l’intention louable de l’auteur d’offrir une porte d’entrée la moins contraignante possible (sinon nous connaissons toutes la suite…) pour faire de son corps son alliée entre deux courses et un rendez-vous chez le médecin pour le petit. En fait avec la dénomination « paresseuse », il faut entendre la femme active d’aujourd’hui ! Surchargée d’activités multiples et de genres différents, sollicitée de toute part pour être vraie, pleine et entière alors que les soustractions de la journée nous laissent au final morcelées et divisées… Quelle place reste-t-il alors pour une autre activité, le yoga de surcroit ! Et bien justement, c’est là que ce petit livre a tout son rôle : inciter la femme que nous sommes à accepter pleinement ces contradictions, prendre conscience de ce corps parfois martyrisé par les obligations pour mieux les dépasser. La démarche est souple (heureusement !) et progressive afin de ne pas effrayer les plus farouches. A essayer…pour mieux paresser.

Abdelatif Benazzi « XV leçons pour coacher votre équipe et réussir dans vos entreprises » Collection Master Class, Editions MAXIMA – Laurent Du Mesnil Editeur, 2007.

 

XV leçons pour apprendre le coaching avec Abdelatif Benazzi qui connaît bien à l’évidence non seulement ce chiffre mais également ce que signifie l’encadrement ! L’auteur, Capitaine de l’Equipe de France de Rugby, a en effet très largement dépassé son expérience de capitaine de la prestigieuse équipe pour faire de la dynamisation du groupe l’objet d’une science qui s’apprend et ne s’improvise pas… C’est le thème de ce Master Class dont le but est de transposer des données expérimentées et tout à fait applicables dans le monde de l’entreprise. La gestion d’une équipe fonctionne, en effet, relativement sur les mêmes données que l’on se trouve dans le milieu du sport ou bien dans le domaine de l’industrie ou du service. L’auteur analyse avec la rigueur qui le caractérise ces règles de l’encadrement qui permettent de gérer le quotidien d’une équipe, toujours fragile et réactive. Ce sont avec ces données qu’il faut apprendre à composer. La clarification des objectifs est une étape souvent sous-estimée, voire méconnue, et pourtant déterminante pour la suite des évènements : apprécier à sa juste sa valeur son adversaire, agir rapidement, dépasser ses limites, assumer sa fonction, désamorcer une crise et savoir se remettre en cause… sont autant de thématiques également abordées dans le détail par Abdelatif Benazzi dans cet ouvrage stimulant. On connaissait le grand joueur de rugby, il faudra dorénavant compter sur un fin stratège du management qui marque avec ce livre un bel essai à renouveler !  

J. MESSINGER : « Ces gestes qui vous trahissent.», Paris, Editions FIRST, 2005, 344p. 

Ouvrage de référence en la matière, il se présente sous forme d’un guide alphabétique des différents codes gestuels usuels. Y sont répertoriés, décryptés avec photos à l’appui dans un style acidulé, pas moins de  500 gestes et  attitudes corporelles qui vous trahissent quotidiennement ou vous révèlent – en si peu de temps - le caractère de votre interlocuteur. Une vraie bible, qui vous évitera de perdre – entre autre - sans vous en rendre compte votre interlocuteur lorsqu’il se gratte la main depuis déjà cinq minutes…, ou de perdre désespéramment votre temps alors même qu’il vous désigne si souvent de la pointe de son menton…, ou encore de vous laisser mener en bateau lorsqu’il s’assoit de manière si paternaliste sur le rebord de son bureau…

J.MESSINGER : « Le petit décodeur gestuel », Paris, Editions FIRST, 2006, 166p. 

Et pour les inconditionnels de la symbolique gestuelle , les Editions FIRST, vous proposent depuis 2006, « Le petit décodeur gestuel », pas moins de 160 pages de gestes habituels, décryptés et  analysés, et qui tiennent dans n’importe quelle poche ou sac à main. Malin et efficace, il vous évitera de courir vérifier vos connaissances en symbolique gestuelle ou de téléphoner en urgence à votre meilleur ami  pour lui demander de vérifier à la page tant…Un petit objet qu’il faudra, à l’évidence, un jour, intégrer à la liste des objets qui nous trahissent !

 

 

 

 

Développement

Personnel, Management,...

 

« Le développement personnel tout en 1 pour les Nuls » Editions First, 2008.

 

Ce fort volume regroupe en 656 pages le meilleur des 4 livres phares de la collection, à savoir La PNL, Les Thérapies Comportementales, l’Hypnothérapie et le Coaching (déjà présentés dans ces colonnes). Il est parfois difficile de savoir ce qui correspond le mieux à ses attentes, ses besoins et sa personnalité. Le fait de regrouper ces techniques de développement personnel en un seul volume devrait répondre à un certain nombre de questions et d’interrogations qui reviennent souvent sur ces sujets. Ecrites par de grands spécialistes réputés pour la pédagogie de leurs écrits, ces 4 parties vont au fond des choses et ne se contentent d’aborder superficiellement les choses comme c’est parfois le cas d’articles ou d’ouvrages de trop grande vulgarisation. Les auteurs savent jusqu’où aller et prodiguent de nombreux conseils pour éviter des erreurs qui pourraient être pires que le mal. Il ne s’agit pas d’un encouragement à une autothérapie sans limites mais plutôt de l’exposé des modes de fonctionnement de l’être humain et de ses complexités. Des maux de faible importance gagnent à être pris en considération avant qu’ils ne se transforment en avalanches de doutes psychologiques. Les auteurs n’hésitent pas à proposer des outils pratiques, des exercices, des bilans à réaliser pour dresser une carte de nos représentations mentales quotidiennes.

A découvrir de toute urgence !

Jean-Jacques Prahin, Jean-Luc Tournier « Guérir de son père, père et fils : la thérapie du lien » Editions de Boeck, 2007.

 

La relation au père est déterminante pour le jeune individu, et plus tard l’adulte livré au monde qui l’entoure. Les deux auteurs, psychothérapeutes, ont consacré leurs recherches sur les éléments qui marquent cette relation et dont on trouve déjà les interrogations dans l’Antiquité la plus ancienne. Le fait de ne pas avoir eu suffisamment de liens avec son père, un manque de partage et d’intimité avec lui, peut avoir pour conséquence de ne pas donner un modèle suffisamment complet pour construire sa propre individualité. Selon les auteurs, le fils est alors un homme sans l’être vraiment. Face à ce constat inquiétant, où l’incomplétude est source de désorientation, de blessures, de carences, et de comportements qui « gardent » en enfance.

Les deux psychothérapeutes ont ainsi conduit depuis plus de dix ans des ateliers de thérapie avec des patients souffrant de leur relation à leur père. C’est cette expérience qui est ici résumée. Le style est direct, les auteurs n’hésitent pas à reproduire l’ambiance du début de la séance de travail en montrant les peurs et les réticences d’hommes réunis à parler de choses qui d’habitudes ne sont pas abordées dans l’univers des mâles. Il s’agit alors de découvrir ce « père intérieur », cette construction interne d’un modèle présent dans notre esprit et qui parfois prend une réelle indépendance dans notre cerveau et exerce une influence dans les décisions de tous les jours. Cette prise de conscience est lourde et difficile et ce livre montre que si ces étapes impliquent l’individu, elles permettent cependant de faire évoluer nos représentations mentales et de s’épanouir progressivement avec d’autres repères que ceux « hérités » de la plus petite enfance. Cet ouvrage est captivant tant il souligne par des cas concrets relevés lors des ateliers de travail les difficultés d’une relation saine avec son père, difficultés qui semblent cependant n’être jamais irréversibles !

"Le Yoga" de Kiran Vyas avec DVD, Editions MARABOUT, 2007.

 

Ce sera probablement un choix cadeau valeur sûre pour toutes celles et ceux qui souhaiteront apporter un air de sérénité à leur entourage qui en manifesterait la demande. L'ouvrage est remarquable par sa clarté, toutes les gestes et positions étant parfaitement montrés grâce aux belles photos de Brigitte Baudesson. L'auteur est originaire d'Inde. Si cela ne lui donne pas en tant que tel une légitimité absolue, le fait qu'il ait enseigné depuis plus de 20 ans le yoga et qu'il ait fondé des centres de yoga et d'ayurvéda à Paris et en Normandie lui confère une expérience incontestable, ses nombreux ouvrages en témoignent. La méthode est simple et repose sur les fondamentaux indiens puisque l'auteur a retenu le Hatha-Yoga comme loi d'équilibre. La respiration (Pranayama) et les postures (Asanas) sont au coeur de cette méthode afin de prendre conscience des dimensions de notre corps et écarter les tensions inutiles qui s'amoncellent, année après année. Le DVD offre parallèlement un complément de 45 mn constituant à lui seul un cours de yoga à domicile.

Stephen R. Covey "Les 7 habitudes de ceux qui réalisent tout ce qu'ils entreprennent" avec nouvelle préface et postface de l'auteur, FIRST EDITIONS, 2005.

Les chiffres éloquents de plus de 15 millions d'exemplaires vendus dans 27 pays donnent une idée de l'ampleur de la pensée de leur auteur ! Stephen R. Covey est, sans conteste, l'une des figures marquantes du développement personnel du XX° siècle. Diplômé de Harvard et président du Covey Leadership Center, l'auteur a été le conseiller du Président Clinton.  L'ouvrage clé de la pensée de l'auteur, les 7 habitudes..., n'est pas un livre de plus offrant des recettes miracles pour réussir sa vie. En fait de miracles, c'est sur le long terme que se place la démarche de Stephen R Covey. C'est en effet, pas à pas, jour après jour, que de profonds changements pourront survenir, assis sur des principes justes et immuables. On l'a compris, c'est à un effort d'exigence vis à vis de nous tout d'abord auquel nous invite ce magnifique livre qu'on ne cesse d'ouvrir et d'exploiter, lecture après lecture. Que ce soit l'approche personnelle, sociale ou professionnelle, rien n'est écartée dans la démarche globale de l'auteur. Profitons de cette dernière édition, augmentée d'une nouvelle préface et d'une nouvelle postface de l'auteur, pour repenser les fondements de notre vie !

Stephen R. Covey "La 8ème Habitude" FIRST EDITIONS, 2006.

Après lecture des 7 habitudes, il faut absolument découvrir ce nouvel opuscule de la pensée féconde de Stephen R. Covey. Si son premier ouvrage n'a pas pris une ride, ce nouveau titre se place résolument dans le cadre actuel de notre société occidentale en crise. Plus que jamais, une réflexion de fond sur la signification de nos choix personnels et professionnels s'avèrent indispensable afin d'éviter le flot incessant de névroses et autre mal de vivre si fréquent dans notre quotidien. C'est tout le mérite de ce dernier livre du grand penseur que de nous inviter à une confrontation directe avec tous ces maux dont on évite de parler jusqu'au moment où  cela s'avère trop tard. Stress, découragement, frustration,... toutes ces souffrances trouvent leur réponse dans ce dernier ouvrage à lire au plus vite pour mieux vivre avec son siècle !

Stephen R. Covey "L'étoffe des leaders" FIRST EDITIONS, 2005.

Les éditions FIRST ont décidément l'heureuse idée que de rééditer les ouvrages de référence du penseur américain, et ce dernier titre devrait tout spécialement intéresser l'univers professionnel. C'est à partir de questions simples comme "Savez vous dire non ?", "Qu'avez vous retenu de vos études ?", "Consacrez vous assez de temps à vos enfants ?" ou "Pensez vous être apprécié à votre juste valeur ?" que Stephen R Covey nous rappelle que notre vie professionnelle repose également sur un parfait accord avec une boussole qu'il nous appartient de déterminer et de suivre. Déterminer les principes cardinaux de votre vie professionnelle n'est pas chose facile surtout à notre époque. L'auteur nous apprend comment découvrir cet univers à portée de main et qui pourtant est trop souvent remis au lendemain. Une première idée, demain en allant ou revenant du travail, arrêtez vous chez votre libraire et acheter ce livre qui pourrait changer votre vie professionnelle et votre vie tout court !

 

 
BD     

"Clair-obscur dans la vallée de la lune"
auteurs ALCANTE et MONTGERMONT Collection : Air libre,
DUPUIS, 2012.

Cet ouvrage signé MONTGERMONT et ALCANTE à mi-chemin entre le roman et la bd, nous emmène au travers de la rencontre de deux personnages à la découverte des paysages somptueux
du nord du Chili, en alternance avec la face sombre de la dictature.
Joan, une jeune touriste américaine part à la découverte du Chili avec José Suarez son guide...
Une histoire qui débute comme un simple voyage touristique, mais qui au fil des pages laissera place à une grande émotion mêlée d'intrigues, accentuées par une qualité graphique exceptionnelle : Les moments de légèreté où les personnages sont dans un état serein sont exprimés dans une ambiance claire où l'intensité de la lumière transporte le lecteur dans un dédale de paysages à couper le souffle. Les périodes sinistres de l'ère Pinochet sont quant à elles traduites dans un dessin dont l'ambiance obscure nous plonge dans l'horreur de la dictature. Incontestablement, cet album porte bien son titre ! La qualité du dessin et de l'écriture donne à cette bande dessinée des allures romanesques. Un album où les références artistiques ne manquent pas et qui sera certainement une des bandes dessinées les plus marquantes pour cette année 2012.
Un grand bravo au tandem MONTGERMONT/ALCANTE qui s'était déjà distingué lors de la parution de "Quelques jours ensemble". C'était leur première collaboration dans un album où les thèmes de la maladie et de la différence étaient traités avec une grande finesse.
Bref, "Clair-obscur dans la vallée de la lune" est un ouvrage à lire absolument.

Ludovic Szagata

Une Nuit de pleine lune, scénariste Yves H., dessinateur Hermann Collection: Grafica Format : 240 x 320 mm 56 pages, GLENAT Editions, 2011.



Après plusieurs collaborations sur des ouvrages comme "Lien de sang", "Rodrigo" ou encore "Manhattan beach", le père et le fils (Hermann et Yves H) reviennent avec un nouvel album
où les amateurs de polars ne seront pas en reste. Un cambriolage organisé par une bande de jeunes inexpérimentés va virer au cauchemar. Leur plan est simple, s'introduire dans la villa d'un couple de notables du village afin d'ouvrir leur coffre-fort. Mais, voilà, le plan ne se déroule pas comme prévu et une succession de dérapages va conduire nos cinq jeunes à connaître l'enfer. C'est un peu l'histoire de l'arroseur arrosé qui nous est contée !
Un scénario mis en avant par une qualité graphique exceptionnelle, les dialogues sont bien choisis et le cadrage participe au côté lugubre. On saluera également l'excellent travail du coloriste Sébastien Gerard qui contribue à accentuer cette ambiance sombre.
Par moment cette succession de dérapages n'est d'ailleurs pas sans rappeler l'album "Lune de guerre" où Vann Hamm avait à l'époque écrit en collaboration avec Hermann un Thriller
à couper le souffle.
"Une nuit de pleine lune" est résolument un excellent album, et nous prouve une fois de plus que la collaboration entre Hermann et Yves H fonctionne à merveille.
Il est à noter qu'il existe deux versions l'une en couleur et l'autre en noir et blanc.

Ludovic Szagata

L'art de voler - Scénario : Altarriba, Antonio - Dessin : Kim, DENOEL GRAPHIC, Editions Denoël, 2011.

"L'art de voler", c'est l'histoire réelle d'un homme qui mettra fin à ses jours en se jetant du quatrième étage d'une maison de retraite. Un dernier combat pour retrouver la liberté.
Une BD qui nous plonge dans le parcours fascinant d'un homme "ordinaire" en quête de justice et de liberté sur fond de guerre civile espagnole.
Une traversée dans ce qui fût l'une des plus grandes tragédies de l'histoire du 20e siècle : Naissance de la jeune République espagnole pleine d'espoir, guerre civile et régime franquiste, exil dans les camps de réfugiés du sud de la France, participation de combattants espagnols auprès des résistants français... Autant de grands moments de l'Histoire que nous fait partager ALTARRIBA en racontant les mémoires de son père. Un père plein d'idéaux et d'espoir.
Difficile de ne pas faire le parallèle avec "Maus" d"Art SPIEGELMAN qui raconte le sort de son père durant la Seconde Guerre mondiale. A l'instar d'Art SPIEGELMAN, Antonio ALTARRIBA nous livre donc un roman historique palpitant. Le graphisme de Kim (créateur de l'hebdomadaire satirique très populaire "El Jueves") contribue à donner de la vie à cet excellent ouvrage notamment en usant de la métaphore.
Lors de sa sortie en Espagne, cet ouvrage a reçu plusieurs prix, et c'est plus que mérité, car il s'agit là bien d'un chef-d’œuvre sans conteste de la bande dessinée !

Ludovic Szagata

 

Les deux du balcon, Masse, GLENAT Editions, 2011.



Quelle bonne nouvelle cette réédition de Masse ! "Les deux du balcon", parue en 1985, est une bd incontournable qui réunit tous les ingrédients d'un chef d'oeuvre tant sur le plan artistique que créatif. En effet, le style de Masse est unique en son genre dans les techniques utilisées comme le collage et le grattage, mais également dans l'originalité de ses oeuvres. Dans cet ouvrage, on parle plutôt de conversation que d'histoire, des propos échangés entre deux personnages depuis un balcon et orientés sur la création de l'univers ou sur des thèmes scientifiques ; mais, rien de rébarbatif, bien au contraire ! Dans « Les deux du balcon", on parle science ou physique sans jamais s'ennuyer, tout est abordé avec humour et finesse.
Au fil des sujets, on retrouve un environnement chaque fois différent, les vues depuis le balcon nous emmènent dans un monde surréaliste qui n'est pas sans rappeler l'ambiance de Fred dans les aventures de Philemon (encore un autre grand de la bd).
Le talent de Masse est reconnu aussi bien dans le monde de la bd que dans celui de la peinture, car n'oublions pas qu'en plus d'être un formidable auteur de bd, Masse est également un grand peintre.
Une œuvre magistrale donc et un grand classique qui saura ravir les lecteurs avides de bd décalée. !

Ludovic Szagata

Lucien, Tome 11 : La bande à Lucien de Frank Margerin, Fluide Glacial, 2011.

Franck Margerin fait son "come-back" avec ce nouvel album où règne toujours une ambiance très Rock and roll accompagnée d'une bonne dose de camaraderie. Même si le style de Lucien peut paraitre dépassé aux yeux de certains jeunes, c'est pourtant comme ça qu’on l'aime, et le fait d'avoir conservé sa banane en la grisonnant a permis de garder l'âme rock and roll de celui qui a accompagné toute une génération.
Car Lucien sans sa banane ne serait plus, c’est certain, Lucien ; alors pourvu que la calvitie ne touche pas notre héros !!!

Si dans les derniers tomes Lucien retrouvait des vieilles connaissances comme Riton, Gillou ou Ricky, cette fois, c'est Nanard qui fait son "come-back". Nanard, c'est le bon vieux cousin hippie chez qui Lucien passera un p'tit séjour champêtre dans "Lucien se met au vert".
Dans ce tome 11, Nanard a perdu son look "baba cool", mais reste néanmoins très branché énergies renouvelables, agriculture bio etc... Margerin même s'il n'a jamais prétendu faire de "la bd engagée" participe ainsi à nous faire prendre conscience de l'importance de certains sujets parmi lesquels, et pas la moindre, celle de préserver notre planète. De la même façon, il a su mettre en perspective les petits soucis et les inquiétudes des quinquas : problèmes de santé et de travail...Mais pas de panique !!! Tout ça est traité avec la finesse et l'humour, et ce qui caractérise Margerin demeure ; le passage le plus bidonnant est à découvrir dans le dernier acte de cette bd où notre bande de joyeux lurons se raconte leurs " bons plans séduction", et surtout leurs déboires…
On peut dire que Lucien et ses potes, ou plutôt la bande à Lucien vieillissent bien. Ils sont toujours aussi drôles et pleins d'humanité. On attend la prochaine avec impatience !!!

Ludovic Szagata

Far Away Scénaristes Maryse Charles, Jean-François Charles, Dessinateur Gabriele Gamberini, Editeur GLENAT , 2011.

Certainement l'un des plus beaux livres de ce début d'année ! Cet album est une invitation à la poésie et à la mélancolie.
Un road-movie où chaque planche est soignée et offre un dessin d'une rare délicatesse.
L'histoire est celle de Martin BONSOIR, un chauffeur routier qui va se retrouver bloqué par les intempéries, ce qui l'amènera à faire
une rencontre inattendue. Une rencontre entre deux êtres solitaires en plein cœur de la forêt canadienne. A partir de cet instant va débuter
un long voyage qui va nous plonger dans un dédale de paysages plus beaux les uns que les autres.
Un récit à la fois dramatique, mystérieux, servi par un dessin tout en peinture où les décors et les paysages sont un régal pour les yeux.
Le scénario est simple, mais la qualité des dialogues correspond parfaitement au graphisme donnant ainsi à l'ensemble une grande homogénéité et beaucoup de subtilité.
 

Ludovic Szagata

JEAN-CLAUDE TERGAL - Tome 10. ... Ne rentre pas seul ce soir
Dessin et scénario : Tronchet - Editeur : Fluide Glacial, 2011.

Dans un train, un inconnu demande à Jean-Claude de veiller quelques instants sur sa femme qui a absorbé un peu trop de somnifères. Ce dernier accepte et va même aider l'homme à débarquer son épouse à l'arrivée du train en gare. Assis sur un banc aux côtés de la belle inconnue le temps que le mari aille trouver un taxi, Jean-Claude attend patiemment l'époux qui ne reviendra jamais...C'est alors qu'envahi par le stress de la situation, une multitude de questions viennent tarauder notre héros. La femme est-elle morte ? Pourquoi sa valise contient-elle trois grilles pains ?
Encore une histoire rocambolesque de l'inimitable Jean-Claude TERGAL vêtu de sa doudoune rouge et de son habituel pantalon "feux de plancher". Jean-Claude TERGAL, personnage phare de TRONCHET, nous emmène dans son univers glauque où la misère sentimentale prend toute sa dimension sur un fond d'humour noir et décapant. Jean-Claude est un habitué des déboires amoureux, en quête du grand Amour, on retrouve cet antihéros dans des situations cocasses qui parfois peuvent nous rappeler quelques souvenirs en matière de "plans foireux" ! Et, c'est d'ailleurs certainement ce qui contribue à rendre ce personnage si attachant. Mais, dans ce tome 10, scénario extraordinaire et quelque peu différent, notre compère trouve enfin une femme...
Le dessin parfois aléatoire qui fait le charme de TRONCHET se marie parfaitement avec l'ambiance déjantée de la BD. Quant à l'histoire, TRONCHET entretient merveilleusement le suspens ce qui nous a conduits à lire ce petit joyau en une seule traite !
Une fois de plus l'auteur conjugue habilement satire, tendresse et humour et nous fait ainsi partager un grand moment de bonheur !

Ludovic Szagata

 
 

Le Narval T2 : Terrain Vague
De Supiot et Beuzelin, Treize Etrange - Glénat 2010.

 


 

Comme dans le précédent album du NARVAL, Olivier SUPIOT et Boris BEUZELIN nous présentent cinq histoires courtes et extrêmement bien construites.
L'intrigue tient rapidement le lecteur en haleine grâce à des scénarios concis et des illustrations aux traits nerveux précis et expressifs.
Ces graphismes s'inscrivent dans la plus pure tradition Franco-Belge et évoquent notamment l'ambiance de Spirou et Fantasio.
Comme eux, le héros vit une série d'aventures rocambolesques.
Au menu : de l'action!! Des rencontres imprévues et des endroits insolites. Comme ce complot dans les égouts de Paris... Ou encore cette plongée atypique en plein désert... Dans ces cinq histoires, le lecteur va de surprise en surprise et il est vrai que chacune des aventures du NARVAL pourrait donner naissance à un album à part entière, mais les auteurs ont préféré le format "recueil de nouvelles".
Un grand coup de chapeau à Olivier SUPIOT et Boris BEUZELIN pour ces aventures rythmées, dynamiques et passionnantes !

Ludovic Szagata

 

Tard dans la nuit de Jean-Blaise Djian, VoRo et Jocelyne Charrance Collection Les Intégrales Vents d'Ouest 2010.

 

La rencontre entre le scénariste français Jean Blaise DJIAN et le jeune dessinateur Quebecois VORO donne naissance à une trilogie captivante entre thriller, drame psychologique et faits historiques. En effet, cette série parue entre 2004 et 2006 s'inspire d'évènements tragiques datant du milieu du XXe siècle (L’affaire des orphelins de Duplessis).
Le tandem DJIAN VORO nous transporte dans un univers plein d'intrigues et de rebondissements où le jeune shérif Émile tente d'élucider une série de meurtres ayant eu lieu dans le petit village de Nid-de-Roche. Un petit village perdu dans l'Est du Quebec où les habitants vivent reclus dans la rudesse des longs hivers qui caractérisent cette région. L'atmosphère qui se dégage de cette BD nous rappelle d'ailleurs un peu l'ambiance de l'excellente série "magasin général" de LOISEL & TRIPP .
La qualité de narration sur la base d'un scénario complexe, mais très bien construit allié à un dessin réaliste et dynamique, contribuera à plonger le lecteur dans une ambiance lugubre où le profil psychologique de chaque personnage est mis en scène avec beaucoup de finesse. Au fur et à mesure que l'on se rapproche du dénouement, l'histoire gagne en puissance, le scénario devient de plus en plus fouillé et les dessins se précisent. Ils contribuent à créer une ambiance mystérieuse, justement celle d'un petit village où les habitants vivent en cercle fermé, un endroit confiné et très secret…
Une série qui à l’évidence saura ravir les amateurs de polars et tous ceux qui recherchent une bonne BD captivante

Ludovic Szagata

 

La pire espèce
Scenario : Agathe ANDRE et Richard MALKA
Dessin : PTILUC
Editeur: GRASSET/VENTS D'OUEST 2010

 



La collaboration entre Agathe ANDRE, PTILUC et Richard MALKA donne naissance à un road-movie passionnant à travers "l'île perdue".
Cette île mystérieuse peuplée de bonobos, d'hippopotames banquiers, ou encore de paresseux écolos-warrior nous reserve bien des surprises !
L'histoire est celle de Badin un singe bonobo qui part à la recherche d'un antidote pour guérir sa fille atteinte d'un mal étrange appelé le virus Zarako... Au fil de son periple, Badin notre sage bonobo accompagné de sa fille Bonie et d'un petit lézard surnommé Mr Sinic vont devoir traverser des terres hostiles et étranges comme : "La vallée des fous, horror city...
Nos deux scénaristes Agathe ANDRE et Richard MALKA nous livrent un récit et des dialogues d'une grande qualité, un petit bijou d'humour à double lecture où cohabitent des citations de poètes, de philosophes et d'hommes politiques, on est sur les terres de la satire et de l'humour. Enfin, Ptiluc vient apporter par un dessin bien léché et plein d'humour une ambiance déjantée dans cette fable animalière ressemblant étrangement à un « connu, vécu déjà », peut-être bien notre société... Bref, un album à lire absolument !

Ludovic Szagata

 

Ca n’arrive qu’à moi- Livre premier / Tronchet /  Futuropolis, 2010.

 

Tronchet c'est l'art de mettre en scène des gens ordinaires et des histoires ordinaires en y mêlant une bonne dose d'humour et d'ironie.
Chacun de ses personnages apporte leur lot de péripéties et même si de prime abord ses héros ou plutôt antihéros sont un peu bruts de décoffrage dans leur apparence, à l'arrivée on finit toujours par s'y attacher et y trouver une forme de tendresse. Et, c'est le cas pour Jean-Claude TERGAL, certainement le plus social de ses personnages, qui redouble d'imagination et use de stratagèmes dignes des plus grands losers pour tenter de trouver l'âme soeur. Mais, on soulignera également Raymond CALBUTH, un des personnages phare de TRONCHET, qui a beaucoup contribué au succès de ce dernier. Et si TRONCHET a pu déjà dans d’autres albums mettre en scène des personnages féminins tels que Monique CALBUTH (femme de Raymond), Christine (le premier amour de Jean-Claude THERGAL) ou bien encore Régine POISSART(la famille POISSART), c'est cependant la première fois que l'auteur donne un rôle principal à une héroïne. Dans "ça n'arrive qu'à moi", on découvre en effet "Prunelle" une jeune femme adepte de l'écologie et de la nature. Tout un programme ! La vie de Prunelle est ponctuée de gaffes et de maladresses qui font de cette héroïne un personnage extrêmement sympathique et amusant. Quand Prunelle s'emmêle les pinceaux avec les expressions de la langue française en "tombant comme un cheval dans la soupe", on sourit et lorsqu'elle gaffe on se marre comme un bossu.
Même si le scénario est plutôt simple, il n'en reste pas moins efficace, et à la fin de ce premier tome on a vraiment le sentiment d'avoir pris une bonne bouffée d'oxygène !
Et c’est ce qui nous faut pour les vacances…

Ludovic Szagata

 
 

Le Narval, L'homme de fond de Boris Beuzelin et Olivier Supiot, Glénat, 2010.

Bob Narval, plongeur-aventurier à l'aise comme un poisson dans l'eau, nous invite à vivre ses aventures aux quatre coins du globe dans l'univers
passionnant de la plongée sous-marine : Cap sur la Polynésie à la rencontre d'un archéologue peu scrupuleux, rendez-vous avec des pirates désespérés au large de la Somalie, mission à haut risque dans l'Arctique, bref de l'aventure à l'état brut dans la plus pure tradition franco-belge. D'ailleurs, les connaisseurs pourront y retrouver diverses sources d'inspiration parmi lesquelles Maurice Thillieux (Gil Jourdan), Yann/Conrad (les innommables) et Frankin (Spirou et Fantasio "Le Repaire de la Murène").
Dans le Narval, on renoue avec la BD d'aventure classique. Olivier SUPIOT nous a concocté cinq histoires très bien ficelées aux dialogues percutants incluant une bonne dose d'humour et une mise en scène très bien orchestrée. Quant à Boris BEUZELIN, il nous livre un dessin au graphisme nerveux, au trait rapide et expressif d'une grande qualité. Le héros devient vite attachant et les personnages ont vraiment "de la gueule".
Vivement le prochain album!

 

Ludovic Szagata

 

"Correspondance avec les corps obscurs", 13e tome de la série Pacush Bues de Ptiluc, Vents d'Ouest, 2010.

Une atmosphère monochromatique plus que sombre, un personnage un peu paumé nous faisant réfléchir sur des grands thèmes de société dans un décor plutôt glauque, pas de doute possible, c'est bien du Ptiluc !
Ptiluc, c'est un peu le spécialiste de la fable animalière, capable de mettre en scène des rats et de leur donner un visage très humain, un peu à la manière de Jean de la Fontaine mais en beaucoup plus trash !
"Correspondance avec les corps obscurs", 13e tome de la série Pacush Bues nous emmène donc dans une réflexion existentielle emprunte de philosophie et d'un soupçon de poésie. On y retrouve un héros "discutant le bout de gras" avec l'âme d'un de ses semblables en état de putréfaction... bref après s'être attaqué à des sujets comme l'intolérance, le pouvoir ou encore les travers de notre société de consommation (tome 12 autopsie de mondes en déroute), Ptiluc nous invite à méditer sur des sujets comme la mort et la vieillesse. L'ambiance générale de cette dernière BD n'est d'ailleurs pas sans rappeler "Jefferson ou le mal de vivre" (tome 2).
Un ouvrage qui mérite que l'on prenne tout son temps pour apprécier la grande qualité de ses dialogues associé à un dessin tellement expressif que l'on a envie de s'attarder sur chaque case. Seul Ptiluc est capable de mélanger avec autant d'habileté le cynisme, la déprime, et de conserver un humour corrosif et décapant. On peut dire que ptiluc est un excellent dessinateur, scénariste, mais aussi un sociologue vraiment doué !

Ludovic Szagata

 
   

 

 


 

Sports, Santé
Votre dos - Bien-être, santé, performance de Jack SAVOLDELLI et Lionel LAIDET, 224 pages 16,5 X 21 cm en couleurs - 105 photos et 23 dessins, Amphora, 2010.


Selon une étude récente, près de 80 % des Français ont, ont eu ou auront mal au dos. Depuis quelques années, ces traumatologies touchent des personnes de plus en plus jeunes.
L'usage fréquent de la voiture, une position inadaptée devant son ordinateur, de mauvaises postures lors de la manutention d'objets lourds, le manque d'activités physiques et une musculature trop faible... les origines de ce mal sont nombreuses.
Après vous avoir présenté les différentes composantes anatomiques de la région dorsale et son fonctionnement, les auteurs font un inventaire des diverses origines du mal de dos et des traitements à suivre pour le soulager.
Par la suite, ils vous donnent les informations et les conseils spécifiques pour prévenir ces douleurs, et vous proposent des exercices et des programmes variés pour éduquer, renforcer ou soulager efficacement votre dos.
Un ouvrage concret et accessible à toute personne déjà concernée par ces douleurs ou qui souhaite les éviter.
(présentation de l'éditeur)

 

Objectif Abdominaux - Entretien, performance, esthétique de Laurent LOPEZ,  Amphora, 2010.

Pourquoi et comment solliciter au mieux vos abdominaux pour votre santé et votre bien-être quotidiens ? Quels sont les exercices les plus efficaces pour vous muscler en toute sécurité ? Quels sont les meilleurs programmes adaptés à vos objectifs : entretien, développement de la puissance ou recherche d’un corps esthétique ? Quelles sont les règles de diététique à respecter pour optimiser les bénéfices de votre entraînement ?

Les abdominaux sont des muscles essentiels qui assurent votre maintien et votre équilibre corporel. Une sollicitation régulière préviendra les problèmes de postures et le mal de dos. Elle aura également un rôle primordial sur vos fonctions respiratoire et digestive… Découvrez les exercices et les conseils indispensables à votre santé et votre bien-être.
Vous êtes un sportif et souhaitez améliorer votre explosivité et votre gainage, indispensables à la performance ? Vous désirez vous construire un corps esthétique, une silhouette harmonieuse et dessiner les fameuses « tablettes de chocolat » ? Laurent Lopez vous propose un travail approfondi et ciblé afin de vous permettre d’obtenir les résultats recherchés.
Découvrez des exercices, des programmes d’entraînement et des conseils diététiques adaptés à vos propres besoins.
(présentation de l'éditeur)
"A cheval ! S'initier à l'équitation avec plaisir" de Lebherz Heike, Collection : Hors collection Larousse Pratique, Larousse.


Le livre pour apprendre à monter à cheval avec bonheur.

Un guide pratique qui insiste sur l'importance de la relation cavalier/cheval, la connaissance approfondie de l'animal et de son comportement dans l'apprentissage de l'équitation.
Véritable cours d'initiation dédramatisant, accompagné de nombreux conseils, d' anecdotes vécues et de témoignages de cavaliers, le livre est découpé en 5 parties :
- Le désir d'apprendre à monter.
- Ce qu'il faut savoir à propos du cheval.
- La peur de monter à cheval et comment y remédier.
- A cheval : des exercices pratiques.
- Enfin libre : monter seul sans longe.

Christophe Geoffroy « Guide pratique des étirements » Collection Les Guides Pratiques, Edition C. Geoffroy, 2008.

 

Christophe Geoffroy vient de publier dans le cadre de la Collection Sport +, Le Guide pratique des Etirements qui en est à  sa 5ième édition et vient apporter des réponses simples et claires dans un domaine où très souvent l’inverse et son contraire sont énoncés. Si vous ne savez pas répondre à la question : doit-on pratiquer les étirements avant ou après la séance de travail ? Et si vous mettez dans le même sac tout type d’entraînement, cet ouvrage est fait pour vous. 150 exercices sont proposés pour être en forme, ces exercices pouvant être pratiqués soit en tant que tel au cours d’une séance spécifique ou bien dans le cadre d’une pratique d’un sport. La conduite des exercices est progressive et des niveaux de difficultés sont proposés afin de personnaliser l’entraînement. Ce guide ne se limite pas à une compilation d’exercices mais offre une véritable compréhension de leurs effets sur l’anatomie et la physiologie du corps. Parfaitement illustré avec de nombreux schémas montrant les muscles et les tendons sollicités, c’est une véritable somme sans équivalent en français en matière d’étirements. Après sa lecture, on serait même tenté de le rendre obligatoire au même titre qu’une visite médicale sérieuse et approfondie avant toute début ou reprise de pratique sportive. Christophe Geoffroy nous fait bénéficier de son expérience de Kinésithérapeute du sport (M.K.D.E.), kinésithérapeute attaché à la F.F.F., chargé d'enseignement universitaire, et également organisateur de raids multisports.

« BodySports – La Bible des exercices » de Josette Roche-Shuey et Lucien Demeillès, Editions JIBENA.

 

A l’heure des manuels de musculation trop rapidement élaborés avec des photos plus ou moins en situation, ce dernier ouvrage des Editions Jibena conçu par deux spécialistes de la forme et de la musculation (les auteurs interviennent en effet régulièrement depuis de nombreuses années dans la Revue « Le Monde du Muscle) fait figure d’évènement. Un évènement pédagogique tout d’abord en raison du travail iconographique exceptionnel réalisé grâce aux dessins de Lucien Demeillès, véritable artiste en la matière, qui offrent non seulement une vision dynamique des exercices présentés mais forcent également leur compréhension en isolant les muscles et parties du corps concernés. Avec ses 500 dessins d’exercices, cet ouvrage couvre également, autre mérite, l’ensemble de la musculature du corps humain pour une remise en forme, un entraînement régulier voire même un perfectionnement après des années de pratique. Chacun trouvera des mines d’informations dans cette Bible des exercices afin d’apprendre, à terme, à composer soi-même ses programmes et mieux coller à la spécificité de son métabolisme et de son anatomie. Cet objectif ne pourra être atteint qu’en étudiant dans le détail et dans ses interactions l’ensemble des exercices ici présentés afin de parvenir à cette compréhension de l’idéal culturiste tant souvent décrié et pourtant magnifié dés la plus ancienne statuaire grecque classique !

 

 

Sabine Juras, Jérôme Baicry « Le gainage pour tous, renforcer son corps pour le bien-être et la performance » collection Sport+ Editions C. Geoffroy, 2008.

 

Le gainage gagne progressivement ses lettres de noblesse dans la préparation sportive et dans la vie de tous les jours. Cette nécessité de renforcer l’ensemble des muscles qui entourent la colonne vertébrale (gainage) est de plus en plus constatée eu égard au nombre important de lombalgies au quotidien. Cet ouvrage particulièrement complet est le fruit de l’expérience de deux kinésithérapeutes spécialisés dans le sport de haut niveau (Sabine Juras est le kiné de l’équipe de basket-ball de Valenciennes depuis 1995 et de l’équipe de France féminine de basket-ball depuis 2000 ; Jérôme Baicry est le kiné de l’équipe de basket-ball de Bourges depuis 2001 et de l’équipe de France féminine de basket-ball depuis 1999). Les contraintes articulaires et musculaires étant souvent très impressionnantes lorsqu’elles sont traduites en poids au niveau de la colonne (des pressions dépassant largement la tonne au niveau des lombaires), la nécessité d’un bon verrouillage grâce à une bonne sangle musculaire semble incontournable. Les auteurs insistent bien sur cette idée erronée qui consiste à croire que faire des abdos devrait suffire. Il n’en est rien, non seulement certains de ces exercices peuvent contribuer à endommager plus le dos mais, de plus, ils ne seront pas suffisants à ce gainage complet et équilibré de la colonne. Le livre offre ainsi toute une méthodologie parfaitement détaillée à l’aide de programmes selon ses besoins et ses objectifs avec pas moins de 400 exercices consacrés au gainage.

« Iron on my mind » by Dave Draper, On Target Publications, 2006.

 

Nous retrouvons l’unique philosophe de la fonte en la personne de Dave Draper. Si pour le pratiquant lambda, la salle de musculation n’est qu’une succession de machines, de poids, de glaces et d’odeurs de sueur, pour l’auteur, la fonte se transforme en métal précieux, les séances fastidieuses en tournoi chevaleresque, le tout dans une inspiration onirique impressionnante et communicative ! Dave Draper a incontestablement un talent d’écriture égal à celui nécessaire pour  la construction du corps de légende qui l’a rendu si célèbre. Le travail de la plume relève de l’introspection la plus sincère ce qui n’exclut pas l’humour, l’ironie et la joie partagée d’une passion immodérée après temps d’années passées. « Iron on my mind » est la réunion de ces pensées quotidiennes qui jalonnent la vie du sportif dans ces entraînements, pouvant être lues dans n’importe quel ordre puisqu’elles sont indépendantes les unes des autres. Ce livre devient alors non pas le livre de chevet du pratiquant mais le journal de bord quotidien de qui cherche une source d’inspiration continue afin de persévérer dans la délicate voie de la forme et de la musculation. Nul doute que «Iron on my mind » n’a son équivalent ailleurs, Dave Draper ayant déjà fait la preuve de sa générosité dans ses conseils donnés gratuitement chaque semaine sur le site qu’il anime avec son épouse Laree. Pour toutes ces raisons, et bien d’autres encore, « Iron on my mind » se doit de figurer dans la bibliothèque de tout amoureux de la fonte en espérant de prochains volumes tout aussi inspirés !

 

« Titans » photographies d’Al Satterwhite, 335 x 285 mm, 262 pages, 187 photographies en noir et blanc, Dalton Watson Fine Books, 2009. 

Le grand photographe Al Satterwhite nous invite dans un livre au nom prédestiné « Titans » à une comparaison entre deux géants, le célèbre boxeur Mohammed Ali et le bodybuilder Arnold Schwarzenegger, actuel gouverneur de la Californie. La comparaison avec les six fils de la terre et du ciel de la mythologie grecque de ces deux figures de légende a inspiré le photographe américain Al Satterwhite qui a travaillé pour les plus grands médias Life, Look, Time, Newsweek,…

Ayant connu la Californie des années 70 où il s’établit, les années 80 le virent s’installer à New York pour réaliser de nombreuses campagnes publicitaires pour des clients nationaux et internationaux. Depuis les années 90, il est revenu en Californie où il pratique son art. Alors qu’il est réputé pour son travail photographique sur la couleur saturée, Al Satterwhite nous propose dans cet ouvrage un aspect moins connu de son art avec des clichés en noir et blanc de deux sujets masculins, sportifs de renom. Le photographe eut le privilège de rencontrer Mohammed Ali en personne en 1970 à Miami alors que le boxeur préparait son combat contre Joe Frazier. C’est en 1976 qu’il fit la connaissance d’Arnold Schwarzenegger en Californie au fameux Gold’s Gym où le champion venait d’interrompre par une semi-retraite une longue série de victoires en bodybuilding. L’objectif d’Al Satterwhite suit ces deux géants, Titans, dans leur quête inassouvie de l’excellence. Leur détermination sans faille imprime littéralement la pellicule du photographe de talent qui a su trouver les angles, le cadrage et la lumière pour fixer ces instants d’éternité. Que l’on soit amateur ou non de force et de puissance, le résultat artistique est saisissant. Qu’il s’agisse de la vie de tous les jours, dans la sueur et l’effort, ou dans des instants du quotidien insolite, la magie opère grâce au fabuleux travail du photographe.

Un ouvrage de toute beauté à recommander ! 

Pour se procurer le livre sur le site de l’éditeur : www.daltonwatson.com info@daltonwatson.com

Site du photographe Al Satterwhite : www.alsatterwhite.com

 

Lucy Knight « Marcher pour maigrir » Collection Marabout Pratique, Marabout, 2008.

La marche est reconnue depuis de nombreuses années comme étant la meilleure pratique sportive d’entretien tant par le corps médical que par les préparateurs sportifs. A l’inverse du running, elle sollicite moins les genoux et la colonne vertébrale du fait d’un impact sur le sol bien plus limité. Elle est même recommandée dans la convalescence des patients ayant eu une crise cardiaque. Graduelle dans sa difficulté, la marche peut être rééducative tout aussi bien que sportive. Elle peut également accompagner avec succès un programme de perte de poids, objet du présent livre. Lucy Knight, professeur de fitness et coach, a mis au point un programme d’entraînement fitness pour la marque Kelloggs. Ce sont les enseignements de cette expérience qui sont réunis dans ce petit guide à emporter avec soi en vacances pour suivre, étape par étape, cet accompagnement dans la marche sportive. 

« La Cuillère d’argent » Nouvelle édition, 1500 pages, 400 illustrations couleurs, Editions Phaidon, 2011.

Voici Le livre de référence de la cuisine italienne avec une nouvelle édition qui ajoute 400 nouvelles photographies accompagnant plus de 2000 recettes ! « La Cuillère d’argent », c’est ainsi qu’il se nomme, vous accompagnera dans toutes vos recettes, qu’elles soient festives ou du quotidien avec une palette d’idées qui viendra à bout de toutes les pannes d’inspiration…
Comment expliquer une telle réussite ? Cette bible de la cuisine italienne a pour elle d’être tout sauf un texte de circonstances qui aurait été rapidement écrit pour l’occasion. Le livre est né dans les années 50 grâce au magazine d’architecture et de design Domus sur une initiative de l’architecte Gio Ponti. Il est depuis devenu une institution avec laquelle tout Italien compte tout au long de sa vie. Véritable legs culinaire, cet ouvrage est non seulement exhaustif, mais également agréable à consulter grâce à ses nombreuses illustrations et à ses nombreuses thématiques et autres informations permettant de réellement comprendre la cuisine italienne de l’intérieur. Des menus tout spécialement conçus par de grands chefs italiens ont même été réunis afin d’offrir de A à Z un programme italien haut de gamme pour vos convives ! Un index bien utile complète cette belle réalisation afin de faire un bon plat italien à partir des ingrédients disponibles dans son réfrigérateur. Avec « La Cuillère d’argent », toute l’Italie entre dans votre cuisine avec 1500 pages de saveurs à réaliser tout au long de l’année !
Cuisine

François Couplan : « Cuisine sauvage, accommoder mille plantes oubliées. », éditions Sang de la Terre, collection Encyclopédie des plantes sauvages comestibles et toxiques de l’Europe », 2010.

Les plantes sauvages sont à l’honneur dans la cuisine ; Les Chefs – et des plus grands – les ont déjà accommodées et cuisinées depuis quelques saisons. Reste qu’on ne saurait sous le simple prétexte que ce sont des plantes sauvages faire n’importe quoi avec ! Cuisiner les plantes sauvages, cela s’apprend. C’est pour cette bonne raison que les Éditions « Sang de la Terre » nous proposent cet été une véritable encyclopédie des plantes sauvages à cuisiner. Car, outre, bien sûr, qu’il faut mieux savoir reconnaître les plantes comestibles de celles qui ne le sont malheureusement pas, encore faut-il savoir les préparer, les accommoder pour en garder toute la saveur et leurs vertus : Il y a, ne nous y trompons pas, soupe à l’ortie et soupe à l’ortie ! Et les cuisiniers le savent bien, eux qui demeurent toujours si avares de leurs secrets… « Cuisine sauvage » est le deuxième tome, après « Le régal végétal » de cette encyclopédie des plantes sauvages comestibles et toxiques de l’Europe de François Couplan, ethnobiologiste, docteur ès sciences, enseignant depuis plus de trente ans ; il sait donc de quoi il parle ! Préfacé par Marc Veyrat, cet ouvrage propose plus de 300 recettes selon vos cueillettes, découvertes, saisons ou vos envies ; soit plus de mille plantes sauvages pour la plus part aujourd’hui oubliées ou du moins délaissées ou dédaignées ; de quoi étonner, surprendre et régaler votre famille et amis ! Que diriez, par exemple, lundi d’un Parmentier de violettes ou de beignets de glycine ? Et mercredi, pour amuser les petits de « Nituké » ou de compote de pissenlits ? Et dimanche, pour changer du trop traditionnel dessert dominical, d’une délicieuse bûche au coquelicot ? Vous y trouverez aussi des recettes de sirop, thé, vin et liqueur ou encore de vinaigre…Rangées selon leur catégorie – graines, racines, jeunes pousses…-, les recettes sont originales, savoureuses et pleines de bonne humeur. Vous y trouverez également des conseils pratiques de cueillette et de conservation et un index des recettes proposées vous aidera à retrouver vos préférées. Enfin, un livre qui ne vous fera plus détester sans raison et sans discernement toutes les plantes sauvages de votre jardin ! Les noisetiers, tilleuls, sureaux reprendront à vos yeux couleurs et saveurs….

 

« Le Petit LAROUSSE du POTAGER FACILE », Édition Larousse, 2010.

Avant de vous lancer tête baissée et à bras le corps dans la création de votre potager, ou avant de tout arrêter, de renoncer à vos tomates fraîches, votre ciboulette ou vos poireaux et de dire intempestivement « stop ! »... Prenez le temps de découvrir et de lire « Le potager facile » paru aux Éditions Larousse : Ce livre est véritablement une mine d’or et vous réconciliera avec vos rêves et désirs de cultiver votre jardin que ce soit en pleine terre, pots ou jardinières sur votre balcon. Véritable guide d’initiation à usage de débutants, des déçus ou rusés des potagers, il offre, en effet, plus de 50 légumes faciles, simples et basics à cultiver sans erreurs, mais indispensables et délicieux pour quiconque veut commencer et apprécier son potager : choux, concombres, radis, tomates, mais aussi potirons, topinambours, épinards…s’y montrent sous une agréable iconographie. Pour chacun de ces légumes incontournables, une fiche technique claire, précise et pédagogique vous est proposée. Chacune de ces fiches techniques est précédée de l’avis averti de Claude Bureaux, maître jardinier au Jardin des Plantes de Paris. Vous y trouverez ainsi de nombreux conseils astucieux de choix, mode de culture, emplacement et récolte, l’auteur n’hésitant pas à vous glisser à l’oreille en plus quelques conseils et idées culinaires, nutritionnelles ou de conservation. Enfin, parce que son auteur connaît parfaitement la magie du potager, il vous offrira pour votre plus grand plaisir, ses astuces, secrets et tours de main de maître jardinier…A lire au plus vite, pour pouvoir offrir avec fierté vos plus belles tomates cerise de l’été !

 

Le gâteau au chocolat de Victoire Paluel-Marmont COLLECTION : Cuisine, Marabout, 2010.

10 recettes à la portée de tous pour découvrir tous les modes de préparation et de cuisson des gâteaux au chocolat et devenir incollable. Il est aujourd’hui impossible de savoir à l’avance quel sera l’aspect, le goût ou la texture d’un gâteau au chocolat rien qu’en lisant la recette. Victoire Paluel-Marmont, nous donne donc les clés scientifiques pour comprendre le pourquoi du comment du gâteau au chocolat, en décortiquant les 10 grandes recettes de gâteaux au chocolat : le moelleux, le fondant, le coulant, la génoise,le brownie, le fudge…Des explications claires et ludiques, schémas et photos à l’appui.

 

Meringues de Alisa Morov COLLECTION : Petits Plats, Marabout.

Des meringues salées au parmesan ou aux herbes pour l'apéritif ou accompagner une soupe, il fallait y penser ! Des meringues sucrées aux noisettes et au chocolat ou à la vanille pour le goûter ou pour accompagner un café, ça va faire beaucoup d'effet ! 35 recettes de meringues sucrées ou salées faciles et rapides à préparer + des conseils et des astuces pour un résultat parfait + de nombreuses idées de décorations

 

La collection "Recettes en confidence" des éditions Gramond

Du côté des "Recettes en confidences"... Après un premier livre très réussi "Les bons petits plats des copines", cette collection est devenue emblématique pour la maison ! L’humour, la fantaisie auxquels se livrent ces écrivains cuisiniers donnent un registre inédit au genre.
La collection s’enrichit d’une suite "les bons petits plats de nos grands-mères", suivie par  "Les bons petits plats des mamans débordées". Ou pleins d'astuces pour cuisiner rapidement et BON, pour toute la famille et les amis invités à la dernière minute.

La collection prend également un axe bio et écolo avec "Transformer son pain en recettes gourmandes" ou l'art de recycler son pain sec, et "Du panier à l'assiette", 2 volumes, Automne-Hiver et Printemps-été. Ou comment conserver, préparer et cuisiner les légumes de saison !
Un traitement original de la cuisine afin de réinventer l'art de préparer des recettes savoureuses...

"Transformer son pain en recettes gourmandes" de Didier et Clotilde Borgarino
Ne gaspillez plus de pain! Apprenez à le réutiliser pour en faire de savoureuses recettes économiques !
Caractéristiques techniques :
16x20,5 cm, 128 pages, broché cousu
Photos et Illustrations 4 couleurs, 16x20,5 cm,
Broché cousu.

"Du panier à l'assiette - la cuisine des Paniers marseillais - Automne-Hiver"
Le dernier opus de cette collection de "Recettes en confidence". Plus qu'un livre de recettes, une manière originale de concevoir la cuisine, à partir de légumes Bio. Une aide concrète pour cuisiner.
les légumes récurrents de l'hiver : choux, cardes...
Caractéristiques techniques :
Illustrations couleurs, 16x20,5 cm,
rabats de 7 cm, broché cousu.

 

Trish Deseine "I love Cake" photographies de Deirdre Rooney, MARABOUT, 2009.

Le dernier "Trish Deseine" est sorti ! La référence en matière de livres de cuisine nous offre une nouvelle fois un ouvrage qui deviendra certainement un classique présent dans toutes les cuisines branchées. L'auteur de nombreux best-sellers présentés dans notre revue a choisi cette fois-ci de nous faire partager son amour des gâteaux et le mot n'est pas trop fort puisqu'un gros coeur trône au beau milieu du titre... C'est une véritable bible qui fait la synthèse des origines irlandaises de l'auteur et de sa passion pour la cuisine française avec un nombre incroyable de recettes plus appétissantes les unes que les autres. Le livre contient 320 pages de recettes de gâteaux et est orné d'une belle couverture rigide avec de très belles photos de Deirdre Rooney. Plus d'excuse pour ne pas prendre le rouleau à pâtissier !

 

 

"Les Basiques Chocolat" 80 recettes illustrées pas à pas de Orathay Souksisavanh et Vania Nikolcic, photographies de Pierre Javelle, collection Mon Cours de Cuisine, MARABOUT, 2009.

Une déclinaison autour du chocolat, des variations presque infinies sur le thème de la célèbre fève, une ode au cacao... les amateurs seront aux anges avec ces Basiques offrant 80 recettes illustrées sur le thème de leur passion. Crèmes, ganaches et mousses forment la structure de base de ces recettes. Après avoir maîtrisé ces classiques, le lecteur est invité à essayer des recettes plus sophistiquées ou plus occasionnelles proposant  des gâteaux de fête ou des chocolats pâtissiers à faire soi-même. Le chocolat se décline sous toutes ses formes de l'impressionnant gâteau à plusieurs étages aux petites friandises ludiques qui raviront les plus jeunes !

 

 

« Japan Bar, sushis, soupes, yakitori… » collection Larousse Tendance, Larousse, 2009.

La cuisine japonaise est à l’honneur ces derniers temps. Pas une chronique de télévision ou de presse écrite qui ne vante à juste titre ses mérites non seulement culinaires, mais également diététiques. La cuisine japonaise est non seulement belle à voir, délicieuse à déguster, mais également très saine pour notre santé. Elle n’a recours en effet qu’exceptionnellement aux graisses (essentiellement pour les tempuras) et préfère plutôt la fraîcheur absolue des aliments aux sauces et assaisonnements compliqués. Cela ne signifie pas pour autant que cette cuisine puisse se faire n’importe comment, si les principes de base parfaitement rappelés dans ce précieux guide sont accessibles, les Japonais ont cultivé de tout temps l’art du raffinement, et toute la difficulté tient justement aux respects des détails. Les 90 recettes retenues dans « Japan Bar » ont pris le parti de la simplicité pour nous attirer dans cet univers culinaire érigé en art au pays du soleil levant. Les soupes, les sushis, les tempuras, les maki … n’auront plus de secrets après la découverte de ce livre très pédagogique où toutes les étapes sont bien détaillées, photos à l’appui !

 

 

« Petits dîners autour d’une table basse », « Les petits 4 heures de mon enfance » et « Cheese-cakes moelleux et savoureux » collection Albums Larousse, 2009.

La collection Albums Larousse accueille de beaux livres de recettes, bien présentées et qui donnent envie de cuisiner ! Avec leur couverture reliée façon toile sur le dos et agrémentés d’une photo résumant le thème retenu, ces albums ont une esthétique bien à eux qui permet de les reconnaître immédiatement. Les trois dernières parutions devraient attirer les amoureux de cuisines, car il ne s’agit que de douceurs dans les thèmes abordés : « Petits dîners autour d’une table basse », « Les petits 4 heures de mon enfance », et « Cheese-cakes moelleux et savoureux ». Le premier, « Petits dîners autour d’une table basse », part de l’idée selon laquelle il peut être parfois plus judicieux d’inviter ses convives autour d’une table basse bien accueillante que de retenir la traditionnelle table de salle à manger. Souvent perçue comme plus intimiste, cette solution permet de lever bien des barrières et d’instaurer une bonne ambiance immédiatement. Pour y parvenir, les savoureuses recettes réunies et concoctées par Noëmie André (photographies de Francis Waldman) devraient recueillir l’assentiment de tous ! Petites bouchées à piquer, des brochettes appétissantes et autres réjouissances relèguent ainsi les fourchettes et les couteaux au placard !
Pour les nostalgiques des goûters d’autrefois, l’Album « Les petits 4 heures de mon enfance » aura des allures proustiennes ! Les crèmes au chocolat de grand-mère, les quatre-quarts maison, le riz au lait ou des guimauves toutes moelleuses feront tomber aux oubliettes les gâteaux industriels des grandes surfaces !
« Cheese-cakes moelleux et savoureux » viendra compléter à merveille ce tableau enchanteur à partir de la véritable recette du cheese-cake frais et onctueux venu des pays anglo-saxons… Cette base se décline en mille et une versions venant renouveler à chaque fois les sensations gustatives. Une excellente idée pour introduire un peu de changement dans nos habitudes culinaires !

 
Loisirs Déco Jardin
« 100 Films pour une cinémathèque idéale » présentés par Claude-Jean Philippe, collection Albums, 224 pages, Cahiers du Cinéma, 2008.


Claude-Jean Philippe que l’on ne présente plus tant le personnage est associé à la présentation des plus grands moments du cinéma a conçu cette cinémathèque idéale avec tout l’amour pour le 7ième art qu’on lui connaît. Sa passion irrésistible l’a conduit à une tâche impossible : établir un palmarès des 100 plus grands films de l’histoire du cinéma ! Lorsque l’on connaît la verve du personnage, on imagine sans peine les nuits blanches et autres atermoiements qui ont dû être les siens pour mener à bien une telle tâche… Et pourtant, le résultat est surprenant. Cent personnalités du cinéma allant des critiques et des cinéastes, en passant par des producteurs et des directeurs de festivals ont proposé ces « 100 plus beaux films ». Quels sont les premiers nominés ? « Citizen Kane » d’Orson Welles, suivi par « La nuit du chasseur » de Charles Laughton, et « La règle du jeu » de Jean Renoir. Il vous faudra également découvrir les 97 autres réunissant tous les genres. Chaque film sélectionné est présenté sur deux pages avec deux photos en grand format et un texte rédigé par l’un des membres du comité de sélection avec le résumé de l’intrigue et un générique.
Cette cinémathèque idéale devrait rencontrer un vif succès tant son ton est libre et ouvert et ses choix justifiés, ce qui n’empêchera en rien le lecteur de rajouter ses sélections préférées en fin de livre, pour une nouvelle édition !

 

« La Maison Japonaise » Alexandra Black, Noburu Murata, 216 p., Collection FLAMMARION Décoration, , 2005.

 

Référence en matière d’architecture et de design japonais, cet ouvrage a remporté un vif succès qui justifie cette troisième réédition. Les auteurs nous livrent leur propre sensibilité sur cet art si spécifique à l’île nippone. Alexandra Black a en effet vécu cinq ans au Japon et y a même étudié la langue et la culture du pays. Noburu Murata est un des photographes d’intérieurs japonais les plus renommés. Ses superbes prises de vue en témoignent, plus belles les unes que les autres !

Ce livre est un enchantement pour celles et ceux que les maisons japonaises inspirent. Pour les néophytes, il sera l’occasion de découvrir un univers passionnant, où le lecteur découvrira la richesse qui se cache très souvent à partir de tous petits détails à peine perceptibles. L’ouvrage s’organise autour de différents thèmes représentatifs de la maison japonaise. Pas moins de 13 maisons nous ouvrent leurs panneaux coulissants, aussi différentes les unes des autres et pourtant toutes muées par une sensibilité commune.

Nous partirons ainsi à la découverte d’un modeste refuge de montagne ou une chaumière traditionnelle d’un artisan. La demeure d’un riche samouraï ainsi qu’une prestigieuse résidence impériale permettront de découvrir la richesse de l’architecture japonaise.

La modernité n’est pas absente des exemples traités, et une maison contemporaine clôt ce superbe voyage au pays du soleil levant. Nous y découvrons une maison très clair et ouverte vers l’extérieur mais pourtant si rattachée aux racines du passé.

Cet ouvrage sera une superbe idée cadeau pour tous les passionnés du Japon et pour les curieux qui souhaiteraient anticiper un voyage !

Pierre et Susanne Rambachi "Le jardin japonais, l'art de dresser les pierres" HAZAN, 2005.

Le Japon compte parmi les pays qui ont le plus accordé du temps à la méditation sur les éléments naturels. Le Sakutei-ki, un manuscrit datant du XI° siècle, est le plus bel exemple de cet art de constituer un jardin, non pour le seul plaisir visuel, mais pour appréhender une dimension beaucoup plus vaste. S'il existe une voie du sabre (iaido), du bouquet (ikebana), le lecteur occidental connaîtra également, grâce à ce très beau livre, la voie de la pierre, qui ne résume pas à un amoncellement de rocailles... Il faut découvrir les codes permettant l'accès à cet art ancestral qui impressionne tout visiteur d'un jardin japonais.

Pierre Rambach, architecte et Susanne Rambach, plasticienne,  tous deux de grands spécialistes des arts du Japon, nous rendent parfaitement la délicatesse et la profondeur de cet art à découvrir avec patience à travers ce livre qui fera référence !

 
Voyages    

 

Rome, insolite et secrète, Guide Point2, Seuil, 2012.

 



Voici un petit guide fort réussi sur la ville de Rome écrit par ses habitants, ce qui est chose originale ! L'idée qui a été retenue pour cette édition est d'offrir une vue insolite sur la ville sans pour autant négliger les classiques. Ce petit livre, mais fort épais en raison de son papier bible, tient dans une poche et se lit comme un carnet à l'italienne, ce qui ajoute à l’originalité de la réalisation. C’est un peu comme si vous déambuliez dans votre propre ville et, habitué à ses richesses, vous en découvrez d’autres, moins évidentes, plus cachées et réservées aux initiés ! Gagnons ainsi du temps et osons une messe en araméen, la langue de Jésus, dans l’église Santa Maria in Campo Marzio (p. 101) ou, de manière plus profane, découvrons les latrines romaines de la Via Garibaldi, témoins prosaïques du quotidien du II° siècle après J.-C. ! Et si malgré tout cela, vous êtes en panne d’idée dans votre visite de Rome, vous apprendrez qu’il existe un musée de la pathologie du livre qui n’attend plus que votre venue…

DROUOT Louis : « Pyrénées ; fugue en sol sauvage », Editions TOILLIES.

 

Et si  vous partiez pour les Pyrénées ? Où, quand ? Quelle importance, tout simplement là maintenant, immédiatement, un soir d’hiver ou d’été, en lisant, en parcourant,  en rêvant au fil des pages du livre « Pyrénées fugue en sol sauvage » de Louis DROUOT.

L’auteur nous invite, en effet, à l’accompagner tout au long de sa traversée de la chaîne des Pyrénées sur une période de dix années avec son fidèle ami… De Saint-Jean-Pied-de-Port au Prieuré de Serrabone, au travers de cinq chapitres-étapes retenus pour nous transmettre toutes les couleurs, senteurs, les paysages et sensibilités propres aux Pyrénées,  Louis DROUOT nous livre chronique après chronique avec poésie et humour son quotidien, ses joies, espoirs et interrogations …, mais c’est également l’occasion pour l’auteur, lors des étapes, de nous faire partager de jolis textes pleins d’une subjectivité toute pyrénéenne… ou encore lors de ces longues soirées, lorsque l’on se prend à rêver, de nous offrir des contes, cinq au total, parce que…parce que c’est avant tout cela les Pyrénées : rêver, s’échapper, s’éloigner et revenir. A noter, pour la bonne cause : ce livre a été imprimé à l'aide d'encres végétales sur du papier sans chlore provenant de forêt gérées de façon durable !

DESTINATION : SOLEIL avec les Guides GALLIMARD !

La Méditerranée offre un éventail sans cesse renouveler de couleurs, de senteurs, de goûts,… où les artistes, les écrivains, les poètes ont de tout temps puiser leur inspiration. Pourquoi ne en profiter pour recharger ses batteries ?

Direction l’Italie tout d’abord, un des pays méditerranéens les plus proches géographiquement de notre pays et ayant tant à offrir en diversité de paysages et de cultures. Indécis quant à la direction ? Le Guide général « Italie » de la Collection « Encyclopédies du Voyage » GALLIMARD nous emmène loin, que ce soit dans le Piémont ou la Sicile, la Vénétie ou la Toscane. Véritable petite encyclopédie à lui seul, ce guide est une mine d’informations qui sont à dévorer avant de partir pour mieux voyager, en cours de route, pour ne pas se tromper, et après le voyage, pour revivre ces grands moments !

Répondant à l’organisation classique de ces guides devenus incontournables, le titre « Italie » offre des clefs pour mieux comprendre la géographie si variée de ce pays s’étirant des Alpes jusqu’à la Méditerranée. Rien n’est oublié dans cette approche pluridisciplinaire : la cuisine, bien sûr, mais aussi l’Histoire, l’art,…

Après les clefs, 12 circuits offrent des itinéraires superbes donnant envie d’être découverts dés leur lecture ! Pour accompagner l’ensemble, une mine d’informations pratiques répondent à toutes les questions (et bien plus encore) inimaginables…

 

Entrons dans le cœur de l’Italie avec 3 guides spécifiques « Naples et Pompéi », « Venise » et « Sardaigne », ce dernier faisant partie de la Collection « Bibliothèque du Voyageur ».

Naples et sa région, la côte amalfitaine, Capri… si tous ces noms vous laissent rêveur, il ne reste qu’une solution : acquérir ce précieux guide pour mieux découvrir cette région aussi savoureuse que volcanique et qui ne peut laisser indifférent !

Un guide entier pour Venise, c’est possible avec les « Encyclopédies du Voyage » Gallimard !  Et ce ne sera pas trop pour arriver à embrasser tout ce que cette ville aussi riche peut offrir. Le Grand Canal, Rialto, la Place Saint Marc, L’Accademia, l’Arsenal mais aussi les îles de la lagune vous ouvrent leurs portes avec de nombreuses photos, informations pratiques, bonnes adresses,…

 

Le Guide consacré à la Sardaigne dans la Collection « Bibliothèque du Voyageur » est une étude passionnante en elle-même sur cette île magnifique, souvent moins connue, que les autres régions d’Italie. Ce travail collectif, plus de vingt auteurs ayant contribué à son élaboration (journalistes, écrivains, universitaires,…) est en effet bien plus qu’un guide classique. Si l’iconographie est superbe, le texte l’est encore plus avec un partie Histoire et Société captivante. A mi-chemin entre ethnographie, sociologie et histoire, ces lignes nous emportent dans cette région si spécifique de la Méditerranée et qui est à découvrir absolument. 

L’autre grande direction méditerranéenne est bien entendu la Grèce et ses deux couleurs fétiches : le bleu de la mer et du ciel rivalisant de beauté avec ses blancs éclatants de la chaux recouvrant les murs des maisons !

Deux guides pour partir sans surprise : le numéro spécial Grèce de la « Bibliothèque du Voyageur » et la Grèce : Athènes et le Péloponnèse de la Collection « Encyclopédies du Voyage ».

Le Guide « Bibliothèque du Voyageur » est selon nous incontournable à tous ceux qui n’ont qu’un faible souvenir de la riche histoire de ce berceau de l’Europe. Homère, Platon, Alexandre… sont autant de noms qui nous offrent la compréhension de la Grèce contemporaine. Point de discours inutiles mais des explications claires et pédagogiques pour voyager malin et intelligemment, une belle réussite ! Mais ce Guide réserve aussi une très large part aux itinéraires à réaliser selon ses préférences touristiques avec toujours dans la ligne directrice de ces collections un foule d’informations simplifiant la vie du voyageur.

Dans un style plus graphique, mais tout aussi passionnant le Guide intitulé « la Grèce : Athènes et le Péloponnèse » de la Collection « Encyclopédies du Voyage » réunit la synthèse des connaissances permettant d’appréhender ce si beau pays. La mythologie, une chronologie très bien faite, des zooms sur des personnages clés,… précèdent les 18 circuits préparés pour vous pour mieux découvrir la capitale bien sûr, mais aussi l’Attique et la Boétie, le golfe Saronique et le Péloponnèse,… Nous retrouvons également les infos pratiques rangées de A à Z, une section à garder sous la main pour toutes les interrogations avant ou pendant son périple vers le pays des dieux de l’Olympe !

 

 

 

 

Les Rencontres de LEXNEWS : Un métier, une passion ...

Editions Le Bruit du Temps

Interview d'Antoine JACCOTTET

9 février 2009

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Antoine Jaccottet a longtemps travaillé aux éditions Gallimard jusqu'à l'année dernière en étant éditeur à la collection Quarto. Il a décidé de franchir le pas et de créer librement les livres dont il avait toujours rêvé. Libéré de certaines contraintes économiques, c'est un plaisir personnel que l'éditeur souhaite faire partager au plus grand nombre. L’acte de naissance des éditions Le Bruit du Temps est scellé sous le signe d’une amitié pour certains auteurs et traducteurs. Ces affinités électives littéraires sont au cœur de ce projet qui voit le jour en ce début de printemps. LEXNEWS a choisi de présenter cette très belle initiative à ses lecteurs en interviewant Antoine Jaccottet qui nous a reçus dans une charmante demeure familiale du XVIIIe siècle rue du Cardinal Lemoine, avec au fond de la cour, la célèbre enceinte de Philippe-Auguste et de l'autre côté de la rue la résidence de Valery Larbaud....
 

 


LEXNEWS : « Pour quelles raisons avoir choisi pour votre nouvelle maison d’édition, Le Bruit du Temps, le titre d’un recueil du poète russe Ossip Emilievitch Mandelstam ? »

Antoine Jaccottet : « Il y a plusieurs raisons à cela. La première est très simplement biographique. Le premier travail que j'ai réalisé a consisté à participer à un numéro d'une revue, la revue de Belles-Lettres, dont un numéro spécial avait été consacré à Mandelstam. J'avais fait ma première traduction de l'anglais d'un texte d'un grand spécialiste de Mandelstam, le professeur Clarence Brown qui nous a fait l’honneur d’une postface. C’est également une raison amicale qui a présidé à ce choix, à savoir la rencontre de Ralph Dutli qui est le traducteur en allemand des oeuvres complètes de Mandelstam. Je l'ai connu ici à Paris et il est devenu un très grand ami. C'est un hommage que je lui rends et cette nouvelle maison d'édition sera le lieu pour publier ses poèmes et autres réalisations. À cela s'ajoute l'immense admiration que j'ai pour Mandelstam. Ce titre « Le Bruit du Temps » évoque une image de la littérature elle-même, un peu comme chez Proust, tout en incluant mon goût pour la musique. »

LEXNEWS : « Partagez-vous cette nostalgie de la culture universelle du poète russe et cela influencera-t-il le choix de vos futures parutions ? »

Antoine Jaccottet : « Oui, c'est une bonne idée de présenter les choses comme cela. Il y a à la fois le goût des classiques puisque le mouvement littéraire auquel il appartenait était une revendication du classicisme face au futurisme de l'époque, et en même temps ce sentiment très profond d'appartenir à la culture méditerranéenne dont Mandelstam avait une grande nostalgie avec un goût très marqué pour l'Italie. C'est également cette approche qui nous a conduits au choix du deuxième livre que nous éditons, le Browning, qui se déroule à Rome et qui est presque un roman historique. J'avoue en effet qu'il y a un goût pour l'Italie, la Grèce… »

LEXNEWS : « Quels sont les enjeux d’une nouvelle maison d’édition au XXI° siècle qui connaît en Occident une crise à la fois générale et également spécifique au livre dans de nombreux pays ? »

Antoine Jaccottet : « je crois que c'est sans aucun doute une réaction à cette crise que vous évoquiez. On nous annonce tous les jours la disparition du livre et je suis profondément convaincu, que contrairement aux Cassandres, cette disparition n'est pas encore pour demain. Bien entendu, nous sommes forcés de constater ce qui se passe et nous voyons bien que la culture littéraire n'occupe plus le premier plan. Cela s’observe notamment dans les médias et cela devient assez effrayant. Ce qui est encore plus inquiétant, c'est que cette culture a tendance également à disparaître dans la conscience générale. Si vous prenez par exemple l'univers politique, il y a toujours eu une révérence certaine pour la chose littéraire ; or cela même a sans doute disparu aujourd’hui… Mais, je suis persuadé qu’il existe parallèlement de nombreux passionnés de littérature, y compris chez les jeunes gens. Je pense que l'on peut très bien défendre l'idée que le livre a encore de très beaux jours devant lui en réaction à tout ce qui se passe. Le véritable amateur de livres aura de plus en plus besoin de petites maisons d'édition qui défendront l’objet de sa passion. Les réactions des personnes que nous sollicitons par rapport à notre projet sont tellement positives que c'est plutôt encourageant ! Il me semble que la curiosité existe encore et toute la difficulté réside dans le fait de proposer des choses de qualité avec suffisamment de conviction. Il ne suffit pas de prendre un livre oublié et de le mettre sous une couverture.»
 

LEXNEWS : « Vous rappelez que les vrais livres ne meurent pas, quels sont ceux que vous souhaitez remettre à la lumière du jour ? et pouvez-vous préciser à nos lecteurs ce qu’est un vrai livre selon votre subjectivité ?»

Antoine Jaccottet : « Il peut-être très prétentieux de dire que les vrais livres ne meurent pas et en même temps, certains exemples comme l'histoire de cette traduction étonnante du poète victorien Robert Browning invitent à penser en ce sens. Browning était très célébré de son vivant et il a d’ailleurs encore une gloire certaine dans les pays anglo-saxons. Il est par contre presque totalement oublié en France. Or, je crois profondément que c'est un vrai chef-d'oeuvre. Il s’agit d’un livre qui a une histoire incroyable. Il a été traduit pendant la guerre par un professeur d'université qui a réalisé cela par pure passion. Il s'était pris d'amour pour ce livre et l’avait traduit en même temps qu'il faisait de la résistance !

 

 

 

Par la suite, le manuscrit a été proposé à Gallimard qui a attendu longtemps avant de le publier. Pendant ce temps, le manuscrit a été apporté en Belgique puis s'est perdu pour enfin être retrouvé par un de ses amis... Le livre a été publié une première fois en 1959 par Queneau chez Gallimard. Nous avons décidé de ressortir ce livre, car il était quasiment introuvable en dehors des cercles de bibliophilie. Il s'agit d'une sorte de chronique italienne à la Stendhal. Browning a été l'inventeur d'un genre au XIXe siècle, le monologue dramatique. Il faisait parler des personnages historiques dans ses poèmes. Un jour, il tombe à Florence dans un marché aux puces sur des archives, le grand livre jaune, qu'il achète pour trois sous. À peine a-t-il commencé à le feuiller qu'il réalise que c'est la chance de sa vie. Il s'agit d'une histoire criminelle assez sordide qui se passe dans la Rome baroque peu après le Caravage. C'est à la fois un poème et un roman historique, et le premier livre raconte le fait même de cette découverte : comment en rentrant chez lui, il voit les personnages de cette chronique prendre vie. C'est très beau, car nous constatons à la lecture du texte cette transition de l'archive à la chose imaginée. À partir de là, il va construire son poème en douze chants avec des monologues où chacun des protagonistes vient raconter sa version. Cela donne une dimension assez moderne au texte avec des points de vue différents sans qu’il y ait en même temps une seule vérité.
Pour revenir à la deuxième partie de votre question, je crois qu'il existe des livres utilitaires qui répondent à des fonctions à un moment donné, et à côté de cela, les vrais livres avec la littérature. Il s'agit d'oeuvres dont l'ambition est telle qu'il entre en elles une part d'éternité. Il y a des distinctions en art entre une petite oeuvre et une oeuvre majeure. Il ne s'agit pas pour autant d'un discours élitiste. Si j'adore écouter du tango, je n'en conclurai pas pour autant qu'il s'agit de la même chose que la neuvième symphonie de Beethoven ! C'est ainsi que je souhaite publier des livres qui manifestent cet effort d'une certaine forme en plus des émotions. »

 

LEXNEWS : « Quel est le travail de l’éditeur dans cette tâche de réincarnation d’un livre dans une nouvelle édition ? »

Antoine Jaccottet : « Nous devons essayer de trouver pour chaque livre la forme qui le mettra le mieux en valeur. Nous avions envie pour un livre comme celui de Browning d'avoir un texte bilingue parce que le vers de Browning est quelque chose de très particulier que je souhaitais faire partager au lecteur. C'est une oeuvre qui avait l'ambition, à la suite de la Divine comédie, d'être une grande épopée ce qui nous a conduits à la publier avec un appareil critique. Je désire que l'on ait un plaisir à goûter à ses oeuvres et nous avons travaillé sur tout ce qui peut faciliter ce plaisir. Notre tâche a donc consisté à prévoir des annotations, un grand essai introductif… À cela s'ajoute un travail sur les traductions et sur les relectures pour essayer d'être au plus près de l'original. »

 

LEXNEWS : « Les choix doivent être difficiles pour certains textes entre la valeur sûre d’une traduction déjà établie et le risque d’une nouvelle traduction ? Pour Mandelstam et Browning, vous avez conservé l’existant, alors que pour D.H. Lawrence, vous entreprenez tout un cycle de traductions de ses Nouvelles complètes. »

Antoine Jaccottet : « C'est un problème insoluble ! Par le hasard des rencontres, j'ai connu quelqu'un qui avait très envie de retraduire cette prose très délicate. Dans le cas de Mandelstam, il est publié chez beaucoup d'éditeurs avec beaucoup de traductions différentes. Nous avons eu la chance de retrouver une traduction qui était parue dans la revue Commerce par Larbaud. C'est une sorte de miracle, car deux ans après la parution de l'original en Russie, cette magnifique traduction a pu être menée à bien par Georges Limbour, une personne qui avait un grand sens littéraire, ainsi que le prince Mirsky. À l'inverse, pour D.H. Lawrence, je n'étais pas du tout satisfait des traductions existantes. Nous allons tenir compte des recueils anglais existants et nous allons reproduire les recueils originaux tel que D.H. Lawrence les avait composés à l'époque. Nous publierons petit à petit et dans l'ordre chronologique la totalité des nouvelles. »

LEXNEWS : « Vous réservez également une place aux contemporains dans votre programmation. »

Antoine Jaccottet : « L'idée de départ était de publier des personnes ayant elles-mêmes un lien avec les classiques que nous avons retenus. C'est le cas des poèmes de Ralph Dutli, traducteur de Mandelstam. Ce n'est pas en revanche le cas de Gabriel Levin qui est un très talentueux poète israélien de langue anglaise. Ce poète a un rapport étroit avec la Méditerranée, ces sujets sont souvent à thème presque archéologique et qui correspond assez bien ce que j'évoquais tout à l'heure. Vous avez également le manuscrit de Paulette Choné qui nous est arrivé totalement par hasard et que je ne connaissais pas. C'est une historienne de l'art, spécialiste de la gravure du XVIIe, qui au lieu d'écrire une biographie de Jacques Callot a préféré décrire des mémoires imaginaires de cet artiste. Cela a produit un petit livre très singulier qui m'a beaucoup plus. »

LEXNEWS : « Vous souhaitez que les fruits de vos éditions puissent également être appréciés esthétiquement. Quelle importance cela a-t-il pour vous et le lecteur au XXI° siècle et comment concilier ces exigences avec les impératifs économiques de ce même XXI° siècle ? »

Antoine Jaccottet : « Nous avons souhaité réaliser des livres si possible jolis tout en n’étant pas trop chers. Il n'y a pas du tout un désir de bibliophilie ou d'édition de tête. Nous voulons proposer de jolis petits livres agréables à avoir en main, simples, mais bien imprimés avec une couverture avec des rabats. Nous ne voulons pas d'images criardes sur la couverture ce que l'on va me reprocher, car sur les tables des libraires, on ne les aperçoit pas forcément ! Peut-être vont-ils justement se distinguer sans ces images clinquantes du fait de leur simplicité. Si nous choisissons tout de même une couverture en vélin et du papier bible, nous essayons de concilier néanmoins cela avec des impératifs économiques. »

 

Merci Antoine Jaccottet, nous souhaitons longue vie à cette nouvelle maison d'éditions qui promet de nous offrir de belles pages à l'image de celles des deux premiers livres qui viennent de sortir !

 

Le site des Editions Le Bruit du Temps

 

 

 

 

   

LA DOGANA Editeur 

 Interview de Florian RODARI

17 décembre 2008

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Photo François Raoul-Duval

 

Florian Rodari dirige depuis 1981 les Éditions La Dogana créées dans ce beau pays qu'est la Suisse, à Genève. C'est la poésie qui est le fil conducteur de ce magnifique travail entrepris dans des domaines aussi différents que les essais, les souvenirs, des méditations et même des lieder chantés. L'excellence est au coeur de ce processus créatif, les Éditions La Dogana ne retenant que ce qui fait écho à la beauté. Beaux papiers, superbe mise en page, textes raffinés... offrent le plaisir du bel objet, écrin indissociable de la belle pensée. Voyage en Helvétie avec un esthète du livre !

 

 

 

 

LEXNEWS : « Quel a été le parcours qui vous a mené aux éditions La Dogana ? »


Florian Rodari : « j'ai baigné très tôt dans l'univers des lettres. Mon père était journaliste, mon oncle (Philippe Jaccottet) était poète et traducteur, et tous nous aimions les livres à la maison. Nous avons également découvert que nous avions un cousin célèbre en Italie, Gianni Rodari, qui écrivait des livres pour enfants. L'environnement a manifestement joué dans mon parcours ! J'ai assez naturellement commencé des études de lettres à l’Université de Genève. Pour gagner ma vie, à vingt ans, je suis entré au musée de Genève, au Cabinet des estampes pour y classer des collections de gravures anciennes. Il y avait là une équipe à l’esprit très ouvert. Grâce à elle j'ai vite appris le métier de conservateur puisqu’ils m’ont généreusement laissé monter seul des expositions et fabriquer leur catalogue. Quand je suis devenu responsable de la Revue de Belles-Lettres, en 1971, au moment de la rédaction du numéro consacré au poète Paul Celan, j’ai aussitôt mis en pratique ce double regard de lecteur et d’amateur d’art. Conduire une revue littéraire, c’est un atout formidable pour un futur éditeur, car on apprend à découvrir d’autres voix, à accorder dans un livre des approches différentes… Je lisais essentiellement des poètes, j’écrivais un peu et je rédigeais de plus en plus souvent des textes sur l’art. Cette activité multiple je l’ai menée de front pendant presque quarante ans déjà. On ne se rend pas toujours compte du temps qui passe, surtout en ce qui vous concerne ! Je pensais pratiquer chacune de ces tâches comme des hobbies et finalement je me rends compte qu’elles étaient devenues des activités principales. Les choses se sont enchaînées : vers 1979 on m’a demandé de diriger le Musée de l’Elysée à Lausanne, mais cela n’a pas duré longtemps. A peine quatre ans : le désir de faire des livres et d’écrire était si obsédant que, devant les surcharges et les tracas administratifs, j’ai renoncé. Les éditions Skira m’ont alors demandé de travailler pour eux et d’écrire un ouvrage sur le collage. Ils se sont aperçus que je savais fabriquer des livres et, c’est comme ça que je suis devenu directeur de collection chez eux. En 1993, Skira a subi la crise du livre de plein fouet. Il fallait trouver quelque chose. Depuis longtemps, avec mes amis artistes de l’atelier de Saint-Prex, avec qui j’avais préparé plusieurs projets dans le cadre de mon activité à la Fondation Cuendet (où sont conservées des planches de Dürer, Rembrandt, Corot et de bien d’autres maîtres de l’estampe, nous avions envie de monter une exposition sur l’invention de la gravure en couleur. Nous avons proposé de la montrer à la Bibliothèque nationale de France où, grâce à l’appui de Maxime Préaud, nous avons pu concrétiser ce projet qui a porté le beau nom d’Anatomie de la couleur. Cette exposition a été pour moi le point de départ de nombreux autres engagements. Dans la foulée, on m'a en effet demandé de monter au Drawing Center de New York une exposition sur les dessins de Victor Hugo, puis deux ans plus tard sur l’œuvre graphique d’Henri Michaux. Au même moment, Jean Planque, un oncle de ma femme qui avait travaillé comme conseiller de la galerie Beyeler, m'a demandé de m'occuper de la Fondation qu’il voulait constituer à partir de sa collection de tableaux. Voilà pourquoi, aujourd'hui, je partage mon temps entre cette Fondation et les éditions La Dogana. Ces dernières prennent une place grandissante ! Nous comptons aujourd'hui plus de soixante titres avec plus de quarante auteurs, des traductions, des rediffusions, et nous sommes insuffisamment nombreux pour cela, il faut ainsi préserver un équilibre toujours précaire. »

LEXNEWS : « Quel a été le point de départ de la création des éditions La Dogana ? »

Florian Rodari : « Les éditions de La Dogana sont nées en 1981, de la décision d’un petit groupe d'amis: un imprimeur, un ami peintre et amateur de musique, et moi-même. L’idée de départ était d’éditer des textes dont nous n’avions publié que des extraits dans la Revue de Belles-Lettres. Nous avons mis de l'argent en commun, en nous promettant de ne jamais commencer un nouveau livre tant que le premier ne serait pas remboursé, mais peu à peu tout cela s’est emballé ! Et à partir de 2000, les orientations se sont diversifiées, beaux-arts, musique.»

LEXNEWS : « Le nom La Dogana peut surprendre pour une maison d'édition ? »


Florian Rodari : «La Dogana signifie « douane» en italien. Comme un employé des douanes qui ne fait pas que stopper la marchandise, un éditeur est celui qui permet à un texte étranger d'être vu et partagé, de passer une frontière. Après l’avoir réceptionné, nous l’examinons et nous lui délivrons en quelque sorte un visa! Pour moi, un éditeur est essentiellement celui qui permet à un texte d'être lu. C’est pourquoi nous accordons tant de soin à l’aspect extérieur de nos ouvrages »

LEXNEWS : « La forme et la présentation sont essentielles dans votre choix de faire connaître ces textes que vous évoquez, ce qui nous ramène à votre propre parcours. »

Florian Rodari : « C'est en effet d’une importance capitale ! La typographie, le papier, la gravure... J'ai toujours marqué une attention très grande au dessin de la lettre, à la mise en page, aux marges ; mes recherches dans le domaine de l’estampe m’ont beaucoup apporté. J'aime lire, je peux dévorer en quelques jours des livres, même mal imprimés, mais je crois que les textes des poètes ont besoin d’autre chose qu’un simple contenant, ils ont besoin d’espace pour résonner, pour se déployer, surtout de nos jours. Je me rappelle qu’un ami avait publié sa version des poèmes de Leopardi, un des auteurs que je préfère, et que je lui avais reproché d’avoir confié ces traductions à un éditeur qui n’accordait pas le moindre soin à la respiration des textes ! Quelques années plus tard, j’ai réédité ces poèmes sous une forme qui satisfaisait mon goût de la mise en page : nouvelle édition qui pouvait paraître une opération aberrante sur le plan commercial, mais qui, malgré tout, s’est avérée être un très beau succès... ».
 

LEXNEWS : « Le livre n'est pas qu'un écrin, il fait corps avec le texte... »

Florian Rodari : « Absolument, je crois que l'on avance dans un livre page par page, que les lettres accompagnent la pensée, formant peu à peu la magie d’un volume. Le rapport du contenu et de la police de caractère censée le déployer est primordial à mes yeux et il faut accepter de mettre en page chaque livre différemment.
Au tournant du siècle, nous avons décidé de renouveler un peu l’aventure. Peteris Skrebers et moi-même, nous nous sommes dit : pourquoi ne ferions-nous pas un livre d'art ? L’ouvrage consacré à « Quinche» (un peintre suisse NDLR) est le fruit de ce pari et cela a très bien marché, grâce à la générosité de l'artiste qui, en nous offrant des dessins, a permis de financer cet ouvrage. La qualité de l’impression était telle que l'on nous a demandé quelques années après de réaliser un nouvel ouvrage consacré au peintre italien Gregorio Calvi di Bergolo, grand et beau livre à l'image de ceux que je pouvais réaliser chez Skira, plus de 200 pages et 120 illustrations couleur. Par la suite, nous sommes allés plus loin encore. Nous avons en effet décidé d’associer poésie et musique dans une série d’ouvrages consacrés à l’art du lied, en donnant naissance à des livres qui contiennent un CD enregistré irréprochable sur le plan technique. Nous avons travaillé pendant près de six mois avec un graphiste afin d'éviter cette insatisfaction souvent éprouvée devant ces emballages en plastique qui renferment des textes mal traduits et illisibles. Deux livres d’un nouveau genre, un Hugo Wolf et un Schumann, sont parus grâce à la participation de la mezzo-soprano Angelika Kirchschlager. Cette expérience a créé des envies chez d’autres chanteurs qui sont venus vers nous pour renouveler l'expérience. Nous avons en projet un Mahler pour lequel Jean Starobinski a écrit une étude. Nous voudrions multiplier ces approches à l'avenir... »

 

LEXNEWS : « Vous venez de faire paraître de très belles éditions consacrées à des œuvres de peintre très différentes l'une de l'autre…»

Florian Rodari : «Oui, d’un côté une aquarelliste, Anne-Marie Jaccottet, et de l’autre un graveur au burin, Albert-Edgar Yersin, on ne peut pas faire plus différent, en effet, même si ces deux artistes, nés en Suisse, se sont bien connus. Yersin a suivi un parcours assez exceptionnel dans la mesure où il a exercé la gravure toute sa vie, exclusive et, dans ce domaine, la technique qui nécessite la plus grande patience, la plus grande habileté de la main : le burin, presque abandonné aujourd’hui. C’est que cet artiste aime la résistance du cuivre dans lequel il enfonce son burin. De même lorsqu’il s’est mis à graver sur pierre, c’est la ductilité du matériau qui l’a séduit. J'entendais récemment à la radio qu’on disait de lui qu’il était surréaliste ; ce n'est absolument pas le cas. En conduisant sa pointe, cet artiste se laisse certes guider par les propositions du hasard, mais c’est pour retrouver une géographie intérieure. Il est plus proche de Dürer ou de l’inextricable forêt allemande que des incertitudes du surréalisme. »

LEXNEWS : « On a en effet l'impression à le voir d'une vision microscopique alternant avec une vision macroscopique. »

Florian Rodari : « C’est très juste, il est toujours en train de jouer sur l'échelle des proportions, d’opposer les contraires, et en cela, il est héraclitéen. Il reconnaît l'univers dans l’atome, et inversement, l’animalcule, le lichen peuvent contenir à ses yeux l’infini stellaire. L’un de ses textes préférés est L’Aleph de Borges, et il est beaucoup plus proche, selon moi, d’un Michaux, à qui il dédie une planche, que d'un Breton. À l'image de Victor Hugo, il aimait recréer à partir du spectacle des choses vues et de leurs correspondances formelles d'autres possibles. Grâce à ce don d’observation, Yersin a inventé en gravure des structures qui n'existaient pas jusqu'alors. Dans les années 60 il a eu la chance de collaborer avec Pietro Sarto, son élève, qui s’était aperçu que cette manière de graver « appelait » en quelque sorte la couleur. Ils se sont mis à tirer ses cuivres en couleurs et c'est à partir de cette époque tardive de sa vie que les gravures de Yersin ont trouvé leur public.

La deuxième œuvre que nous révélons aujourd’hui, qui est en France aussi peu connue que celle de Yersin, manifeste du même coup une sensibilité diamétralement opposée. Contrairement à Yersin qui doit creuser son cuivre avec une attention de tous les instants, Anne-Marie effleure à peine sa feuille de papier pour que la lumière y tremble et que tout ce qu'elle aime voir et qui l’entoure, les fruits, les fleurs, les arbres… soit perçu comme subrepticement. A ce propos, les pages que Philippe Jaccottet consacre à sa femme est d’une justesse extrême : il reconnaît à cette artiste qui travaille depuis toujours à ses côtés, discrètement, une volonté qui a permis, à force de retours opiniâtres à l’atelier, de capter ce moment qui passe, si difficile à saisir, si fragile. Ce livre se veut un hommage à cette peinture qui a été faite en silence à côté de son propre travail et dans la même direction. Ni l'un ni l'autre n’a jamais cherché à affirmer quoi que ce soit. Philippe Jaccottet dit dans un poème que l'effacement est sa manière de resplendir, mais c'est exactement la même chose avec Anne-Marie. »

LEXNEWS : «Il y a ainsi une convergence entre ces deux esprits créatifs. »

Florian Rodari : « Oui, tout à fait. Ils ont d'ailleurs réalisé de nombreux ouvrages ensemble, notamment un livre lumineux, contenant une prose du poète sur le Cerisier dont les fruits se retrouvent fréquemment dans les aquarelles d’Anne-Marie Jaccottet. Il y a dans les compositions de cette dernière qui n’ont l’air de rien une lumière aussi intense que celle que contiennent les poèmes de Jaccottet, même si chez lui toute méditation repose sur un socle très sombre, très nocturne. »

LEXNEWS : « Comment entreprend-on de tels livres au XXIe siècle ? »

Florian Rodari : « Le plus dur, c'est de trouver les artisans qui veulent bien encore vous suivre sur ce chemin. Il est, en effet, de plus en plus difficile de dénicher des papiers de belle main et tout aussi difficile de trouver un imprimeur qui prenne le temps de réfléchir à la qualité des reproductions. Inévitablement, tout cela a un coût ! J'ai la chance de travailler depuis 30 ans avec le même imprimeur, j'ai ainsi fidélisé des rapports. De telles entreprises nécessitent énormément de temps et je ne sais pas si les gens aiment encore ce genre de livres. Je crois tout de même que la qualité dans ce domaine attire encore les amateurs. Moi-même, j'éprouve un réel plaisir à faire de tels livres et j’espère que ce plaisir transparaît d'une certaine manière dans le résultat final. Mon but serait de faire éprouver ce même plaisir aux autres… »

LEXNEWS : « Vous défendez ainsi une vision d'esthète du livre en considérant que cela n'est pas dépassé à notre époque. »

Florian Rodari : « Non, en effet, comme je vous le disais, je crois qu'il y a encore des amateurs. Bien entendu, en terme commercial, nous ne sommes pas dans la logique qui se développe actuellement. Les artistes dont nous parlions tout à l'heure travaillent sur du papier, dans une distance et une temporalité qui est celle du livre d’autrefois, non celle de l’ordinateur. Mais pourquoi les textes qui les accompagnent devraient-ils être sur un autre support et dans une autre dimension que ce qui a donné satisfaction depuis des siècles ? C’est si pratique de tenir en mains un volume de quelques centaines de grammes à peine ! Changer de support ne se justifie pas vraiment. Je crois que nous sommes nombreux à croire à cette réalité, et l'édition ne se porte pas si mal que cela. À la fin des années 90, lorsque Skira a mis la clé sous la porte, il disait : « Je m'en vais avec le livre ! » Je trouvais cela un peu hâtif et prétentieux. Il est vrai qu'aujourd'hui il n'est plus guère possible d’entreprendre ce que Skira réalisait il y a cinquante ans, avec ses chantiers de photographies, construisant tout exprès des échafaudages pour photographier les fresques de Piero à Arezzo. Mais, si ce genre d’ouvrages n'est plus possible, il me semble néanmoins qu’il restera toujours de la place pour des livres qui sont en relation avec les besoins et les données de l’époque dans laquelle nous vivons. »

 

Merci, Florian Rodari, pour ce témoignage qui laisse une lueur d'espoir pour la beauté et l'excellence au début de ce XXI° siècle. Grâce à des éditions comme la votre, le beau livre a encore de longues années devant lui !

 

 

 

 

 

Éditions La Dogana

Distribution: Les Belles-Lettres

www.ladogana.ch

 

Entretien avec Jacques DAMADE

Directeur des Editions LA BIBLIOTHEQUE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

          

Jacques Damade, directeur des Editions La Bibliothèque, est l’un des éditeurs parisiens les plus charmants ; d’une politesse et d’une prévenance rares aujourd’hui – chez lui nulle grandiloquence, nulle affectation – il est tout simplement à l’image de ses éditions. Comme Jorge Luis Borges qu’il admire et dont une citation - « Me sera-t-il permis de répéter que la bibliothèque de mon père a été le fait capital de ma vie ? La vérité est que je n’en suis jamais sorti. » - orne chacun de ses ouvrages, Jacques Damade a eu pour berceau une bibliothèque, source de sa passion des beaux livres, des beaux récits et écrits, et de l’édition avec la création des Editions La Bibliothèque.

Fondées en 1992, les Editions La Bibliothèque font partie tant par la présentation subtilement choisie et soignée de ses titres que par l’exigence de leur contenu de ce que l’on nomme dans le milieu des lettres des « Belles Editions ». Appréciées d’un public averti et fin connaisseur, les Editions La Bibliothèque, présentées notamment à la Galerie Rauch à Paris, offrent en effet plus de quarante titres d’une qualité et d’une exigence éditoriales rares aujourd’hui avec notamment des ouvrages audacieux tel que « Paris, 1860 », magnifique livre consacré à Charles Baudelaire et Charles Meryon, des écrits anciens et précieux tels que le texte inédit d’Alexandre Dumas, « Mes Chasses », le « Traité de la Concupiscence » de J-B Bossuet ou tel que « Professeur de Beauté » de R. de Montesquiou et Marcel Proust, ou encore des auteurs contemporains de plume subtile, légère et raffinée avec notamment les délicieux ouvrages de l’écrivain Pierre Lartigue. Dans ce souci extrême d’une esthétique sobre et raffinée, les Editions La Bibliothèque publient quatre à cinq ouvrages par an toujours très attendus.
Jacques Damade, directeur des éditions La Bibliothèque, fondateur du Prix Gaillon, participe également à la Revue FARIO, revue de littérature et d’art ; Il a accepté pour les lecteurs de LEXNEWS de répondre à nos questions.

 

 

LEXNEWS : "Le nom de vos Editions « La Bibliothèque » dévoile à lui seul les racines de cette belle réalisation puisqu’au delà de votre passion du livre même, c’est également votre amour pour une magnifique bibliothèque familiale et votre amour pour un personnage extraordinaire, votre grand-père, qui vous ont conduit à créer celles-ci…."

 

Jacques DAMADE : "Amour un peu contrarié, puisque cette bibliothèque a en partie disparu en 1982. Il y a quelque chose d’élégiaque dans beaucoup de choses que l’on entreprend. On est souvent ces ethnologues de tribus disparues. C’était une pièce austère où certains livres dataient du XVIe et les plus modernes de 1830. Pour un enfant, ces reliures serrées, souvent couvertes de poussière, impressionnaient, étaient hors de portée. Pour mes parents, mes oncles et mes tantes aussi. On préférait déjà la salle de télévision. Seul, mon grand-père y vivait, y dormait dans son fauteuil, lisait l’hébreu, le latin, le grec et semblait en totale familiarité avec ces fantômes. Il est mort quand j’avais neuf ans, je revois son chapeau, sa canne, ses cigarettes, son siège près de la fenêtre. Je crois que cette silhouette est l’intercesseur, celui qui dit qu’on peut ouvrir ces bouquins."

 

LEXNEWS : "Sans oublier peut-être Jorge- Luis Borges…"

 

Jacques DAMADE : "Lui, je l’ai tout de suite aimé, avant de me rendre compte que c’était un autre grand-père. Il y a des personnes qui cherchent des substituts du père. Mon cas est plus désespéré, je cherche des grands-pères. Lui convient parfaitement. Silhouette aveugle, ironique dans une bibliothèque conversant avec Cervantès, Kipling ou Chesterton. Ma maladie est aiguë, d’ailleurs, puisque, quoique j’aie un peu de mal avec l’espagnol, je  lis Borges, comme s’il écrivait en français."

 

LEXNEWS : "Vos éditions comptent aujourd’hui six collections qui comportent pour chacune d’entre elles des éditions rares, des ouvrages choisis avec soin, de beaux textes bien écrits ; quels sont vos critères éditoriaux ?"

 

Jacques DAMADE : "Au début je ne sortais pas de la bibliothèque. Tous mes auteurs étaient morts et le plus moderne datait de 1830. Cette plaisanterie a duré deux ans. Maintenant je publie des gens vivants avec plaisir, et ils voisinent avec les autres. Je crois qu’il n’y a plus de critères. Vous avez cependant raison, il faut que ce soit écrit, même si on peut trouver dans la cinquantaine d’ouvrages publiés deux ou trois textes mal écrits. Je pense à ce témoignage de Leclair dans Histoire des brigands, chauffeurs et assassins d’Orgères de la collection « Les Bandits de la Bibliothèque ». Le texte est indigent, il n’en est que plus affreux et c’est ce qu’il faut dans ce cas, non ? En fait pour essayer de répondre le mieux possible à ce que vous me dites, à un moment après une ou deux lectures, je vois le livre, son intérêt, et je le vois quasiment comme une personne, je vois comment il peut s’intégrer dans mes collections, atterrir chez les libraires, j’imagine la préface, les illustrations. C’est un procédé de naissance assez bref, une incubation, puisque après la lecture l’idée se forme, la proposition surgit, parfois cela vient d’amis, (je pense à Michel Orcel, un bon écrivain qui me guide parfois) et cela dure une semaine à peu près. C’est un moment exaltant pour lequel vous acceptez de subir des tâches plus ingrates. Une espèce de rencontre… Soit le livre entrevu résiste, se dessine, s’étend pour des raisons tellement diverses ou bizarres qu’il m’est difficile de les énumérer, soit il s’efface."

 

LEXNEWS : "Au-delà de ces choix, n’est-ce pas également un intérêt prononcé pour une recherche qui vous anime ?  Recherche qui répond peut-être plus à un amour immodéré de la littérature que de la seule érudition ?"

 

Jacques DAMADE : "L’érudition m’ennuie. On me croit érudit. C’est amusant comme costume. Juste parce que je publie un auteur d’autrefois peu connu ou que le livre est cousu et fait avec du beau papier ! Je pense à Aphra Behn (dont j’ai publié un récit épatant Oronoko, l’esclave royal), une aventurière anglaise, féministe, romancière, du XVIIe siècle, une vivace très célèbre là-bas et dont Virginia Woolf disait que toutes les femmes devraient poser un bouquet sur sa tombe. Elle n’a jamais vraiment traversé la manche. Alors je me dis parfois que c’est un quiproquo, les gens confondent curiosité pour le passé, plaisir qu’un auteur du second rayon peut procurer par son talent avec érudition. Si on est un peu plus sérieux, on peut juste dire qu’il y a une offre de spectacle, de divertissement, de loisir à la fois large et répétitif, qu’on a tellement la religion du grand nombre, du connu et du veau d’or, que mon parti pris a l’air d’un vice."

 

LEXNEWS : "Des six collections précédemment évoquées, la collection « Les Utopie de la Bibliothèque » compte deux petits joyaux : un ouvrage magnifique consacré à Charles Baudelaire et aux gravures de Charles Meryon, « Paris, 1860 », et un ouvrage consacré aux jardins d’Albert Kahn, « Albert Kahn, les jardins d’une idée » ; quels sont vos critères pour ce que l’on appelle « un beau livre » ? Et, cette dernière collection a-t-elle votre préférence ?"

 

Jacques DAMADE : "Préférence peut-être pas, disons un goût certain pour cette collection qui est un peu un cousin d’Amérique. Elle est au-dessus de mes moyens, c’est peut-être pour cela que je l’aime et qu’il n’y a que deux livres. Ils sont d’un grand format avec des illustrations. Il me faut  pour réaliser ce type d’ouvrage un mécène, un bienfaiteur. Je l’ai trouvé pour Meryon-Baudelaire et pour Albert Kahn. J’ai un très beau projet depuis des années qui dort. Il est très coûteux. Ce serait le troisième livre en quinze ans ! J’attends le prince charmant. En même temps être éditeur c’est avoir quelques rêves inassouvis dans lesquels on puise une énergie."

 

LEXNEWS : "Un auteur tient une place privilégiée dans votre catalogue, je pense à Pierre Lartigue, avec de très beaux textes d’une rare sensibilité tels que « L’Inde au pied nu » dans la collection « L’Ecrivain voyageur »,  « Léger, légère » dans la collection « Les Billets de la Bibliothèque » ou encore votre toute dernière parution « L’or et la nuit » ; Comment avez-vous rencontré cet auteur et de quelle manière aimeriez vous le présenter à nos lecteurs ?"

 

Jacques DAMADE : "Il y a aussi un quatrième livre, Le ciel dans l’eau Angkor. Je vais être lyrique. Vous me pardonnerez, c’est un homme délicieux. Juste un peu trop jeune pour que je puisse l’ajouter à la liste de mes grands-pères. Mais il mérite d’y être. Il faut le lire, son écriture, c’est un gaz plus léger que l’air, euphorique et grave. J’avais lu son livre Plumes et rafales et je le reprenais de temps en temps. Il parlait de Montaigne du seizième siècle. Je croyais entendre Perrault et un peu Nerval. Il y avait du mouvement, de la lumière, de l’enfance. Je le lisais à haute voix. Je ne le connaissais pas alors. Une nuit, j’ai croisé Pierre Lartigue, dans une soirée, chez un ami commun. Je m’en souviens parfaitement. Un petit homme charmant, élégant, vêtu d’un costume blanc qui s’adressait à moi pour me dire qu’il avait écrit un livre sur l’Inde (L’Inde au pied nu) où il venait de voyager et pour savoir si cela m’intéressait. Je n’en croyais pas mes oreilles. Comment ai-je réussi à cet instant à rester un éditeur digne, attentif ?"

 

LEXNEWS : "On ne peut aborder les Editions « La Bibliothèque » sans souligner l’extrême soin que vous apportez également à la présentation de vos ouvrages : une présentation sobre, une couverture choisie, un papier et une typographie de qualité…Pouvez-vous souligner ces étapes essentielles qui précédent la naissance d’un livre et qui ont leur importance dans le résultat final ? Et, est-ce là encore votre amour du livre qui vous dicte cette exigence éditoriale ?"

 

Jacques DAMADE : "Je crois que le livre à des armes qu’on sous-estime parce qu’on a peur de ne pas être dans le coup ou de rater je ne sais quel TGV (on pense au lapin blanc avec sa montre dans Lewis Carroll !) : la taille de la main, le poids, la disponibilité, la douceur du papier sous les doigts, le dessin des caractères, le silence que tous les casse-pieds, et ils sont nombreux, oublient, ils nous parlent des écrans, du bruit, du portable, du village planétaire, de la fin du livre. Comme si on ne savait pas ce que c’était que le silence, la musique, comme si on ne pouvait pas se retirer, revenir, repartir.  Il y a un texte de Patrick Mauries, l’éditeur du Promeneur, qu’il place dans tous ses livres, que j’aurais souhaité écrire qui s’appelle Le Cabinet des lettrés. Je vous en cite la fin :

 « Ils forment à eux seuls une bibliothèque de vies brèves. Ils s’entrelisent dans le silence, à la lueur des chandelles, dans les recoins de leur bibliothèque tandis que la classe des guerriers s’entre-tue avec fracas et que celle des marchands s’entre-dévore en criaillant dans la lumière tombant à plomb sur les places des bourgs. »

 

 

Pour revenir à ce qu’on disait, je choisis souvent le papier et la couleur de la couverture avec les auteurs ou les préfaciers quand les auteurs datent du XVIIIe. On va dans un entrepôt où il y a des papiers, avec des grains, des couleurs, des grammages différents. On en sélectionne quatre ou cinq. Puis on délibère.  Après la couverture est composée par un typographe, d’où le léger relief du sigle et des lettres que l’on sent avec l’œil du doigt : cette façon qu’a l’encre de pénétrer le papier, de l’épouser, bien différente de celle de la photocomposition."

 

LEXNEWS : "Aujourd’hui, les Editions « La Bibliothèque » ont plus de quinze ans – seize exactement, je crois – ; en qualité d’éditeur indépendant, vous avez déjà relevé de lourds défis notamment lors de l’incendie des Belles Lettres ; Quels sont aujourd’hui, vos nouveaux défis ou projets ?"

 

Jacques DAMADE : a a été un fameux incendie. Trois millions de livres, je crois, à proximité de Gasny, dans l’Eure, en pleine campagne française. Ce que le feu a commencé, l’eau l’a achevé. Les pompiers ont été terribles. D’après ce que je sais, il n’y a pas un seul livre qui ait survécu. Je me demande si ce n’était pas plus important en nombre d’ouvrages que celui de la grande bibliothèque d’Alexandrie. En plus il y avait énormément de textes bilingues gréco-latins de la collection Budé des Belles Lettres. César, Pline, Aristote, Platon, Philostrate… L’histoire aurait plu à Borges qui aimait que le temps joue à se répéter. Moi, j’ai eu peur que ce soit la fin de la mienne, de bibliothèque. Mais, après s’être fait un peu tirer l’oreille, le Centre National du Livre nous a sauvés. Je n’appellerai pas cela un défi, mais plutôt un bref chapitre, pas un des pires, de L’Histoire de l’Infamie. Aussi est-ce avec le sourire du survivant qui remercie le ciel que je poursuis mon activité artisanale, saisonnière, quasi agricole de deux ou trois livres au printemps et à l’époque des vendanges."

 

LEXNEWS : "J.M.G. Le Clézio relevait récemment qu’il avait besoin de voyager pour écrire, être dans des lieux inconnus ou anodins pour que son inspiration créatrice soit vivifiée par ces horizons nouveaux, comment percevez vous ce rapport de l’écrivain au voyage ?"

 

Jacques DAMADE : "Vivifiant, bien sûr : rompre avec les habitudes jusqu’à se débarrasser du soi, voir d’autres coutumes, d’autres gens, essayer de comprendre les gestes, une langue que l’on devine, semi obscure et donner ces variations en partage. L’écrivain voyageur, quelle noblesse ! C’est la collection la plus importante de ma maison (une vingtaine de titres). L’écrivain voyageur, c’est grâce à lui d’abord qu’on a découvert le monde. Je songe au somptueux travail d’édition de la Magellane de Michel Chandeigne et d’Anne Lima. Splendeur des livres, précisions et voix multiples des missionnaires, voyageurs, marchands scandant la découverte de l’Afrique, de l’Amérique, de l’Asie, des Indes… Même si à la découverte de l’autre s’ajoute à notre époque une autre mission que Bouvier, Marker, Orcel ou Lartigue incarnent. Je vais publier en mai un livre de Georges Groslier (Eaux et Lumières)  qui date de 1930 sur le Mékong cambodgien où il montre le bonheur, l’importance du fleuve pour nourrir, faire vivre la population. Pierre Lartigue expose dans son dernier livre L’or et la nuit combien en 2007 la déforestation, les déchets chimiques mettent en danger ce fleuve. L’écrivain voyageur n’est plus simplement ce roi mage qui rapporte l’or, l’encens, la myrrhe, même s’il l’est encore, heureusement, il est aussi le guetteur qui avertit des dangers que subit la terre. Danger pour la vie des hommes, pour la diversité du monde, pour la liberté, et même pour la survie de cette petite planète…"

 

 

Merci beaucoup, Jacques Damade, pour cette si agréable interview qui donnera à n’en pas douter à tous nos lecteurs l’envie d’ouvrir un à un les ouvrages de La Bibliothèque à la manière dont J.L. Borges écrivait «  La grille du jardin s’ouvre avec la docilité d’une page »… 

 

Paris, 24 avril 2008

L.B.K. pour LEXNEWS

  

 

Editions La Bibliothèque

http://www.lekti-ecriture.com/editeurs/-La-bibliotheque-.html

Diffusion Distribution Belles Lettres : 01 45 44 92 88

 
 

Interview Diane de SELLIERS, la passion de l'édition d'art...

 

© Giacomo Bretzel

LEXNEWS : «  Quelles sont les origines des Editions Diane de Selliers qui portent votre nom ? » 

Diane de SELLIERS : « Le livre m’accompagne en fait depuis mon enfance dans la mesure ou j’ai toujours aimé lire et que j’ai accompli des études littéraires. J’avais comme objectif de travailler comme critique culturel et littéraire. J’avais réalisé un mémoire sur un sujet d’édition. Belge de nationalité, je suis arrivé à Paris et j’ai commencé à travailler dans une maison d’édition. Après cette expérience, j’ai décidé de monter ma propre maison d’édition, afin d’éviter certaines contraintes et grâce à l’insouciance de mes 25 ans !

J’ai commencé avec des guides qui n’avaient pas besoin d’un nom d’éditeur. Ces éditions permettant de financer le reste de mes projets. A l’origine je n’avais pas d’objectif de collection, cela l’est devenu par la suite. J’avais découvert de superbes gravures mises en couleur par OUDRY au XVIII siècle dans une librairie ancienne. En les consultant, je me suis dit qu’il n’était pas possible que ces superbes gravures restent inconnues de tous et mon sang d’éditeur n’a fait qu’un tour ! J’ai pris le risque de lancer l’ouvrage avec l’intégralité des textes des Fables de La FONTAINE et des images. Cet ouvrage est sorti en 1992 et nous en sommes aujourd’hui à la cinquième édition. Par la suite, j’ai souhaité réaliser un autre livre consacré quant à lui aux contes du même auteur. Mais je n’avais pas d’illustrations pour ces derniers. C’est alors qu’à l’occasion d’une exposition au Musée du Petit Palais consacrée à FRAGONARD et le dessin au XVIII° s, j’ai eu l’occasion de découvrir dans la dernière salle, soixante lavis de FRAGONARD pour une édition manuscrite des Contes de La FONTAINE. Il s’agissait de dessins qui n’étaient pas, et ne sont plus, montrés au public. » 

LEXNEWS : « Quelles sont les difficultés pour traiter ces sources originales ? » 

Diane de SELLIERS :  « Pour ce dernier livre, la réalisation a été très délicate en raison de la difficulté d’obtenir ces lavis en photogravure dans de bonnes conditions. Nous avons été obligés d’aller voir les originaux avec les techniciens de l’atelier de photogravure grâce à la coopération essentielle du Musée. Si vous prenez les lavis de FRAGONARD, la plus grande difficulté réside paradoxalement dans les blancs ! Rendre les blancs vivants et restituer les nuances de blanc dans les visages par exemple est une tâche particulièrement délicate. » 

LEXNEWS : « Cela exige donc un gros travail artistique en amont ? » 

Diane de SELLIERS : « Oui, tout à fait. Il y a énormément pour ces livres de réflexion pour être le plus fidèle possible à ces œuvres, et en même temps pour ajouter un plus, compte tenu des moyens techniques à notre disposition et de la modernité de l’ouvrage ». 

LEXNEWS : «  Quel est le point de départ de vos projets ? » 

Diane de SELLIERS : « J’ai toujours réalisé un livre dès que j’ai l’alliage de l’artiste et du texte. Pour les Fables, c’est le hasard qui m’a mis en présence des textes et de cette iconographie. Quant aux Contes, cela a résulté d’une démarche volontaire jusqu’à ce que je trouve une illustration qui ait la même force narrative que le texte. C’est grâce à un ami que j’ai eu l’idée du troisième livre. Il m’avait parlé d’une Divine Comédie de DANTE illustrée par BOTTICELLI qui devait se trouver en Italie. Après de longues recherches, j’ai pu travailler sur des dessins de BOTTICELLI qui se trouvaient dispersés à Berlin et au Vatican. Pour analyser ces œuvres de BOTTICELLI, j’ai pu bénéficier du concours du conservateur du Musée de Berlin, grand spécialiste du peintre et qui était alors à la retraite. C’est d’ailleurs de cette collaboration qu’est née l’idée du Faust de GOETHE illustré par DELACROIX. Les 18 lithos de DELACROIX ne suffisaient pas elles seules pour illustrer ce projet. Je suis donc partie à la recherche de tous les travaux et dessins préparatoires de DELACROIX sur ce Faust ! J’ai ainsi pu constater que le thème de Faust avait obsédé le peintre pendant toute sa vie, ce qui m’a fourni un grand nombre d’études préparatoires. La recherche de la qualité est ainsi au tout premier plan. » 

LEXNEWS : « Il est même possible d’ajouter, eu égard au résultat, qu’il s’agit d’un véritable travail de recherche en tant que tel ! » 

Diane de SELLIERS : « Il est vrai que chaque livre exige un immense travail préparatoire allant de 3 à  5 ans. Ce sont de véritables jeux de piste, qu’il faut à chaque fois parvenir à remonter. La meilleure récompense de cette entreprise vient des diverses institutions qui très souvent après un premier refus d’autorisation quant à l’exploitation des sources reviennent sur leur décision dés qu’ils ont pris connaissance de l’ampleur du travail accompli.

Mon éditeur italien m’a donné le thème de l’ouvrage suivant, le Décameron de BOCCACE. Les miniatures n’étaient pas suffisantes pour retenir l’attention du lecteur tout au long de l’ouvrage. Je souhaitais quelque chose d’extrêmement vivant qui reflétait la Toscane à l’époque de BOCCACE. Nous avons contourné le problème en prenant des détails de fresques qui montraient des scènes de la vie de tous les jours. Ces fresques sont à elles seules un véritable témoignage de la vie profane associée au thème mystique. Nous avons pris tous ces détails dés qu’ils pouvaient être en rapport direct avec le texte. Je pense que c’est le premier livre qui a offert un véritable travail de création iconographique dans notre collection. La Légende Dorée de VORAGINE me tentait depuis plusieurs années, mais la richesse iconographique me paralysait jusqu’à ce que je réalise que les décorations d’Eglise me serviraient directement pour cette illustration. La tâche a été immense : les photographes se sont rendus dans de nombreuses églises en Italie pour y effectuer leurs prises, avec au final des surprises sur le rendu de certaines fresques ! ». 

LEXNEWS : « Quels sont pour vous les rapports entre l’œuvre et l’iconographie, cette dernière venant accompagner un texte qui renvoie lui même à ses propres images ?Cela fait il naître des doutes chez vous quant à ces rapports ? » 

Diane de SELLIERS : « Je n’ai pas le sentiment de ressentir ces doutes quant aux relations entre texte et image car ces relations sont à la base même de mon travail. Je m’implique tellement dans ce souci d’harmonie entre l’iconographie et le texte qu’il me semble que le résultat implique une symbiose. Si vous prenez l’exemple de VORAGINE, rares sont les personnes qui lisent l’œuvre sans iconographie. Une fois que les images accompagnent le texte de la Légende dorée, le texte reprend toute sa saveur car les interprétations des peintres de ces fresques se nourrissent à la spiritualité émanant du texte lui-même ! Votre question me semble par contre plus concerner un livre comme celui du Don Quichotte de CERVANTES. C’est en effet très différent car nous nous trouvons en présence d’un artiste contemporain, Gérard Garouste, qui a sa propre interprétation de l ‘œuvre. Il n’est pas un illustrateur mais bien un artiste. Il a tellement plongé dans l’esprit du texte qu’il a fait une œuvre de créateur dans le cadre d’une œuvre originale appartenant à CERVANTES. Cela lui offre des opportunités de rebondir sur une phrase correspondant à une idée de sa lecture de l’œuvre ! Donc je ne pense pas que cela puisse en aucune façon réduire la liberté de lecture, bien au contraire. Nous veillons à ce qu’il y ait un équilibre entre le texte et l’image afin qui ni l’un ni l’autre ne prenne le dessus. Pour le « Voyage en Italie » de STENDHAL, l’iconographie a été particulièrement difficile à réunir en raison de la diversité des thèmes abordés. Nous avons cherché à reproduire dans la mesure du possible l’univers de l’auteur tel qu’il l’avait connu à son époque. Nous avons saisi sur ordinateur tous les mots de personnes, de lieux, de scènes de genres,… Les recherches ont été faites dans les plus grandes bibliothèques telles celles de Paris, Rome, Londres,… avec comme cadre temporel une période très courte : 1800-1840. Nous avons ainsi réalisé un travail très rigoureux sur le thème de l’Italie par rapport à nos entrées informatisées. Cela a été un travail de titans ! ». 

LEXNEWS : « Diane de SELLIERS, merci pour toutes ces explications qui rendent plus passionnant le métier qui est le votre, et dont nous présenterons régulièrement les nouveautés ! »

LEXNEWS A LU POUR VOUS ...

OVIDE "Les Métamorphoses" illustrées par la peinture baroque, 576 pages format 24.5 x 33 cm en volumes reliés pleine toile sous coffret illustré, titres de couverture aux fers à dorer, papier couché mat 170 g.

 

Ce ne sont pas moins de 360 peintures dont un grand nombre inédites qui viennent mettre en lumière l'éternel récit d'Ovide, legs éternel de la littérature antique latine ! A oeuvre d'exception, édition exceptionnelle, tel est le cas de la présente sortie de l'ouvrage préparée sous la direction éclairée de Diane de Selliers.

Une centaine de peintres italiens tels le CARAVAGE, CARRACHE, CASTIGLIONE, ... mais aussi espagnols,français ou du Nord éclairent un texte dont la poésie a inspiré de tous temps les artistes les plus divers. C'est sous l'éclairage baroque que les Métamorphoses ont trouvé un regard nouveau quant à la présentation édition, un choix judicieux au regard du texte dont les vertus bucoliques et la force des thèmes évoqués se partagent avec passion et ardeur. La Nature, les dieux et les hommes tissent entre eux des liens inextricables que seuls des choix souvent violents viennent interrompre,  la superbe iconographie des Editions Diane de Selliers venant souligner ce trait de caractère tel le plus cadre pour une peinture délicate. Point de double langage ou de choix excessif, tout est mesure dans un univers qui portant porte en soi les valeurs extrêmes des passions humaines. L'art baroque transgresse souvent l'ordre établi par la sage Renaissance et pourtant cet éclairage pictural se veut respectueux de la célèbre oeuvre latine !

Retrouvons dans une édition d'exception, nos racines antiques en compagnie de Jupiter, Sémélé ou encore Bacchus, goûtons les joies d'une mythologie accessible non seulement par la beauté du texte mais également par la contemplation du regard sur des oeuvres tout autant immémoriales...

Un travail à la fois délicat et artistique pour lequel un regard plus attentif révèlera une démarche digne des oeuvres scientifiques les plus rigoureuses !

Pour plus de renseignements : www.editionsdianedeselliers.com