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Édition Semaine n° 19 - mai 2012

               SPIRITUALITES :

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INTERVIEW  Mgr Joseph DORE

INTERVIEW Cardinal Philippe BARBARIN

INTERVIEW HANS KÜNG

 

INTERVIEW FAOUZI SKALI

 

Interview de Mgr Joseph Doré, archevêque émérite de Strasbourg

Collection « La grâce d'une cathédrale »
(éditions La Nuée Bleue)

Paris, le 10 septembre 2011

 © S. Kalimorov

 

A l'occasion d'une nouvelle collection de livres d'art sur les cathédrales aux éditions La Nuée Bleue, collection dirigée par Monseigneur Joseph Doré, nous avons eu l'honneur de rencontrer celui qui est depuis longtemps "habité" par les murs et les voutes de la cathédrale de Strasbourg dont il est aujourd'hui l'archevêque émérite. Il était donc normal que le premier volume soit consacré au fameux édifice sacré de la ville de Strasbourg. Ouvrons ensemble les portes de cette cathédrale en compagnie de Monseigneur Doré, guide prestigieux pour nos lecteurs à cette occasion  !
 



LEXNEWS : « Pouvez-vous nous rappeler quel fut l’esprit qui anima les bâtisseurs de cathédrales et est-il encore possible d’en saisir toute la portée en notre XXI° siècle ? »

Joseph Doré : « C'est un chantier gigantesque que celui des cathédrales ! À partir du moment où l'on a commencé à construire des édifices autour de la cathèdre – le siège de l’évêque qui leur a valu leur nom –, les cathédrales se sont multipliées à travers les siècles : on en compte une bonne centaine pour le seul territoire français. On peut dire que trois facteurs principaux ont défini l'esprit dans lequel elles ont été à la fois bâties et entretenues.
Il faut tout d'abord mentionner l'intention essentielle, qui est de rassembler les croyants autour de leur évêque pour les célébrations majeures à l’occasion desquelles s'exprime la foi chrétienne en Jésus-Christ comme Sauveur et en Dieu comme Père, Fils et Saint-Esprit. Il a fallu pour cela des édifices appropriés, capables d'accueillir le nombre croissant des fidèles. Le premier facteur est ainsi la foi et son annonce ou sa proclamation, avec le rassemblement au nom de cette foi, pour la célébrer.
Un deuxième facteur réside dans la situation économique et dans les techniques qui ont pu être mises au point au cours des siècles. Nous avons tout d'abord, sur le schéma des grandes basiliques romaines, de grands édifices rectangulaires … que transformeront plus tard les voûtes en plein cintre, les ogives, les arcs-boutants, etc. Tout cela a évidemment une influence sur le déroulement de ce qui se passe à l'intérieur. Par exemple, dans le cas des premières basiliques, on peut constater une organisation de l'espace qui se calque sur celle du Sénat romain. En tout cas, c'est aussi l'affinement des moyens techniques, en même temps que la diversification et l'appropriation des matériaux qui permettra d'aboutir à ces immenses cathédrales dont les murs sont à la fois de pierre et de verre – ce qui était évidemment impensable à l'époque originelle. Mais cette évolution n'a par ailleurs été possible que dans des conditions économiques précises : il fallait bien financer ces vastes entreprises ! Nous avons la chance d'avoir ici et là de précieuses archives ; or, pour certaines cathédrales, elles concernent les salaires distribués aux différents corps de métiers engagés sur les chantiers. Contrairement en effet à ceux qui sont intervenus dans la construction des pyramides, les ouvriers des cathédrales n'étaient pas des esclaves, mais bien des hommes libres, appréciés pour leurs compétences et rémunérés en conséquence. Les financements étaient de divers ordres, à l'initiative la plupart du temps des évêques, car ils bénéficiaient souvent d’importants moyens, même s'il s'y ajoutait la plupart du temps des aides venant de seigneurs et princes de tout rang.
Un troisième élément, et non le moindre, est le sens esthétique, jouant comme champ et lieu d'expression de la foi à travers les moyens de la technique. Les bâtisseurs des cathédrales ont eu à cœur de faire apparaître dans la pierre, le bois, ou le verre que si l'existence humaine est certes logée à l'enseigne du corps, du monde et de la matière, elle est aussi appelée à des expériences de type spirituel, voire mystique. Or l'expérience de la beauté a toujours été tenue, en christianisme, pour essentielle à l'expression de la foi.
Conviction croyante, conditions techniques et économiques, sens esthétique : tels sont donc les facteurs à travers lesquels s'est exprimé ce qu'à juste titre vous appelez « l'esprit » des bâtisseurs des cathédrales. Puisque ces dernières sont toujours là parmi nous, il est essentiel de ne pas oublier le jeu de ces facteurs, si nous voulons avoir accès aux trésors dont elles demeurent porteuses pour nous. »

LEXNEWS : « Une cathédrale est avant tout une litanie architecturale, en quoi se distingue-t-elle des autres édifices légués par le passé le plus ancien tels les pyramides, les temples ou autres ziggourats ? »

Joseph Doré :
« Lorsque vous regardez une pyramide, elle vous apparaît comme un édifice complètement « plein » … et si, cependant, on y fait de la place, c'est pour y mettre un cadavre ! Une cathédrale est, au contraire, largement ouverte, et non pas seulement à qui souhaite y entrer, mais également vers le haut. Quand on en franchit les portes, on entre dans un espace qui n'en finit pas de s'élargir, et de se déployer vers le haut. Et plus se développe leur histoire, plus elles s'agrandissent et s'amplifient. Faire place à la lumière et entraîner à regarder vers le ciel : l’idée est d'accueillir dans un espace de beauté qui à la fois parle au cœur et enchante l'esprit. »

LEXNEWS : «Cette idée d’horizontalité et celle de verticalité se rejoignent ainsi dans la cathédrale en parfaite communion avec le symbole de la croix. »

Joseph Doré :
« Tout à fait ! C’est extrêmement suggestif, et c'est d'ailleurs cette idée qui a été au cœur de mes pensées lorsque nous avons eu à faire des travaux dans le chœur de la cathédrale de Strasbourg. Cela m'a conduit à proposer à l'architecte de placer tout au fond de l'abside, et bien visible, une grande croix dorée. Nous sommes dans un lieu où l'horizontalité de notre monde, de notre histoire et de nos vies se croise avec la verticalité du Dieu tout puissant et tout bienveillant qui s'est porté à notre rencontre, et nous accueille chez lui.
Il me semble essentiel de garder à l’esprit cette idée de croisement, que vous releviez vous-même à juste titre. Imaginez la cathédrale de Strasbourg lors des grandes célébrations de l'année, avec deux ou trois mille personnes réunies sous ses voûtes ! C'est un espace très largement ouvert, à la différence des pyramides, des ziggourats, de la muraille de Chine, ou des aqueducs romains … C'est un édifice fait pour rassembler un peuple uni, heureux, et chantant. Y a-t-il tellement de lieux dans le monde où, quels que soient l'âge, la nationalité ou la classe sociale, on se rassemble en foule pour chanter ? Une cathédrale est au summum de ce qu'elle est et est appelée à être, lorsque l'évêque y préside, entouré de son presbyterium et des fidèles, et lorsque les orgues se mettent à sonner pour accompagner, et amplifier le chant de toute l'assemblée. À ce moment-là, la cathédrale n'est plus seulement un monument prestigieux ; c'est alors un édifice constitué de « pierres vivantes » comme dit l'Écriture, et dont toutes les pierres chantent. »

LEXNEWS : « Comment le jeune homme, puis le théologien et l’archevêque appelé aux plus hautes fonctions pastorales ont-ils successivement perçu ces édifices éternels ? »

Joseph Doré :
« Votre question me touche beaucoup ! Je n'aurais pourtant pas eu grand-chose à y répondre pendant de longues années de ma vie. Dans ma jeunesse, ce genre d'édifice ne m’était bien entendu pas inconnu, à cause de la cathédrale de Nantes, la ville de mes origines. Je connaissais du reste également un peu d'autres édifices comparables, tels ceux de Chartres ou de Paris ; mais à vrai dire, tout cela m'apparaissait bien grand, bien loin, et bien froid.
Á mon entrée au Séminaire, c'est par la figure de l'évêque que, progressivement, j'ai découvert la cathédrale comme le lieu d'une vie spécifique, d'ailleurs très largement dépendante de ce personnage que j'apprenais à situer. C'est à travers de grandes célébrations avec la maîtrise de la cathédrale de Nantes, à laquelle j'appartenais, que j'ai pu, d'une certaine manière, entrer un peu plus dans la compréhension de ce genre si remarquable de monument. Peu à peu, ma familiarité avec lui s'est développée, toujours lors de grandes célébrations, notamment à l'occasion de la Semaine Sainte. Ces bâtiments lointains ont ainsi fini par prendre pour moi une signification ecclésiale précise, autour de l'évêque qui y officiait.
 

Un troisième élément est cependant intervenu ensuite : ma spécialisation de théologien et d'enseignant de théologie pendant plus de trente ans. Je me suis en effet rendu compte que l'art avait à apporter sa contribution à la réflexion de la théologie, et cela m'a même conduit à fonder, un Institut des Arts sacrés, dans le cadre de la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l'Institut catholique de Paris lorsque j'en étais le Doyen. Car il me semblait que l'art, à commencer par celui qui, justement, resplendit dans les cathédrales, pouvait et devait être mis à contribution aussi bien pour la compréhension que pour l'annonce de la foi.
Par contraste, j'ai été de plus en plus étonné de la distance qui m'apparaissait exister entre ces édifices si chargés de sens, et nos contemporains. Les grandes cathédrales restent certes de nos jours bien présentes dans le quotidien de nos villes, mais en même temps, comme elles apparaissent éloignées sinon scellées à tant d'hommes d'aujourd'hui ! Il m'a en conséquence semblé essentiel de fournir à qui le voudrait bien des clés pour leur compréhension. Il y a tant de choses à dire sur elles (y compris au plan théologique !)
Pour autant, mon chemin ne s'est pas arrêté là, puisque j'ai moi-même été appelé à l'épiscopat. Or devenir évêque est bel et bien, d'une certaine manière, se trouver « incorporé » à l'édifice appelé cathédrale : c'est précisément le fait de vous asseoir sur la « cathèdre » qui, au cœur du rituel de l'ordination, vous établit dans votre charge. Pour mon compte, j'ai de surcroît été ordonné évêque dans la cathédrale même du diocèse du diocèse de Strasbourg, auquel j'étais envoyé. Cela veut dire qu'avant de m'asseoir sur la cathèdre, j'ai eu à m'allonger de tout mon long à même le sol de la cathédrale, pendant que tous les présents suppliaient tous les saints du ciel de m'assister dans la charge en laquelle j'entrais ... Et voilà qu'à ce moment-là, j'ai réalisé qu'en cet endroit même je serai un jour enterré, puisque les caveaux des évêques défunts du diocèse se situent sous ce dallage du choeur sur lequel j'étais prosterné.»
 

LEXNEWS : « Votre émotion est particulièrement perceptible à cette seule évocation. »

Joseph Doré :
« Oui, en effet. Vous réalisez alors que votre existence se trouve en quelque sorte incorporée non seulement à l'édifice, mais également à l'Église diocésaine elle-même dont la cathédrale est le symbole. À ce moment-là, toute votre existence change de sens. Désormais, elle sera fondamentalement liée à celle du peuple tout entier auquel vous avez été envoyé, et que représente par excellence l'assemblée au sein de laquelle vous venez d'être ordonné évêque.

LEXNEWS : « Votre témoignage démontre s’il en était besoin que la cathédrale reste une réalité extrêmement vivante. »

Joseph Doré :
« Absolument ! Ces monuments sont porteurs d'une grande richesse de vie toujours actuelle. Certes, il y a les messes qui y sont célébrées ou la confession qu'on peut y pratiquer ; il y a surtout les grandes célébrations épiscopales que sont avant tout les ordinations de prêtres et de diacres et, chaque année, la messe chrismale. Je me réjouis bien évidemment de tout cela ; mais j'ai aussi à cœur que le plus grand nombre possible de personnes puisse avoir accès, avec mon aide si possible, au prodigieux héritage à la fois esthétique, artistique, culturel, et donc largement humain, que nous ont légué les siècles – et qui est là, en ces cathédrales, offert à tous et disponible à tous, croyants ou non, visiteurs d'un jour et touristes de passage. »

LEXNEWS : « Nous semblons de plus en plus avoir des difficultés à lire cette théologie minérale. En quoi la vaste entreprise lancée avec la collection « La grâce d’une cathédrale » des Editions La Nuée Bleue peut-elle atténuer ce hiatus ? »

Joseph Doré :
« Il me semble important, reprenant votre expression de théologie « minérale », de souligner qu'avec la cathédrale, le minéral devient vivant ! Nous avons certes la pierre dès le commencement, et rien ne se fera sans elle. Mais si vous considérez les choses de plus près, vous vous apercevez que cette pierre a été dès la carrière l'objet d'un choix soigneux : les trois ouvrages déjà parus à ce jour dans notre collection (sur les cathédrales de Strasbourg, de Reims et de Lyon) le montrent bien. Qu'il s'agisse du grès rose de la cathédrale de Strasbourg, de la lave si noire de celle de Clermont-Ferrand ou de la pierre tout ensoleillée d'Albi, vous avez, après la sélection dans la carrière, un traitement tout aussi soigneux qui, d'une certaine manière, va aboutir à « humaniser » cette pierre. En particulier, elle va faire l'objet d'une taille rigoureuse, où l'artisan – l'artiste plutôt – va étroitement dialoguer avec elle. Ensuite, l'assemblage de toutes les pierres ainsi travaillées va lui-même donner une vie à la construction, lui imprimer une certaine dynamique. Une fois édifié, le bâtiment pourra ensuite prendre pleinement vie grâce au peuple qui, après l'avoir construit, le fréquentera. Et le son des orgues pourra alors faire entrer assemblées et édifice en une profonde résonance.
Et puis, à la pierre, viendront s'ajouter les vitraux ; grâce à eux, la cathédrale, édifice de pierre, sera aussi foyer de lumière, chatoiement et rayonnement de couleurs. Ajoutez à cela les sculptures, les peintures, les tentures ... et vous aurez une véritable transfiguration de cette vaste construction de pierre. Si l'on peut dire que l'être humain est corps et âme, on peut aussi considérer que les cathédrales ont elles-mêmes un corps et une âme : un corps de pierre, et une âme de lumière et de couleurs, d'harmonie et de musiques.
Puisque telle est la richesse des cathédrales, on comprend bien que des clés soient utiles pour accéder à leur mystère, à leur âme. En proposer à un large public est justement l'intention qui anime la nouvelle collection que j'ai lancée avec les éditions La Nuée Bleue. Toute l'histoire sainte de Dieu avec son peuple, Ancien et Nouveau Testament, mais aussi toute l'histoire de l'Église et de ses Saints, sont inscrites dans les cathédrales. Ces dernières se présentent dès lors comme de véritables livres ouverts qu’il nous appartient de savoir lire et de donner à lire. Or, pour un grand nombre, une telle lecture n'est-elle pas devenue aujourd'hui quasiment impossible ? J'enrage – excusez l'expression – de constater que tant de gens manquent des indications et informations qui leur ouvriraient les portes de tant de trésors accumulés. Environ quatre millions de visiteurs entrent chaque année dans la cathédrale de Strasbourg. Or, malgré les nombreux guides et les nombreuses études techniques, malgré les albums de belles photos et les beaux livres tout pleins d'images, il n'y avait pas, me sembla-t-il, d'ouvrage suffisant pour permettre une véritable initiation à toutes les richesses d'un tel chef-d’œuvre. Aussi ai-je eu l'idée de proposer moi-même, avec l'aide d'une vingtaine de collaborateurs choisis, un livre qui fournisse toutes les clés de lecture nécessaires à une vraie découverte.
Cela m'a conduit à estimer utile de commencer par l'histoire de la construction de l'édifice ; on continue en présentant l'état actuel de la cathédrale sous tous ses aspects ; en troisième lieu, on fait état de tous les événements majeurs qui se sont déroulés dans l'édifice à travers plus de dix siècles. Inutile de vous préciser que la matière est ample, d'autant qu'on se trouve alors inévitablement conduit à évoquer toute l'histoire de la ville et même de la province environnantes – ce qu'aucun autre édifice ne permettrait pareillement !

LEXNEWS : « Les cathédrales ne sont pas que des sanctuaires historiques de la foi, elles ont un rôle à jouer dans une époque où le mot même de transcendance est quasi absent de notre vocabulaire. »

Joseph Doré :
« Je pense qu'avant toute chose elles sont un lieu de beauté, un lieu du Beau. De l'extérieur, vous les voyez de loin, mais vous ne les voyez pas sans tout ce qui les entoure. Certes, on s'est habitué à leur présence, mais lorsque vous en franchissez le seuil, vous êtes littéralement saisi ! Il y a là une richesse qu'il convient de mettre à portée de qui voudra bien les fréquenter. Je constate du reste avec joie que l'on s'y intéresse de plus en plus, y compris parmi les jeunes. Y compris aussi dans les sphères gouvernementales (n'oublions pas en effet qu'il s'agit de monuments historiques classés et dont, en France, le propriétaire est l'État lui-même).
Quand, même en dehors des célébrations liturgiques, vous entrez dans une cathédrale, vous pouvez y faire une expérience assez unique, et si de surcroît vous avez alors la chance que l'organiste joue pendant votre visite, vous avez tout à coup le sentiment d'être comme environné, saisi, emporté. Quelque chose vient vers vous, que vous n'avez manifestement pas construit vous-même et qui vous parle à la fois à l'esprit et au cœur. Vous êtes muet d'étonnement et d'admiration, et en même temps quelque chose vous dispose à l'écoute, à l'accueil, quelquefois même à l'exultation. Vous êtes environné de beauté, et cela vous « prend », vous « transporte », et vous met en paix avec vous-même et avec tout ce qui vous environne. Vous êtes comme visité par la grâce. Ce n'est pas pour rien, vous pensez bien, que j'ai souhaité retenir pour notre collection le titre « La grâce d'une cathédrale ».

LEXNEWS : « Et il est important de souligner que ce que vous évoquez se fait librement, sans contraintes… »

Joseph Doré :
« Absolument ! Il n'y a pas, là, de propagande ; et dans cette découverte, personne ne vient vous faire du prosélytisme. Il n'y a pas besoin de faire une profession de foi pour s'estimer « concerné », et c'est bien pour cela que je parle ici de grâce. Grâce à cette cathédrale que je visite aujourd'hui dans ma misère ou dans ma joie, je me découvre moi-même visité par quelque chose qui à la fois me déborde, m'apaise et m'enchante – bref, j'expérimente qu'une grâce m'advient. Et cette grâce peut de fait se renouveler en chaque cathédrale.
Je souhaite de tout cœur que quiconque fréquente les cathédrales fasse pour lui-même l'expérience de la grâce à laquelle elles peuvent donner accès tout simplement parce que, ayant présidé à leur construction, cette même grâce continue de les habiter, et qu'elles ne cessent jamais de l'offrir et de la diffuser. »

 

Mgr Doré est également l'auteur d'une autobiographie "A cause de Jésus" parue chez Plon sur laquelle nous reviendrons très prochainement.

Strasbourg, la grâce d’une cathédrale

sous la direction de Mgr Joseph Doré

 Editions La Nuée Bleue, 2010.

 

 



Surgie du sol par la grâce, élevée vers le ciel avec grâce, la cathédrale de Strasbourg est la première architecture de pierre à honorer la nouvelle collection dirigée par Monseigneur Joseph Doré aux éditions La Nuée Bleue. Et pourtant, les nombreux familiers de ce vénérable édifice multiséculaire auraient pu conclure trop rapidement : était-ce bien nécessaire ? Le monument si connu des Strasbourgeois avait-il encore besoin d’un livre de plus ? Si l’on interroge l’un de ceux qui la connaît le mieux, Joseph Doré, archevêque de ces dentelles de pierre édifiées depuis la fin du XII° siècle, les écrits, bien que nombreux, ne pouvaient satisfaire l’intelligence de la globalité de la cathédrale. Le pari audacieux et fou de cette nouvelle collection est en effet de réunir tous les points de vue imaginables afin d’édifier un livre à la manière des bâtisseurs de cathédrales. Pas moins de vingt-deux auteurs sont mis à contribution pour livrer leur lecture de la vaste construction.


La ligne droite, rappelle Georges Duby, est au cœur même de la cathédrale gothique et s’avère être le vecteur de la chrétienté en ces temps mouvementés. Il suffit pour s’en convaincre de regarder la magnifique vision offerte par ce livre d’art et d’histoire du portail principal de la façade occidentale dont les portes sont exceptionnellement ouvertes pour l’occasion. Si les ogives assouplissent parfois la ligne, tout n’est qu’ode à la verticalité, à commencer par l’émouvante statue de la Vierge à l’Enfant sur qui repose l’ensemble du tympan du portail, juste en dessous du Christ en croix. Derrière cette statue emblématique, cathédrale à elle seule, se dessine dans la pénombre une véritable fugue de l’ordre divin, dont seule la musique sait en partager les échos.
Le lecteur, soucieux de mieux comprendre l’art des cathédrales, aura grand intérêt à partager l’avant-propos qui retrace en quelques pages concises et agréables à lire le phénomène unique des cathédrales, depuis la reconnaissance constantinienne de la religion chrétienne jusqu’à la cathédrale d’Evry terminée en 1995.
 

Une cathédrale avant d’être un édifice est tout d’abord un vaste chantier, au sens propre et figuré du terme, objet de la première partie du livre. Nous avons la chance de posséder de nombreuses archives qui ont rendu possible son histoire et la diffusion de nombreux détails sur l’art des cathédrales à partir des temps les plus anciens. Si une cathédrale est « élevée » de terre, il faut à jamais écarter de nos esprits ces fausses vues qui apparenteraient cette construction à celle des pyramides ! Nul esclave ici, point de longues cordées tirant des pierres à coup de fouet… Nous apprenons à notre plus grande surprise que le chantier médiéval ne réunissait guère plus qu’une cinquantaine de personnes, à peine plus que pour un vulgaire immeuble de trois étages en notre XXI° siècle… Et à partir de ces archives, nous feuilletons littéralement les pages de la cathédrale, qu’il s’agisse de son enfantement, du IV° au début du XIII° siècle, avant l’apothéose gothique des XIII° et XIV° siècles. Si l’on souhaite être encore surpris, ce ne sera pas la dernière fois, on découvrira les dessins d’architectures du XIV° siècle qui constituent un ensemble de plus de quatre mètres de hauteur ! Et là, le regard découvre, médusé, une cathédrale de papier où la rose et la galerie se dessinent en un subtil lavis rehaussé par de l’encre noire et de délicates couleurs qui soulignent les drapés des statues…

La grâce d’une cathédrale, c’est d’être ainsi le miroir de la beauté divine, le reflet de ce qui est impensable à l’homme et improbable aux éléments. Et pourtant, la cathédrale de Strasbourg a réussi, grâce à la foi de ses artistes, à dépasser ces limites humaines. Toutes les parures dont se revêt la cathédrale, qu’elles soient de pierre, de verre, d’or ou de bois, ont un lien avec la transcendance, celui de la beauté de ce qui dépasse l’homme et pourtant le constitue de la manière la plus intime. L’amour, dans un don absolu, a fait naître la beauté pour la magnifier et c’est cette intelligence de ce qui grandit toute œuvre qui a littéralement inspiré tous ces trésors habillant l’Eglise de pierre et l’Eglise humaine. Les pages qui constituent cette deuxième partie pourraient faire partie d’un musée si elles n’étaient le reflet d’une réalité bien vivante qui se renouvelle chaque jour, lorsque nos pas nous guident vers une cathédrale. Bien entendu, la cathédrale est vivante (troisième partie) notamment lors de ses instants les plus forts, ceux de ses célébrations liturgiques. Toutes les pages d’une année peuvent se vivre dans une cathédrale, à l’ombre des fêtes des saints et des martyrs, des grandes fêtes liturgiques (Avent, Noël, Pâques) et des grands moments de la vie de chacun, baptême, mariage, obsèques. La cathédrale n’est pas un musée, elle est au cœur de la cité avec laquelle elle a su toujours entretenir des liens privilégiés. Ces liens ont été tissés par des hommes qui ont marqué sa vie, notamment les évêques de la cathédrale qui ont su et savent encore – ce livre en témoigne - la préserver même pendant ses heures les plus sombres tel Mgr Ruch qui pendant la Seconde Guerre mondiale refusera de livrer son trésor aux nazis menaçants. Pour Monseigneur Doré, la cathédrale de Strasbourg est avant tout une présence incontournable de la ville qui attire puissamment le touriste tout aussi bien que le croyant. Elle est ainsi un lieu de convergence où le rassemblement est rendu possible avec toutes ses diversités. Pour ces seules et importantes raisons, il importe à l’homme du XXI° siècle de mieux connaître un lieu aussi symbolique…

Philippe-Emmanuel Krautter

www.nueebleue.com

 

En chemin vers Pâques...

La croix, chemin de Révélation Frère David Père-Abbé d'En Calcat, Artège, 2011.
Chemin de Croix texte de Sylvie Germain, Bayard, 2011



Voici deux chemins de croix parus l'année dernière et qui, en cette période de carême, devraient retenir l’attention de nombreux lecteurs sur leur chemin vers Pâques, à la veille de la Semaine sainte. Le premier est l’œuvre de Sylvie Germain (Bayard) dans une belle présentation format à l’italienne avec de très belles photographies de Tadeusz Kluba. L’auteur a publié de nombreux livres et a reçu le prix Femina en 1989. L’écriture de Sylvie Germain est sans concession dans cette version très contemporaine d’un des sommets du temps liturgique de l’année chrétienne. L’analyse perce aussi surement que les clous sur le bois de la croix : « Mais si le don est rejeté, le chant moqué, l’amour refusé, ils refluent vers leur dispensateur avec brutalité, ils s’indurent et s’alourdissent – de larmes et de douleur. Ils se font croix et déchirement dans l’âme du donateur. »
Les évènements tragiques de la Via Dolorosa s’égrènent telles les perles d’un chapelet et les mots de Sylvie Germain entourent le destin de Celui qui a tout donné à ceux qui ne pouvaient rien recevoir. La douzième station est particulièrement émouvante avec des évocations d’une grande sensibilité : « Mourir est une immense tâche où le temps à la fois se dilate et s’aiguise, où la solitude s’intensifie jusqu’à l’extinction de soi. »
Mais avec ses mots d’une force redoutable, l’auteur souligne l’étape inéluctable de la mort prélude à la Vie du Christ, éternel printemps jusqu’à la fin des temps…

Parole et Prière « Mon Carême » 2012.

 

 

Monseigneur Patrick Chauvet, vicaire général du diocèse de Paris rappelle dans sa préface à ce nouveau hors série de Parole et Prière que le Carême est un aventure intérieure qui doit conduire tout croyant dans la contemplation d'une nouvelle vie, celle du Christ. Pour se faire aider dans cette voie spirituelle, « Mon Carême » est conçu comme un guide quotidien pendant ces quarante jours où la parole de Dieu, le témoignage des saints et de nombreuses prières vont rythmer le quotidien du croyant durant cette période essentielle de l’année. Pour chaque jour, une méditation est également proposée, ainsi que la réponse à une question thématique. Ce guide décidément très riche se termine par un dossier complet pour se préparer au sacrement de réconciliation.

 

 
Parole et Prière « Mon Carême » 2012 ARTEGE Editions

 

Béatification

Jean-Paul II

 

 

De nombreuses parutions et hommages ont précédé la béatification du pape Jean-Paul II. Parmi tous ces témoignages, soulignons la parution de la deuxième partie du très beau film de Giacomo Battiato avec Piotr Adamczyk « Karol, le combat d’un Pape » aux Editions Artège et La Procure ; film qui retrace le long pontificat de celui qui allait être non seulement une personnalité incontournable du monde chrétien, mais également un acteur de la vie internationale de son époque.

 

 

 

Deux très beaux albums photographiques permettent également de retracer en images la vie de Karol Wojtyla : « Bienheureux Jean-Paul II, en marche vers la sainteté » paru aux Editions Bayard, et « 100 photos, Jean-Paul II pour comprendre » de Bernard Lecomte paru chez « L’Editeur ».

 

 

Le cardinal Angelo Comastri signe un très intéressant portrait de Jean-Paul II qu’il a bien connu étant lui-même prédicateur au Vatican : « Jean-Paul II, au cœur du monde » (Editions Médiaspaul), ouvrage également paru en Italie sous le titre « Nel cuore del mondo » aux mêmes éditions Médiaspaul.
 

 

Un petit recueil de textes de Jean-Paul II en format poche permettra aussi de mieux connaître la pensée de celui qui fut le plus médiatisé des papes, mais dont les écrits restent encore trop méconnus (François Dussaubat « Jean-Paul II » Editions Artège). « Jean-Paul II, Totus tuus » de la Sœur Marie-Bénédicte paru aux Editions Le Livre Ouvert constitue un très beau témoignage sur l’homme et sur le prêtre à partir des moments clés de sa vie. Francis Barbey, prêtre du diocèse de San Pedro en Côte d’Ivoire, a fait paraître quant à lui un livre au thème porteur : « Jean-Paul II et la communication » (Editions Publibook) livre dans lequel il analyse la communication sociale souhaitée par le souverain pontife et son recours aux médias.

 


Wanda Poltawska signe « Journal d’une amitié » aux Editions Médiaspaul, un témoignage touchant et exceptionnel de celle qui fut l’amie de Karol Wojtyla pendant 55 ans, et ce, jusqu’au dernier soupir du pape polonais. Véritable journal tenu au jour le jour, nous voyons ainsi revivre la force et la grandeur de Jean-Paul II dans les grands moments de la souffrance et de la maladie, mais aussi dans la richesse de ce quotidien qu’il ne négligeait jamais.

Pour les lecteurs lisant l'italien, une biographie incontournable de Andrea Riccardi "Giovanni Paolo II la biografia" qui retrace le parcours de celui qui a eu la lourde tache d'introduire l'Eglise dans le nouveau millénaire. Ce guide influencé par les terribles expériences de la guerre contre le nazisme et la résistance au régime communiste a su développer dans ce contexte douloureux un message d'espoir dans tous les actes de son magistère. Andrea Riccardi retrace avec intelligence ce parcours hors du commun dans une biographie plus que complète (562 pages denses) et qui fera date.

 

 
 
   

 

DOSSIERS SPIRITUALITES

 

Chapelets et Rosaires : la dévotion mariale.

Le mois de mai est traditionnellement consacré à la Vierge Marie comme le rappelait encore récemment le pape Benoît XVI lors d’un Regina Coeli. Le rosaire est la prière par excellence dédiée à Marie, une prière pratiquée à l’aide d’un chapelet, cet objet de dévotion bien connu jusqu’au siècle dernier et un peu délaissé depuis quelques décennies. Son origine remonte au moins au Moyen-Âge, saint Bernard y faisant déjà référence. C’était pour les moines qui ne savaient pas lire les Psaumes le moyen de réciter ainsi des prières par cœur. Elargi par la suite à la sphère privée, le chapelet entra dans le cadre familial et était habituellement offert lors des communions et autres grands évènements de la vie du croyant. Ce collier est constitué de perles de toutes natures (pierres semi-précieuses, nacre, corail, perles, bois, ivoire, émaux…) enfilées par dizaines et séparées par une perle unique.
Le mot chapelet désigne par étymologie un petit chapeau, souvent composé de fleurs, qui était donné à porter aux jeunes mariées. Des couronnes de roses dont on ornait les représentations de Marie a progressivement dérivé le chapelet, l’objet tel que l’on connaît encore de nos jours.
Le chapelet catholique est composé de cinq dizaines de grains et le rosaire quant à lui est fait de quinze dizaines de grains. Le mot chapelet et rosaire renvoie non seulement à l’objet, mais également à la prière spécifique qui est pratiquée sur ces objets de dévotion.

Le pape Jean-Paul II a particulièrement contribué à redonner son sens à une prière qui marquait tout l’amour qu’il portait à Marie depuis sa plus tendre enfance. Sa devise pontificale, Totus Tuus (tout à toi) s’adressait à celle qu’il priait tous les jours de sa vie, même dans les moments les plus surchargés de son ministère et ce jusqu’à sa dernière heure. Jean Paul II a même consacré une Lettre apostolique spécifique au rosaire : Rosarium Virginis Mariae. Ce texte particulièrement complet sur cette dévotion mariale relègue à un passé plus éloigné les a priori que nombre de croyants pouvaient avoir sur une prière jugée comme trop répétitive et qui était souvent rangée sous le vocable de prières des humbles (en raison de ses origines historiques) car moins intellectuelle. La répétition du « Je vous salue Marie » encourage bien au contraire à une certaine contemplation propice à la prière, à l’image d’un grand nombre de religions depuis la plus haute antiquité jusqu’à nos jours qui pratiquèrent ces phrases et mots répétitifs.

« Le Chapelet est la chaîne d'amour qui nous lie à Jésus par Marie.
Réciter le chapelet signifie se mettre à l'école de Marie et apprendre d'Elle, mère et disciple du Christ, comment vivre en profondeur et pleinement les exigences de la foi chrétienne. »
(Jean-Paul II le 2 octobre 1963).

Depuis plus de 150 ans, Béraudy & Vaure et Le Chapelet d'Ambert appartenant au groupe Martineau sont également une adresse incontournable pour des chapelets de qualité. Installés à Ambert dans le Puy de Dôme, les ateliers sont à la recherche des plus beaux matériaux pour la fabrication des chapelets. Le choix des bois (buis, olivier, chêne, charme…) pour les perles ou pour les croix, le montage fait main par l’artisan ainsi que toutes les autres étapes de fabrication font l’objet d’un soin méticuleux.

On retiendra parmi les nombreux modèles disponibles un superbe chapelet en perles d’ambre et dont le cœur et la croix sont en argent 925/1000 (Ref: 04HGPAMB-LC001-LC002-221).

  


Pour les amoureux de la pure nacre blanche, deux modèles à découvrir : l’un en version perles nacrées séparées par une perle en cristal (Ref : 04HV4831-LC006-LC002-04) ; l’autre en couleur argent et dont le cœur et la croix sont en couleur saphir (Ref : 04HV4831-LC006-LC002-79)

 

 

 

Pour les amateurs de bois, le chapelet argenté en perles d’olivier (Ref : 04HO4878EM-LC006-LC003-87) et le chapelet doré en perles de buis olive (Ref : 04HB5976EM-LC006-LC002-06).

 

 


Pour finir, le bel éclat du chapelet Argent 925/1000 en perles Swarovski (Ref : 04HG7931-08385-05070-82) terminé par une petite croix en crystal du plus bel effet !

 

 

 

 

 

 

 

En vente directement sur le site du groupe Martineau

 www.groupe-martineau.fr/chapelets 

Pour prier le chapelet :

L’atelier des Tailleurs d’Images propose depuis près de 60 ans des articles religieux élaborés et créés en France dans le cadre d’une entreprise familiale. C’est en effet l’artiste Pierre Piéchaud qui fonda cette entreprise qui, parallèlement aux objets de dévotion, développa également ses activités aux bijoux médiévaux, bagues à fleurs de lys…
Faits de pierres naturelles, les chapelets de L’atelier des Tailleurs d’Images sont le fruit d’un véritable savoir-faire.

    

Le chapelet plaqué or en sodalite (un minéral tenant son nom du sodium qu’elle contient) est un très bel objet d’un bleu profond et orné d’une croix plaquée or sobre et discrète. (Ref : CH15-0240PO)



Avec une esthétique des plus réussies, le chapelet en malachite et argent (Ref : NAC12-50) est présenté avec sa très belle croix en émail véritable cuit à 900° et décorée d’une fleur de lys.


En vente directement sur le site de la société

 www.tailleurs-images.com 

 

 

QU’EST-CE QUE LA LITURGIE DES HEURES ?

Notre revue tient à remercier tout spécialement Soeur Odette Sarda d'avoir accepté de rédiger cet article à l'attention de nos lecteurs.

Généralement, les chrétiens connaissent bien la messe mais la liturgie des heures, pourtant destinée à tous les baptisés, est moins pratiquée par eux (cf. Constitution sur la Sainte Liturgie, chapitre IV). La Liturgie des heures est la prière officielle de l’Eglise. Quant aux livres, elle se présente sous deux formes, soit Prière du Temps présent (en un volume), soit Liturgie des Heures (en quatre volumes). Prière du Temps présent a le même contenu que la Liturgie des heures sauf les lectures bibliques et patristiques de l’Office des lectures.
Dans l’Eglise, la prière s’exprime de diverses manières : le chrétien peut faire oraison et y progresser vers le silence profond ; il peut nourrir son recueillement par la répétition incessante de brèves formules (cf. la prière de Jésus) ; il peut pratiquer la lectio divina et s’y imprégner de la Parole de Dieu ; il peut aussi partager l’Evangile avec d’autres ou pratiquer les dévotions dites « populaires ».

1. La Liturgie des heures est une prière de louange et d’action de grâce

La Liturgie des heures est une forme de la prière à un titre tout à fait particulier et important : elle est reconnue comme le moment privilégié où le croyant reçoit dans l’Eglise le don de s’entretenir avec Celui qui l’a créé et sauvé. Elle comprend tous les actes par lesquels Dieu notre Père nous conforme à son Fils et nous habilite à la « louange de sa gloire », selon la belle et forte expression de saint Paul. L’Eglise y vit un moment important de son existence : la rencontre de Dieu et de son peuple pour la célébration de l’Alliance. Cela s’exprime particulièrement dans les psaumes qui sont une grande partie de la célébration des heures.
Temps présent, heures, désignent bien ce qui spécifie cette prière liturgique. L’Eucharistie et les autres sacrements transmettent la vie de Dieu sous des signes visibles, la Liturgie des heures est une Liturgie de la Parole déployée tout au long de la journée (et de la nuit), de la semaine, et de l’année pour les sanctifier dans la louange, l’adoration, l’action de grâce et l’intercession.


2. La Liturgie des heures est une prière communautaire dans le Christ

Nous pouvons évidemment, seuls, rendre grâce à Dieu sous différentes formes. Mais le devoir de la louange ne s’impose pas seulement aux individus : il s’impose à l’Eglise comme telle, et normalement il s’exprime dans la parole et le chant, et donc à des groupes. C’est bien le propre de la liturgie. L’étymologie de ce mot évoque une œuvre populaire, une action sacrée accomplie par le peuple (laos) de Dieu. Il n’y a liturgie que lorsque la communauté agit en tant qu’Eglise, et cela parce que l’Eglise elle-même le reconnaît, sous la motion du Saint-Esprit, qui est son âme et sa conscience : tel est le cas de la liturgie des heures comme de la messe. Et lorsque l’Eglise célèbre la liturgie, le Christ y est réellement présent (cf. Mt 18, 20).

3. La Liturgie des heures s’inscrit dans l’histoire du Salut

Quand l’Eglise, et le Christ présent en elle, célèbre la Liturgie des heures, nous ne nous contentons pas d’entretenir un souvenir et de célébrer jour après jour le même mystère, de redire la même prière. Par cette célébration qui se fonde et s’enracine pourtant dans un mémorial, l’Eglise vit, progresse, invente, prend conscience de sa situation présente et s’avance vers son avenir. Elle a ainsi une dimension universelle dans le temps et dans l’espace.

4. La Liturgie des heures donne un avant-goût du ciel

La Liturgie des heures nous fait louer Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit en union avec le ciel. Toutes celles et ceux qui célèbrent la Liturgie des heures, qu’ils soient moines, ministres ordonnés ou laïcs, ne se contentent pas d’accomplir un exercice de prière qui sanctifie leur vie terrestre et où ils trouveraient force et consolation : ils anticipent la vie du ciel et en savourent déjà un avant-goût. (Constitution sur la Liturgie, n. 83)
5. La Liturgie des heures est une école de prière
Dire que la liturgie des heures est la prière officielle pourrait faire croire à certains qu’elle est impersonnelle, ritualiste et dépourvue de sentiments. Il n’en est rien ! Il est vrai qu’elle est structurée et qu’elle existe avant de devenir la prière de chaque personne. Nous la recevons d’une Eglise de baptisés qui nous ont précédés : c’est en cela qu’elle est une école de prière. Elle est un trésor incomparable pour toutes celles et ceux qui la pratiquent et un modèle extraordinaire pour la prière privée. Elle nous forme comme à notre insu. Plus on la célèbre avec une communauté ou une autre plus on éprouve la joie profonde de faire partie de ce peuple de croyants qui loue son Seigneur.

 

Pour en savoir plus :

www.liturgiecatholique.fr

 

pour la Revue Lexnews,
Sœur Odette SARDA
Dominicaine
Conférence des Evêques de France
Faculté de Théologie – Institut Catholique de Paris

© Soeur Odette Sarda - Revue Lexnews

 

Vous souhaitez approfondir la Liturgie des Heures ?

 

Allez plus loin dans LA PRIÈRE DES HEURES avec un stage d'initiation et d'approfondissement dans le cadre de l'ABBAYE NOTRE DAME DES NEIGES en ARDÈCHE du du Vendredi 27 août 2010 à 17 h au Mercredi 1er septembre 2010 à 14 h avec les moines de l’Abbaye et la collaboration du Service National de Pastorale Liturgique et Sacramentelle - Une formation est également organisée à La Pierre Qui Vire, début juillet 2010.

pour plus de renseignements : odette.sarda@cef.fr

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Comment prier l’Office divin ou Liturgie des heures ?

La Liturgie des heures en 4 volumes a été réalisée par l’A.E.L.F.
(Coéd. Cerf-Desclée-DDB-Mame 1996-1998)
- tome I : Avent-Noël-Temps Ord 1 à 9 (6 août 1980), 1799 p.
- tome II : Carême-Temps pascal (24 décembre 1979), 1718 p.
- tome III : Temps Ord 7 à 21 (25 avril 1980), 1620 p.
- tome IV : Temps Ord 22 à 34 (1erjuin 1980), 1492 p.

Cette réalisation importante de quatre volumes de plus de 6000 mille pages est incontournable pour tous ceux et celles qui veulent faire au quotidien cette prière. La longue présentation générale dans le premier volume (Avent-Noël-Temps Ord 1 à 9) fournira une aide précieuse aux lecteurs sur l’origine, les caractéristiques et l’importance de cette liturgie remise en avant par le Concile Vatican II. Chaque volume comprend les lectures bibliques et patristiques, l’Ordinaire, les temps spécifiques aux grandes fêtes de l’année, le choix des hymnes, les fêtes des saints, les propres nationaux, ainsi que les références des lectures bibliques. Cette édition exclusivement en français, très répandue, est celle retenue par de nombreux religieux.
(La version en un seul volume Prière du Temps Présent offre l’avantage de sa légèreté et d’un coût moindre, mais elle n’inclut pas les lectures bibliques).
 

Breviarium Romanum Editions Nova & Vetera e.K., Bonn, 2 vol.

Cette édition est exclusivement rédigée en latin et selon le rite romain de la Liturgie des heures. C’est la première fois depuis 1962 qu’une telle entreprise a été réalisée selon les exigences romaines (les deux volumes suivent les rubriques énoncées dans le Motu Proprio 'Rubricarum Instructum' du Bienheureux Pape Jean XXIII paru le 25 juillet 1960 et ont reçu l’imprimatur de Rome). Tradition latine et héritage des premiers imprimeurs de bréviaires ont nourri la réalisation de cette entreprise d’importance dont la qualité extérieure reflète les critères d’exigence retenus. La répartition des différentes parties du bréviaire a été conçue afin de faciliter leur consultation par le lecteur. Le respect des rubriques édictées par Jean XXIII, ainsi que la répartition classique en deux colonnes et une numérotation continue des pages contribuent également à la clarté du bréviaire. L’ensemble de l’Office tient en deux volumes et une partie des textes du Temporal a été introduite dans le Psautier (invitatoires, hymnes et antiennes). Ce choix offre le grand avantage de diminuer le nombre de pages du Temporal et permet ainsi une consultation de deux volumes de taille raisonnable.
Une mention spéciale doit être également attribuée au soin apporté au choix de la police ainsi qu’à la mise en page du texte. Perpétuant l’ancienne tradition de l’imprimerie de qualité, le Breviarium Romanum des Éditions Nova & Vetera bénéficie d’un soin rarement réalisé de nos jours en composant tout spécialement les signes nécessaires au texte du bréviaire et absents des polices modernes. Ce souci de la typographie contribue à une lisibilité remarquable du texte grâce à des marges confortables et une mise en page réfléchie pour le confort optimal de la lecture.
Cette édition se permet même le luxe de renouer avec une vieille pratique des bréviaires anciens en intégrant trente-trois illustrations et quelques vignettes au fil des pages. Il s’agit de vieilles gravures du XIX° siècle.
Ce bréviaire n’a pas non plus négligé la présence d’un appendice et d’un index facilitant la recherche.
Un papier bible d’une finesse incroyable (28 g/m² au lieu des 80 g/m² d’une feuille ordinaire) de couleur sépia donne tout son sens à l’expression de papier bible. Cette finesse de la feuille autorise l’impression de deux volumes peu épais puisque le plus fort est de 32 mm. Un très beau cuir noir de vache protège les deux volumes avec une dimension très raisonnable de 11.8 x 18 cm. Le dos est orné de cinq faux nerfs et d’un titre doré. Les coins arrondis, la tranche dorée et la présence de six signets (chose rare de nos jours où très souvent un maximum de trois signets est réalisé) complètent cette édition luxueuse.
Le Breviarium Romanum des Éditions Nova & Vetera est ainsi remarquable non seulement par la qualité apportée à l’élaboration d’un texte conforme aux exigences du rite romain, mais aussi par l’excellence du soin apporté à sa réalisation.

Les livres peuvent être directement commandés auprès des Éditions : www.breviariumromanum.com 


Les Heures Grégoriennes réalisées par La Communauté Saint Martin offrent pour la première fois en trois volumes un bréviaire latin-français couvrant toute l’année (sauf l’office des lectures). Le grand intérêt de cette édition réside dans la possibilité de suivre la prière dans la langue universelle de l’Église tout en s’aidant d’une traduction en français en cas de difficulté. On sait que tout récemment Benoît XVI a émis le souhait que le latin soit de nouveau au cœur de la formation des jeunes séminaristes, son usage ayant tendance à disparaître depuis quelques décennies. L’autre intérêt de cette très belle édition est d’introduire le fidèle à la liturgie grégorienne, la Communauté Saint Martin contribuant ainsi à cette préservation du trésor du chant grégorien. Il est désormais possible d’avoir accès à ce trésor musical comme le souligne Jean-Marie Le Gall, Modérateur général de la Communauté. Cette édition est le fruit d’une riche collaboration entre l’abbaye de Solesmes dont l’Atelier de paléographie musicale a préparé le matériel musical pour la Liturgia Horarum et l’abbaye Saint-Joseph de Clairval pour la composition de l’édition. Ces trois volumes comprennent ainsi l’ensemble des partitions des antiennes, hymnes et répons. Le travail d’édition est soigné avec une reliure solide et prête à résister aux longues heures de prière ; la typographie et le papier retenus traduisent également ce souci digne de l’époque ancienne où les abbayes réalisaient les plus beaux bréviaires pour la chrétienté !

Communauté Saint Martin
les Heures Grégoriennes
BP 34
F - 41120 Candé sur Beuvron  www.communautesaintmartin.org

 

ACTUALITES DU LIVRE, DVD...

Le Figaro Hors-série « Jean-Paul II Karol le Bienheureux »

La béatification qui aura lieu le 1er mai place Saint-Pierre de Rome va non seulement être un évènement mondial pour les nombreux catholiques qui ont connu le précédent pape, mais également un évènement historique dépassant le cadre de la foi tant ce pape a su œuvrer pour la défense des droits de l’homme et la libéralisation de nombreux régimes autocratiques. Pour mieux saisir cette figure riche, le Figaro a réalisé un numéro hors série particulièrement complet qui dresse en un peu plus d’une centaine de pages un portrait fidèle et diversifié de celui que l’on surnomma « l’athlète de Dieu » durant un ministère qui fut l’un des plus longs de l’histoire de l’Eglise.
Il est impossible de bien saisir la personnalité de Jean-Paul II sans l’inscrire dans son siècle tant ce fervent mystique a été un homme de son temps, se tenant tous les jours informé de l’actualité internationale bien avant d’être désigné comme successeur de Pierre.
Il a vécu l’occupation nazie en Pologne, les dures années du communisme prêchant l’athéisme dans l’ensemble de son empire, il a très largement contribué également à la chute de ce régime comme en témoigne Gorbatchev lui-même. Un pape politique Jean-Paul II ? Assurément non, car la foi prime le pouvoir temporel chez ce pape convaincu que l’évangélisation ne saurait s’abstraire des choses de ce monde. Dans ce riche tableau, Jean-Paul II peut également paraître intransigeant, voire même fermé à tout dialogue en témoignent ses positions très tranchées à l’égard du droit à la vie et son refus catégorique de toute contraception et de toute atteinte à la vie, mais également son opposition radicale à la théologie de la libération qu’il combattra sans aucune concession.
Etait ce le prix du scandale de la vérité ? L’Histoire répondra à cette question. Toujours est-il que Jean-Paul II jouit encore d’une haute estime chez les catholiques, les foules qui se presseront nombreuses le dimanche 1er seront là pour en témoigner !
 

A l’heure de la prochaine béatification du pape Jean-Paul II, les éditions San Paolo Multimedia ont édité un très bel hommage au pape polonais sous la forme d’un DVD intitulé « Santo Subito ! ». En effet, lors des funérailles du pape, de nombreuses pancartes dans la foule avaient été brandies affichant ce message : Saint immédiatement !
Leur souhait n’aura pas été immédiatement réalisé, mais entendu tout de même par le successeur au siège de Pierre puisque Benoît XVI aura autorisé une entorse au délais normalement requis pour entamer le procès en béatification.
C’est donc avant l’heure une belle réalisation élaborée par Giulio Neroni et Vincent Messina servie par une musique originale et entraînante de Simon Boswell qui a d’ailleurs signé également la musique du dernier CD Alma Mater consacré à Benoît XVI.
Sous forme de dix chapitres, ce spectacle visuel a très largement recours à de nombreux discours et paroles prononcées par Jean-Paul II tout au long de son pontificat. Les images d’archives alternent avec des effets visuels mettant en valeur la force des paroles prononcées. Cette réalisation dont le rythme est enlevé sous forme de clips correspond bien à l’esprit de joie et de ferveur du précédent pontificat qui n’hésitait pas à introduire dans de nombreuses manifestations publiques des musiques modernes dont les échos pouvaient séduire les jeunes venus y assister. Une production qui devrait plaire à un très large public à l’occasion des prochaines fêtes de la béatification de Jean-Paul qui auront le lieu le 1er mai prochain !


CONTENU PRINCIPAL
1. CANONISEZ-LE TOUT DE SUITE!
2. MONT SINAÏ
3. CHRIST SAUVEUR!
4. DIEU, NOTRE PÈRE
5. ESPRIT D’AMOUR ET DE PAIX
6. DIEU DE MISÉRICORDE
7. DIEU EST AMOUR
8. JE SUIS TOUT À TOI
9. MONT DES BÉATITUDES
10. VOUS ME SEREZ TÉMOINS!
Zone: NTSC 0 (multizone)
Audio: 2.0 Dolby Stereo & 5.1 Dolby Digital Surround
Production: Multimedia San Paolo
Theological project and supervison: Giulio Neroni
Screenplay and Direction: Mimmo Verduci
Original Music: Simon Boswell
Music Production: Vincent Messina
Slovak Radio Symphony Orchestra, Bratislava conducted by Terry Davies
‘The Schola’ Boys Choir, London Oratory School conducted by Lee Ward
Executive Production: Vincent Messina


www.santosubitoonline.com/fr 

« Au jour le jour avec Jean-Paul II » textes réunis par Aldino Cazaggo, Editions Parole et Silence, 2010.

Tout à chacun a à l’esprit le fameux appel lancé à l’humanité tout entière lors du début du pontificat de Karol Wojtyla qui allait ainsi devenir le pape Jean-Paul II : « N’ayez pas peur ! Ouvrez, ouvrez toutes grandes les portes au Christ ! ». Cette invitation était celle d’un homme nourri et élevé par la prière, celle de tous les jours et de tous les instants, jusqu’au moment ultime où il quitta cette terre. C’est ainsi à une invitation au recueillement dans l’esprit de celui du pape polonais que nous proposent les éditions Parole et Silence en publiant cette sélection des textes les plus forts de Jean-Paul II destinée à accompagner chacun des 365 jours de l’année. Aldino Cazaggo a en effet rassemblé les thèmes de prédilection du pape écrivain, poète et philosophe dans cette anthologie : le mystère trinitaire, le mystère du Verbe incarné, les thèmes de l’Église, la figure si importante de Marie, la place de l’art, de la famille et bien d’autres thèmes chers au pape Jean-Paul II.
Les extraits des textes sont suffisamment longs pour être porteurs de réflexions avec des références complètes pour en retrouver l’intégralité dans les sources citées. La journée du 1er janvier débute par une invitation à prendre en considération les conséquences terribles pour l’humanité des guerres qui appellent d’autres guerres : « avec la guerre, c’est l’humanité qui perd. » (Le texte cité intervient après le conflit bosniaque), alors que la dernière page du recueil réservée au dernier jour de l’année invite à l’élan missionnaire. Ces deux bornes symbolisent à merveille l’action d’un pape qui a œuvré toute sa vie à la prévention des conflits humains en en soulignant les dangers non seulement pour les protagonistes, mais également pour l’humanité tout entière. Pour mener à bien cette invitation à la paix, Jean-Paul II a su prendre son bâton de pèlerin et arpenter toutes les contrées du monde dans un élan missionnaire planétaire jamais réalisé avant lui.

 

“Benedetto XVI. Urbi et orbi, con il Papa a Roma e per le vie del mondo » A cura di Georg Gänswein, Libreria Editrice Vaticana, 2010. (en italien)
“Benedikt XVI. Urbi et Orbi, mit dem Papst unterwegs in Rom und der Welt” Herausgegeben von Georg Gänswein, Herder, 2010. (en allemand)


Publié à l’occasion du Jubilé pour les 5 ans du magistère du pape Benoit XVI, cet album illustré de nombreuses photos est un témoignage de l’activité du Saint-Père depuis son élection en 2005. Celui que l’on présentait comme un intellectuel plus effacé que son actif prédécesseur, véritable pape globe-trotter, a cependant fait la preuve qu’il pouvait mobiliser la chrétienté avec un autre style. Les kilomètres sont certes moins nombreux, mais les directions choisies sont symboliques et, grâce à des discours et des messages rédigés avec soin par le pape théologien, les paroles fortes et exigeantes portent loin, les polémiques et raccourcis médiatiques qui en découlent en étant la preuve. Le combat inlassable contre le relativisme et pour la vérité est au cœur de l’action de Benoît XVI. Josef Ratzinger a vécu les affres du régime nazi et il connaît les conséquences des valeurs remises en question au profit du culte de la personne, des idéologies et pire, du nihilisme. C’est ainsi dans un esprit d’espérance, de foi et d’amour dans l’humanité que ces cinq premières années ont permis à Benoît XVI de déployer une action en profondeur, y compris à l’attention des jeunes pour lesquels il adresse régulièrement un message exigeant et en même temps plein d’espoir, les derniers voyages de Malte et du Portugal en étant la preuve. Nous parcourons ainsi les grands voyages du pape depuis 2005 avec le premier, à Cologne la même année, puis toute une série de directions à l’intérieur ou proche de l’Europe (Pologne, Valence, Bavière, Turquie…). Il faudra attendre 2007 pour que Benoît XVI franchisse l’Atlantique et se rende au Brésil, une région qu’il connaissait bien en tant que cardinal et qu’il qualifie de « continent de l’espoir » en raison de sa forte concentration catholique. L’année suivante, 2008, sera l’année des États-Unis, voyage particulièrement important en raison du fort développement du pentecôtisme et voyage au cours duquel le pape a su toucher le cœur de New York avec son recueillement sur le site Ground Zero des tours effondrées par l’attentat du 11 septembre. Sydney, la même année, fut la preuve que Benoît XVI pouvait parler et toucher le cœur des 220.000 jeunes présents lors de ces JMJ. 2008. Une année décidément riche de voyages verra le pape rencontrer la fille aînée de l’Eglise avec son voyage en France. Le fameux discours tenu au Collège des Bernardins séduira le monde intellectuel français initialement réservé à l’égard d’un pape suspecté d’être trop conservateur. L’année suivante s’accélère encore avec deux grands voyages essentiels : le continent africain (Cameroun – Angola) avec un pape qui reçut un accueil triomphal sur des terres où l’Islam est très présent et le pèlerinage en Terre sainte avec des moments forts dans un contexte plus que délicat entre Israël et les revendications palestiniennes.
Illustré par de nombreuses photos souvent inédites, cet album préfacé par le secrétaire de Benoît XVI, Mgr Georg Gänswein, est le témoignage de l’intense activité du Saint-Père. Georg Gänswein n’hésite pas en effet à relever que le pape n’est pas un homme du consensus, mais qu’il est au contraire persuadé que le message de la foi doit primer même si son contenu est souvent jugé trop exigeant. Urbi et orbi, au monde et à la ville, est un parfait résumé de l’action du pape Benoît XVI depuis cette fameuse journée du 19 avril 2005, où le théologien, homme de dossiers et d’études, a élargi son action à l’humanité tout entière !

pour acheter ce livre dans la version italienne :

www.paxbook.com

pour acheter ce livre dans la version allemande : www.herder.de 

François Wernert : Le Dimanche en déroute, les pratiques dominicales dans le catholicisme français au début du 3e millénaire. Préface de Mgr Albert Rouet, évêque de Poitiers, Médiaspaul 2010.

L’auteur part d’un constat que tout le monde peut faire : la forte diminution de la pratique de la messe dominicale en France. En 1952, 27% de la population française allait à la messe le dimanche, en 2006, on atteint le niveau de 4,5%. Le dimanche est désormais devenu le week-end et il est associé aux loisirs, à la liberté, aux rencontres. La diminution du nombre de prêtres a aussi conduit à une baisse du nombre de messes, en particulier dans le monde rural, qui rend pour beaucoup de gens la pratique plus difficile. Pourtant, l’Eucharistie dominicale est essentielle pour les chrétiens qui y célèbrent la résurrection du Christ. Pour réfléchir à cette situation, il faut tenir ensemble trois termes, dont aucun ne peut être sacrifié : Assemblée – Eucharistie – Dimanche. Cette trilogie a fait l’objet de plusieurs démarches de réflexion dans des diocèses de France ces dernières années.
François Wernert, prêtre et professeur de théologie à l’Université de Strasbourg, initie dans ce livre une démarche de théologie pratique très structurée et pertinente. Il procède en cinq étapes. Il part de la pratique qu’il analyse en rendant compte de quatre enquêtes récentes, tant qualitatives que quantitatives. Ces enquêtes fournissent un paysage assez précis des propositions faites autour du dimanche, et d’une réelle fragilisation du tissu ecclésial, qui accompagne le regroupement des paroisses rurales. La deuxième étape est un repérage des textes magistériels récents de l’Eglise catholique sur le dimanche (le Concile Vatican II, les papes, le catéchisme de l’Eglise catholique, les évêques de France et leurs prises de position). Ces textes rappellent de diverse manière l’obligation de la pratique dominicale pour les catholiques, (rappels que l’auteur juge peu efficaces et même contre-productifs).
La troisième étape, « problématiser » est la plus courte (15 pages) : La problématique proposée est celle de l’évolution du rapport entre « eucharistie, assemblée et dimanche » et ce que cette évolution dévoile du rapport entre théorie (doctrine maintenue) et pratique. Peut-on à partir de cette évolution proposer de nouveaux paradigmes pour la vie des communautés chrétiennes ? La quatrième étape, « corréler », la plus longue (plus de 160 pages), tente d’éclairer la problématique le plus finement possible à partir d’approches variées, venant de l’intérieur autant que de l’extérieur du catholicisme (théologie, réflexions de pasteurs, apport des pères de l’Eglise, sociologie et histoire) : « Il s’agit de mettre en relation dynamique et critique réciproque les données de l’analyse interprétée et contextualisée avec le contenu de la Révélation » (p.227)
Enfin, la dernière partie, « préconiser », fait un certain nombre de propositions pour aider l’Eglise à retrouver une attitude plus dynamique sur le dimanche. L’auteur ose lancer quelques pistes nouvelles, par exemple sur les écoles du dimanche et sur la nécessaire proximité de la vie ecclésiale, ce qui pose problème surtout dans le monde rural. L’ensemble de l’ouvrage semble d’ailleurs plus partir des réalités rurales qu’urbaines, et c’est sans doute le reproche principal qu’on peut lui adresser, alors qu’aujourd’hui la majorité des français vivent en ville. La question de la proximité ne s’y pose pas, bien sûr, de la même manière. Mais l’ensemble de la démarche, bien structurée, est très éclairante pour qui s’intéresse à une démarche théologique en prise avec la réalité vécue par les chrétiens.

P. Dominique Barnérias.

Mgr Mieczyslaw Mokrzycki - Brygida Grysiak « Le mardi était son jour préféré, dans l’intimité de Jean-Paul II » Editions des Béatitudes, 2010.

Mieczyslaw Mokrzycki était surnommé Mieciu par le pape Jean Paul II dont il était le second secrétaire personnel de 1997 jusqu’à sa mort. Ce diminutif affectueux en dit long sur le climat qui entourait la « garde rapprochée » du Saint-Père ; en fait de garde, il s’agissait plutôt d’anges gardiens veillant au bon ordonnancement de la vie quotidienne de celui qui était à la tête de l’Eglise catholique universelle. Ce jeune prêtre polonais ordonné en 1987 sera le témoin direct des dernières années du pontificat particulièrement long de Karol Wojtyla. Il n’aura ainsi pas connu le pape marathonien, mais plutôt un pape conscient de ses limites physiques qui, avec l’âge et la maladie, allaient s’accroissant. Cependant, il fut le témoin d’une énergie toujours intacte et parfois même transcendée par les épreuves du temps et de la douleur. Les paroles ne sont pas reines dans ce quotidien du pape et son secrétaire est souvent dans l’expectative quant aux questions posées par la journaliste Brygida Grysiak car le pape dialoguait surtout avec Dieu et son emploi du temps surchargé jusqu’aux dernières heures ne lui laissait pas le temps de longs dialogues et autres confidences avec ses secrétaires particuliers. Mais, cette prière était tellement rayonnante que les réponses émanaient directement d’elle et « Mieciu » peut s’avancer sans se tromper sur nombres d’interrogations avancées quant aux huit dernières années de la vie du pape Jean-Paul II. Nulle flagornerie dans ce témoignage, le secrétaire chargé du quotidien du pape sait qu’il n’a pas besoin de cela et que la grande popularité de Jean-Paul II témoigne de la dimension d’un homme qui a donné toute sa vie à l’Eglise et à Marie dont la célèbre devise Totus Tuus (tout à toi) est le symbole évocateur…
Le pape n’en était pas moins un homme aimant la vie, les rires et les chants, ces fameux chants polonais qui résonnaient dans les appartements pontificaux au moment des grandes fêtes. Ces fêtes réunissaient toujours un petit groupe de fidèles liés par la même langue et le même amour de la patrie polonaise. Jean-Paul II aimait aussi les sucreries, les réclamait même d’un geste discret circulaire tracé avec le doigt sur la table, comme un enfant qui aurait peur de demander à voix haute. Ce caractère humain contraste avec l’intensité de l’homme de prière qui pouvait rester de longs moments dans la méditation sans qu’aucun bruit ni personne ne puissent le déranger. Ce bloc de prière était là et ses secrétaires ne pouvaient que préserver ces instants sacrés qui les nourrissaient tout autant par leur intensité que par leur véracité. Il n’y avait pas deux vies chez Jean-Paul II, une vie de prière et une vie quotidienne, mais bien une seule vie nourrie de prières pour affronter ou composer avec le quotidien. C’est en cela que le témoignage de Mieczyslaw Mokrzycki, maintenant archevêque de Lvov en Ukraine, est précieux, car, quelque soit les opinions portées sur le pape polonais, il est un témoignage d’un amour de la vie que rien ne sut atteindre, ni la maladie, ni la balle d’un tueur professionnel tirée à bout portant…

 

« Philosophie & Théologie dans la période antique tome 1 » sous la direction de Philippe Capelle-Dumont, volume dirigé par Jérôme Alexandre, Cerf Editions, 2009.
« Philosophie & Théologie au Moyen âge tome 2 » sous la direction de Philippe Capelle-Dumont, volume dirigé par Olivier Boulnois, Cerf Editions, 2009.


Il s’agit de la première anthologie associant les deux disciplines que sont la théologie et la philosophie pourtant étroitement dépendantes l’une de l’autre dans leur histoire. Les grands textes de l’histoire des idées sont organisés en quatre périodes distinctes : l’Antiquité, le Moyen-âge (les deux premiers volumes parus), puis la période moderne, et enfin la période contemporaine à paraître. Cette anthologie vise à explorer les liens nombreux tissés par les deux disciplines et dont émerge un nombre incroyable de problématiques pour le lecteur moderne. Par ce regard croisé, l’une comme l’autre peuvent retrouver leur intrication, et Philippe Capelle-Dumont relève d’ailleurs à ce sujet que la recherche philosophique séculière atteste d’un renouveau pour les idées théologiques. Il est donc grand temps de reléguer cette amnésie au rang de l’historiographie, et d’accorder une recherche approfondie aux relations entre les deux disciplines. Quel chemin a été parcouru avec l’invention de la philosophie par les Grecs et en même temps la réflexion sur le divin dont le mot theologias créé par Platon dans La République souligne l’importance ?
Ce premier volume part effectivement de Platon et couvre les grands noms que comptent l’Antiquité jusqu’à Jean Damascène au VIII° siècle, figure emblématique pour l’usage qu’il fit de l’héritage philosophique grec. A ceci viennent s’ajouter 29 notices qui offriront au lecteur une synthèse des idées de ces grands penseurs, ainsi qu’une sélection des textes les plus représentatifs de leur pensée.
La période médiévale objet du second volume débute par la transition byzantine du IX° siècle, suivie de la réception d’Aristote par la philosophie de l’Islam avant d’entamer les grandes périodes de la théologie médiévale. Comme le relevait Jacques Le Goff, lors de l’interview accordée à notre revue, il a existé un long Moyen-âge que le célèbre médiéviste n’hésite pas à étendre jusqu’au XVIII° siècle. Malgré l’uniformité trompeuse du vocable, il faut au XXI° siècle apprendre à distinguer les évolutions lexicales appartenant à la philosophia et à la theologia, ainsi qu’invitent à le faire les auteurs du présent volume. C’est tout l’objet de ce second tome que d’offrir ces nuances indispensables à une compréhension de ce Moyen-âge si prompt à tromper l’imprudent : la pensée juste héritée des Antiques rencontre la connaissance de Dieu, rencontre qui dépasse largement l’acte de synthèse, mais produit plutôt une nouvelle manière de penser le monde et la transcendance.

Le nouveau Théo, l’encyclopédie catholique pour tous MAME Editions, 2009.

Il n’existe pas à ce jour d’équivalent à Théo. Cette vaste entreprise réalisée sous la direction de Michel Dubost et Stanislas Lalanne, tous deux évêques bien connus du monde catholique, impressionne non seulement par son ampleur ( 1500 pages qui ont exigé 5 ans de travail avec un manuscrit de 6 kg !) mais surtout par la qualité et la clarté du plan retenu afin de présenter cette masse d’information. Cette culture chrétienne qui est mise sur papier de manière encyclopédique est non seulement validée par des auteurs et spécialistes de référence dans leur domaine, mais a également donné lieu à un travail éditorial exceptionnel qui a rendu cette richesse exploitable grâce à un plan pédagogique à partir duquel toutes ces informations ont été organisées.
Théo est tout d’abord un lieu de connaissances particulièrement accessible sur des données souvent disséminées dans plusieurs ouvrages différents, très peu ou trop développées selon les cas. Une première partie s’attache à rappeler aux fondamentaux : quels sont les témoins historiques de la foi (1021 biographies de saints de tous les pays et toutes les époques). La deuxième partie de Théo relate l’histoire de l’Ancien comme du Nouveau Testament. 251 entrées de cette encyclopédie vont ainsi encourager et faciliter l’abord de ces textes souvent ardus et éloignés de la femme et de l’homme du XXI° siècle. De nombreux repères sont donnés au lecteur qu’ils soient sous forme de cartes ou de chronologies. L’histoire de l’Église a constitué un long parcours de plus de XX° siècle et si nos contemporains peuvent facilement se souvenir des premières missions des saints Pierre ou Paul, il est déjà plus difficile d’avoir une connaissance précise des longs siècles qui ont suivi la reconnaissance officielle de l’Église par l’Empire romain. Qu’il s’agisse des différents conciles et des nombreux schismes qui ont marqué son histoire, des luttes contre les hérésies ou des différentes croisades, le lecteur de Théo trouvera toujours une information lui dispensant une synthèse claire et néanmoins complète sur ces évènements essentiels de la culture et de la foi chrétienne. Cette dernière est d’ailleurs au cœur de ce travail encyclopédique : une partie entière lui est consacrée afin de mieux rappeler les bases de la foi catholique avec 417 notions théologiques clairement exposées. Tous les grands débats du passé ou de la plus proche actualité (écologie, bioéthique…) sont abordés pour mieux comprendre la position de l’Église. À noter d’ailleurs, l’effort très louable de laisser une place importante aux grands textes des papes ou du Concile qui y sont analysés.
Les deux dernières thématiques dressent un bilan des chrétiens et des catholiques dans le monde avant d’analyser la place de l’Église dans le monde d’aujourd’hui. Qu’il s’agisse des grandes tendances actuelles ou de données très pratiques comme des adresses d’associations catholiques, Théo apporte des informations rapidement identifiables à l’aide d’une typographie très claire malgré les 8 millions de signes que compte cet ouvrage de référence…

Une véritable somme encyclopédique sur le monde catholique en un seul volume !

John P Meier « Un certain juif Jésus, les données de l’Histoire » Tome IV La loi et l’amour, Lectio Divina – Editions du Cerf, 2009.

Avant-dernier volume de l’immense ouvrage entrepris par John P. Meier, ce tome IV souhaite balayer une image erronée communément répandue : celle d’un Jésus venu opposer l’amour à la Loi. Grâce à un travail d’érudition exceptionnel, l’auteur, grand spécialiste du Nouveau Testament, a passé au crible d’une analyse critique époustouflante les différentes sources sur la question. C’est par la méthode historique la plus rigoureuse que Meier a entrepris depuis la parution du premier volume en 2004 de nous proposer les différents legs de l’Histoire à partir des premières traditions et complétées par les quatre évangiles. John P. Meier rappelle dans son introduction ce qu’il avait déjà développé dans les précédents volumes : il ne s’agit pas de présenter un « Jésus théologique » (c'est-à-dire la présentation de Jésus selon ce que dicte la foi) mais un Jésus historique, qui, à défaut d’être le Jésus « réel » se rapproche le plus possible de ce que l’Histoire a inscrit dans sa mémoire.
Le présent volume s’attache à mieux comprendre quelle pouvait être la perception du judaïsme de Jésus. Loin de s’opposer radicalement à ces racines essentielles, l’action de Jésus est explicitement ancrée dans la tradition qu’il n’a cesse de rappeler : « Je ne suis pas venu abolir mais accomplir »…
L’auteur rappelle dans un premier chapitre ce qu’était cette conception de la Loi et de la Halaka du temps de Jésus. Elle dicte toute la vie quotidienne, les relations sociales, cultuelles, personnelles… Si l’on étudie dans le détail les récits de la vie de Jésus, ce que fait Meier, il apparaît manifeste que la judéité caractérise l’action et les messages laissés par celui qui donnera naissance à une nouvelle religion. Comment ce paradoxe a-t-il été possible ? L’ouvrage propose d’analyser en profondeur quatre angles de la Torah particulièrement développés par Jésus dans les sources qui nous sont parvenues : le divorce, les serments, la pratique du sabbat et les règles de pureté alimentaire. Et c’est à ce niveau que l’on peut noter des divergences quant à l’interprétation donnée sur ces quatre points essentiels de la religion juive. La position modérée de Jésus vis-à-vis de l’observance du sabbat, son interdiction totale du divorce et des serments invite à s’interroger sur le sens de l’enseignement de la Loi proposé par Jésus et c’est là une constatation qui souligne l’importance de son témoignage. La réponse à ces questions permettra selon Meier d’avoir une claire vision de l’apport de son enseignement par rapport à ce qui était entendu jusqu’alors comme allant de soi (la Loi).
Cette redéfinition de la Loi par Jésus ne la remet pas en question, mais au contraire la rapproche de l’intention divine initiale.
John P. Meier termine son analyse avec une dernière partie consacrée aux commandements d’amour de Jésus. Il est important de distinguer la forme qui vient directement de Jésus de celles qui résultent de l’Église primitive. Il faut ainsi non seulement distinguer ces commandements d’amour (amour pour Dieu et pour son prochain) mais aussi souligner l’originalité d’un commandement que l’on ne trouve nullement dans l’Ancien Testament, à savoir l’amour de ses ennemis. C’est sûrement là le cœur du message de Jésus dans cet amour immodéré et sans réserve.
L’œuvre érudite, mais néanmoins accessible au plus grand nombre (l’auteur ne cesse de résumer ou d’accompagner ses lecteurs, conscient de la difficulté de la démarche) est un exemple du genre et ce quatrième volume permet de classer l’ouvrage, qui attend le cinquième et dernier volume pour être terminé, dans les sources les plus complètes et les plus réussies sur le sujet !

Larry W. Hurtado « Le Seigneur Jésus Christ, la dévotion envers Jésus aux premiers temps du christianisme » Lectio Divina – Editions du Cerf, 2009.

Larry W. Hurtado est professeur de Nouveau Testament à l’université d’Édimbourg et dirige le centre d’études des origines chrétiennes. Son dernier livre est justement consacré à la question majeure : quelle évolution a conduit au culte de dévotion et de foi en Jésus ? L’auteur se démarque de la doctrine classique qui voyait dans cette dévotion un processus lent et progressif. Or, pour Hurtado, il n’en est rien ! C’est à partir des premiers écrits sur Jésus, de Paul à Justin (de 30 à 170) qu’il porte son analyse. Suivant la démarche de John P. Meier, c’est par une démarche d’historien et non de théologien, que le chercheur isole, une à une, les traces du culte voué à Jésus. Jésus s’inscrit délibérément dans le judaïsme de son époque et ne peut que prôner son monothéisme. Or, Jésus a un statut divin incontestable dès les premiers temps de l’Église tout en s’inscrivant dans la religion juive ne connaissant qu’un seul Dieu. Comment un tel paradoxe a-t-il été possible pour ce christianisme naissant ? L’évolution ultérieure de cette Église ne changera rien en cette fidélité au Dieu unique d’Israël et à l’Écriture sainte même lorsque les païens viendront de toute part s’inscrire dans ses rangs.
L’auteur, universitaire accessible dans ses écrits pourtant scientifiques, rappelle les influences du monothéisme juif et de l’environnement religieux qui verront naître les premiers temps du christianisme. Paul et sa pensée sont bien entendu au cœur de ces influences directes qui conduiront dés les premières années de l’Église à l’instauration d’une dévotion à Jésus dans toute la méditerranée. L’influence serait ainsi née à l’intérieur même du judaïsme et de pratiques religieuses contemporaines de Jésus plus que des influences païennes et grecques. La thèse est bien entendu novatrice et ne manque pas de susciter des commentaires, qui sont pour la majeure partie d’entre eux élogieux même lorsque leurs auteurs se trouvent eux-mêmes critiqués dans ce livre qui fera date !

Luc Ferry, Lucien Jerphagnon « La tentation du christianisme », Grasset, 2009.

Un dieu de plus n’aurait pas choqué les Romains ni même les Grecs. Il est bien connu qu’il existait même un autel dédié au dieu inconnu dans le panthéon romain. Mais qu’il n’y ait qu’un seul dieu relève de l’impensable pour les contemporains de Jésus pourtant habitués à intégrer de manière relativement ouverte les dieux des peuples conquis. Comment donc cette tentation du christianisme a-t-elle pu être dans ce contexte philosophique et religieux de l’Antiquité ?
L’ancien ministre de l’Éducation nationale et philosophe Luc Ferry a associé sa plume à celle de Lucien Jerphagnon, grand spécialiste de la philosophie antique que nos lecteurs connaissent bien (voir notre interview) pour répondre à cette question.
Comment de secte combattue pour ne pas sacrifier au culte de l’empereur, le christianisme est-il devenu religion de l’empire ? Comment de secte cachée dans les catacombes a-t-elle su rayonner de ses basiliques et de ses institutions aux confins de la terre ?
Ces interrogations que l’on devine essentielles pour comprendre notre culture contemporaine sont celles auxquelles tentent de répondre le philosophe et l’historien de la philosophie dans ce petit livre de la collection Nouveau Collège de Philosophie lors d’une rencontre en Sorbonne dans l’amphithéâtre Descartes le 16 février 2008. Le point de vue des Romains est ainsi analysé par Lucien Jerphagnon avec sa verve et son esprit habituels. Il n’hésite pas à nuancer les catégories avec lesquelles nous cherchons à comprendre ces interactions : qu'est-ce qu’un païen ? qu’est-ce qu’un chrétien et à quelle époque ? Selon que l’on se place au début du christianisme ou sous Constantin, beaucoup de choses ont déjà changé. Il cite saint Augustin qu’il connaît si bien distinguant la cité céleste faite par l’amour de Dieu et l’oubli de soi et la cité terrestre construite par l’amour de soi au mépris de Dieu !
Luc Ferry souligne quant à lui les enseignements de la philosophie grecque reposant sur la mythologie qui seront pris à contre-pied par le christianisme.
Les deux interventions sont suivies d’un débat avec le public, débat retranscrit qui donne une idée du dynamisme réussi de cette rencontre.

Benoît XVI / Joseph Ratzinger « L’Église, une communauté toujours en chemin » Bayard Editions, 2009.

Cette réflexion de Joseph Ratzinger date de 1990, à l’époque où il était cardinal. Cet ouvrage s’inscrit résolument dans une interrogation ecclésiologique : est-il possible de réformer l’Église et comment ? Pour répondre à cette question, Joseph Ratzinger tient à apporter un fil conducteur à travers l’ecclésiologie catholique. Le théologien commence par rappeler quelle est la nature de cette Église qui traverse une crise de conscience. Jésus a-t-il voulu cette Église et selon quelle conception ? Joseph Ratzinger n’écarte aucune des hypothèses des exégètes souvent opposés quant à l’interprétation de la volonté du Christ. Le livre caractérise dans un deuxième chapitre la primauté de Pierre et de sa succession pour l’unité de l’Eglise. Il s’agit d’une primauté romaine souhaitée de ses vœux par Jésus et non par la seule volonté des papes selon l’argumentation développée par le théologien. Sont ensuite abordés le rôle de l’évêque dans cette Église universelle et dans l’Église particulière (locale) et le rôle du sacerdoce. Mais cette « communauté en chemin » rencontre un renouvellement incessant selon les propres termes de Joseph Ratzinger. Ce renouvellement ne peut se faire que dans une dimension de l’absolu de la conscience devant Dieu. Il n’est pas possible de concevoir l’Église sans s’interroger sur la manière dont l’Église pénètre au plus profond de l’individu, de son âme et de sa conscience. Cette interrogation dépasse les cadres locaux et les querelles partisanes en cela il faut parler de l’Église de Jésus Christ et non d’un parti du Christ selon le théologien dans la conclusion de son ouvrage. La foi n’est pas le choix d’un programme qui satisfait l’individu ou rencontre sa compréhension. La foi est une conversion rappelle le futur pape, une conversion qui transforme la personne pour une nouvelle naissance.

Dietrich von Hildebrand « Liturgie et personnalité » préface de Joseph Ratzinger / Benoît XVI, Ad Solem Spiritualité, 2008.

Joseph Ratzinger alors qu’il était encore cardinal a prononcé ce jugement sur l’auteur du livre récemment paru aux éditions Ad Solem : « Je suis personnellement convaincu que, tôt ou tard, quand sera écrite l’histoire intellectuelle de l’Église catholique au 20e siècle, la figure de Dietrich von Hildebrand sera reconnue comme l’une des plus grandes de ce temps ». On ne peut difficilement attendre meilleure critique que celle du futur pape Benoît XVI et théologien reconnu depuis de nombreuses décennies. A la lecture de cette brillante étude de celui qui fut considéré comme l’un des plus grands théologiens laïcs du XX° siècle, on comprend aisément l’aval prestigieux adressé à sa pensée. Dietrich von Hildebrand a placé au cœur de sa réflexion théologique la personne du Christ, la deuxième Personne de la Trinité. Or, on le sait, Benoît XVI a fait de la christologie une priorité de l’Église dans le renouveau qu’il appelle depuis sa désignation comme successeur de Pierre. C’est par la liturgie justement que l’esprit du Dieu fait homme nous parle avec ses rites. La personne et la liturgie sont donc étroitement liées. Hildebrand estimait que c’était à tort que l’on pouvait considérer la liturgie comme moins personnelle et moins affective que d’autres rituels de la foi catholique. Or c’est pour s’inscrire en faux à cette idée qu’il jugeait contraire à la vérité et contraire à l’idée même de liturgie. Pour le théologien, « la liturgie intègre en fait l’affectivité authentique dans ce qu’elle a de plus intense ». Il précise même que c’est la plus personnelle des prières, car c’est celle de la personne parfaite, le Dieu fait homme, Jésus-Christ. On comprend ainsi l’affinité intellectuelle et théologique de Benoît XVI et du théologien allemand. L’actuel pape a fait de la liturgie une de ses priorités en réintroduisant des rituels qui étaient tombés en désuétude et en n’hésitant pas à rappeler que l’Église d’aujourd’hui ne pouvait se faire sans les enseignements du passé, entraînant certains grincements de dents chez les partisans d’un Vatican II progressiste. Indépendamment de ces questions d’actualité souvent polémiques, il importera pour le lecteur intéressé par ces questions captivantes de lire cette passionnante étude de Dietrich von Hildebrand afin de mieux comprendre cette vigilance spirituelle à laquelle invite un penseur exigeant dont certains accents font penser aux exhortations de saint Augustin.

« Le sens littéral des Ecritures » édité sous la direction de Olivier-Thomas Venard, o. p., Ecole biblique et archéologique française de Jérusalem, Editions du Cerf, 2009.

Le sens littéral a toujours été une question qui a occupé les hommes de religion et les hommes de loi, les deux étant longtemps restés confondus en une seule et même entité. Il s’agit en effet de rechercher ce qui est conforme à la lettre et au texte, ce qui n’est pas une mince affaire, contrairement à ce que l’on pourrait trop rapidement croire. Dans une première acception, la Bible relaterait ce qui s’est passé, c'est-à-dire l’Histoire en y intégrant la part de ce que l’auteur souhaitait transmettre dans ces écrits. L’autre acception de la recherche littérale des Écritures sera de s’attacher à la lettre du texte : ce que l’auteur a écrit explicitement ou implicitement.
Douze universitaires sont ici réunis afin de débattre et de développer les innombrables implications de cette recherche de sens des Écritures. C’est ainsi qu’une démarche pluridisciplinaire a été souhaitée par Olivier-Thomas Venard invitant la littérature comparée, la théologie, l’herméneutique, la patrologie, la philosophie du langage et bien d’autres disciplines… Le résultat est un tableau particulièrement éclairant sur les conséquences de telle ou telle approche influant sur les définitions possibles du sens littéral associées à un contexte culturel qui a également une grande influence. Mais la conclusion de cette recherche collective va dans le sens d’une place importante laissée à la théologie qui, en dialoguant avec l’Histoire et la littérature, peut encore largement contribuer à développer notre connaissance du sens littéral des Écritures.

« Conversation avec Benoît XVI », Tempora, 2009.

C’est à un entretien imaginaire avec le pape Benoît XVI auquel invite ce livre avec cette limite que les réponses du Saint-Père sont bien réelles puisqu’elles ont été sélectionnées à partir de différentes rencontres avec des prêtres, des laïcs ou des religieux. Le ton est délibérément réaliste sur des questions souvent fondamentales comme celles de la souffrance, du célibat, de l’indissolubilité du lien du mariage ou de la place des jeunes dans l’Eglise. C’est un pape très accessible qui apparaît dans ces réponses sans que la profondeur de son raisonnement ne soit occultée. Belle réponse aux caricatures souvent véhiculées sur un pape dont les discours et la pensée sont souvent ignorés, ces lignes sont précises et claires sur ce qu’est la position non seulement du Saint-Père mais également celle de l’Eglise qu’il représente en tant que successeur de Pierre. L’argumentation est développée avec l’intelligence qui caractérise le théologien raffiné, elle devrait aider non seulement à mieux connaître des idées du pape mais également à mieux percevoir les réponses que l’Eglise peut apporter aux grandes questions qui divisent notre société moderne.

Claude Dagens « Aujourd’hui l’Evangile » Parole et Silence, 2009.

Claude Dagens, récemment élu à l’Académie française pour succéder à René Rémond, a nourri de longue date une réflexion sur le rôle de l’Église dans la société. Successivement prêtre, doyen de la faculté de théologie de l’Institut catholique de Toulouse et évêque d’Angoulême, Claude Dagens connaît de l’intérieur les questions qui sont posées par ses contemporains et que ces temps de crise économique ne font qu’accroître. Or l’homme de foi croit à la vertu du défi, le défi que peut relever tout être humain face à l’adversité lorsqu’il ne se sait pas seul. C’est dans le tissu même de la société que l’académicien veut apporter ce message d’espoir, au niveau individuel, auprès des jeunes, et pour tous les exclus. Cette réflexion a été menée sur le long terme, avons-nous dit, et le présent volume rassemble différentes interventions de Claude Dagens lors de son ministère d’évêque.
Qu’il s’agisse des défis de l’évangélisation face à l’indifférence qui se généralise ou des différentes manières de toucher les jeunes dans un message de la foi qui puisse parvenir jusqu’à eux, l’engagement de Claude Dagens est total et emporte conviction. Dépassant les obstacles sans pour autant les ignorer, l’évêque et l’intellectuel sont convaincus que ces temps troublés peuvent constituer le terreau fertile d’une nouvelle conversion à l’image des premiers temps de l’Église qui malgré les persécutions et l’ignorance générale a su démontrer une confiance absolue dans le message d’amour sans réserve délivré par le Christ. Ces premiers temps, Claude Dagens les connaît bien pour les avoir longtemps enseignés à ses étudiants en faculté, nul doute que cette riche réflexion pourra à nouveau nourrir de nouvelles vocations pour refuser une fatalité à laquelle nul croyant ne veut croire !

Pseudo-Justin « Ouvrages apologétiques » Sources Chrétiennes n° 528, Editions du Cerf, 2009.

Ce volume n° 528 de la fameuse collection « Sources Chrétiennes » réunit ici trois textes apologétiques du Pseudo-Justin : Exhortation aux Grecs, Discours aux Grecs et Sur la monarchie. Bernard Pourderon, dans une riche introduction, rappelle que sous le nom de Justin sont conservés une série d’ouvrages apologétiques pseudépigraphes pour la plupart postérieurs au second siècle. Ces trois récits ne sont pas de la main de Justin, mais sont représentatifs de la tradition apologétique des origines. Ces textes n’ont pas été rédigés par une même main et relèvent d’époques et de milieux différents, mais se trouvent rangés sous le nom de Justin car ils forment l’un des premiers grands corpus pseudépigraphes en dehors de la tradition testamentaire. Eusèbe est le premier à attester un corpus d’œuvre de Justin, il sera suivi bien plus tard par Photius, un éminent patriarche, qui le cite également dans sa bibliothèque.
L’exhortation aux Grecs est le texte le plus important de ces ouvrages apologétiques. La Cohortatio ad Graecos est en effet un texte qui prend la forme d’un discours décomposé en trois parties : une critique des erreurs des doctrines païennes où Homère, Hésiode, mais encore Aristote ou Platon sont très largement mis au banc des accusés pour ne pas avoir écouté la vraie source de la connaissance : celle des porte-parole du vrai Dieu, à savoir les prophètes qui leur sont antérieurs. Et si les Grecs ont pu parfois enseigner des doctrines conformes à la piété sur Dieu, c’est parce qu’ils les ont « empruntées » aux Ecritures juives lors de leurs séjours en Égypte. Cette exhortation n’admet pas de discussions, et c’est sans réserve que l’auteur encourage à se détourner de ces faux enseignements. Il s’agit pour lui de réattribuer ces doctrines à leur juste auteur, conformément à la foi chrétienne.

Georges Chantraine « Henri de Lubac, les années de formation (1919-1929), tome II » Etudes Lubaciennes VII, Editions du Cerf, 2009.

C’est aux années essentielles de formation intellectuelle du théologien Henri de Lubac que Georges Chantraine consacre ce deuxième volume de plus de 800 pages. Ces années sont en effet déterminantes dans le parcours intellectuel d’un des plus brillants théologiens du XX° siècle, car elles voient tout d’abord le jeune homme forger ses armes philosophiques et théologiques en puisant aux meilleures sources classiques : Platon, Plotin, saint Augustin, saint Thomas d’Aquin, Pascal ou Bergson défilent ainsi de manière vertigineuse sous les yeux insatiables de celui entretint une correspondance nourrie avec Robert Hamel, Valensin ou encore Teilhard de Chardin…
Donnant lieu à un véritable bouillonnement intellectuel, ces riches années sont marquées par une date déterminante, Pâques 1920, date à laquelle de Lubac prononcera ses vœux.
Le grand théologien Hans Urs von Balthasar avait en son temps souligné la cohésion « organique » de son maître et ami, et nul doute que ces années de formation y sont pour beaucoup. Cette soif inextinguible de savoir va constituer un soubassement particulièrement efficace à la naissance d’une pensée très tôt indépendante toute en résonance avec les grandes pensées de son époque. S’inscrivant dans une philosophie de l’action puisant largement sa source dans la pensée de Maine de Biran, de Lubac a fait véritablement œuvre de philosophie contrairement à ce qu’une lecture trop rapide de son œuvre pourrait laisser croire comme le rappelle Emmanuel Tourpe dans son introduction au volume. Métaphysique et théologie s’enchevêtrent chez de Lubac, et c’est dans ces années de formation que ce riche volume va puiser les racines de cette pensée féconde.

Adrian Nichols « La pensée de Benoît XVI, introduction à la théologie de Joseph Ratzinger », Ad Solem, 2008.

Adrian Nichols, dominicain britannique, est l’un des meilleurs spécialistes de la pensée de Hans Urs von Balthasar, théologien ayant fortement influencé le jeune Ratzinger. C’est également avec une affinité non feinte qu’il consacre cette riche étude à la pensée du théologien Joseph Ratzinger, pensée indispensable à connaître si l’on souhaite mieux apprécier la conduite aux affaires de l’Église de l’actuel successeur de Pierre. La pensée théologique de Joseph Ratzinger est exigeante et complexe à l’image de la discipline dont les auditeurs du discours au Collège des Bernardins ont eu un petit aperçu l’année dernière lors de la venue du pape en France. Pour se familiariser à la pensée du théologien de toujours (Benoît XVI affectionne malgré son agenda surchargé de consacrer le peu de temps libre qui lui reste à sa chère théologie), l’ouvrage d’Adrian Nichols présentera le grand intérêt de résumer une bonne centaine de livres du pape-théologien ! Les œuvres sont analysées de manière chronologique (certaines d’entre elles ne sont d’ailleurs pas encore disponibles en français) en en exposant les lignes forces. Il apparaît évident à la lecture de cette heureuse synthèse, que la pensée de l’actuel pape pointait déjà dans de nombreux écrits du théologien qui deviendra le préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi sous le pontificat de Jean-Paul II. Saint Augustin et saint Bonaventure, auquel il a consacré une recherche d’habilitation, forment le substrat intellectuel de base du jeune théologien. Farouche défenseur de la liturgie et des traditions léguées par l’histoire de l’Église, Joseph Ratzinger ne voit pas dans le Concile Vatican II une rupture, mais plutôt une continuité. Le théologien Joseph Ratzinger, ainsi que le pape Benoît XVI, combattent le relativisme, véritable plaie du monde moderne. L’exigence de la foi préside à toutes les questions non seulement dans la liturgie, mais également quant à l’ouverture aux autres religions. Si Joseph Ratzinger accepte un dialogue entre les religions, cette rencontre se saurait réduire ces dernières, et avant tout le catholicisme, à un seul dénominateur commun. Il ne saurait être question ici de débattre des 496 pages qu’Aidan Nichols consacre aux œuvres et à la pensée de Joseph Ratzinger, mais l’ampleur des questions évoquées invite le lecteur soucieux de connaître cette pensée fertile de commencer par cette non moins brillante étude !

« Ordo Missae, forme extraordinaire de la liturgie romaine » latin-français, Pierre Téqui Editeur, 2008.

En établissant la possibilité pour les paroissiens qui le souhaitent de suivre la messe selon le rite dit de saint Pie V (Motu Proprio Summorum Pontificum), Benoît XVI a ainsi rappelé l’importance de l’idée de continuité dans la liturgie. C’est une interprétation erronée, selon le pape, qui aurait relégué à un passé révolu la messe tridentine après le concile Vatican II. Cette manière de dire la messe héritée de l’histoire n’a jamais été abolie par le concile, selon Benoît XVI, mais se devait de coexister avec d’autres formes plus modernes. Il semble que ce retour aux traditions anciennes de l’Église qui s’inscrit dans cette vaste entreprise du pape contre toute forme de relativisme, y compris en son sein, n’a pas provoqué les conflits que certains promettaient. Indépendamment des convictions religieuses de chacun en matière de rite, il peut être intéressant de comprendre cette forme extraordinaire de la liturgie romaine, que l’on décide de la pratiquer ou au contraire qu’on lui préfère celle devenue classique depuis le concile Vatican II. C’est tout l’objet de ce petit livret très bien présenté, qui n’est pas pour autant un missel, que de permettre de comprendre, au sens propre avec une traduction du latin en français, comme au sens figuré, le déroulement de la messe tridentine. On trouvera ainsi dans ce petit ouvrage les textes de l’Ordinaire, l’ensemble des préfaces, les Kyriales les plus utilisées et quelques chants caractéristiques de la liturgie. Ce petit volume a ainsi une vocation pédagogique remarquable qui permet une compréhension globale de la messe tridentine dont les éléments essentiels remontent à saint Grégoire le Grand et a marqué la culture de l’Église pendant de nombreux siècles.

Joseph Ratzinger « La communion de foi ** Discerner et agir » Communio et Parole et Silence Editions, 2009.

Voici près de trente ans de collaboration du théologien Joseph Ratzinger à la revue Communio qui se trouvent réunis dans ce deuxième volume intitulé « Discerner et agir ». L’actuel pape est l’un des cofondateurs de la revue Communio sous l’impulsion de Hans Urs von Balthasar à la fin des années 60. L’édition francophone paraîtra dés 1975 et traduira l’ensemble des communications de Joseph Ratzinger pendant trente ans ! Ce deuxième volume analyse le rapport du chrétien au monde comme le rappelle Jean-Robert Armogathe dans son introduction. Les quatorze articles qui le composent ont pour titre les réunissant la communion de foi : il s’agit bien en effet de partager la connaissance du Dieu de Jésus-Christ dans une communio. Les contributions du théologien devenu pape portent ainsi sur des interrogations générales comme « Qu’est-ce que la théologie ? » ou « Foi, philosophie et théologie » ou bien sur des questions plus précises telles « Jusqu’où porte le consensus sur la doctrine de la justification ? ». Dans toutes ses contributions, Joseph Ratzinger n’hésite pas à souligner les défis que l’Église eut et a encore à relever, ce qui sera particulièrement instructif pour mieux comprendre les positions actuelles du pape Benoît XVI. C’est en effet un théologien engagé que l’on devine dans ces lignes comme le souligna en son temps le pape Jean-Paul II qui le plaça à la tête de la Congrégation pour la doctrine de la foi. Ce second volume qui vient de paraître clôt ainsi l’ensemble des trente contributions de Joseph Ratzinger pour la revue Communio réunies en deux volumes et qui offrent une synthèse cohérente de la théologie de l’actuel pape !

Bernard Lecomte « Les secrets du Vatican » Perrin, 2009.

Les « coulisses » du Vatican passionnent de plus en plus le cinéma qui brode souvent plus qu’il ne décrit le quotidien souvent moins esthétisant. Bernard Lecomte a décidé dans cet essai de démêler ce qui constitue ce secret indéniablement cultivé par ses principaux responsables. Toute personne travaillant au Vatican se doit de s’engager à ne rien divulguer de ce que ses fonctions pourraient l’amener à voir ou à entendre. La tâche n’est donc pas facile pour l’auteur, ancien journaliste à la Croix, qui a su tout de même recueillir après deux ans d’enquête un grand nombre d’informations et anecdotes auprès des plus hautes instances à la condition de respecter le sacro-saint respect du secret sous couvert d’anonymat. « Les secrets du Vatican » remontent ainsi la date historique de 1917 jusqu’à l’élection du dernier pape, Benoît XVI. Si le Vatican est le plus petit État du monde (un quart de la Principauté de Monaco) sur une quarantaine d’hectares, il n’en reste pas moins un État avec toutes ses prérogatives et une direction spirituelle sur plus d’un milliard de catholiques. Aussi n’est-il pas surprenant d’apprendre que des émissaires intriguent chez Staline ou chez Franco. Il ne faut pas oublier ce que la Cité du Vatican doit à Mussolini qui a présidé à sa naissance. Bernard Lecomte n’écarte pas les silences gênants de Pie XII pendant la Seconde Guerre mondiale même si de récents témoignages viennent nuancer les reproches d’attentisme du pape concernant les terribles répressions faites aux Juifs en Italie et bien entendu aux portes du Vatican. Du saint suaire de Turin au schisme de l’affaire Lefebvre en passant par le scandale du « banquier de Dieu », la petite histoire côtoie les grandes heures du XX° et même du XXI° siècle puisque le livre termine sur la surprise de l’élection de Benoît XVI qui n’aurait pas dû succéder à Jean-Paul II, et dont nous réservons l’explication de Bernard Lecomte au lecteur curieux des secrets du Vatican !

Catherine Salles « Saint Augustin, un destin africain » Editions Desclée de Brouwer, 2009.

Saint Augustin fut un grand homme d’Église et le théologien a marqué pour toujours les siècles à venir par sa pensée. Or, Catherine Salles, auteur réputé pour ses nombreux ouvrages sur le monde antique, a décidé de nous présenter l’homme vivant, « l’Africain », et non l’icône qui a pu être faite à partir de sa renommée. Pari difficile, mais réussi ! Comment mieux comprendre l’œuvre et l’homme sans partir de ce bain culturel qu’était l’Afrique romaine à l’époque du IV° siècle de notre ère. Augustin est un Romain et un Africain. Dès lors, son éducation suit celle de tous les enfants de son âge et c’est auprès d’un pédagogue qu’il fera son apprentissage des choses de la sagesse et des lettres. Les Confessions de saint Augustin offrent un matériel de choix pour imaginer ce que furent ces premières années si importantes pour la maturation intellectuelle du futur évêque d’Hippone. Augustin a été élevé selon les principes de la foi chrétienne et si l’on évoque sa fameuse « conversion » dans le jardin de Milan, son baptême à l’âge de trente-trois ans était pratique courante à son époque où l’on ne baptisait pas les enfants.
Augustin sera un homme de son siècle et avant de représenter exclusivement la foi chrétienne, il aura fait l’expérience de tous les courants de pensée y compris auprès des manichéens !
Paradoxalement, mais est-ce encore un paradoxe, c’est lorsqu’il quittera brusquement Carthage et l’Afrique en 383 pour leur préférer Rome qu’il ira vers le destin qu’on lui connaît. Le retour en Afrique fera de lui un homme prêt à affronter tous les défis. Cette fin de siècle connaît de plus en plus de crises avec un empire vacillant tant sur le plan intérieur qu’extérieur avec les menaces de plus en plus concrètes des invasions barbares.
Cette étude se lit comme un roman, mais avec la rigueur des impératifs de l’Histoire, une belle initiative à recommander !

« Histoire de la théologie » sous la direction de Jean-Yves Lacoste, Editions du Seuil, 2009.

Voici une entreprise courageuse et ambitieuse à l’heure où l’on oublie trop souvent que la théologie fut naguère, certes en des temps anciens, la discipline maîtresse qui englobait la philosophie. Or, de nos jours, ces souvenirs n’appartiennent plus qu’à une petite confrérie bien confidentielle, les théologiens, et quelques rares curieux penchés sur des grimoires qui effraient plus qu’ils n’attirent…
Cette Histoire de la théologie vient à point nommé ! Et, si la discipline théologique a certes régné en maître pendant de très nombreux siècles, elle garde encore une riche actualité au XX et XXI° siècles (cf nos interviews du grand théologien Hans Küng dans ces colonnes). Même si Jean-Yves Lacoste et ses auteurs ont choisi de privilégier la théologie classique en lui réservant les plus amples développements, la théologie contemporaine n’en est pas pour autant passée sous silence, tant s'en faut, puisque plus de cent pages lui sont réservées sur les 475 que compte l’ouvrage. La théologie chrétienne n’est ainsi pas qu’une affaire de croyants et la chasse gardée d’érudits. Il ne s’agit pas d’une langue morte rappellent les auteurs et mérite ainsi toute notre attention.
Le défi de résumer vingt siècles d’histoire intellectuelle est réussi. Les auteurs ont fait court, mais dense, sans jamais dénaturer la richesse des questions abordées. Conçus sous forme ouverte, les articles ouvrent vers une riche bibliographie sélectionnant les sources les meilleures.
Il faudra, de préférence, commencer par le commencement en lisant les « Fondements bibliques » de Pierre Gibert, s’interrogeant sur la question de la Bible, âme de la théologie. Il faudra de l’attention au lecteur du XXI siècle pour aborder la théologie patristique et byzantine (Patrick Descourtieux) ainsi que la théologie médiévale (Marc Ozilou et Gilles Berceville), mais son effort sera vite récompensé par le plaisir sans limites de recevoir un tableau clair et didactique de questions majeures (le monophysisme, la querelle des images, la théologie de Bède et de Scot rappelées récemment dans les audiences du pape Benoît XVI, Thomas d’Aquin…).
Jean-Yves Lacoste a également la lourde charge des deux dernières parties, avec la théologie réformée (indispensable avec l’anniversaire de Calvin cette année !) et l’époque contemporaine évoquée précédemment.
Ce livre peut être découvert selon ses affinités intellectuelles et spirituelles, au hasard des pages, les plus courageux le découvriront page après page, pour réaliser que la théologie est une discipline bien vivante au XXI° siècle, la richesse des contributions de cet ouvrage en témoigne !

Piero Ottaviano « Les fondements du christianisme, le christianisme est-il recevable ? » Editions Salvator, 2009.

Voici une question bien surprenante sous la plume d’un salésien de Don Bosco qui a passé sa vie durant à diffuser l’Evangile ! Or, l’homme est également formé aux mathématiques et à la physique, disciplines qu’il a longtemps enseignées, ce qui explique un peu plus cette idée de recevabilité dans le titre. Piero Ottaviano a en effet sa vie durant cherché à expliquer et à répondre aux nombreuses questions des non chrétiens et des chrétiens sur le christianisme, ce qu’il est et ce qu’il n’est pas, ce sur quoi repose cette croyance et quelle est la réalité de l’existence chrétienne. Le but de ce livre, rappelle l’auteur dans son introduction, est de faire connaître les fondements du christianisme ; or, ces derniers sont souvent ignorés, justifiant par là même un rejet rapide ou une acceptation tout aussi rapide, ce qui serait également dommageable.
Le ton est bien entendu didactique puisqu’il s’agissait à l’origine d’un cours, mais sans pour autant être alourdi par la volonté d’enseigner. Les répétitions que l’on pourra constater servent à appuyer le raisonnement et non à l’alourdir. La typographie a été conçue afin de distinguer les développements essentiels des autres pouvant être omis, les textes bibliques sont écrits dans une police propre et font l’objet d’une traduction littérale de l’auteur afin d’aller le plus possible à la source même de la Bible. Il est bien entendu que cette présentation de la foi chrétienne est faite de « l’intérieur » dans ce sens où l’auteur n’écarte pas sa foi dans la façon de présenter ses développements, mais cette présentation de la foi chrétienne n’écarte aucune question ni même les objections qui sont à chaque fois posées avec immédiatement la réponse proposée.
Cet ouvrage intéressera directement bien entendu le catéchèse ou le formateur, mais il aura également une destination élargie à un public beaucoup plus large. En lisant en effet ces « Fondements » le lecteur, athée ou croyant, y trouvera matière à réflexion et à argumentation.

Philippe Cardinal Barbarin – Luc Ferry « Quel avenir pour le christianisme » Editions SALVATOR, 2009.

Ce livre est la retranscription d’un débat entre Philippe Barbarin et Luc Ferry animé par Jean-Marie Guénois dans le cadre du jubilé des 150 ans de la basilique Sainte-Clotilde. L’archevêque de Lyon, primat des Gaules et cardinal depuis 2003, est à la fois un théologien et un homme de terrain qui a cœur à communiquer sur son engagement spirituel et sur les défis que l’Église se doit de tenir en ce début du XXI° siècle. Luc Ferry, philosophe et ancien ministre de la jeunesse, n’est plus à présenter. Le cardinal Barbarin n’hésite pas dire « il faut travailler, et la seule façon de travailler, c’est d’aimer, c'est-à-dire de nous donner complètement. », et il faut avouer que l’énergique homme d’Église ne ménage pas sa peine pour combattre la morosité ambiante et la perte de sens du quotidien vécues par un grand nombre de personnes. Le salut est-il dans la foi ? Si les deux personnalités ont évidemment des vues divergentes sur la question, le cardinal ne pouvait pas ne pas réagir à la tendance rappelée par le philosophe selon laquelle la proportion de la population française qui a quitté la foi est supérieure de 20 à 30 % par rapport à l’époque de son enfance tout en soulignant une revitalisation des valeurs chrétiennes ces dernières années. Or, si Philippe Barbarin confirme cette tendance à la baisse sur le plan quantitatif, il n’hésite pas à relever qu’un élan véritable contredit ces statistiques toutes relatives (dans ses comparaisons avec le passé). Peut-on comparer un paroissien au milieu du XX° siècle et celui du début du XXI° siècle ? Le cardinal Barbarin rappelle que plus que la quantité, c’est de la grâce qu’il importe, c'est-à-dire de la profondeur de l’engagement (le nombre des catéchumènes adultes a augmenté de 1 200 % en quelques années). Cette qualité de l’engagement, reconnue par Luc Ferry, serait la note d’optimisme de ce constat qui ne saurait écarter les motifs d’inquiétude pour les chrétiens (baisse des vocations, financement de plus en plus difficile, remise en question de nombreuses institutions…). Un échange stimulant que l’on soit croyant, athée ou… entre les deux !

Christoph Cardinal Schönborn « Une vie réussie » Editions Parole et Silence, 2009.

L’auteur est un proche de Benoît XVI, Cardinal de son état, il est archevêque de Vienne depuis 1995 et préside la conférence épiscopale autrichienne. Ce théologien a été le principal maître d’œuvre du Catéchisme de l’Eglise catholique. Homme de terrain et homme d’esprit, il vient de signer « Une vie réussie », un ouvrage reprenant des articles de sources diverses dont le titre ne manquera pas d’attirer un grand nombre de lecteurs qui sauront y trouver une réflexion stimulante sur ce défi sans cesse renouvelé d’une quête du bonheur initiée par Aristote. Tout homme cherche le bonheur. Derrière l’apparente simplicité de l’assertion, c’est tout le conflit antique, classique et moderne du but poursuivi par l’homme qui se profile. Si nous raisonnons a contrario, la phrase ne peut être que vraie. On imagine mal, un homme reconnaître qu’il ne recherche pas une vie réussie. Mais qu’entend on par bonheur ? et comment y parvenir ?
On voit bien que ces questions dont on soulignera le caractère philosophique, relèvent également de la discipline initiale, la théologie, qui propose un certain nombre d’éléments de réponse. Il n’est pas illusoire de croire au bonheur à la lecture des nombreux témoignages étudiés par le cardinal Schönborn. La différence de l’approche chrétienne par rapport aux autres réponses de la philosophie est d’aborder cette interrogation dans un cadre élargi au-delà de la vie terrestre, et c’est toute la différence…
Saint Thomas d’Aquin voit dans l’amitié la forme d’expression de l’amour qui mène au bonheur. Cette amitié avec Dieu conduit au plus grand bonheur concevable. Certes cette quête du bonheur ne saurait écarter son antagoniste indissociable, le malheur et la douleur. La grande erreur de notre époque moderne étant de croire, à tort, que l’on puisse éliminer cet autre côté du miroir. Attention, n’allons pas faire un procès d’intention au cardinal dominicain proche du sommet du Vatican ! Nul dolorisme gratuit dans sa pensée, il avoue d’ailleurs avec quelle réticence il alla, jeune homme, avec son curé, faire la visite du célèbre stigmatisé Padre Pio qui portait dans son corps les souffrances du monde mais dont cette visite eut un effet pourtant rassérénant. Schönborn affirme que « celui qui n’est pas apte à jouir de ces petites joies passera aussi à côté du grand bonheur » et il n’hésite pas à citer parmi ces petites joies quotidiennes, un bon verre de bière fraîche par une chaude journée d’été, un bon repas ou une partie de cartes le dimanche. Mais cela ne suffira pas à éteindre ce grand feu que nous avons tous en nous. L’aspiration au bonheur passe par la recherche originelle de cette joie du Bonheur entraperçue occasionnellement lors des bonheurs du quotidien. A celui qui s’émerveille du sourire spontané d’un tout petit ou d’une main tendue pour traverser une route, il y a certainement autre chose, une dimension à approfondir et à laquelle nous invite le théologien dans ces pages inspirantes !

Thomas de Celano « Les vies de saint François d’Assise » collection Sources franciscaines, coédition Editions franciscaines Editions du CERF, 2009.

Introduction de taille (85O pages !), cette édition des Vies de saint François d’Assise de Thomas de Celano est le premier titre qui préfigure l’édition complète des œuvres du saint en 2009/2010. Nouvelles éditions dotées d’un appareil critique approfondi ainsi que de nouvelles sources.
Thomas de Celano est le premier hagiographe avec sa Vita prima qui a légué à la culture médiévale les fameuses scènes du saint qui nous sont parvenues jusqu’à aujourd’hui. Il est le premier et il est également celui qui a rédigé le plus de versions de la vie de saint François (4 à 6 récits) pendant près de vingt ans de sa vie. Véritable source de méditation, son écriture a puisé à l’expérience du saint avec un renouvellement exceptionnel. Cette quête a ses limites rappelle le grand médiéviste Jacques Dalarun. Thomas de Celano dans sa recherche de l’essence absolue du message du saint a buté sur les limites de son entreprise. La vérité tant recherchée sur le saint demeurait insaisissable. Cette prise de conscience fut une grande déception pour l’auteur et en même temps un enseignement important pour le lecteur du XXI° siècle.
Avec la présente édition, nous disposons de la première traduction française de la totalité du corpus des légendes franciscaines dues à Thomas Celano. A la Vita prima et Vita secunda s’ajoutent la Légende de chœur, la Légende ombrienne, le Traité des miracles.
La Vita prima est bien entendu le premier texte qu’il faudra lire dans cette nouvelle édition. Longtemps suspectée d’être un texte de complaisance correspondant à l’image souhaitée par Grégoire IX d’un saint soumis en tout à l’Eglise romaine, cette vie est aujourd’hui considérée comme la source de première importance sur le grand saint. François y est présenté comme le grand pécheur qui sort de la boue de ses premières années (voir les premières images du très beau film de Roberto Rossellini, sur le saint présenté dans nos colonnes) par une conversion, non pas instantanée à l’image d’un Paul, mais plus progressive à l’image de la chrysalide du papillon comme le rappelle joliment Jacques Dalarun.
Le conteur que se révèle être Thomas de Celano restitue cette longue marche à laquelle nous invite Jacques Dalarun dans sa riche introduction (plus de soixante pages). C’est en lisant ses écrits que l’on peut s’approcher de François d’Assise. C’est par les actes et non par les mots que l’homme doit témoigner au Seigneur selon le saint. La recommandation vaut également pour le saint homme, c’est en découvrant ses Vies que le lecteur pourra apprécier son message grâce à ce travail de grande envergure accessible pour la première fois au public français !

Chantal Reynier « Saint Paul sur les routes du monde romain, infrastuctures, logistique, itinéraires » MédiasPaul, éditions du CERF, 2009.

Réalisé dans le cadre de l’année Saint Paul, ce livre devrait passionner plus d’un lecteur ! L’apôtre des Nations a été un grand arpenteur des routes antiques de son époque. Marcheur insatiable, sa foi n’avait pas de limites géographiques. Le très beau livre de Chantal Reynier, seul en son genre en français, nous invite à parcourir, sinon physiquement mais au moins par la lecture, les voyages innombrables de l’avorton de Dieu comme il se nommait lui-même. Paul devait cependant avoir une bonne résistance physique en témoigne les milliers de kilomètres parcourus dans des conditions qui n’étaient pas celles que nous connaissons aujourd’hui. Il est particulièrement émouvant de découvrir la façon dont il se représentait l’espace géographique de l’empire en homme de son temps. L’apôtre s’est progressivement déplacé en cercles concentriques vers l’extrême occident (il finira ses jours en martyr à Rome en Italie). Et ses choix ont déterminé l’émergence de communautés locales desquelles se développera un christianisme essaimant sans cesse. Découvrons avec cette très belle étude, les routes terrestres et maritimes de son époque, partageons les conditions de voyage parfois très rudes pour mieux se représenter les sacrifices consentis jusqu’à l’ultime et dernier voyage vers Rome.

Carlo Maria Martini « Le rêve de Jérusalem, entretiens avec Geor Sporschill sur la foi, les jeunes et l’Eglise » Desclée de Brouwer, 2009.

Archevêque de Milan de 1979 à 2002, le cardinal Martini, haute figure du Vatican et pressenti pour succéder à Jean-Paul II, s’est retiré à Jérusalem où Georg Sporschill, jésuite et aumônier de jeunes, l’a rencontré pour ces entretiens. Nous avons avec ces entretiens, un véritable regard d’espoir et en même temps de lucidité sur les grandes questions qui touchent la jeunesse et l’Eglise du XXI° siècle.
Rien n’est en effet écarté dans ces entretiens au ton très libre. Le célibat des prêtres, la contraception ou encore l’homosexualité sont abordés de manière directe et sans détours. Le cardinal estime d’ailleurs que tous ces défis qui donnent souvent lieu à des controverses, en témoignent les récentes flambées médiatiques, sont le signe que là où il y a des conflits, le feu brûle et le Saint Esprit est à l’œuvre ! « L’Eglise doit élaborer une nouvelle culture de la sexualité et de la relation. » souligne le cardinal Martini, en rappelant la triste réalité qu’un mariage sur deux ou trois fait l’objet d’un divorce dans les pays occidentaux. Cette nécessité d’une nouvelle écoute s’impose face à la souffrance occasionnée par ces ruptures. C’est, dans le même esprit, à une plus grande écoute qu’invite le cardinal concernant l’homosexualité. Il relate avec tristesse le cas de ce jeune homme tourmenté par ses préférences homosexuelles au sujet desquelles il n’osait parler à personne, par honte. Il est tombé malade avec une dépression et n’a trouvé une écoute qu’avec un psychiatre.
C’est à une Eglise plus ouverte vers qui tous ces propos convergent. Le rêve de Jérusalem est entre autre d’imaginer ce que Jésus dirait et ferait aujourd’hui s’il arpentait nos rues et nos cités. Cette « réforme » du quotidien à laquelle invite le cardinal Martini ne brandit pas des programmes politiques et de nouveaux conciles. La voie proposée est celle de la prière et du bon sens : tendre une main, ne pas fermer les yeux et savoir plus écouter ceux qui souffrent, un testament plein d’espoir pour une société qui en manque tant au quotidien !

« Le Coran, Sourates et fragments. », traduits par Michel Orcel avec la collaboration de Mohammed Aït Laâmim, Paris, Editions La Bibliothèque, 2009.


Dans ce dernier ouvrage paru aux Editions la Bibliothèque, Michel Orcel – auteur notamment de « Les larmes du traducteur », Grasset, 2002 et de « Voyage dans l’Orient prochain » également aux Editions La Bibliothèque en 2004- nous propose un choix de sourates et fragments du Coran traduits par ses soins avec la collaboration de Mohammed Aït Laâmim ; il nous offre plus exactement, devrait-on écrire, car il s’agit bien de par sa générosité et son entière subjectivité d’un véritable coup de cœur. Coup de cœur parce ce que l’auteur, traducteur de longue date, arabisant averti s’intéressant au monde arabo-musulman depuis des années n’ignore pas à l’évidence les difficultés et l’audace que représente cette traduction de fragments du Livre saint de l’islam ; Texte, en effet, fondateur, révélé en langue arabe, il ne saurait et ne souffre dès lors, sans s’exposer à la critique même la plus indulgente, d’être traduit. Choix audacieux, donc, mais également peut-être chemin le plus direct pour interpeller le lecteur et l’amener à une certaine intersubjectivité, et en fin de compte, peut-être, le toucher droit au cœur… Car avec ce florilège choisi au sein du Livre saint de l’islam, Michel Orcel nous invite avant tout et surtout à une rencontre ou des rencontres.
Rencontre, en premier lieu, avec l’Orient. Car l’Orient, au-delà de la rupture ou du choc des cultures tant rabâchés aujourd’hui, c’est aussi Aladin et les Mille et Une Nuits…c’est également la Reine de Saba et le Roi Salomon…mais, aussi, Marie et Jésus…et en fin de compte, une culture, un texte sacré, une parole révélée à un prophète, qui peut être lu, découvert, apprécié et aimé comme peut l’être une rencontre, une ouverture à quelque chose de précieux.
Mais, en allant à la rencontre de l’Orient, c’est également, en deuxième lieu, une expérience de l’altérité, la découverte et la connaissance de cet Autre. Car, qui, vraiment à la lecture de cet ouvrage, ne trouvera pas une sourate, un verset, un mot, un seul mot qui ne l’interpellera pas et ne le laissera pas étranger ? Qui ne sera pas tenté de lire à haute voix à son amie, à un ami ou pour lui-même, une des peut-être plus belles et anciennes Sourates du Coran ? Même si le Coran, texte révélé, n’est en lui-même ni poésie ni art, mais bien plus et tout cela, qui demeurera insensible à l’art du Maître calligraphe Ghani Alani lorsqu’il met en tracés et volutes la Sourate « La lumière » ? Qui ne ressentira pas le chant, la mélodie, la poésie de ces pages? Michel Orcel, au-delà des critiques liées aux difficultés de la traduction, tant celles, parfois sévères, adressées par lui-même, que celles auxquelles il sait s’exposer, a, ainsi qu’il le souligne dans sa postface, « …tenté, autant que nous en avions les moyens, de donner à ces fragments en français un rythme et une poéticité qui, sans trop trahir la spécificité de l’arabe coranique, puissent en français rendre justice à la beauté de l’original en « claire langue arabe ». Car pour aller à la rencontre de l’autre, encore faut-il savoir entendre et écouter les murmures… les murmures sacrés… ces murmures et échos d’un texte sacré… d’un texte révélé, parole de Dieu, appel et Parole d’Allah…
Puis, qui sait, si en parcourant, en lisant ou feuilletant cet ouvrage, ces sourates et fragments du Coran, le lecteur, vous, moi, nous n’aurons pas l’expérience d’un hapax qui, s’il n’est spirituel ou du moins existentiel, pourra peut-être se révéler être, et cela sera déjà beaucoup, un véritable hapax d’intelligence du coeur…Car cet ouvrage demeure une invite à admirer « …le jaillissement des sourates apocalyptiques ou menaces divines, le vertige ou la douceur des versets mystiques, la mélodie où bruissent les arbres du paradis, les singuliers serments qui convoquent les météores, les anges, les nombres et les astres »…

L.B.K

« Le Destin
Nous l’avons fait descendre en la nuit du Destin
Et que sais-tu de la nuit du Destin ?
Cette nuit du destin vaut mieux que mille mois ;
Les anges et l’Esprit descendent en elle avec la permission de leur Seigneur pour récapituler les choses
Qu’elle soit donc la Paix jusqu’au lever de l’aube ! »
Extrait, « Le Coran, Sourates et fragment
», p.30.

Jean Emériau « Atlas des pays bibliques » Desclée de Brouwer, 2009.

Le lecteur du XXI° siècle est souvent désemparé à la lecture de la Bible. La géographie antique portait souvent des noms qui ont changé ou disparu depuis, et les civilisations qui les caractérisaient sont souvent méconnues de nos contemporains. Le présent atlas viendra offrir une aide précieuse dans cette optique. L’auteur est un passionné de la Bible à laquelle il avait déjà consacré un « Guide biblique de la Terre sainte » ainsi qu’un « Guide de saint Paul », tous deux parus chez Desclée de Brouwer. Conçu de manière très pédagogique et doté d’une riche iconographie et cartographie, cet atlas débute par une première partie qui offre une synthèse des livres essentiels composant la Bible ainsi que les découvertes de l’archéologie pour mieux comprendre la géographie biblique qui sera développée dans la deuxième et troisième partie à l’aide de nombreuses cartes et tableaux. Que l’on souhaite se reporter à la géographie de Rhodes ou de Bethléem, la recherche est aisée grâce à l’index et le lecteur trouvera immédiatement une synthèse des informations essentielles à connaître. Un outil particulièrement efficace à garder à portée de sa Bible !

 

 

Interview

Cardinal Philippe BARBARIN

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ferruccio Nuzzo - SEDICOM Lyon

 

 

Le cardinal Philippe Barbarin, le très médiatique archevêque de Lyon, offre depuis de nombreuses années une image particulièrement dynamique de l'Église catholique. Nommé cardinal par Jean-Paul II, il fut le benjamin du dernier conclave. La jeunesse d'esprit qui le caractérise se manifeste non seulement dans son discours interreligieux qu'il entretient depuis de nombreuses années, mais plus encore par une foi vécue au quotidien qui n'exclut jamais un franc parler. Découverte au sein de la hiérarchie de l'Eglise d'une voie moderne qui sait se faire entendre !

 

 

 

 

LEXNEWS : "Superbe parcours que le vôtre, prêtre à 27 ans, évêque à 48, cardinal à 53. Pourtant, rien n’était écrit d’avance avec une grand’mère auvergnate pour qui la religion était un tissu d’erreurs et prêtre, « un métier de mendigot ! »."


Philippe Barbarin : "C’était un cœur en or, mais elle avait connu la blessure affreuse de perdre son papa à onze ans. Du coup, comme beaucoup de gens qui souffrent trop pour croire en un Dieu bon, elle a tout envoyé promener. Quand elle était très âgée – elle m’aimait beaucoup et je le lui rendais bien -, je lui ai souvent parlé de ce père qu’elle allait retrouver, c’était sûr. Je la sentais un peu ébranlée. Cela dit, mes grands-parents maternels et mes parents étaient, eux, profondément croyants. La messe du dimanche était un événement qu’on vivait en famille. Le dimanche soir, mon père nous lisait un passage de la Bible, puis nous avions un temps de prière en commun."


LEXNEWS : "Sur onze enfants, il y aura un prêtre et trois filles consacrées à Dieu …"


Philippe Barbarin : "Autant ma mère s’est réjouie pour la première, autant elle a vécu difficilement le choix de sa petite dernière : comme toutes les mères, elle avait sans doute imaginé son mariage … La foi était au cœur de nos vies, c’était une histoire toute simple, sans contraintes imposées ni grandes déclarations, sans la moindre bigoterie. Une ouverture aux autres. Une attention portée à chaque enfant. Nous avons longtemps vécu à Rabat où mon père, après avoir quitté l’armée, était devenu secrétaire général des Mines du Maroc. A notre retour en France, il est entré dans une banque. Il a mis mes frères dans l’enseignement catholique mais, sentant monter en moi la vocation, il m’a inscrit au lycée de Saint Maur des Fossés, pour que je me frotte à d’autres idées. Et il m’en a retiré pour la terminale, ayant appris que le prof de philo se vantait de faire perdre la foi à ses élèves en trois mois – à l’époque, en 1967, le corps enseignant était largement marxiste : « Je ne peux pas prendre ce risque-là, m’a-t-il dit »."


LEXNEWS : "Aujourd’hui, c’est d’abord pour leur donner les meilleures chances de réussite scolaire que nombre de familles confient leurs enfants à une école chrétienne … Celle-ci a-t-elle encore, à côté des parents, son rôle à jouer dans la transmission de la foi ?"


Philippe Barbarin : "Ce peut être un très beau rôle. Tout dépend des endroits. Parfois, l’enseignement catholique est de pure étiquette mais, lorsque l’équipe éducative est motivée et sait proposer des temps de prière et une catéchèse adaptée, des célébrations, des activités diverses - une retraite, une nouvelle manière de vivre le carême, une action envers les laissés-pour-compte -, alors les jeunes sont passionnés, Dieu entre vraiment dans leur vie. L’important est que tout se passe dans le respect de chacun. Ainsi, à « l’Immaculée Conception », un établissement de Villeurbanne qui compte une proportion notable de Juifs et de Musulmans, ceux-ci ont la liberté de ne pas venir le 8 décembre, jour de la fête de l’école. Mais l’ambiance est telle ce jour-là que bien peu manquent à l’appel !"


LEXNEWS : "Vous avez été aumônier de lycée. Au lendemain des JMJ de Sidney auxquelles ont participé en juillet 2008, 4 500 Français, quel discours avez-vous envie de tenir à des jeunes souvent mal à l’aise face aux positions exigeantes de l’Eglise en matière de mœurs ? "


Philippe Barbarin : "Je leur dirai des choses très simples et directes. Qu’un être humain repose sur un trépied fondamental : son corps, sa personnalité et sa dimension spirituelle. Les deux premiers éléments, notre société, riche et bien dotée, leur accorde toute son attention. Notre corps est l’objet d’une surveillance médicale attentive, on le nourrit bien, on lui fait faire du sport. L’intelligence et la personnalité aussi, on les développe avec de bonnes études, qui seront l’assurance d’un bon métier. Mais l’être spirituel, lui, est souvent abandonné. Une mutilation injuste. Les parents le savent pourtant : bien sûr, ils veulent pour leur enfant une santé solide et de bons diplômes, mais s’il vit fermé sur lui comme un bloc de béton et n’a aucun copain, ils s’inquiètent. Tout comme s’il mène une vie complètement débridée, avec le risque de se faire prendre par l’alcool, la drogue ou le Sida. Et, d’une certaine manière, c’est notre faute parce que nous n’avons pas osé leur dire des paroles fortes, leur présenter ces biens spirituels que cite Saint Paul dans l’Epitre aux Galates : la joie, la douceur, la maîtrise de soi, la patience, la bonté …, toutes choses fondamentales dans la vie personnelle. Qu’importe s’ils ruent un moment dans les brancards, ils nous en seront reconnaissants plus tard."


LEXNEWS : "Nombre d’incroyants disent oui à ces valeurs chrétiennes, mais sans avoir besoin du Christ pour autant …"


Philippe Barbarin : "En mars 2008, à Lyon, j’ai eu un dialogue avec Axel Kahn, qui protestait contre la phrase de Dostoïevski : « Si Dieu n’existe pas, tout est permis ». « Non, disait-il, car il y a la dignité humaine ». Moi, je suis content d’entendre cela. Mais je lui réponds : « Je ne suis pas sûr que vous arriviez à bâtir une morale forte sans la foi. Un exemple : vous dites qu’aujourd’hui l’avortement est un fait de société, qu’il faut le reconnaître comme un droit. En revanche, vous trouvez monstrueux qu’on puisse condamner un bébé parce que c’est une fille et qu’on voulait un garçon, ou l’inverse. Mais comment empêcher cette monstruosité alors qu’on peut connaître très tôt le sexe de l’enfant et que ce que vous appelez « l’avortement de convenance » est autorisé jusqu’au troisième mois ? Vous voyez bien que, tout seuls, vous n’y arrivez pas ! ». L’Eglise, elle, dit depuis deux mille ans et elle le dira encore dans deux mille ans qu’il ne faut pas tuer l’enfant dans le sein de sa mère, que cette vie doit être respectée, qu’elle est tout aussi précieuse que la nôtre. La parole de l’Eglise est clairement décalée et parfois en opposition avec la société actuelle, mais elle est un précieux rempart contre ce genre d’agissements.

 

LEXNEWS : "Selon la récente enquête menée par « La Vie » *, les catholiques pratiquants seraient moins de 10%. De quoi balayer votre optimisme naturel ?"


Philippe Barbarin : "Nous vivons en France une situation difficile, des pans de murs entiers s’effondrent. Dans les années 50, pour le diocèse de Lyon, il y avait 500 séminaristes : ils sont 38 aujourd’hui, en provenance de dix diocèses. C’est ainsi. Si jamais l’Eglise s’est vantée de ses grands succès, ce n’est pas ce qu’elle a fait de mieux. Mais le péché serait tout aussi grand si, dans la situation actuelle, nous nous laissons aller au découragement ou au désespoir. De toutes façons, je n’aime pas le mot « pratiquant ». On est pratiquant du vélo et du jogging. Cela développe les muscles et les mollets ! Mais on est « pratiqué », par la Parole de Dieu, c’est le Seigneur, notre boulanger, qui pétrit la pâte.

Mon problème à moi, ce n’est pas de tenir des statistiques mais de savoir si Dieu peut encore parler à ses enfants. Une enquête de « la Croix » m’a fait mal : « Les Catholiques de France, était-il dit, sont ceux qui, en Europe, lisent le moins la Bible ». Ca, c’est grave. C’est pour cela que j’ai fait distribuer dans mon diocèse 500 000 Nouveaux Testaments, non pas à la sortie du métro ni dans les boîtes aux lettres pour qu’ils se retrouvent dans le caniveau, mais dans les églises, les paroisses, les écoles … Les gens devaient faire la démarche de venir les chercher."

 

LEXNEWS : "Certains ne mettent jamais les pieds à l’église mais y retournent pour les grandes occasions ?"


Philippe Barbarin : "Difficile de juger. Cette demande de rites est parfois le signe d’une réelle recherche spirituelle. Les parents qui font baptiser leur enfant n’y sont plus obligés par automatisme familial ; s’ils le font, c’est qu’ils sentent bien que, même s’ils donnent le maximum à leur enfant, amour, nourriture, vêtements, une bonne éducation, cela ne suffit pas. Le mariage, c’est plus difficile, il y a le côté mondain, la robe blanche, les orgues, la photo sur le parvis : il faut veiller, par respect des gens, à ce que les jeunes mariés ne posent pas un geste dénué de sens. L’enterrement religieux, c’est encore autre chose : le signe d’un grand respect pour une vie qui arrive à son terme. Les familles ont besoin d’être accompagnées au moment où elles affrontent la seule et unique question qui agite l’être humain : pourquoi la souffrance de la séparation, alors qu’on est fait pour aimer ? Pourquoi la mort, alors qu’on est fait pour la vie ? Une angoisse fondamentale à laquelle Dieu seul peut répondre."


LEXNEWS : "Deux pratiquants sur trois sont des femmes. Or, sur les 200 « catholiques qui comptent » recensés par « la Vie », il y a 42 femmes. On est loin de la parité !"


Philippe Barbarin : "Si le but est la parité, on aimerait bien qu’il y ait plus d’hommes dans les églises ! Mais je vous dirai la vérité vraie. A Madagascar où j’ai passé quatre années, lorsqu’on évoquait les catholiques français du 19ème siècle, de qui parlait-on ? De Thérèse de Lisieux et de Bernadette de Lourdes. Au 20ème siècle, la silhouette de Mère Teresa se penchant, toute cassée, sur les trottoirs de Calcutta pour redonner leur dignité à des gens qui, sans elle, seraient morts comme des chiens, compte sans doute autant que celle de Jean-Paul II, le géant qu’on voyait sur tous les écrans. La vraie parité dans le christianisme, c’est celle de la sainteté. A Lyon, l’immense théologien qu’est Saint Irénée, le deuxième évêque de la ville, est une figure vénérée, mais on connaît au moins autant la petite Sainte Blandine au milieu de ses lions."
 

LEXNEWS : "Les femmes sont rares, tout de même, à des postes de responsabilité : une présidente de la « Catho » de Lille, une vice-recteur à Paris, une dominicaine à la tête de la faculté de théologie d’Angers…"


Philippe Barbarin : "A Lyon, j’ai confié à une femme le plus important de mes services, celui de l’initiation chrétienne. Cela ne m’apparaît même pas comme un progrès : j’ai toujours eu des femmes remarquables dans mes équipes, il y en a deux sur les quatre membres non statutaires de mon conseil épiscopal. Bien sûr, les gens sont obnubilés par l’idée de femmes prêtres ou évêques. Mais il s’agit là de la haute valeur symbolique de l’union du Christ – l’époux – à son Eglise, Jean-Paul II l’a expliqué avec clarté. Cela n’implique pas que les femmes soient reléguées dans des rôles secondaires : une fois encore, c’est la petite Bernadette de Lourdes qu’on connaît dans le monde entier, et non le cardinal qui était alors archevêque de Paris, et dont tout le monde a oublié le nom."


LEXNEWS : "Le pape rencontre les responsables d’autres religions. En matière de dialogue inter-religieux, vous avez toujours été pionnier. C’est au recteur de la Grande Mosquée de Lyon que vous avez demandé de vous décorer de l’Ordre national du Mérite !"


Philippe Barbarin : "Le dialogue avec l’Islam est inscrit dans mon enfance marocaine. Quand mes parents vivaient dans le bled, ils avaient appris l’arabe et le berbère pour communiquer avec leurs voisins. Au moment de Noël, ceux-ci avaient droit à une partie de la bûche et, quand arrivait la fête de l’Aïd, on nous apportait un quartier de mouton – ce qui n’empêchait pas, entre nous soit dit, de solides bagarres avec les petits Arabes pour des histoires de foot ou de cigarettes ! C’est plus tard, quand j’étais vicaire à Vincennes, puis évêque à Moulins, qu’il m’a été donné de vivre des amitiés très fortes avec des croyants musulmans. Et voici qu’à Lyon, je rencontre le nouveau président du Conseil régional du culte musulman, Azzedine Gaci, et que s’instaure avec ce véritable chercheur de Dieu un échange très profond qui m’aide à progresser dans la foi. Mais il est clair que je ne veux éluder aucune des interrogations sur le prosélytisme des Musulmans dans nos banlieues, les menaces de mort qui pèsent parfois sur les jeunes filles et les jeunes femmes qui ont le désir de se faire baptiser, ou l’aspect par trop démonstratif à nos yeux du jeûne ou de la prière dans l’Islam (mais la dimension visible et communautaire n’est-elle pas une aide à la pratique intérieure ? Sous prétexte de rester secret, on ne sait plus trop ce que le carême signifie pour les chrétiens )."


LEXNEWS : "Ensemble, vous avez fait le voyage jusqu’au monastère algérien de Tibhirine où, en mai 1996, sept moines cisterciens furent assassinés par des extrémistes musulmans."


Philippe Barbarin : "Ce fut l’occasion de prier ensemble, d’implorer le pardon de Dieu pour les assassins des moines. L’occasion aussi pour moi de comprendre que la notion de tolérance, utilisée sans cesse à propos du dialogue inter-religieux, est insuffisante. Pour progresser dans ce dialogue, il faut passer de la tolérance à l’estime mutuelle et à l’admiration. Qu’on se souvienne du choc intérieur ressenti par Charles de Foucauld lorsqu’il a vu la ferveur des Musulmans à Fès, et qu’il a soudain mesuré ce qu’il avait perdu en s’éloignant de la foi."


LEXNEWS : "Ce dialogue, vous le menez aussi avec les Juifs, comme en témoigne « Le rabbin et le cardinal » que vous venez d’écrire avec le grand rabbin Gilles Bernheim** ."


Philippe Barbarin : "Il n’est que temps de travailler à réduire la dramatique fracture qui, sur deux millénaires, a séparé juifs et chrétiens, alors que nous appartenons à la même famille et qu’ils sont nos frères aînés dans la foi. Tout date du moment où, étudiant en philo à Paris, je me suis passionné pour l’étude de l’hébreu. A l’été 1974, mon premier voyage à Jérusalem a été un choc. A Vincennes déjà, tout jeune prêtre, je me rendais chaque année à la synagogue pour Yom Kippour. Je continue à Lyon, la calotte de cardinal me tient désormais lieu de kippa ! Tous les ans, en janvier, nous organisons une journée judéo-chrétienne pour commenter ensemble un texte de la Torah, à chaque fois la salle est comble. Jésus était juif : découvrir son enracinement aide les chrétiens à mieux le connaître."


LEXNEWS : "L’argument des croyants, disiez-vous récemment, ne doit pas être d’ordre philosophique ou politique, la seule réponse est celle de la charité en actes, visible, concrète et simple ». Vous-même vous êtes illustré dans la lutte pour les sans-papiers …"


Philippe Barbarin : "Tout le chemin parcouru avec nos frères juifs ou musulmans doit déboucher sur des réalisations concrètes, elles seront le sceau de l’authenticité de ces échanges. J’ai émis le vœu de monter avec des juifs et des musulmans un centre contre le Sida, en Afrique. Je pense aussi à l’action extraordinaire de ce groupe de croyants juifs qui, à Jérusalem, sont toujours les premiers à débarquer sur les lieux d’un attentat : là, ils s’occupent des blessés, aident à les transporter à l’hôpital, et puis ils tentent de reconstituer le corps déchiqueté du kamikaze pour le porter à sa famille. Voilà le premier rôle des hommes de Dieu : être les serviteurs de Sa miséricorde. Dans notre société agnostique ou athée, c’est la seule réponse que nous puissions faire à ceux pour qui la foi n’est qu’illusion."


LEXNEWS : "A vous voir aussi actif, après avoir été opéré d’un cancer début 2008, on se dit en tout cas que la foi est un sacré remontant ! L’expérience de la maladie –inédite pour le grand sportif que vous êtes- a-t-elle modifié votre rapport à Dieu et à l’au-delà ?"


Philippe Barbarin : "Non. La mort, j’ai toujours su qu’elle pouvait arriver d’un moment à l’autre. C’est la belle histoire de Saint Louis de Gonzague enfant et de ses camarades, à qui l’on demandait ce qu’ils feraient si le Bon Dieu arrivait dans le quart d’heure : « J’irai me confesser », répondent les uns ; « J’irai prier à la chapelle », disent les autres. « Et toi, Louis ? », insiste-t-on auprès de l’enfant silencieux : « Je continuerai, dit-il, à jouer au ballon ». Depuis que je suis tout petit, j’ai appris à vivre ainsi sous le regard de Dieu : à lui de décider du jour et de l’heure … "

* « Les catholiques en France », numéro spécial de « La Vie », mars 2008
** « Le rabbin et le cardinal », Stock 2008

 

interview réalisée par Guillemette de Sairigné

 

Le site du Diocèse de Lyon :

http://lyon.catholique.fr

 

 

un petit mot du cardinal Philippe Barbarin

pour nos lecteurs !

 

 Interview Hans KÜNG

Science et Religion

 Paris, 13 mars 2008

© LEXNEWS

 

 

Nous avons eu le plaisir de rencontrer une nouvelle fois le grand théologien Hans Küng lors de sa dernière visite à Paris pour la sortie de son livre "Petit traité du commencement de toutes choses" paru aux Editions du Seuil. Ce dernier livre analyse de manière très rigoureuse les frontières toujours fines et ténues entre foi et science. Récusant toutes les thèses "créationnistes" en vogue actuellement, mais étant tout aussi sévère à l'encontre de certains scientifiques qui franchissent allégrement les limites de leur domaine sans une réflexion appropriée, le théologien rebelle n'a pas baissé la garde ! Découvrons au travers de cette interview une des pensées les plus fertiles de notre époque !

 

 

LEXNEWS : « Le lecteur, habitué ou non de vos écrits, ne manquera pas de s’interroger à la lecture de votre dernière publication de ce profond intérêt que vous manifestez pour les sciences. D’où vous vient cette inclinaison pour la démarche scientifique et l’étude des sciences en général ? »

Hans Küng : « C’est en effet un intérêt très ancien. J'ai toujours été convaincu que l'évolution des sciences est un fait fondamental pour la modernité. J'ai également toujours admiré les découvertes et les inventions scientifiques. En 1977, j'avais déjà prononcé un grand discours pour la célébration du 500e anniversaire de l'université de Tübingen sur le problème de Dieu et des sciences, ce qui était particulièrement intéressant, car le fait d'inviter un théologien à représenter l'université devant le Président de la République de l'époque pouvait surprendre. J'ai également écrit, dans le livre « Dieu existe-t-il ? » un an plus tard, en 1978, un grand nombre de développements sur la création et sur ces questions. Je parlais déjà avec mes collègues de l'université des différents problèmes de l'astronomie ainsi que des autres sciences, mais j'ai toujours voulu écrire un livre comme celui-ci. Le défi du temps était décisif. Il ne faut pas oublier que peu de temps après, on m'a enlevé ma mission canonique, ce qui est particulièrement curieux en ayant rédigé le livre que j'évoquais tout de suite. Cette intervention romaine a interrompu ma pensée et j'ai été obligé de réorganiser toute ma recherche scientifique après 1980. Ce furent, vous le savez, mes années les plus tristes… Il est vrai que les religions du monde ainsi que la littérature ont plutôt occupé mon emploi du temps ces dernières années (j'ai réalisé toute une série de conférences sur les grandes figures de la littérature mondiale comme Blaise Pascal, Lessing, Thomas Mann, Hermann Hesse,…). Je n'avais ainsi pas le temps de poursuivre le plan d'un livre, mais j'avais réussi tout de même à faire un séminaire avec mes collègues du département de physique. Ils furent d'ailleurs très enthousiasmés par ces expériences. C'était audacieux, mais en même temps je connaissais mes limites, c'est pour cela que j'ai attendu quelque temps. Je me suis finalement décidé à écrire ce livre que j'avais préparé pendant de si nombreuses années avant le deuxième volume de mes mémoires. C'est en fait un livre très exigeant même s'il peut apparaître accessible à une première lecture. Combiner le développement de la philosophie, des sciences, de l'histoire, de l'éthique avec les données les plus à jour de l'astrophysique, de la microbiologie, de l'anthropologie culturelle… Cela exige beaucoup de travail !
Cette approche a déjà été réalisée par des scientifiques, mais trop souvent cela conduit à des simplifications réductrices faute de connaître suffisamment la théologie. Bien entendu, la grande difficulté pour moi était de réunir tous ces matériaux dans les sciences. Cela a été pour moi un voyage absolument fascinant parce que j'ai gardé la curiosité intellectuelle de ma jeunesse. J'ai trouvé passionnant d'étudier comment les scientifiques présentaient aujourd'hui le big-bang, l'évolution de ces milliards d'années… »

LEXNEWS : « on a l'impression à vous lire, que vous auriez très bien pu être un scientifique au lieu d'un théologien. »

Hans Küng : « Il y avait quand même un obstacle : je n'aimais pas tellement les mathématiques. J’apprécie la logique de René Descartes, mais je n'ai jamais aimé l'arithmétique ! »

LEXNEWS : « La notion de paradigme a été essentielle dans l’histoire de nos civilisations dans leurs rapports avec la science. Vous soulignez les nombreuses difficultés quant à ces changements de paradigmes lors de grandes découvertes telles celle de Galilée par exemple donnant lieu à un procès qui n’a jamais été vraiment clos. Estimez-vous possible un éventuel changement de paradigme de nos jours dans une société en crise ? ».

Hans Küng : « Je pense que nous sommes au milieu d’un changement de paradigme. Dans mon grand volume sur le christianisme ainsi que dans mon livre sur l'islam, j'ai analysé ces changements de paradigme du Moyen Âge, de la Renaissance, de la modernité à la postmodernité. Pour moi la postmodernité n'a rien à voir avec le postmodernisme littéraire français qui est quelque chose d'arbitraire. C'est un développement qui a commencé avec la première guerre mondiale avec la chute de la modernité. Au début du XXe siècle, on a pensé que tous ces progrès seraient éternels, on a cru aux sciences... La Première Guerre mondiale, le nazisme, tous ces mouvements réactionnaires ont déjà provoqué un changement de paradigme qui a mis en doute les valeurs directrices de la modernité : le progrès, la raison, la nation…. Pratiquement tout cela était en crise. Ce qui apparaît clair aujourd'hui, l'était déjà après la première guerre mondiale pour des esprits critiques. Nous sommes au milieu donc de ce changement de paradigme même si on doit évidemment garder ces valeurs. Il est en effet difficile aujourd'hui de remplacer la raison par un irrationalisme, la nation par un Etat du monde, etc. Si l'on doit promouvoir le progrès, il faut également souligner ses effets négatifs. Dans ce sens, il y a un nouveau paradigme. Je pense que la fonction de la religion a été trop longtemps ignorée, entre autres, à cause de l'église elle-même. Il y a un retour à la religion qui est malheureusement ambivalent puisque cela peut être fait d'une manière réactionnaire, destructive, fanatique, mais également de manière libératrice comme en Amérique latine, mais également en Pologne, en Allemagne orientale… Il n'y aurait pas eu une révolution pacifique contre le système soviétique sans les églises. Tout cela montre qu'il y a une possibilité d'une nouvelle synthèse de la religion avec les sciences, avec la démocratie ainsi que toutes les valeurs de la modernité. C'est précisément la postmodernité. »
 

Hans Küng à la librairie La Procure le 12/03/2008

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LEXNEWS : « Vous critiquez la toute-puissance des sciences, c'est-à-dire des scientifiques, lorsque cela conduit à une intransigeance positiviste, de même que vous condamnez l’aveuglement dogmatique de la religion dans ses positions arrêtées sur le contrôle des naissances, la prévention du SIDA, l’euthanasie,… »

Hans Küng : « Oui, c'est en effet un peu ma position générale. J'ai eu une éducation classique et je n'ai jamais aimé faire des zigzags dans ma pensée. Vous savez il y a des théologiens qui sont experts dans ces zigzags ! J'ai suivi plutôt une ligne classique dans le sens d'Aristote qui a bien vu que la vertu est toujours entre deux extrêmes. Heureusement, j'ai eu une éducation classique reçue à Rome et aussi à Paris où j’ai fait ma thèse de doctorat d'État en Sorbonne sur Hegel. Tout cela m'a donné des instruments conceptuels pour analyser d'une manière très exacte les différentes tendances qui se présentent. Je suis ainsi capable de prendre une position équilibrée au meilleur sens du mot. Je pense que c'est aussi grâce à mon éducation catholique que je suis plus intéressé à intégrer qu'à rejeter. Jusqu'à maintenant, j'ai toujours aimé prendre le côté positif des différents penseurs même si évidemment je reste toujours très critique lorsque c'est nécessaire. C'est la même chose pour ce dernier livre dont nous parlons. J'ai tendance à intégrer les extrêmes. »

LEXNEWS : « Vous avez cette phrase qui pourra surprendre notre XXI° siècle habitué au discours de la science : « Une logique et une théorie des sciences modernes ne doivent pas nécessairement se présenter sous une forme antimétaphysique et antithéologique» (p. 44).»

Hans Küng : « Cela signifie qu'il faut accepter la philosophie moderne depuis, disons, René Descartes, et développée jusqu'à Nietzsche dans un sens antimétaphysique. Cela concerne avant toute chose la position de l'église, mais également un certain platonisme qui a placé la métaphysique comme quelque chose en retrait des individus, une autre sphère... Sans faire de polémique, Joseph Ratzinger est un platonicien. Moi, je suis plutôt aristotélicien dans ce sens-là, j'ai toujours pris très au sérieux l'empirique. Dans cette même optique, j'ai préféré saint Thomas d'Aquin à saint Augustin. J'ai toujours dit à mes étudiants : les faits sont les faits, il ne sert à rien de nier les faits. D'autre part, si l'on accepte tout cela, on doit tout de même voir que la réalité a des dimensions différentes et qu'il est tout à fait simpliste de penser que la réalité physique, que je prends très au sérieux, est l'unique sphère, strate… Il y a parallèlement la sphère du droit, de l'esthétique, de l'éthique et finalement de la religion. Il n'est cependant pas obligatoire de parler d'une métaphysique, le terme de métaphysique donne précisément l'impression de quelque chose de platonicien, très éloignée. Pour moi, la réalité de Dieu comme je l'ai présentée dans mon livre est dans l'univers et non pas au-delà ou au-dessus des choses. Dans ce sens-là, je n'aime pas tellement le mot métaphysique parce qu'il donne l'impression de ne pas prendre au sérieux tous les doutes de Nietzsche, de Heidegger et de tous ceux qui ont polémiqué sur la métaphysique. Je préfère parler d'une strate éthique indéniable et je crois que cette idée ne pose pas tellement problème aux physiciens ou aux chimistes des sciences dures. Nous avons plutôt des problèmes avec les psychologues ! Les grands physiciens du XXe siècle tel Einstein avaient déjà cette interrogation et avaient bien noté que la réalité est bien plus grande que la physique. Dans ce sens-là, je pense que je suis sur la bonne voie afin d’offrir une solution à tous ceux qui sont profondément engagés dans les sciences modernes et qui estiment que tout cela n'est pas le tout. Très souvent, il leur manque les mots pour exprimer cela. Je me souviens d'un de mes collègues en médecine, expert en radiologie, qui m'avouait prier encore avec les mots appris dans son enfance à défaut d'autre expression. Je pense avoir fait un très grand effort pour donner des concepts, des images, sur la réalité de Dieu qui prennent non seulement en compte l'aspect personnel, mais également impersonnel. La réalité de Dieu dans la lumière de l'évolution ne peut pas être un être humain, mais d'autre part, on peut s'adresser à cette réalité et pour cela, il faut des images. Je ne peux pas prier l'être suprême de Robespierre ou bien esse ipsum ! Je pense que les termes de l'écriture comme le mot «Père »sont nécessaires pour l'homme, mais il faut en même temps prendre en compte les grandes images de Nietzsche dans ce fameux récit en se demandant comment il était possible d'effacer l'horizon, comment il était possible de vider la mer... La mer, le soleil sont de très bons exemples, des images impersonnelles qui sont importantes pour présenter la réalité de Dieu. Tout cela est bien mieux qu'une métaphysique. Je veux prendre au sérieux tous les résultats philosophiques. Je suis très rationnel, mais je ne suis pas un rationaliste et dans ce sens-là il faut des métaphores. »

 

Retrouvez la Fondation Ethique Planétaire :

www.weltethos.org/dat_fra/indx_0fr.htm

 

 

LEXNEWS : « De même, vous proposez cette question essentielle : « N’y aurait-il pas dans notre univers des entités, des évènements et des interactions qui n’ont pas de figuration dans l’espace physique, qui donc d’entrée de jeu se soustraient à la possibilité de la connaissance physique ? » (p. 75) ».

Hans Küng : « les sciences physiques doivent suivre leur propre méthode, mais en faisant ainsi elles ne sont plus compétentes dans les autres sphères. Elles ne peuvent pas étendre leurs jugements au-delà de l'horizon de l'expérience. C'est déjà une idée essentielle de Kant avec la raison pure fondée sur l'expérience qui n'est pas capable de juger quelque chose qui est au-delà de l'horizon, de l'expérience physique, de l'espace et du temps. Je pense que cela veut dire d'une part que l'on ne peut pas exiger des sciences physiques de parler de Dieu et d'autre part que ces sciences physiques ne s'autorisent pas à parler de Dieu. Je crois que tout cela est dû aux limites des connaissances. Je déplore beaucoup qu'un certain nombre d'intellectuels fassent des jugements illégitimes sur des domaines dans lesquels ils ne sont pas compétents. Ce que j'exige pour moi-même, je fais un effort terrible pour comprendre les autres sciences, je crois qu'on peut l’attendre des autres intellectuels avec un minimum de connaissances sur les problèmes religieux… »


LEXNEWS : « De grands scientifiques hésitent de plus en plus à intervenir sur le plan de la communication à proximité de questions religieuses débattues de peur d’être confondus avec le néocréationisme et autre dessein intelligent. Une telle confusion pouvant compromettre leur crédibilité auprès de la communauté scientifique. »

Hans Küng : « Je comprends ces difficultés, mais la réaction adéquate n'est pas de se taire, mais au contraire de préciser ces distinctions. Je pense que les collègues des autres sciences qui liront mon livre seront dans la position de répondre à ce genre de questions. S'ils ne disent rien du tout, ils renforcent précisément ces personnes qui pensent d'une manière un peu simpliste qu'il faut un Intelligent design. C'est pour ces raisons que pour s’opposer à ces forces, il faut donner une réponse construite et non un silence. Il est vrai qu'au début avec mes collègues de la physique, il y avait une certaine attente, une certaine réserve, surtout parce que certains théologiens suivent le modèle, que j’évoquais tout à l’heure, de l'harmonisation. Ils emploient les résultats des sciences de la nature pour faire une synthèse facile. Cela agace à juste titre les scientifiques. Dans la plupart des cas, c'est un manque de philosophie qui est la cause de cette absence de dialogue. Si l’on n’a pas vu le problème kantien, on est très gêné pour faire cela et l'on devient trop naïf… Très souvent dans cet ordre d'idée, dès qu'il y a un processus en sciences, ces personnes concluent à la nécessité d'un auteur ! Le fait de conclure à la présence ou non d'un auteur est un jugement au-delà de l'expérience et dans ce cas ce n'est plus l'homme des sciences qui est compétent. Je crois que l'avantage de cette position, c'est de donner la pleine liberté pour se décider. Cela m'a beaucoup aidé quand j'ai parlé aux hommes des sciences en les rassurant et en leur disant n'ayez pas peur, je ne vous forcerai en rien ! »
 

© LEXNEWS


LEXNEWS : « Si l'on résume, lorsque vous proposez ces idées, vous ne proposez pas une science. Vous ne faites pas un discours scientifique. Vous vous placez à un niveau méta, au-dessus de la science. »

Hans Küng : « Oui absolument, et là réside la liberté. Il y a énormément de raison pour s'opposer à l'idée de Dieu, mais il y a également beaucoup d'arguments pour affirmer sa présence. Je pense en dernière analyse qu'il est plus raisonnable d'accepter qu'il y ait un sens à tout cela que de dire : ça n'a aucun sens. C'est plutôt cette dernière position qui est irrationnelle. J'ai expliqué cela dans le livre "Dieu existe-t-il ?» d’une manière plus concrète. Finalement, nous avons assez d’arguments pour affirmer librement l'existence de Dieu. Je pense que mon livre permet de lutter contre l'idée de fondamentalisme. Ces positions renforcent l'idée selon laquelle il n'y a pas de position intermédiaire comme la mienne. La simplification des choses encourage cela et les extrêmes se touchent. »

LEXNEWS : « L’éthique a un rôle essentiel à jouer dans nos sociétés contemporaines et vous concluez votre réflexion sur cet enjeu."

Hans Küng : « Une question fondamentale se pose lorsque l'on réfléchit à l'homme dans le cadre des sciences : comment l'être humain a appris à être humain ? C'est évidemment la question de la différence entre les animaux et l'homme. L'éthique est une différence essentielle. On ne peut pas attendre d'un animal qu'il suive une éthique malgré toutes les similarités entre ces deux espèces. Pour moi, il est très important de comprendre ce processus très long qui porte sur des milliers d'années. C'est pour ces raisons que les cultures primitives m'ont toujours beaucoup intéressé. Il y a donc une éthique de l'humanité qui s'est développée à travers les millénaires, mais il y a aussi une certaine universalité de ces normes qui n'est pas accidentelle. Ce sont certaines sphères essentielles comme préserver la vie, l'honneur, la propriété, l'intégrité sexuelle… Ce sont déjà les impératifs très élémentaires : ne pas tuer, ne pas mentir, ne pas abuser de la sexualité… Tout cela a un aspect universel avec bien sûr des spécificités selon les cultures. Le projet d'une éthique planétaire prend donc en compte la dimension du temps et de l'espace. Si l'on arrive maintenant au temps présent, nous constatons un problème fondamental dans toutes les régions du monde : les normes sont de plus en plus vidées de leur sens. Le développement de la modernité a produit beaucoup de normes, mais je pense que Nietzsche avait raison : si l’on supprime la valeur suprême, il est illusoire de croire que toutes les autres valeurs demeureront. Il y a vraiment du fait de la perte de la religion une remise en cause des autres normes. Pendant un certain temps, la coutume a maintenu un certain nombre de traditions en Europe chrétienne. Mais de plus en plus, ces traditions s'évanouissent et laissent place à des phénomènes que nous ne connaissions pas auparavant. Des enfants qui tuent leurs instituteurs, la corruption généralisée dans des pays dits civilisés, tout cela montre qu'il y a une érosion de la moralité qui détruit les fondements de la société. Les sciences elles-mêmes ne sont pas en dehors de cela. Il n'y a pas encore très longtemps, on pensait qu'il n'y avait pas de mensonges dans la physique ou dans la biologie. Or aujourd'hui, on constate beaucoup de tricheries dans ces domaines. Il nous faut de nouveau une éthique qui ne soit pas un système éthique. J'emploie d'ailleurs plutôt le terme éthos plutôt qu'éthique, car il ne s'agit pas d'un nouveau système éthique au sens d'Aristote, de saint Thomas d'Aquin ou encore de Kant. Il s'agit d'impératifs de l'humanité assez simples à l'image des quatre exemples susmentionnés. Il y a deux principes fondamentaux qui sont supportés par toutes les religions du monde : la règle d'or que l'on trouve déjà chez Confucius, ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas que l'on fasse à toi-même ; c'est le principe de la réciprocité, cette règle d'or, ainsi que le principe également fondamental de l'humanité c'est-à-dire que chaque être humain doit être traité de manière humaine. Même les États-Unis, exemple de la démocratie, ont été capables de comportements inacceptables en Irak, dans des prisons… Tout cela montre que la situation est sérieuse. Il y a maintenant en face de nous deux possibilités qui sont des extrêmes et qui sont ni l'une ni l'autre des solutions : le cléricalisme et la rechristianisation à la Karol Wojtyla qui pense remplacer le paradigme moderne par le paradigme de la Pologne médiévale antimoderne. Je pense que le pape actuel malheureusement ne voit pas suffisamment que cela ne fonctionnera pas. Il me semble que toutes ces manifestations sont des villages Potemkine, ce n'est pas la solution ! La laïcité à la française n'est pas non plus la solution.
Le projet d'une éthique interplanétaire permet aux individus de garder leurs convictions fondamentales. Le catholique reste catholique, l’athée reste athée mais chacun doit au moins suivre ce minimum d'attitudes et de normes éthiques, ces impératifs de l'humanité. Cela doit faire l'objet d'un enseignement à l'école dès le plus jeune âge. J'ai proposé une coalition entre les croyants et les non-croyants. On ne doit pas faire une alliance contre les athées, c'est toute autre chose que je propose. Il faut une reconnaissance de ces problèmes. Vous avez l'avantage en France d'être la nation des droits de l'homme et de la Révolution française, mais, parfois, on a l'impression que cet héritage est un peu loin. Il est important aujourd'hui de penser aux devoirs de l'homme pour éviter l'individualisme, cause de ce que nous constatons aujourd'hui. Robespierre en son temps s'était opposé à cette déclaration. J'ai fait un essai pour le Parlement des religions (citer la source en lien) ainsi que le propos que j'ai fait pour les anciens premiers ministres et chefs d'État pour une déclaration universelle des devoirs de l'homme. Je préfère d’ailleurs le mot des responsabilités, car le mot devoir peut paraître trop prescriptif. Cette déclaration est opérationnelle et elle peut servir dès aujourd'hui, cela n'est pas le produit d'un théologien qui serait dans l'abstrait, mais d'une personne qui a beaucoup discuté avec de grands responsables politiques et religieux et qui suit l'actualité au quotidien. Je crois que j'ai fait en sorte de conserver le coeur même de ma théologie et de ma foi chrétiennes, mais j'ai élargi l'horizon de manière assez importante même si ce n'était pas le plan initial. Mais avec les défis du temps, je suis arrivé en partant de l'unité des églises à la paix entre les religions et finalement à la communauté des nations, trois cercles si vous voulez de plus en plus larges.»
 

 

Continuum International Publishing Group Ltd. (1 Jul 2008) (version anglaise)

 

 

Le deuxième tome des mémoires du théologien ainsi que son dernier livre sur l'Islam

sont à paraître en 2009 aux Editions du Cerf.

Un message de Hans KÜNG pour les lecteurs de LEXNEWS !

 

© LEXNEWS

 

 

INTERVIEW HANS KÜNG

11 avril 2007

 

Biographie

Né en 1928 à Sursee (Suisse), Hans Küng fait ses études de philosophie et de théologie à l'Université grégorienne de Rome. Il est ordonné prêtre en 1954. Assistant à Münster (1959-1960), professeur de théologie fondamentale (1960-1963), puis professeur de théologie dogmatique à Tübingen. Il dirige depuis 1980 l'Institut de théologie œcuménique rattaché à l'université de Tübingen.

Il consacrera une partie importante de ses travaux théologiques à l’œcuménisme et au dialogue interconfessionnel. Il participe activement en tant qu'expert aux travaux du IIe concile du Vatican,  notamment sur les questions d'ecclésiologie à incidence œcuménique.

Ses thèses sur l'infaillibilité de même que son livre Être chrétien nourriront de vives controverses. Hans KÜNG se verra adressé en 1975 une mise en garde par la Congrégation pour la doctrine de la foi. En 1979, la Congrégation le sanctionnera canoniquement en lui enlevant le droit d'enseigner. L'institut qu’il dirigeait sera alors détaché de la faculté de théologie catholique et placé directement sous l'autorité de l'Université de Tübingen. Ces épreuves le conduiront à la publication, en 1990, du Projet d'éthique planétaire, donnant une dimension plus universaliste à ses recherches. Une institution naîtra de ces travaux : en 1995 sera créée la Fondation Weltethos (Éthique mondiale). Hans KÜNG est l’une des figures marquantes de la théologie contemporaine.

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A l'occasion de la sortie de son premier volume de Mémoires (Éditions du Cerf), LEXNEWS a eu l'immense plaisir d'interviewer l'une des figures marquantes de la théologie en la personne de Hans KÜNG. Témoin et acteur du Concile Vatican II, intellectuel aussi raffiné que redoutable, Hans KÜNG ne peut laisser indifférent. Son parcours exceptionnel retracé dans ses Mémoires démontre que le courage de l'action ne va pas sans sacrifices, sacrifices qui paradoxalement peuvent amener à des voies supérieures. Démonstration avec un homme d'intelligence !

 

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LEXNEWS : « Votre formation au Pontificum Collegium Germanicum nous apparaît en ce début de XXI° siècle comme particulièrement rigoureuse, comment la jugez-vous aujourd’hui (au sens large) en comparaison à l’éducation des jeunes d’aujourd’hui ? Et en quoi  a-t-elle été déterminante dans vos recherches futures ? »

Hans KÜNG : « La méthode pédagogique du Collège germanique des années 48-55 est aujourd’hui tout à fait dépassée, y compris dans le cadre de ce même collège. Les belles soutanes rouges ont été abolies et pratiquement rien n’est resté tel que c'était à l'époque. Je dois préciser deux ou trois choses. Tout d'abord, je suis très heureux d'avoir reçu cette éducation tout à fait classique, non seulement du point de vue théologique, mais aussi du point de vue spirituel. Je me demande si l'on ne néglige pas trop aujourd'hui cette formation spirituelle qui était très importante pour nous à l'époque. Je vous donne un exemple : Je viens de recevoir aujourd'hui un très beau livre sur Ignace de Loyola et cela m'évoque immédiatement cette pratique des exercices spirituels, qui a été si importante pour moi. Précisément du fait de certaines contraintes, mais également à cause des conflits vécus, j'ai pu mûrir et d'une certaine manière être bien mieux préparé. Dans ce sens-là, pour citer Édith Piaf, je ne regrette rien ! 

Un certain climat d'ouverture d'esprit régnait à l'Université Grégorienne et dans notre Collège. Je n'ai eu aucune objection au choix de Jean-Paul Sartre comme sujet de petite thèse en licence de philosophie. On a trouvé cela assez normal et c'est d'ailleurs à ce moment que des cours spécifiques ont été créés pour répondre à des problèmes de l'époque. Ainsi, je me souviens d'un Père Arnou, un Français, qui faisait à l'époque des développements sur la nouvelle anthropologie, et en ce sens, il n'y avait pas de restrictions.

Je crois qu'il n'est pas possible de renouveler aujourd’hui cette même éducation qui nous avait été dispensée à l'époque. Néanmoins, je regrette beaucoup l’aspect universel de cette éducation, une éducation profondément humaniste que j'avais déjà reçue à Lucerne, au lycée. Je pense que l'on a trop négligé les oeuvres classiques pour être trop moderniste au bénéfice de la littérature triviale. Et il me semble que l'on n'a pas fait cet effort de poursuivre l'enseignement de ces humanités. J'ai gardé personnellement cet enseignement comme une dimension de ma vie tout entière. J'ai pu écrire tout autant sur l'origine de notre humanité, sur la biologie moléculaire, l'astrophysique, mais aussi sur la musique avec Mozart, Wagner, Bruckner,… et, entre la musique et la physique, j’ai traité presque tous les problèmes sur Dieu et le Monde. Cela présupposait déjà une éducation générale mais également une curiosité intellectuelle sans limite que j'ai gardée jusqu'à aujourd'hui. »

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 « Vous n'êtes pas né pour ce Collège, vous êtes né pour la vie ».

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LEXNEWS : « Vos premiers écrits revendiquent une rare liberté d’esprit pour un jeune théologien formé à l’école romaine. De même, votre volonté d’œcuménisme tranche sur un très grand nombre de vos contemporains suivant une voie plus « docile »… »

Hans KÜNG : « je pense que ma nationalité suisse, mes expériences pendant la seconde guerre mondiale, mon esprit antinazi, mon sens de liberté ont fortement influencé cette liberté. Cela a grandement joué dans ma résistance face à Rome lorsque l'on a cherché à me former d'une certaine manière excessive. Nous avions heureusement à l'époque au Collège un directeur spirituel jésuite qui a approuvé mon chemin. Il ne m'a jamais dit « non » ou « que cela était impossible ». Très tôt, il m'avait dit : « vous n'êtes pas né pour ce Collège, vous êtes né pour la vie ». Il signifiait par là, qu'il était tout à fait normal que je sois de moins en moins à l'aise dans le cadre de cet enseignement. Grâce à cela, j'ai trouvé mon chemin et évidemment, j'ai toujours été très heureux d'avoir reçu tous les talents  nécessaires pour faire ce chemin. Cela m'a aidé également à ne pas me révolter dans les conditions très difficiles que j'ai pu connaître par la suite avec un Dieu qui exige de trop, même si je connaissais déjà la réponse : tu as reçu tout ce qu'il te faut, ne te complains pas ! »

LEXNEWS : « Pourriez-vous nous rappeler l’importance de la question de la doctrine chrétienne de la justification à laquelle vous avez consacré un important travail de recherche et qui conduira à la publication d’un livre essentiel portant ce titre ? »

Hans KÜNG : « Cela n'est en fait pas si difficile que cela à comprendre. Un catholique a appris évidemment que les bonnes oeuvres sont importantes et que la foi sans les oeuvres n'est rien. J’ai tout d'abord étudié le Concile de Trente, puis la théologie de Karl Barth, et j'ai découvert une dimension [spirituelle] qui m'a beaucoup aidé dans la vie, et qui me semble également importante pour l’homme d'aujourd'hui. Il ne s'agit plus, de nos jours, des oeuvres pieuses comme au Moyen-Âge mais des oeuvres tout court, en allemand nous les nommons « Leistung », c'est-à-dire un accomplissement. Un homme aujourd'hui qui n'est pas performant n'est rien. J'ai appris que, devant Dieu, la perspective est différente. Cela ne dépend pas de vos accomplissements, même s'ils sont nécessaires. Ce n'est pas le critère majeur. Le critère final, et ce point est très important, c’est une confiance radicale en Lui, à l'image de Saint-Pierre sur l'eau. On ne va pas s’attacher aux tempêtes, mais on doit regarder le Seigneur et aller de l’avant. Pour moi, il était très important de savoir que j'avais cette relation immédiate qui me rend libre vis-à-vis des autorités ecclésiastiques, et de toute autorité de manière générale, ma dernière responsabilité étant celle de ma conscience envers Dieu. Mon attitude fondamentale est celle d'une conscience raisonnable, mais inébranlable, en Dieu. »

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«Je pense sincèrement que tous ces compromis ont joué dans les difficultés que connaît l'Église aujourd'hui».

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LEXNEWS : « Le Concile Vatican II, auquel vous avez participé activement en tant que conseiller, vous laisse à la fois l’impression d’œuvre inachevée, fruit de trop grands compromis, et en même temps, le sentiment d’être parvenu à un stade nouveau de non-retour dans l’évolution de l’Eglise. Quels sont vos sentiments aujourd’hui face aux difficultés de l’Eglise du XXI° siècle ? »

Hans KÜNG : « Oui, cela a été un changement fondamental pour l'Église catholique par rapport à deux autres changements de paradigme : à savoir celui de la Réforme et celui des Lumières. Je crois qu'il ne sera pas possible de revenir là-dessus. Certaines personnes évidemment à Rome essayent d'aller à contresens mais il ne sera jamais possible de revenir de nouveau au latin comme langue dominante de la messe. D'autre part, je dois dire que la Curie romaine, malheureusement, fait tout pour éviter que ce changement de paradigme soit pleinement réalisé.

Nous avons partout des compromis, des demi-mesures. L'exemple classique concerne précisément le latin. Il n'a pas été dit clairement : voilà nous célébrerons désormais en langue populaire. Déjà à l'époque, j'avais précisé que cela conduirait à une très grande confusion. Le deuxième exemple concerne le contrôle des naissances. Nous étions à l’époque totalement ambiguë quant au texte lui-même, ainsi que dans les notes où a pu être citée l'encyclique contre la contraception. Et il était évident à l'époque que cela entraînerait à l'avenir de nombreuses difficultés. D'autres sujets cruciaux ont été écartés comme ceux du célibat des prêtres et de l’intercommunion entre catholiques et protestants ; Je pense sincèrement que tous ces compromis ont joué dans les difficultés que connaît l'Église aujourd'hui. Si nous avions eu une discussion ouverte sur la contraception, je suis sûr que nous aurions eu le même vote que celui concernant la liberté religieuse. Cela avait été une très grande bataille et je pense que nous aurions pu obtenir le même nombre de voix pour un célibat volontaire. Mais, la Curie romaine savait cela à l'avance et a tout fait pour défendre une position conservatrice. Il était en effet prévisible que cela aurait des conséquences sérieuses après le Concile. J'étais très tôt convaincu que cela était catastrophique, et même suicidaire, pour l'Église elle-même. On voit très bien de plus en plus que cela conduit à une diminution des vocations et à des scandales sexuels dans le clergé. Même si cela n'est pas le seul facteur, cela reste un point central et symbolique de ne pas vouloir donner la liberté aux jeunes gens de choisir s'ils souhaitent être mariés ou pas. »

LEXNEWS : « Que pensez vous de la position du pape Benoît XVI, que vous avez bien connu, dans son exhortation Sacramentum caritatis  sur la confirmation de la doctrine de l’Eglise en matière de célibat sacerdotal ou l’impossibilité de sacrements aux divorcés remariés tout en saluant l’importance des réformes de Vatican II. De même, comment réagissez vous à la condamnation du théologien jésuite Jon Sobrino pour ces études sur Jésus manifestement peu appréciées du Vatican? »

Hans KÜNG : « J'ai beaucoup loué l’Encyclique sur la Charité, c'était surprenant, positif et constructif. Mais, je pense en même temps que cette exhortation Sacramentum caritatis ne tire pas suffisamment les conséquences que j'avais souhaitées en proposant une seconde encyclique sur les structures de l'église, sur le personnel,... C'est même plutôt le contraire, et malheureusement le Pape Ratzinger n'a pas cette liberté que l'on avait pu souhaiter. Nous attendons encore une action courageuse de lui.

Quant à Jon Sobrino, je le connais très bien. Il a participé à une série de 7 documentaires, qui existent d'ailleurs en français, sur les grandes religions du monde. J'ai précisément commencé le film sur le Christianisme au Salvador parce que j'ai voulu montrer que le Christianisme est une pratique et pas seulement une théorie. Lors de la réalisation du film, nous avons tourné dans une région très pauvre proche de l'église où l'évêque Romero avait été assassiné. J'ai alors demandé à mon ami Jon Sobrino s'il voulait lui-même célébrer la messe. Et alors qu'il avait été très enthousiasmé, il a fini par refuser de peur que cela lui nuise ! Évidemment, je connais ce genre de problème, et je comprends sa réaction.  En fait, on reproche à Jon Sobrino les mêmes choses que l'on reprochait à mon livre « Etre chrétien ». Je pense fondamentalement qu'il faut annoncer au monde Jésus Christ et non un énième concile ou une formule toute préparée. J’estime que cette démarche est courageuse, qu'il a fait un très grand effort pour présenter la figure de Jésus Christ dans le contexte de L'Amérique latine. Je trouve assez stupide de réagir aujourd'hui contre un livre publié il y a vingt ans ! Il est très décevant de constater que sous Benoît XVI, nous avons encore les mêmes méthodes inquisitoriales. Heureusement, aujourd'hui, tout cela a moins de portée qu'autrefois, ces mesures ne sont plus véritablement efficaces et n'empêchent nullement la parution de livres. Qui plus est, Il y a aujourd'hui toutes sortes de possibilités de parler, à la radio, à la télévision, sur Internet... »

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«J'ai été confronté très tôt à la nécessité d'un dialogue entre les religions.»

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LEXNEWS : « Nous passerons sur les nombreux conflits et trahisons qui ont jalonné votre vie, prix à payer d’une liberté chèrement acquise, pour souligner vos combats actuels. Vous insistez très tôt, dés vos premiers cours à l’Université de Tübingen (1960) sur l’évolution majeure de l’existence humaine ainsi que sur le changement essentiel de paradigme au cours du XX° siècle. En ce début de XXI° siècle, votre Fondation Weltethos pour une éthique planétaire poursuit-elle, et de quelle manière, cette profonde conviction ? »

Hans KÜNG : « Les choses ont changé. Dans mon second volume de mémoires que je viens de terminer et qui paraîtra en septembre en allemand sous le titre « Umstrittene Wahrheit », « Mon combat pour la vérité », on lira que mon histoire va devenir tout à fait dramatique. Je dois en effet raconter cette grande confrontation que j'ai dû subir face au Vatican en 1979. À cette époque, par un coup de force, on m’a enlevé le droit canonique d’enseigner. C'est une histoire très triste mais à la fin glorieuse parce que cela m'a libéré de beaucoup de choses et cela m'a donné des possibilités tout à fait nouvelles. Rome n'est pas arrivé à me dépouiller totalement de ma position à l'Université, j'ai gardé ma chaire, j'ai pu garder mon Institut ainsi que mon équipe et j'ai ainsi pu me diriger vers de nouvelles frontières. Dans ce sens, j'ai été confronté très tôt à la nécessité d'un dialogue entre les religions. Dès les années 80, j'ai pu mettre les fondements de toute la théorie en réalisant un dialogue concret avec le Judaïsme mais aussi l'Islam ainsi que les religions indiennes et chinoises. J'ai ainsi pu être très bien préparé pour une période nouvelle, et dans ce sens, ces quatre mois, même s’ils ont été les plus tristes pour moi en 1979, ont été la condition d'une liberté inouïe par la suite. Cela m'a en effet permis d'ouvrir des horizons vraiment nouveaux et d'aller plus loin. Si le dialogue des religions implique une dimension politique, cela va encore plus loin. J'ai en effet fait une découverte décisive : les différences dogmatiques, par lesquelles j'ai évidemment commencé venant de la discipline théologique, sont beaucoup plus grandes que dans l'éthique. Dans mes premiers livres, je n'avais pas fait beaucoup attention à l'éthique, on trouvait cela normal. Ce n'est que plus tard que j'ai observé que les échelons éthiques [élémentaires] dans les différentes religions étaient à peu près les mêmes : vous avez la règle d'or chez Confucius, vous avez tous ces grands impératifs humains pour que l'homme soit vraiment homme. Vous constatez ainsi dans toutes les grandes traditions religieuses les mêmes préceptes : ne pas tuer, ne pas mentir, ne pas voler, ne pas abuser de la sexualité,... Cela a été à l'origine de l'idée d'une éthique planétaire qui peut être aujourd'hui la solution, y compris en France où il y a encore cette séparation très malheureuse opérée par la révolution française entre les cléricaux catholiques et les laïques. L'éthique planétaire donne pratiquement raison aux deux parties. Vous pouvez garder votre foi chrétienne, catholique, mais cela ne vous empêche pas non plus d'appliquer ces principes éthiques communs. Le pape Benoît XVI avait partagé cette opinion lorsque nous en avions parlé ensemble à Castel Gandolfo. D'autre part, les laïques qui sont toujours nerveux sur ces questions des religions pourraient accepter cette éthique planétaire sans être obligés d'accepter une religion. Un agnostique, un athée ou un laïc peuvent également adhérer à cette idée. »

LEXNEWS : « Est il possible de dire que par cette démarche vous allez encore plus loin que l’œcuménisme ? »

Hans KÜNG : « Oui, c'est en effet un oecuménisme entendu dans son sens le plus large. En fait j'ai travaillé en trois étapes. J'ai tout d'abord réfléchi à l'unité des églises puis, dans la deuxième période, j’ai travaillé pour la paix entre les religions et, finalement, mes dernières recherches ont porté sur la communauté des nations. J'ai en effet beaucoup travaillé avec les Nations Unies, pour l'Unesco…Si vous voulez du latin je pourrai ainsi résumer mon action : Unitas Ecclesiarum, Pax Religionum, et Unitas Nationum qui forment en fait pratiquement trois cercles de plus en plus élargis. »

 

Retrouvez la Fondation Ethique Planétaire :

www.weltethos.org/dat_fra/indx_0fr.htm

              

 

 

LE SOUFISME, L'ISLAM ET LE CHRISTIANISME, Entretien avec

Faouzi SKALI   Paris, le 22/11/04

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LEXNEWS a rencontré un grand penseur à la croisée des chemins de la Foi à l'occasion de la sortie de son dernier livre chez ALBIN MICHEL, "Jésus dans la tradition soufie" (voir compte rendu après l'interview). Grand spécialiste du Soufisme, cet universitaire réputé a fait sienne une démarche consistant à rapprocher ce qui pourrait, par de mauvaises interprétations, séparer les cultures spirituelles. Découvrons, avec ce penseur captivant, des horizons riches d'enseignements qui feront voler les frontières de l'obscurantisme...

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Faouzi SKALI « Jésus dans la tradition soufie » ALBIN MICHEL SPIRITUALITES,

 

C’est un livre qui surprendra plus d’un lecteur pensant être au fait des questions spirituelles. La couverture déjà invite à la réflexion avec une représentation de Jésus sous forme de miniature turque où l’on peut découvrir deux anges ailés transporter le Christ au dessus de la ville de Damas.

Les découvertes seront nombreuses et auront toutes pour but d’ouvrir notre esprit, rétréci par le matérialisme ambiant, afin de regarder au-delà de nos dogmes absolus et réaliser que les traits communs entre le Christianisme et l’Islam sont bien plus nombreux que leurs seules différences. Il ne s’agit pas ici de prôner un quelconque syncrétisme réducteur et trop souvent constaté. Le respect de la foi est intact et le regard porté de part et d’autre est respectueux des convictions profondes de chacune des religions. Mais il est des ponts que l’homme du XXI° siècle ne saurait ignorer alors même que les premiers siècles de l’Islam en avaient fait une donnée manifeste. Redécouvrons avec Faouzi SKALI, ces surprenantes passerelles, les témoignages aussi profonds qu’émouvants sur le rôle de Marie essentiel pour l’Islam, mais également Jean Baptiste, l’Ange Gabriel et bien sûr la personne centrale de Jésus. Cette comparaison éclairée par un auteur qui puise sa foi au plus profond de l’expérience mystique a non seulement valeur d’authenticité mais également de témoignage d’un message d’espoir dans un monde où les différences exacerbées comptent bien souvent plus que les vérités primordiales communes.

 

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LEXNEWS : «  Comment la tradition soufie peut elle être appréhendée et dans quelle mesure se distingue-t-elle de l’Islam ? »

 

Faouzi SKALI : « la tradition soufie est une tradition spirituelle qui s’inscrit au cœur même de l’Islam, et qui est la dimension intérieure de cette religion. Je pense que toutes les religions revêtent un aspect extérieur caractérisé par un ordre, un corpus théologique, un aspect institutionnel, etc. et parallèlement un vécu spirituel dont rendent compte par exemple les saints, les mystiques et tous ceux qui sont parvenus grâce un cheminement personnel à cette quintessence du message religieux. Cela n’est possible qu’à partir d’une expérience personnelle, un approfondissement personnel. Et cette voie de l’approfondissement personnel au sein de l’Islam s’appelle le soufisme. Evidemment, il est clair que ce processus se retrouve dans n’importe quelle religion où certaines personnes décideront d’aller jusqu’au bout d’une expérience personnelle vécue intérieure. A partir de cette expérience, il sera possible de constater que ces pratiques ces attitudes sont porteuses de messages et d’enseignements universels. Je pense que tous les grands messages des traditions spirituelles convergent. Si l’on part du principe qu’il y a une vérité, cette vérité est une et elle est la même pour tout le monde ; Simplement, il y aura plusieurs chemins différents par lesquels l’appréhender. C’est un chemin qui ne revient pas seulement à donner des interprétations à sa propre tradition, mais bien plus généralement d’essayer de parvenir à une véritable sagesse et clarté intérieure, une certaine intelligence spirituelle. Assez singulièrement, plus cette expérience est personnelle et authentique et plus elle aura un caractère universel. C’est ainsi que l’on retrouve les grands traités de spiritualité qui ont été écrits par différents maîtres de spiritualité : des traités de métaphysique, des traités d’itinéraire spirituel, de la poésie spirituelle… Tout cela peut avoir une résonance auprès d’hommes de traditions différentes.

Il est certes possible de se contenter d’une adhésion conventionnelle à une religion : cela peut être une adhésion à la fois sociale, culturelle,…Mais, dès lors que l’on a une pratique et en même temps une certaine expérience, cela peut donner lieu à un approfondissement. Et c’est pour cela qu’on appelle cela la voix du cœur. A partir de cette expérience spirituelle, il sera possible d’accéder à une meilleure connaissance de soi.

D’une certaine manière, cette démarche va permettre de conduire vers l’essence de soi. Ces choses-là sont évidemment à l’origine même de toute expérience spirituelle, mais c’est quelque chose qui nécessite un certain enseignement. Cela nécessite une certaine initiation. Il y a un cercle, un certain nombre d’exercices spirituels sont pratiqués, il y a tout un apprentissage, toute une évolution qui se déroule au sein d’un groupe,…

De nombreux pièges et obstacles parsèment ce cheminement, il devient indispensable de prendre conscience des infirmités de son âme et de son ego, de toutes ces choses qui permettront d’aller vers cette vérité intérieure. C’est évidemment quelque chose qui n’est pas tout de suite accessible. »

 

LEXNEWS : « Cette dimension ne prend-elle pas une certaine part de mystère aux yeux des occidentaux dont cette foi mystique est très souvent éteinte par rapport au passé ? »

 

Faouzi SKALI : «Je pense, que ce type d’expérience raisonne au cœur de chacun, même si en effet elle peut prendre parfois une dimension un peu mystérieuse aujourd’hui. Je crois en effet que c’est au cœur de l’expérience humaine, plus ou moins enfouie, plus ou moins consciente, mais bien présente, que tout être humain aspire à mieux se connaître et à réaliser sa nature. C’est quelque chose que l’on retrouve bien évidemment dans l’enseignement de la tradition chrétienne avec Jésus. Son enseignement est tout à fait similaire à l’enseignement des maîtres du soufisme par rapport à leurs disciples. Cette façon de dire les choses en parabole conduit les gens à mener eux-mêmes leur propre chemin et à une certaine introspection. L’allusion est là pour donner une certaine indication, une certaine orientation vers un chemin qui reste à faire. Le fait de travailler sur l’intériorité, sur le cœur, sur la clarification intérieure, toutes ces choses-là se retrouvent tout à fait dans l’enseignement christique. Il est vrai que dans toute voie religieuse, il y a un moment où ce dynamisme peut se transformer en quelque chose d’institutionnalisé et qui se fige et qui perdra cette vitalité, ce sens premier que nous évoquions. Il est alors normal qu’il y ait une certaine volonté d’aller au-delà de cette chape et de retrouver le message profond. Je pense en effet que cette vitalité spirituelle a été un petit peu occulté ces derniers siècles en Occident.

 

LEXNEWS : « Quels sont les préjugés entretenus à l’égard du soufisme, et quelles seraient les meilleures clefs d’introduction à cette pensée ? »

 

Faouzi SKALI : « il y a beaucoup d’ouvrages qui sont traduits aujourd’hui et écrits directement en français sur le soufisme à l’image des autres voies spirituelles. De nombreux traités fondamentaux et de nombreuses études sur ce mouvement ont été écrits, et il y a un véritable public qui est de plus en plus intéressé par cela. La visibilité auprès des médias n’est pas forcément en corrélation avec cet intérêt. Dans les médias on ne parle que des mouvements politiques, idéologiques, extrémistes, etc. Ce sont pour la plupart du temps des mouvements qui ont perdu toute orientation spirituelle. Cette actualité occulte malheureusement la vraie spiritualité. Je crois que c’est un amalgame dangereux et qu’il est important aujourd’hui de revenir vers ces textes, vers ces témoignages de sainteté, de spiritualité, de sagesse. On s’intéresse plus à ceux qui posent les bombes qu’à ceux qui sont porteurs de message spirituel ! S’il est tout à fait normal qu’un individu soit tenté par une dimension politique, il n’est par contre pas souhaitable que cette dimension soit celle de la religion. C’est la profanation de n’importe quelle religion. Et ces dérives que nous observons actuellement, non seulement dans le monde musulman, mais également aux Etats-Unis au plus haut niveau, sont loin d’être majoritaires même si elles font beaucoup de mal. Ses minorités agissantes sont omniprésentes, et à force de ne parler que de cela, elles prennent une existence plus importante. L’aspect qualité n’a pas besoin d’être médiatisé : les personnes qui vivent spirituellement choisissent spontanément une attitude de recueillement et non une manifestation spectaculaire. Cet écueil est important, or pour beaucoup de gens n’existe que ce qui est visible. Cela a une répercussion sur la mentalité et la perception des gens et l’on finit par se trouver en porte-à-faux. Une mission biaisée qui repose sur des stéréotypes conduit obligatoirement à une incompréhension et à des situations conflictuelles extrêmement dangereuses.

Prendre connaissance des textes fondamentaux et de la pensée des grands auteurs permet incontestablement cette meilleure compréhension gage de  la connaissance de l’autre. Des textes comme ceux de Rûmî, Ibn ‘Arabî,  ….des études comme celles de Corbin, Massignon, … sont essentiels pour aborder cette tradition. »

 

LEXNEWS : « ces textes peuvent-ils être abordés par un lecteur néophyte ? »

 

Faouzi SKALI : « Il est vrai qu’il reste encore à faire un effort de vulgarisation. Cette densité d’expérience de maîtres s’étalant sur plusieurs centaines d’années n’est pas forcément facilement accessible. Cette richesse et cette densité inouïe doivent faire l’objet d’une véritable initiation. Quelques livres comme celui de Martin Lings « qu’est-ce que le soufisme ? », ainsi que « Le soufisme » de Jean Chevalier peuvent apporter des réponses. Mais je pense que la meilleure manière d’approcher le soufisme est d’approcher directement ceux qui le pratiquent. Cela ne conduit pas obligatoirement à embrasser cette croyance. C’est quelque chose qui existe déjà en France, et l’on peut dire que c’est l’un des effets de cette fameuse mondialisation pour une fois bénéfique ! Permettre ce genre de contact était impossible jusqu’alors. Les cultures coexistent partout aujourd’hui et il y a effectivement des confréries soufies qui sont largement répandues en Occident. »

 

LEXNEWS : « Est-il possible d’avoir un contact avec le soufisme à partir de sa propre foi, autre que celle de l’Islam, comme cela est couramment pratiqué avec le Zen par exemple ? »

 

Faouzi SKALI : « Tout à fait, comme pour le Zen, il y a plusieurs degrés d’intérêt ou même d’adhésion, et il est tout à fait possible de s’enrichir par la fréquentation d’une tradition spirituelle sans pour autant y adhérer totalement. Prenez l’exemple du yoga qui est quotidiennement pratiqué sans pour autant être hindouiste ! Bien sûr, si l’on souhaite pleinement s’intégrer à la foi soufie, la tradition de l’Islam s’avère vite essentielle. »  

 

LEXNEWS : « Comment êtes vous venu au soufisme et quelle part représente-t-il dans cette volonté de rapprocher des cultures qui s’ignorent encore trop souvent ? »

 

Faouzi SKALI : « le soufisme est intervenu à un moment assez important de ma vie. La spiritualité était une donnée très importante que j’avais trop longtemps méconnue et délaissée. C’est à une période de ma vie où il m’est apparu très clairement que sans spiritualité ce que je faisais n’aurait plus aucun sens. Je me suis rendu compte que la raison même de notre naissance tendait vers cette spiritualité. C’est une expérience de foi, il est vrai que je suis né dans une famille imprégnée de la culture soufie. J’ai passé mon enfance dans cet environnement, j’en ai gardé des souvenirs très très marquants sans pour autant pouvoir placer des mots sur ces expériences qui m’avait beaucoup frappé. Plus tard, lorsque j’ai laissé tout cela de côté et que je me suis tourné vers des études scientifiques où la religion n’avait pas une place sérieuse, c’est avec l’abandon et l’éloignement que j’ai senti tout l’intérêt et toute la signification de cette dimension spirituelle. Je me suis rendu compte qu’en définitive la raison et la rationalité étaient de bonnes choses mais ne répondaient pas aux questions existentielles. Tout cela s’est réalisé avec une certaine prise de conscience, une certaine « illumination ». J’ai ressenti le besoin à un moment donné de mon parcours de me rapprocher de l’humain et par là même de quitter les études scientifiques. La recherche universitaire et la recherche intérieure ont coïncidé. Et j’ai, pendant l’année 1977, rencontré mon maître au Maroc et progressé dans cette voie. A partir de cette période, j’ai parallèlement mené une voie universitaire et la pratique de ma foi, et d’ailleurs cette dernière dimension intérieure a particulièrement servi la compréhension de la dimension religieuse. Rendre compte de l’expérience religieuse est pour moi quelque chose d’essentiel. C’est ainsi que j’ai pu écrire mes premiers livres.

Mon expérience de la voie soufie m’a particulièrement aidé dans cette direction. Dans un premier temps, j’avais tendance à me retirer du monde extérieur et de me focaliser beaucoup plus sur ce travail de dimension intérieure. Au bout de plusieurs années, j’ai eu ce sentiment que cette spiritualité devait être partagée sur la place publique. Il m’apparut évident que la dimension religieuse était indispensable au monde. Je peux dire qu’elle fut un véritable retour vers ce qui se passait dans le monde alors même que je me désintéressais de l’actualité jusqu’alors. Je me suis profondément interrogé sur ce que la spiritualité pouvait apporter au monde et à une très modeste mesure j’ai initié le Festival de Fès des Musiques Sacrées du Monde  au Maroc. Je souhaitais mettre l’accent sur les enjeux culturels et religieux mondiaux face à la mondialisation politique et économique trop souvent évoquée. Je crois que le fait de résister à un matérialisme pur et dur a été au centre de cette réaction. Les questions religieuses sont revenues au centre de la scène. L’anthropologie est une science d’actualité alors qu’auparavant elle pouvait être considérée comme une science du passé. Elle est même devenue une science nécessaire pour décrypter ce qui se passe aujourd’hui. A partir de ce moment-là, faire un festival comme celui-ci devenait une sorte d’anthropologie appliquée et en même temps un acte de politique majeur. Nous souhaitions par cet acte exprimer une certaine vision du monde. Nous pensons que des religions différentes ainsi que des cultures différentes peuvent coexister, chacune dans sa singularité, et peuvent s’enrichir mutuellement. Elles peuvent même apporter quelque chose à la marche du monde. C’est pour cela que parallèlement au Festival, nous avons institué un colloque qui s’intitule les Rencontres de Fès - «  Une âme pour la mondialisation » qui devrait aboutir d’ici l’année prochaine à la création d’un Institut de Diplomatie Interreligieux et Interculturel. Nous pensons à travers cet Institut réaliser des recherches afin de mieux appréhender les évolutions actuelles.  

 

LEXNEWS : « Avec votre livre, Jésus peut il être ce pont qui rapprocherait Islam et Chrétienté ? »

 

Faouzi SKALI : « Tout à fait, lorsqu’on réalise la proximité et sur de nombreux points même la quasi identité des enseignements qui sont relatifs au personnage de Jésus aussi bien dans la Chrétienté que dans l’Islam tout aussi bien dans le Coran, dans la tradition prophétique ou bien dans la tradition spirituelle du soufisme, on se dit qu’il est invraisemblable que cette réalité soit méconnue ! Si l’on porte le regard habituel sur les deux religions, trop souvent nous avons la fausse impression de deux univers totalement séparés voire même opposés quant à leur Dieu…Ces traits communs quant à la figure de Jésus dans les deux religions est la preuve même que cette position est fausse. Cette dernière image ne prend pas en compte ce patrimoine commun qui est si puissant et constitue une réalité intangible et fondamentale. A contrario, cela prouve la distance invraisemblable imposée par l’ignorance. Le rythme effréné a réussi à masquer ces évidences, nos contemporains n’ont plus souvent le temps de découvrir ces choses-là. Je pense qu’il est essentiel de pouvoir rétablir ce type de vérité parallèlement à ce déferlement d’idées toutes faites et cela à partir de la vérité historique des textes.